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P UIs que j’entreprends d’expliquer nôtre Coûtume, et que la Competence des Juges a été son premier object, il ne sera pas inutile de rechercher l’origine et l’antiquité de nos Loix et de nos Usages ; j’observeray aussi quelle fut la conduite de nos premiers Ducs pour rendre la justice, et de quels Officiers ils se servirent pour cet employ, aprés qu’ils furent devenus les maîtres de cette partie Occidentale des Gaules, à laquelle ils imposerent le nom de Normandie. Nous nous instruirons avec plus de certitude et de facilité de toutes ces choses, lors que nous sçaurons quel étoit en ce même temps le gouvernement de la France.

Lors que les François passerent le Rhin pour s’établir dans les Gaules, toutes ces Provinces-là étoient soûmises à la puissance des armes et des Loix Romaines. Quoy qu’ils ôtassent aux peuples qu’ils avoient vaincus la meilleure partie de leurs Terres, néanmoins ils les laisserent vivre en leur liliberté sans changer leurs Loix, leur nom, et leur langage. De sorte qu’il se forma un État composé de deux nations, la Françoise et la Gauloise, et cette distinction dura fort long-temps, et se perpetua par plusieurs races entre leur posterité.

Les François conserverent leur nom, et comme ils avoient de la peine à distinguer les noms de tant de peuples qui habitoient les Gaules, ils leur donnerent à tous sans distinction le nom de Romains, parce que c’étoit celuy de la Nation Dominante, et que la pluspart d’entr’eux parloient le l an-gage des Romains. Nous en avons les preuves dans Marculphe liv. 1. cap. 40. dans les Loix Saliques, et en plusieurs autres lieux, où par le terme de Romains, il faut entendre les Gaulois, et ceux qui tiroient d’eux leur origine. Monsieur Bignon sur cette formule de Marculphe : Romani autem veteres incolae appellabantur, et Conringius lib. 1. cap. 3. rapporte un Edit Roceswindus, de Origine juris Germanici connubio inter Gotthos et Romanos, id est priscos incolas coëundo.

Pour les Loix, les François continuerent l’usage de leurs Loix Saliques : mais les differens qui naissoient entre les Romains et les Gaulois étoient terminez par le droit Romain, comme je le prouveray dans la suite, et comme les manieres de vivre de ces Romains étoient beaucoup plus honnestes et plus polies, les François les imiterent en plusieurs choses qui regardoient la police et le gouvernement de l’Etat.

Sur tout nos premiers Rois affecterent de prendre les titres et les qualitez des Empereurs Romains. Ils se nommoient comme eux Consuls, Patrices, et Illustres. Ils donnerent aussi à leurs officiers les noms des Officiers Romains ; ils appellerent Ducs, Comtes, et Vicaires, les Gouverneurs des Provinces, et les Juges.

Les Comtes étoient les Juges ordinaires, sans être néanmoins perpétuels ; ce ne fut que sous Charles le simple qu’ils commencerent à se rendre perpétuels et hereditaires, et quelques-uns même usurperent la souveraineté.

Pour obliger ces Officiers à rendre la justice, et pour les punir quand ils ne s’acquittoient pas de leur devoir, les Rois de la première et de la seconde Race envoyoient dans les provinces des Juges extraordinaires qu’ils appelloient Missos Dominicos : leurs commissions étoient fort amples : ils avoient pouvoir de faire rendre la Justice, de corriger les abus et les fautes commises tant par les Comtes que par les Evesques mêmes : Ut si quid Episcopi aut Comites negligentios egissent, per eorum admonitionem corrigeretur, hisque quibus à Comite jus dictum non effet, illis dicerent, & pleraque negotia Régis nomine persicerent, aut ad eum referrent.Bignon , ad veter. formul. c. 7. le Pere Sirmond ad Capit. Caroli Cal vi ad Sylvacum. Et quoy que leurs pouvoirs ne fussent pas toûjours égaux, mais plus ou moins amples selon la volonté du Roy : ces députez avoient toûjours une tres-grande autorité, et leurs départe-ments étoient de grande étenduë. Charles le Chauve n’en fit que douze dans tout son Royaume, sans y comprendre l’Aquitaine qui avoit un Gouverneur particulier, et la Bretagne qui s’étoit alors révoltée. Capitulaires de Charles Le chauve, Tit. Missi & pagi per Missaticos qualiter possint ordinari.

Et ibiSirmond . Cette députation se faisoit ordinairement quatre fois l’année, ou plus souvent selon la nécessité des affaires publiques, le Pere Sirmond ai Cap. Car. Calvi ad Atiniacum c. 1. Propter afflictionem Aquitanicam, propter Normannorum et Britonum incursiones. Par un capitulaire de Charlemagne l. 3. c. 83. ils te-noient quatre mois l’année, et quatre fois par chaque mois. Ils avoient chacun leur departement dans les Provinces, ce qui s’appelloit Missaticum. Il y en avoit un à Roüen : Comes Donatus Rotomagum habeat.

Et dans les Capitulaires de Charlemagne, lib. 2. c. 25. nous trouvons un état et un denombrement de ces departements : De nominibus locorum in quibus Missi Dominici legatione funguntur. Dans cette partie de la Neustrie qui compose aujourd’huy la Normandie, il y en avoit trois, in pago Rodmensi, pro Rodamensi, Roüen. Bagisino, pro Baiocensi, Bayeux. Lisuino, pro Lexoviensi, Lizieux. Carol.

Cal. loco supra citato. Et, suivant l’explication duPere Sirmond , il faut y adjoûter Arques, car il a crû que Tellau, dont il est parlé dans ce departement, étoit le bourg et château d’Arques : inter agrum Caletensem et Vimacensem, que ce lieu avoit depuis été appellé le Comté de Taloge, dont Guillaume de Jumieges l. 2. c. 2. et Odericus Vitalis l. 6. ont fait mention dans leurs Histoires. Ils commencerent sous la première Race, et furent en grande vogue sous la seconde, jusqu’au temps de Charles le Simple, que les Ducs et les Comtes ne voulurent plus les souffrir. Et nous les avons veu renaître en quelque sorte en nos jours, par les Intendans et les Commissaires départis que l’on a envoyez dans les Provinces ; Mais le pouvoir de ces derniers n’est pas de si grande étenduë. On peut apprendre quelle étoit l’autorité et l’employ de ces Missi Dominici, dans le traitté que de Roye a fait de Missis Dominicis. C’étoit par ces officiers-là que la justice étoit renduë par tout le Royaume, quand les Normans forcerent Charles le simple à leur céder un si beau fleuron de la Couronne.

On ne peut pas dire que les Normans à leur arrivée traitassent les François aussi favorablement que les François avoient fait les habitans des Gaules. Sans doute leurs premieres incursions furent cruelles et barbares ; mais aprés la paix faite ils ne songerent plus qu’à cultiver et à rétablir les païs qu’ils avoient ruinez ; ils conserverent même plusieurs familles Neustriennes : Junctique Normanni novi cum pristinis eam regionem cultissimam, frrquentissinamque reddiderunt. Paul. AEmyl in Carol. 3.

Nous avons même encore aujourd’huy des familles qui se pretendent être d’une origine Neustrienne.

Toutes les Histoires rendent témoignage à Raoul, qu’il fut grand amateur de la justice, qu’il punissoit severement les crimes, et sur tout le larcin. Pour cet effet il ne manqua pas d’établir des Loix et des officiers pour rendre la justice ; on peut dire qu’il ne changea que les noms, et encore le changement ne fut pas general. Au lieu de ces Missi Dominici, il crea un Echiquier, et un grand Seneschal, des Comtes, des Baillifs, et des Vicomtes ; mais je ne pense pas que ces Comtes eussent l’administration de la justice, ce n’étoient que des deputez, ou des gouverneurs de certains cantons de la pro-vince, comme les Comtes d’Eu, d’Auge, de Côtentin, de Mortain, et d’autres.

Ce changement se fist vray-semblablement dans le même temps que la Normandie fut acquise au Duc Raoul ; etMaître Charles Loyseau , livre des Offices c. 14. n. 48. et des Seigneuries, c. 8. n. 40. n’a pas dû mettre les Ducs de Normandie entre ceux qui sous la troisième Race usurperent tout à fait la souveraineté, et qui ne voulurent plus souffrir que les Miffi Dominici residassent ni rendissent la justice dans leur païs, et qui obligerent les Rois à faire plusieurs Ordonnances, de n’envoyer plus d’officiers ni de Comtes dans leurs terres, comme firent les Ducs de Guyenne, de Bretagne, et de Bourgogne. Cela est vray pour les Seigneurs de France, mais pour la Normandie par la cession qui en fut faite à Raoul, il en devint le Souverain à la reserve de l’hommage : Ut teneret ipse et successores ejus ipsam terram quasi feudum et alodum. C’est à dire suivant la signification de ce mot alodum en pure proprieté et heredité. Et l’histoire a marqué que ; Statim Francorum coactus verbis, manus suas misit inter manus Regis, quod numquam pater ejus, avus, & proavus cuiquam fecit.

Dudo san. quint. Deca. l. 2. de Moribus Nor. Mais quand on voulut l’obliger à baiser les pieds du Roy, il le refusa fierement, et dit : Numquam cur vabo genua mea alicujus genibus, nec osculabor cujusquam pedem. Et en effet il commanda à un de ses Capitaines de baiser les pieds du Roy.

Il est si vray qu’il fit le Souverain en toutes manieres, qu’il divisa à ses officiers et à ses soldats sur le champ avec un cordeau toutes les terres qu’on luy avoit laissées, ibid. Terram suis Comitibus, et suis fideliter funiculo divisit ; securitatem omnibus gentibus in suâ terrâ manere cupientibus fecit : jura legesque sempiternas, voluntate Principum sancitas et decretas, plebi indixit.

L’Echiquier étoit la Justice Souveraine du Païs où tous les procez de la province étoient jugez en dernier ressort, et le mot prouve, qu’il fut établi au lieu de ces Comtes que l’on envoyoit avec une pleine autorité, car bien que l’on ait cherché diverses origines de ce mot d’Echiquier, il est sans doute qu’il vient du mot Allemand Skecken, qui signifie envoyer, parce que cette assemblée avoit suc-cedé aux envoyez, ou Miffis Dominicis, étant composée des Evesques et des Barons, et de plusieurs autres personnes qui étoient envoyées et ordonnées par le Duc pour rendre la justice, c’est aussi le sentiment dePithou , liv. des Comtes de Champ. Et deChopin , de Doman. l. 2. Tit. 5. n. 2.

Ménage au mot Echiquier,, de Roye Missis de Missis Dominicis ad Justitiam cap. 3. a Juridicis illis Mifforum Dominicorum con ventibus, omnes ferè docti des Origines de la langue Françoise yolunt qui post-modum appellari coeperunt Echiquier. Ceux qui cherchent ailleurs que dans l’antiquité de nôtre langue, ou dans la langue Teutonique, l’origine des vieux mots, peuvent bien faire paroître de l’esprit et de l’érudition, mais ils ne rencontreront pas leur véritable signification. Les Anglois et les Ecossois ont retenu ce terme. Skenaeus ad leg. Reg. l. 2. c. 45. Les Evefques et les Abbez avoient aussi leurs Envoyez ou Miffos ; mais j’en parleray ailleurs.

Comme l’Echiquier ne tenoit qu’en certaines saisons et pendant un certain temps, et que la convocation en étoit difficile à cause du nombre des personnes qui étoient obligez d’y assister, comme les Prelats, les Barons, et les Baillifs Royaux, leurs Lieutenans Généraux, les Avocats et Procureurs du Roy, et qu’on n’y expedioit que la moindre partie des affaires ; les Juges mêmes qui ser-servoient gratuitement, precipitans la separation de l’assemblée, le Roy Loüis XII. en l’an 1499. à la requeste des Estats du païs le fit perpetuel et ordinaire, pour avoir sa seance dans la ville de Roüen comme la capitale de cette Province.

Mais afin que durant la cessation de l’Echiquier la justice fût renduë plus exactement, les Ducs avoient creé un grand Officier à l’imitation de ces Commissaires extraordinaires dont on se servoit cn France, qu’ils appelloient Senechal, son pouvoir et ses fonctions étoient semblables : l’ancien Coûtumier, du Senechal au Duc, dit que, le Senechal au Prince corrigeoit ce que les bas Justiciers avoient delinqué, gardait la terre et les Loix de Normandie, et les faisoit garder : et ce qui étoit moins que deuëment fait par les Baillifs, il le corrigeoit, les ôtoit du service du Prince : ainsi en décourant par Normandie de trois ans en trois ans, il visitoit chacunes parties et Bailliages dudit Païs, et luy appartenoit d’enquerir en chacun Bailliage des injures faites par les sous-Justiciers, et des faits criminels diligemment il enqueroit, et de chacun il faisoit faire droit. Dans Robertus de Monte il est appellé Justitia totius Normanniaee : et par un Arrest de l’Echiquier tenu en l’An 1497. il fut dit qu’il pourroit juger l’Echiquier fini. Mais par les Lettres patentes qui rendirent l’Echiquier perpetuel, il fut ordonné que le decez arrivant du sieur de Brezé qui étoit pourveu de cette charge, elle seroit éteinte et supprimée.

Les Baillifs et les Vicomtes étoient les Juges perpetuels et ordinaires, il en sera parlé dans la suite.

Pour les lieux et les assemblées où la justice devoit être renduë, on observa encore en Normandie ce qui étoit pratiqué en France ; comme ils avoient leurs grandes assemblées malla et placita, les Normans avoient aussi leur Echiquier, leurs Assises et leurs Plaids.

Les Juges, et les Jurisdictions n’étoient pas alors en grand nombre, comme les Princes ont le pouvoir de changer et de supprimer leurs officiers, ils se donnent aussi la liberté d’en créer autant qu’il leur plaist : Justinien en usa plus mal qu’aucun autre Prince, comme on le peut remarquer par ses Novelles 20. 24. 29. 30. 31. et c’est avec justice que Procope in MOTGREC l’accuse d’avoir été un grand amateur de la nouveauté : ce mal a passé jusqu’à nous ; Multitudo Magistratuum provincaeae onerat.

Ce desordre n’est pas seulement pour le nombre des Juges, le mal devient encore plus grand par cette multitude de Jurisdictions differentes que nous avons en France : et connoître leur competence n’est pas aujourd’huy la moindre partie de nôtre jurisprudence : aussi-tost qu’une action civile ou criminelle est formée, la poursuite en est traversée par des conflicts de Jurisdiction. Chaque Juge est jaloux de sa competence, il la défend avec opiniâtreté comme son patrimoine, et les reglemens de Juges durent si long-temps, qu’un pauvre homme s’est épuisé avant qu’il puisse sçavoir le lieu où il doit plaider.

Il faut parler maintenant de nos Coûtumes, de leur origine, de leur antiquité, par qui elles ont été établies, et quand elles ont été rédigées par écrit.

La pensée de Philon Juif est véritable, que Dieu n’a permis la confusion des langues, et la diversité des Coûtumes que pour la punition du genre humain. Naturellement tous les hommes sont amateurs des moeurs et des Coûtumes de leur Païs : les Conquerans ont crû que le droit de faire garder leurs propres Loix aux peuples vaincus, étoit une suite et une dépendance de leurs victoires : tous ces peuples du Nord, qui chasserent les Romains des Gaules, n’eurent guere plus de respect pour leurs belles Loix, que ces Romains en avoient eu pour les Coûtumes des peuples qu’ils avoient soûmis à leur domination ; en tout cas s’ils leur en permettoient l’usage, ils ne vouloient pas s’en servir pour eux-mêmes.

Ils eurent tous une si forte passion de publier des Loix, que bien qu’ils n’eussent pas encore l’usage des lettres en leurs langues, ils ne laisserent pas de faire les Legislateurs. Conringius en son Traité de origine juris German. l. l. c. 1. dit que : gentes Germaaeiae initio suo litterarum non secreta tantùm, sed & usum omnem ignorarunt, ita nullas leges scriptas observaverunt. Et ce qui le prouve asseurément est, qu’il se servirent de la langue Latine pour les expliquer.

Cela commença environ l’An 401. et si la premiere publication que nous avons des Loix Saliques est véritable ( car elle est suspecte à plusieurs ) les François, selonConringius , ont été les premiers qui ont rédigé leurs Loix par écrit environ l’An 422. lors que les François se furent emparez de ces terres qui sont le long de la Moselle.

Les Wisigoths composerent ensuite leurs Loix fous le regne d’Evarix environ l’An 470. et son fils Alaric, qui tenoit sa Cour à Tolose, fit faire un abbregé du Code Theodosien par Anian son Chancelier environ l’An 504. Aprés parurent toutes ces autres Loix, dont on a composé un volume des Bourguignons, des Baioares, des Ripuaires, des Allemands, et des Lombards qui furent les dernieres.

On est en peine de sçavoir, qui étoient les peuples Auteurs de ces Loix Ripuaires. Quelquesuns croyent qu’ils s’appelloient Ripuaires, parce qu’ils demeuroient proche les rives de quelque fleuve. Conringius doute que cela puisse être, parce qu’il auroit fallu dire Riparii et non Ripuarii : Mais en ce siecle-là on ne sçavoit pas si exactement l’analogie de la langue Latine. Fauchet a écrit que les Ribarols auprés du Liege en sont venus, et que c’étoit un nom des François comme le nom des Saliens. L’Autheur de l’origine du Droit François a remarqué que dans la Loy même les François et les Ripuaires y sont nommez comme des peuples differents ; ils l’étoient en effet. Rheginon dans sa Chronique publiée pardu Chesne , de gestis Normanorum, environ l’An 891 : et 892. parle d’un peuple nommé Ribuarios, qui demeuroit proche de la Meuse, dans cette espace de terre qui est entre la Meuse et Cologne, et c’est apparemment la même chose que les Ribarols de Fauchet.

De toutes ces Loix la plus belle et la plus polie est celle des Wisigoths, parce qu’elle étoit plus aprochante du droit Romain, et celle des Lombards est la plus ample.Conring . c. 3. l. 1. La Loy Salique fut beaucoup augmentée dans la suite, par Clovis et par Childebert, par Clotaire et ses enfans, comme on le peut remarquer dans la premiere Préface. Idem. c. 7. Charlemagne y adjoûta plusieurs Articles, quand il la fit écrire en l’An 803. et plusieurs croyent que c’est la veritable et la pre-miere publication qui en ait été faite. Loüis le Debonnaire y fit aussi quelques additions.

Je n’ay parlé de l’origine de toutes ces Loix que pour découvrir quel étoit le droit qui s’observoit en France sous les Rois de la premiere et de la seconde Race, parce qu’on peut en tirer des lumie-res pour nôtre droit de Normandie.

Les François suivoient la Loy Salique et les Capitulaires de Charlemagne, de Loüis le Debonnaire, et de Charles le Chauve. Les Wisigoths et les Bourguignons avoient leurs Loix par-ticulieres, et pour les anciens habitans des Gaules, soit Romains ou Gaulois plusieurs sont de cette opinion qu’on leur avoit conservé l’usage de la Loy Romaine, et qu’elle n’avoit point été abolie par les Rois de France. Nous avons un Edit du Roy Clotaire de l’An 560. que le Pere Sirmond a mis dans le premier tome de ses Conciles de France, qui le porte expressément, Inter Romanos negotia causarum Romanis legibus censemus terminari : Dans le Synode tenu à Poissi sous Charles le Chauve on lit ces paroles dans le c 28. De illis qui secundùm legem Romanam vivunt nihil aliud quam quod iisdem legibus continetur definimus.

On prétend même que la langue Latine étoit la langue vulgaire et que sur tout les Ecclesiastiques, de quelque nation qu’ils fussent, s’attachoient soit à l’observation du droit Romain qui n’étoit pas sans doute celuy deJustinien , parce qu’il n’avoit pas encore paru : il semble même que le Code Theodosien, n’y devoit pas être bien connu, la publication n’en ayant été faite qu’en l’An 435. Plusieurs grands Autheurs neanmoins sont de ce sentiment que le seul Code Theodosien, étoit connu dans les Gaules, sous les Rois de la premiere Race, et que la Loy Romaine consistoit en ce seul livre-là.

Mais que sous l’Empereur Charles le Chauve le Code et les Novelles de Justinien commencerent à paroître ; Dadinus de Altâ serra l. 3. rer. Aquitan. De Roye de Miss. ad Just. c. 6. car pour le Digeste, Irnerius fut le premier qui le mit au jour dans l’Occident.

Ceux qui estiment que la Loy Romaine étoit gardée generalement sous les Rois de la premiere Race, et qu’on y dérogeoit seulement à l’égard des Barbares dans les cas où leurs Loix ordonnoient nommément quelque chose de different, disent que toutes ces Loix contenoient peu de matieres, et que par cette raison ils étoient obligez nécessairement en plusieurs rencontres d’avoir recours aux Loix Romaines ; et là-dessus on rapporte un passage d’Aimoin l. 4. c. 28. touchant les enfans de Sadragesile Duc d’Aquitaine, lesquels du temps du Roy Dagobert, pour n’avoir pas vangé la mort de leur pere, furent privez de sa succession, conformément aux Loix Romaines ; que d’ailleurs tous les Ecclesiastiques avoient grand interest de les faire valoir à cause des immunitez et des privileges qui leur étoient accordez par les Constitutions des Empereurs ; que Charlemagne même avoit fait écrire le Code Theodosien suivant l’Edition d’Alaric, ce qui montre que sous la seconde Race on gardoit aussi les Capitulaires de Charlemagne, de Loüis le Debonnaire, et de Charles le Chauve, et c’est pour cette raison qu’Eginard dans la vie de Charlemagne a écrit, que, Franci habent duos Leges plurimis in locis diversas. Et on explique ce passage en cette manière que de ces deux Loix l’une étoit la Salique et l’autre la Romaine et dans un Auteur anonyme, la noblesse de Languedoc supplie Loüis le Debonnaire, que les Commissaires, Missi Dominici, qu’il envoyeroit conservassent la Loy Romaine. On prétend néanmoins que le passage d’Eginard ne se doit pas entendre de cette façon et que ces paroles Franci habent duas Leges, ne signifient pas la Loy Salique et la Loy Romaine, mais les deux Loix Saliques, dont la premiere fut publiée en Allemagne environ l’An 422. et l’autre fut établie dans la Gaule par Childebert, Carloman et Loüis le Debonnaire, comme on le remarque par les additions faites à la Loy Salique.

Outre les autoritez remarquées par de Roye de Missis Dominicis, ad Justitiam c. 6. il en rapporte une autre dans le c. 8. qui est singulière ; Dans une assemblée tenue par les Commissaires dé-putez par l’Empereur, l’Avoüé, advocatus du Monastere de Fleury, prétendoit contre l’Avoüé de l’Abbave de S. Denis, que quelques esclaves appartenoient à ce Monastere, mais que l’affaire parût si difficile à ces Commissaires qui ne scavoient que la Loy Salique, et qui n’étoient pas instruits en la Loy Romaine pour les matieres Ecclesiastiques, qu’ils furent contraints de renvoyer l’assemblée à Orléans, où ils pourroient trouver des Docteurs de droit, parce qu’en ce temps-là il n’y en avoit point à Paris.

Plusieurs ont crû que les Rois de la premiere et de la seconde Race, ne furent pas moins jaloux de l’observation de leurs Loix que ceux de la troisiéme, qui n’ont point permis que le droit Romain fut enseigné dans les Universitez de leur Royaume, qu’avec cette protestation, qu’il ne pour-roit être allégué pour servir de Loy. La condamnation jugée contre les enfans de Sadragesile, pour être conforme au droit Romain ne prouve pas que ce fût le droit commun du Royaume ; et quand même le droit Romain eût servi de Loy, on ne pouvoit en faire conséquence pour les autres païs : quia ab antiquo lege Romanam utebatur Aquitania. Dadin de Alta serra, de Ducibus et Comit. provinc. c. 6. l. 1. Et les Loix des Wisigoths, qui étoient gardées dans le Languedoc étoient presque toutes tirées du droit Romain suivant l’observation deMonsieur Cujas , De feudis lib. 2 cap. 11.

Pour le passage d’Eginard il est expliqué diversement. Conringius entend par ces deux Loix, que les François qui habitoient la Neustrie ou la partie Occidentale des Gaules, avoient une Loy différente de celle des François ; qui demeuroient dans l’Austrasie ou France Orientale.

Pour la requête de la Noblesse du Languedoc, j’ay déja dit que le droit Romain y étoit gardé.

Quant aux Ecclesiastiques, comme ils étoient gens de lettres, ils avoient sans doute plus de penchant pour le droit Romain qui leur êtoit favorable, que pour des Loix conçûës en des termes barbares.

Il y a neanmoins beaucoup d’apparence que par ce long sejour que les Romains avoient fait dans les Gaules, et durant cette domination souveraine qu’ils y avoient exercée durant plus de 500. ans, les Gaules étoient devenuës Romaines, soit pour la langue, ou pour les coûtumes. Et bien qu’il fût de l’interest et de la politique de ces nouveaux Conquerans, d’éfacer toutes les marques de l’autorité Romaine, il étoit difficile de faire oublier à des peuples polis des Loix belles, amples, et équitables, pour leur faire embrasser des Loix dont à peine ils pouvoient entendre les termes, et qui paroissoient n’avoir été faites que contre des larrons, puisque la punition de ce crime en est le principal sujet.

Il ne faut pas douter que du moins, depuis que les Empereurs de la seconde Race se furent mélez des Loix Civiles, et Ecclesiastiques, comme l’authorité des jugemens êtoit en la main des François, ils ne fissent prévaloir leurs propres Loix ; mais enfin la foiblesse des Rois de cette seconde lignée ayant changé tout l’état du Royaume, comme la difference des François et des Gaulois étoit cessée les Loix saliques et Romaines commençoient aussi à perdre leur credit, et ce fut alors que le droit Coûtumier prit naissance ; mais parce qu’en ce même temps plusieurs Seigneurs usurperent la souveraineté, et s’attribuerent encore le pouvoir de faire des Loix : c’est de-là asseurément que procede cette diversité de Coûtumes que nous avons en France : quelques Provinces seulement, ont maintenu l’authorité du droit Romain.

Les Normans n’eurent pas moins d’ambition que tous les autres peuples du Nord, qui n’avoient pas voulu se soûmettre aux Loix des peuples qu’ils avoient vaincus, et peut-être qu’ils les surpassoient en esprit et en prudence : au moins on peut dire à leur avantage, que pour expliquer leurs Coûtumes et les reduire par écrit, ils sçûrent bien se servir de leur langue naturelle, et toutes ces autres nations dont les Loix sont parvenuës jusqu’à nous, furent contraintes d’emprunter la langue Latine.

On apprend même par l’Histoire qu’ils avoient si peu d’estime pour la langue ordinaire du païs qu’on appeloit la Romaine, et qui n’étoit qu’un mélange du Latin, du Gaulois et du François, que Guillaume premier fils de Raoul fit élever son fils Richard premier à Bayeux, et non point à Roüen, parce qu’on parloit Danois en cette Ville-là, et que dans Roüen la langue Romaine étoit plus en usage. Dudo in Rich. I. l. 3. En effet ceux qui se sont apliquez à rechercher l’origine des mots, ont remarqué que les noms de la pluspart des lieux de cette Province, ont une origine Allemande ou Danoise, quoy qu’avec le temps on leur ait donné un air, et une terminaison Françoise. Les Normans étendirent l’usage de leur langue, autant qu’il leur fut possible : ce leur étoit même une né-cessité de le faire, la langue du païs leur étant inconnuë. Il nous reste un exemple de cette Romance, ou langage Romain et François, dans le serment de Loüis et de Carloman frères, rapporté parNithard . l. 3. in quant Deus savir et podir mi donat. Ce qui est ailleurs exprimé par ces paroles, in quantum scire et posse Deus mihi donaverit, et dans un autre formulaire de fidélité, qui est dans les Capitulaires de Charles le Chauve page 117. on lit ces mots, fecundum meum savirum.

Raoul et ses Capitaines ayant fait durant toute leur vie un continuel exercice des armes, ne devoient pas être apparemment de grands legislateurs, cependant le bel ordre de leur Etat dés son premier établissement, la sagesse de leur Police, l’équité de leurs Loix, et leur pieté en la Religion Chrêtienne firent bien connoître, que ce n’étoit pas une troupe ramassée de Pirates desesperez, comme les Moynes de ces siecles-là nous les ont dépeints, il les faut excuser parce qu’alors ils voyoient encore leurs cloîtres fumans, par les feux que les Normans y avoient allumez ; mais au contraire cela prouve que les vertus politiques n’éclatoient pas moins en eux que les militaires.

Aussi entre celles de nos Coûtumes, qui passent pour les premieres et dont on peut conjecturer, que Raoul fut l’Autheur, on y remarque une prudence, et une Justice qui les éleva infiniment au dessus des Loix Saliques, Ripuaires, Baioares, &c. il en faut seulement excepter celle des Wisigoths, qui avoit emprunté toutes les belles lumières de la Jurisprudence Romaine.

Il n’y a pas d’apparence que Raoul eût appris ou apporté de Dannemarc toutes les Loix qu’il établit en Normandie ; comme il reünissoit deux peuples en un, il les rendit conformes aux moeurs et au génie de l’un et de l’autre, afin d’en rendre l’observation plus volontaire et plus durable.

Elles furent donc composées de quelques Coûtumes de Dannemarc et de quelques Loix Françoises : et sans doute les Normans n’apporterent pas des Loix écrites de Dannemarc, car l’Histoire de ce païs-là compte pour leurs premiers Legiflateurs leurs Rois Waldemar premier et second du nom, dont le premier publia les Loix Schoniques et Sialandiques ( Scanicas et Siaandicas ) en l’année 1163. et le dernier ne publia les Loix Cimbriques qu’en l’an 1240. et ces Loix étoient tirées en la meilleure partie ex speculo juris Saxonici, qui est le plus ancien Original du droit d’Allemagne,Conring . c. 4. et qui ne fut écrit neanmoins et compilé suivant l’o-pinion des plus Doctes, que vers l’an 1220. et c’est pourquoy Conringius refute avec raisonAndreas Bureus , qui a écrit que les Loix des Wisigoths tiroient leur premiere origine de celle des Goths. Et qu’autrefois dans la Suede chaque Province avoit ses Loix particulières, et ses Legislateurs differens. Mais Bureus auroit de la peine à persuader que quand les Goths sortirent de leur païs là premiere fois ils eussent quelques Loix rédigées par écrit ; car avant Gulphula les caracteres Runiques n’étoient pas encore en usage parmi les peuples du Nort. Or ce Gulphula étoit Evesque des Goths du temps de l’Empereur Valens.Conring . ibidem.

Il n’est pas possible toutefois, de parler avec certitude de toutes les Coûtumes qui furent établies par Raoul, ni d’asseurer si alors elles furent mises par écrit, ni de marquer certainement le temps où elles ont commencé d’être écrites, et sans doute elles n’étoient pas en grand nombre, comme ils ne commençoient qu’à posseder leurs terres, ils n’étoient pas encore en état de faire tous les reglemens, ou pour me servir de l’ancien mot, tous les établissements necessaires, pour regler l’ordre des successions, le partage des biens, les droits des femmes, et toutes les autres actions de la société civile.

Mais on ne peut douter aprés les exemples que l’Histoire nous en fournit, que Raoul n’ait établi des peines fort severes contre le larcin, et contre les perturbateurs du repos public ; ce crime étoit fort ordinaire parmy tous les peuples du Nort. Les soldats accoûtumez au pillage oublioient difficilement leurs vieilles habitudes. Dans la Loy Salique qui n’est pas fort ample suivant l’impression deHeroldus , il y a pour le moins treize titres, qui traitent des peines contre les larrons.

Ce fut un des plus grands soins de Raoul d’empescher ce desordre, ce qu’il ne pouvoit executer qu’en punissant severement le larcin ; ses soins, et ses ordres luy reüssirent fort heureusement, et chacun sçait ce que nos Chroniques ont écrit de luy sur ce sujet.

Nous apprenons par cette méme Histoire que l’usage de la preuve par le feu fut authorisée par Raoul, puisqu’on l’a pratiqua avec toute la rigueur possible, pour avoir connoissance du larcin dont un Païsan fut accusé. Qnand quelqu’un étoit suspect, ou accusé de quelque crime, et qu’il ne pouvoit être convaincu par témoins, on avoit recours à ces preuves extraordinaires, étant persuadez que Dieu manifestoit la vérité, comme autrefois parmy les Juifs, par Lurim et Thumim. Mos erat ad Judicium Dei compellere, ut ex ejus eventu condemnaretur aut liberaretur. Ut rei, judicio Dei credant absque dubitatione. Ces preuves se faisoient en quatre manières ; par le duel, par le fer chaud, par l’eau boüillante ou froide, ou par la croix. Il est étrange que ce mauvais usage ait non seulement duré, mais qu’il ait même été approuvé par des Princes Chrétiens, et que pour cet effet on se soit servi des foudres, des mysteres et des prieres de l’Eglise. On peut apprendre la manière de ces exorcismes, par les formules qui en sont rapportées dans le Glossaire qui est à la fin des Capitulaires de Charlemagne, de l’Edithion dePithou , in verbo aequae ferventis. Et d’Agobardus dans le Livre qu’il a composé conctre cet usage, qui fut enfin aboli par les Lois Ecclesiastiques et civiles. Le duel étoit la manière la plus ordinaire de décider les questions tant civiles que criminelles, et il ne faut pas s’étonner, que des peuples dont l’inclination étoit toute militaire, ne connussent point d’autres moyens pour vuider leurs differens, que par la voye des armes : on ne peut neanmoins imputer aux Normans cette manière barbare de rendre la justice, elle leur fut apprise par les François ; Et quoy que ces combats eussent été défendus dés l’An 855. par un Concile tenu à Valence, ils ont duré long-temps depuis ; et cela se prariquoit encore en Angleterre fous le regne de Henry Il. On peut voir dans Glanville l. 2. c. 3. les cérémonies qu’il falloir garder, et de quelle manière le combat se faisoit. Cet Autheur a remarqué qu’en ce temps-là le défendeur pouvoit le refuser et demander son renvoy à l’Assise, in electione ipfius tenentis erit, se versus petentem defendere per duellum, vel ponere se inde in magnam Assisam Regis. Voyez aussi Pasquier en ses recherches l. 4 c. 1. L’action en Haro commença aussi dés le temps de ce Prince, quoy que peut-être dans la suite on l’ait plus étenduë.

La manière de succeder et de partager les biens, soit à l’égard des heritiers, ou des femmes, fut introduite, presque conforme à celle que nous gardons encore aujourd’huy.

Les filles étoient excluses des droits successifs tant qu’il y avoit des mâles, soit que les Normans eussent retenu cet usage des Neustriens qui gardoient la Loy Salique, comme ils en conserverent encore beaucoup d’autres, ou que tous les peuples du Nord eussent une conformité de génie. Le pouvoir de reserver ou de rappeler les filles à la succession fe pratiquoit aussi en ce temps-là par les François, et par consequent par les Neustriens ; comme je le remarqueray sur les Articles qui traitent de cette matière.

L’institution d’heritier n’avoit point aussi de lieu, parce que comme ditGlanville , 1. 7. c. 1. solus Deus heredem facere potest, non homo, on ne pouvoit aussi donner de son fonds à un de ses enfans plus qu’à l’autre pour les biens que nous appelons Roture, demeurant neanmoins le principal manoir à l’aisné : ibid. Entre filles la succession se partageoit également, soit que ce fussent des héritages Nobles ou Roturiers.

La femme avoit le doüaire sur les biens de son mary, qui consistoit au tiers que le mary possedoit lors des épousailles, elle avoir aussi le tiers aux acquests, ce qui étoit ordonné auparavant par les Capitulaires de Charlemagne l. 4. c. 9.

La différence, entre les biens propres, fiefs, et acquests ; inter alodum, beneficium & comparata, est de ce même temps, et sans doute les Normans qui étoient d’un esprit fort provide embrassoient volontiers toutes les Coûtumes des Neustriens, qui conservoient les biens dans les familles.

On peut encore mettre dans le nombre de nos Coûtumes aussi anciennes que celles du Duc Raoul, plusieurs autres dispositions. Pour la preuve de leur antiquité, ce ne seroit peut-être pas assez d’alleguer le vieil Coûtumier, parce que n’ayant pas été rédigé par écrit dans ces siecles-là, il ne seroit pas une pleine foy : car depuis le Duc Raoul, jusqu’au temps de l’Auteur du vieil Coûtumier, il s’est écoulé plusieurs siecles. Ainsi il ne seroit pas impossible que plusieurs nouveaux Usages se fussent établis avec le temps, par les changemens arrivez dans le Gouvernement.

Nos anciennes Loix qui furent portées en Angleterre par Guillaume le Conquérant nous en fourniront plus d’éclaircissement ; les Anglois les ont conservées sans alteration, et l’Histoire ne nous marquant point que les autres Ducs de Normandie ayent fait de nouvelles Loix, il est vraysemblable que ces Coûtumes que Guillaume fit recevoir aux Anglois étoient les mêmes, au moins en la meilleure partie que celles qui avoient été établies par Raoul. Ainsi tout ce que nous observons maintenant, qui se trouve conforme à l’ancienne Coûtume d’Angleterre, peut être con-déré comme le premier droit des Normans.

Quoy qu’il en soit, le gouvernement et la Police d’un Etat ne se forme pas tout d’un coup, et souvent les plus sages Legislateurs selon l’exigence des cas, et la necessité des temps, sont forcez de revoquer leurs premieres Loix. Nulla lex neque senatusconsultum, in Repub. Romanâ visum est ad omnia ab initio sufficienter prolatum, sed multâ indigent correctione, ut ad naturae varietatem, & hominum machinationes sufficiat. Aussi nôtre Coûtume a eu ses âges et ses progrez : le temps les a polies, l’experience y a fait changer des choses, pour les rendre plus équitables ; et par le consentement tacite des peuples, on a introduit et autthorisé de nouveaux Usages.

C’est de cette maniere que nôtre Coûtume a été composée : nous n’avons presque rien emprunté de la Loy Romaine, et nôtre Droit y a fort peu de conformité. Elle est née parmy nous, et quoy que nous ayons conservé beaucoup de choses, qui se pratiquoient par les Neustriens, nous pouvons les reputer nôtres à cause du mélange et de l’union qui se faisoit de ces deux peuples.

Elle s’est augmentée par les Ordonnances de nos Rois, et par les Arrests de l’Echiquicr et du Parlement.

Il peut bien être aussi que par la conquête de l’Angleterre et par l’union de ces deux Etats sous un même Prince, nous avons pû emprunter quelque chose des Anglois, et il y a apparence que nous tenons d’eux le droit de garde-Noble : et il peut être encore que ce droit de viduité que nôtre Coûtume donne au mary est Anglois de son origine : Lithleton qui appelle ce droit la courtoisie d’An-gleterre, dit qu’il n’est en usage en aucun autre Royaume, fors qu’en Angleterre.

L’Auteur de la Préface sur le style de proceder qui se trouve à la fin de l’ancien Coûtumier pour acquerir plus d’estime et de veneration à nos Loix, a dit que les Coûtumes qui sont contenuës dans le Livre appelé communément la Coûtume de Normandie, y étoient observées de toute ancienneté, et avant que la Duché fût baillée par le Roy Charles le Simple au Duc Raoul : mais cela ne peut être vray que pour quelques Articles, et non pour tous ; car soit que dans la Neustrie l’on suivit la Loy Romaine, ou que l’on y observast la Loy Salique et les Capitulaires des Rois de France, nos Coûtumes ne peuvent être de cette antiquité-là, puisqu’elles n’ont presque point de conformité, ni avec le droit Romain, ni avec les Capitulaires. Roüillé dans sa Preface a écrit qu’Edoüard Roy d’Angleterre, surnommé le Saint, a fait la Coûtume de Normandie, et d’Angleterre, et la preuve qu’il en apporte, est la conformité qui se remarque entre ces Coûtumes-là, mais la raison de cette conformité procede d’ailleurs. Edoüard n’avoit point le pouvoir et l’authorité de donner des Loix aux Normans.

On ne peut parler avec certitude du temps où nos Coûtumes ont été rédigées par écrit pour la premiere fois. Il semble neanmoins que cela doit avoir été fait avant Guillaume le Conquérant, car au rapport de nos Historiens ce Prince aprés sa conquête voulant repasser en Normandie abrogea, comme pour une marque de sa Victoire, une grande partie des Loix Angloises, et introduisit en leur place d’autres Coûtumes, confirma celle de Normandie, tant pour la langue que pour les matieres, et il voulut que les causes se plaidassent en langue Normande, ce qui fut continué jusqu’au temps d’Edoüard III. et en l’an 1361. le Parlement d’Angleterre qui se tint à Westmunster ordonna que les Juges, Plaideurs, Avocats, Procureurs, et Commissaires, n’useroient plus de ce langage, et que tous les Actes de Justice, Plaidoyers, et Jugemens, seroient écrits en langue Angloise.

Cependant nous n’avons aucun recueil de nos Coûtumes qui ait été fait de ce temps-là. Ce livre que nous appelons la vieille Coûtume, et qui a été commenté parle Roüillé , a été composé depuis S. Louis. Car il fait mention de ce Prince dans le titre de Justiciement, en ces termes ; et pource le noble Roy Loüis qui fut le second aprés le Roy Philippe, &c. ce Roy Philippe étoit Philippe Auguste, et S. Loüis étoit son petit fils, ainsi le vieil Coûtumier ne fut pour le plûtost redigé par écrit que sous Philippe le Hardi.

Les Loix publiées en Angleterre par Guillaume le Conquérant, ont été recueillies et commentées par Lithleton depuis le regne de Richard I. qui commença à régner en l’an 1189. Glanville avoit publié ses Formules en l’an 1154. sous le nom de Loix d’Angleterre, par l’ordre d’Edoüard I. qui fut le Justinien et le grand Législateur des Anglois environ l’an 1270. et ce qui persuade que ces Loix n’étoient point différentes de nôtre ancienne Coûtume, est qu’elles sont écrites en vieil langage Normand, et qu’elles sont conformes en beaucoup de choses à nôtre Coû-tume. Et il n’est pas étrange que dans l’espace de trois cens ans il y soit arrivé beaucoup de changemens, surtout depuis le retour de la Normandie à la Couronne. Et d’ailleurs le Duc Guillaume n’avoit pas entièrement aboli les Loix d’Angleterre.

Le Roüillé ou celuy qui a écrit la Preface sur l’ancien style de proceder, estime que Philippe Auguste aprés avoir repris 1a Normandie sur les Anglois, s’informa des Coûtumes du païs, et qu’il fît écrire et mettre en plus bel ordre le Livre Coûtumier qu’il n’étoit auparavant : ce Livre ne paroist point, et il n’y a pas même d’apparence qu’il ait été fait par Philippe Auguste.

Il est vray que ce Prince aprés sa conquête confirma les anciennes Coûtumes de Normandie, à la réserve, ditGuillaume Brito , de ce qui étoit contraire aux anciens Canons, dont il cite un exemple en ces vers, l. 8. Philippi.

Moris enim extiterat apud illos hactenus, ut si Appellans victus in causâ sanguinis esset Sex solidos decies cum nummo solveret unos Et sic impunis omissâ lege maneret.

Quod si appellatum vinci contingeret, omni Re privaretur & turpi morte periret.

Injustum justus, hoc justè Rex revocavit, Reque pares Francis Romanos fecit in istâ.

Ce qui est conforme à un Ecrit fait par les Religieux de l’Abbaye de S. Oüen, pour prouver qu’ils n’étoient point sujets à financer pour leurs Fiefs, rapporté dans l’Histoire de cette Abbaye, où il est dit que le Duché de Normandie est gouverné par Coûtume, et en a plusieurs Coûtumes qui furent faites au temps des Ducs de Normandie, confirmées et corrigées du Roy Philippe.

Mais outre que ces Coûtumes écrites, avant et au temps de Philippe Auguste, ne paroissoient point, voicy deux preuves qui semblent fortes, pour montrer qu’il n’y en avoit point, ou qu’elles avoient été perduës par l’injure du temps.

Quand Philippe Auguste voulut connoître les droits appartenans aux Ducs de Normandie, il assembla les Barons du païs pour en être informé par eux, ce qui n’eust pas été nécessaire si les Coûtumes eussent été rédigées par écrit, les droits du Duc y eussent été employez, comme nous les trouvons dans nôtre ancien Coûtumier.

L’Auteur de cet ancien Coûtumier dans son premier Prologue dit ces paroles, parce que les Loix et les établissemens que les Princes de Normandie établirent par grande pourvoyance et par le conseil des Prelats, des Barons, et des autres sages Hommes qui n’étoient pas encore arrêtez en cer-tains sieges, ains failloient par diverses langues, si que nulle mémoire n’étoit des anciens, mais étoient ainsi comme en oubly, j’essayeray pour le commun profit à les rappeler et à les éclaircir.

Cet Auteur qui n’écrivoit pas long-temps aprés Philippe Auguste n’auroit pas parlé en cette manière, si ce Prince eut fait écrire en plus bel ordre le Livre des Coûtumes, et elles n’auroient pû tomber si-tost dans l’oubly. La Charte ou le Conseil que l’Auteur de la Preface cite pour prouver qu’il avoit fait mettre les Coûtumes en plus bel ordre, n’en fait aucune mention, elle parle seulement du Bref de Patronnage.

Aussi Maître Pierre des Fontaines qui étoit Maître des Requêtes du Roy S. Louis, dans la Preface du Livre premier de la Reyne Blanche, se vante qu’il est le premier qui a rédigé par écrit les Usages et Coûtumes de la France, et notamment du païs de Vermandois dont il étoit originaire, et celles de Normandie. Brodeau en sa Preface sur la Coûtume de Paris.

On lit dans Eginard que Charlemagne entreprit de faire rédiger par écrit, toutes les Coûtumes reçûës dans l’etenduë de son Empire. Ce dessein n’eût point de succez, et quand il auroit été executé, nôtre Coûtume n’eûr pû y être comprise, puisqu’alors les Normans étoient encore cachez dans les glaces du Nort. Aussi la premiere reduction des Coûtumes de France par autorité pu-blique fut faite en consequence de l’Ordonnance de Charles VII. de l’an 1454. et en l’année 1577. aux Etats de Blois la Noblesse de France demanda la reformation des Coûtumes, ce qui fut executé pour la nôtre en 1583.

Voila comment nos anciennes Coûtumes ont été composées, et qu’elles sont parvenues jusqu’à nous.

Nôtre Coûtume a cet avantage sur toutes celles de la France, que son pouvoir et son étenduë n’ont pas été renfermez dans les limites de cette Province, la generosité de ses habitans, leurs victoires et leurs conquêtes l’ont renduë célèbre par toute la terre. Ils l’ont fait dominer dans les Royaumes d’Angleterre, de Naples et de Sicile, et malgré les changemens et la vicissitude continuelle des choses du monde, elle y subsiste encore aujourd’huy en quelque façon.

Les Coûtumes de France n’ont pas une origine si ancienne, elles ont un même principe que la souveraineté des Ducs et des Comtes : Ceux-cy sur le déclin de la postérité de Charlemagne s’étant rendus perpétuels, et héréditaires, et usurpans en même temps la souveraineté, non seulement ils firent rendre par leurs Officiers la Justice, qu’ils exerçoient auparavant en personne ; mais aussi pour s’attribuer toutes les marques de la souveraineté, ils établirent chacun dans leurs Provinces de nouvelles Coûtumes, dont les peuples désirerent si fort la conservation, que quand le Guastinois retourna à la Couronne sous Philippe I. les habitans de ce païs-là ne donnerent leur consentement à la donation que leur Comte Fouques en avoit faite au Roy, qu’aprés une asseurance de maintenir leurs Coûtumes.Aimon . l. 8. Hist. c. 47. Rex autem juravit se servaturum consuetudines terra illius, aliter enim nolebant milites et facere hominia sua.Dadin de Alta serra , de Ducibus et Com. prov. l. 2. c. 3. mais cet Auteur n’a pas raison de revoquer en doute, an eodem jure, an injuriâ, Duces Normannorum suas Consuetudines vice legum prodiderunt : puisque la Normandie leur avoit été cédée par un Traité solemnel, en toute souveraineté, à la réserve de l’hommage.

La Coûtume ne définit point ce que c’est que Jurisdiction : l’ancienne Coûtume dit que Jurisdiction est la dignité qu’aucun a, pource qu’il ait pouvoir de faire droit des plaintes qui sont faites par devers luy ; mais toutes les Coûtumes de France usent de ce mot de Jurisdiction, pro omni notione que magistratus jure competit, vel cognitione, pronuntiatione, decreto in quacumque causâ sive sit civilis, sive criminalis : Argen. Ad rubr. Des Justices. La Nouvelle nous apprend d’abord la qualité des Juges, leur pouvoir et leur compétence ; et par cette méthode nos Législateurs ont fait paroître beaucoup de prudence, ils ont évité ces grandes questions si disputées entre les Docteurs du droit civil, et si difficiles à comprendre, quid sit merum ; mixtum imperium, et jurisdictio : vix est, ditMr Cujas , ut consentiant in definitione eorum, que sunt meri, mixti imperii, et juristidcio ; quidve in altâ, seu supremâ, mediâ vel inferiori jurisdictione sit annumerandum, quoy que tous conviennent de la définition de la Jurisdiction, ut sit potestas de publico introducta, cum necessitate juris dicendi, vel aequitatis staaeuendae. Neanmoins quand ils veulent expliquer ce qui appartient au merum imperium, ce qui convient ad mixtum imperium, et ce que c’est que Jurisdictio, leurs sentimens sont tout à fait opposés.Cujac . Ad l. 1. et 3. de Jurisdictione ; et lib. 21. cap. 30 observat. Goveanus l. 2 de Jurisdictione ad l. 3. Duar. de Jurisd. cap. 1. Gregor. Tolosa Syntag. l. 47. c. 21. Loyseau Des Offices l. 1. c. 6. et generalement tous les Docteurs sur la Loy imperium ff. de Jurisdictione.

Nos Praticiens ne sont pas moins embarrassés sur la définition et la distinction de la haute, moyenne, et basse Justice. Coquille sur la Coûtume de Nivernois ; Tit. des Justices, art. 14. dit que c’est une erreur de vouloir fonder la moyenne Justice sur le mixtum imperium du droit civil, où il n’y avoit que deux chefs de Justice, merum imperium et Jurisdictio.

Loyseau en sa Preface des Seigneuries, nous apprend que dans cette grande assemblée, qui fût faite pour la réforme de la Coûtume de Paris, où les Jurisconsultes François les plus celebres furent appelés ; quoy que d’abord on eût ébauché quelques Articles touchant les Justices, on n’osa les proposer à cette Assemblée, de peur d’émouvoir autant de procez et de reglemens, qu’il y avoit de Justices dans la Prevôté de Paris ; tant il est vray que les droits et les differences de toutes ces espèces de Justices, sont sans raison et sans fondement. Et en effet dans la Coûtume de Paris il ne se trouve point de titre de Jurisdiction.

Sans s’arrêter donc à donner des regles et des définitions generales, il est plus juste de s’attacher aux Usages et aux Coûtumes de chaque Province : Et un Auteut a fort bien dit, Jurisconsultos uti verbo moris & consuetudinis, ut commonstrent Jurisdictionum jura, maximè ad possessionem, modumque utendi referri oportere :Mornac . Ad l. more majorum ff. de Jurisd. La Coûtume de Bourges commence le titre des Justices et des Jurisdictions par ces paroles, selon l’usage ancien, et la commune observance : Consuetudo dat jurisdictionem ordinariam, dit Monsieur Boyer, ce qui est confirmé par les Docteurs ; apud quos reperies, per quos actus acquiratur Jurisdictio.

Par l’ancienne Coûtume il y avoit deux sortes de Jurisdictions, l’une Baillée, et l’autre Fieffale ; Elle appelloit Fieffale ; celle qu’on avoit à raison de son Fief, c’étoit la justice aux Barons. La Jurisdiction Baillée, celle qui étoit baillée par le Prince, comme du Baillif. Dans la nouvelle Coûtume il y a deux Justices ordinaires, l’une Royale, et l’autre Seigneuriale : La Royale est par-tagée entre le Vicomte et le Baillif, et leurs compétences sont nettement distinguées en ce titre.

La Jurisdiction seigneuriale est divisée en haute et basse Justice ; la Coûtume regle aussi en ce titre la fonction des unes et des autres.

Tous ces Juges ayans leur competence reglée, on peut douter si les particuliers ont la liberté de se choisir des juges et de proroger la Jurisdiction.

La Prorogation est approuvée par le droit civil, l. 1. de Judic. l. si convenerit, de Jurisd. om.

Jud. et tous les interpretes du droit conviennent que la Prorogation se peut faire in simili foro, non in dissimili, ut de seculari in Ecclesiasticum, et è contra.Loyseau , des Offices, l. 1. chap. 6. n. 86.

sur l Art. 11. n. 3. et Art. 44. not. 1. n. 18. de l Monsieur d’Argentré ancienne Coûtume de Bretagne, cum prorogari Jurisdictionem dicimus, intelligimus similem et quae prorogatur.

Nous en trouvons Art. exprés dans l’ancienne Coûtume de Bretagne Art. 11 et en la nouvelle, Art. 10 pourront toutes personnes se soûmettre à la Jurisdiction du Juge au dedans du détroit duquel ils ne sont demeurans, ni justiciables par prorogation ; et par soûmission expresse ; mais on a douté en consequence de cet Article, si on pouvoit proroger pour toutes causes, pour les réelles, comme pour les personnelles. Cette question a été décidée par un Arrest de ce Parlement, donné sur un Procez évoqué du Parlement de Rennes, entre Monsieur Maître Jean de la Touche, Seigneur de Querolan, Conseiller du Roy et Commissaire aux Requêtes du Palais du Parlement de Rennes, appelant comme de Juge incompetent, de la saisie et adjudication de la Terre de Lansquel par devant le Presidial de Rennes ; et Dame Jeanne Pelagie le Fauché, séparée civilement d’avec Sebastien de la Touche, Sieur de Lansquel son mary, intimé.

Monsieur de Querolan avoit vendu la Terre de Lansquel à Sebastien de la Touche, son frère.

Le Contract portoit une prorogation de Jurisdiction volontaire devant le Presidial de Rennes.

Monsieur de Querolan soûtenoit que le décret se devoitiaire en la Jurisdiction de l’Argonnet à Vannes, dans le district de laquelle cette terre êtoit située, et il s’appuyoit sur l’Art. 9. de la Coûtume de Bretagne, suivant lequel en actions pures, réelles, le Seigneur ou son Juge est competent pour toutes les terres ou heritages qui sont en son district ; et pour la prorogation de Jurisdiction, il répondoit qu’elle ne pouvoit avoir lieu que pour les actions personnelles, suivant le sentiment deMonsieur d’Argentré , sur l’Art. 11. de l’ancienne Coûtume, in rebus soli prorogari nequibat ; et pour prouver que c’étoit l’usage de Bretagne, il produisoit quantité d’actes de Notorieté et quelques Arrests, qu’il prétendoit l’avoir jugé de la sorte.

Je répondois pour la Dame de Lansquel, que l’on ne pouvoit pas dire que cette prorogation de Jurisdiction ne fût pas valable, puisqu’elle êtoit permise par l’ancienne et par la nouvelle Coûtume de Bretagne : l’Article 10. de la nouvelle contient, que toutes personnes peuvent se soûmettre à la Jurisdiction du juge dans le district duquel ils ne sont demeurans ni justiciables par prorogation et soûmission expresse ; cet Article qui suit immédiatement celuy dont Monsieur de Querolan veut s’aider en est une exception, et comme le précedent parloit des actions purement réelles, si la prorogation de Jurisdiction, qui est approuvée par l’Article suivant n’eut été permise que pour les actions personnelles, on n’auroit pas manqué à l’exprimer, vû les grandes oppositions qui furent formées contre cet Article par les Evefques de Bretagne, qui avoient des Justices de grande étenduë ; tous les Seigneurs qui avoient des Justices faisoient valoir cette raison qui a tant de vogue parmy nous, que les Jurisdictions sont patrimoniales, et que par conséquent on ne pouvoit proroger la Jurisdiction au préjudice des Seigneurs. Monsieur d’Argentré leur fit connoître que cette regle ne pouvoit être gardée que pour les causes féodales in quibus de feudo contro verteretur, et qu’au surplus latitudo voluntatis contrahentium impediri non debet, propter nimiam subtilitatem juris, aut praetextu Jurisdictionalium emolumentorum ; l. si convenerit. De Jurisdict. Il est vray que cet Auteur avoit dit que in rebus soli prorogari nequibat, mais en même temps il avoit ajoûté ces mots, quanquam audio contra judicatum, et qu’en effet l’ufage êtoit justifié par les Certificats des plus celebres Avocats du Parlement, et par plusieurs Arrests qui avoient décidé cette question. Par Arrest en la Grand-Chambre, du 2 d’Aoust 1673. au Rapport de Monsieur Fauvel, la Cour mit l’appellation au neant des saisies réelles et adjudication.

En Normandie on n’approuve point cette prorogation volontaire de Jurisdiction, et l’on fait valoir exactement cette règle que les Jurisdictions sont patrimoniales, parce que par cette prorogation le Roy ou les Seigneurs seroient privez des fruits civils, mulctis caeterisq ; fructibus civilibus, ad Dominum pertinentibus fieret praejudicium invito. Eguin. Baro. l. 4 c. 1. de jure benef. Vix est, dit un Auteur, ut quod adversus beneficii legem fit, infirmari tolliq ; non possit ; nam cliens ob praediù dominicae Jurisdictioni est obnoxius.

Ce raisonnement neanmoins semble n’être concluant que pour les causes réelles ; auffi Bartole in l. 1. V. et post operis ff. de op. nov. nunciat. avoit fait cette distinction, ut scilicet, Jurisdictioni subjectif ob vectigales fundos, et jure patrocinii constrictos, in vito Domino nequeant in alium judicem consentire. Possint autem ii, qui neque clientes sunt, neque obnoxia praedia possident.

Mais aujourd’huy, ditLoyseau , des Seig. cap. 14. n. 15. l’on observe que les sujets de la Justice primitive du Roy, ne peuvent proroger la Jurisdiction en autre Cour que la Royale, non pas même par un domicile contractuel, qui n’a son effet que pour les exploits et significations, et non point pour transférer la Jurisdiction, encore que par cette prorogation le Roy ne puisse rien perdre, mais parce que les Jurifdictions sont reglées et limitées, les particuliers n’y peuvent déroger, et nous gardons en France le c. si diligenti. Extra de foro competenti : Et non point la loy, si quus in conscribendo. C. de Epis et clerc. On peut fonder la différence de nôtre Usage avec le droit Romain, sur cette raison que la prorogation de Jurisdiction ne faisoit aucun préjudice aux Magistrats Romains, par ce qu’ils ne tiroient aucun profit des procez qui se poursuivoient devant eux. l. 1. c de offic ae praes. Praetorio. l. plebisc. ff. de offic. praes. Et c’est pourquoy, quand les parties êtoient d’accord, le Gouverneur d’une Province pouvoit juger en vertu de cette prorogation, vel invito unius proviaeciae praeside alaeerius praeses consensu rei adiri poterat qui communem reorum utilitatem suo unius incommodo renuntiabat l. si quis c. de pact.

Eguiner. Bar. l. 4 c. 1. Au contraire êtant permis à nos Juges de prendre des Rapports, et de se faire payer de leurs vacations par les parties ; on ne souffre point aux particuliers de se soustraire de la Jurisdiction de leurs Juges naturels. C’est aussi nôtre usage, et le Juge peut vendiquer son justiciable.

Il est vray neanmoins que suivant l’avis deCoquille , l’on a trop étendu cette regle, que les Jurisdictions sont patrimoniales, il semble injuste que pour l’interest pecuniaire des Juges, ceux qui plaident, soient privés de la liberté de pouvoir convenir d’une Jurisdiction qui leur soit plus commode. Le Droit civil en ce point est plus équitable, et c’est aussi le sentiment deMonsieur d’Argentré , que sine judicio & parum expensâ ratione traditur indefinitè jurisdictionem alienam in praejudicium Domini prorogari non posse. Cela est juste dans les matières réelles et feodales, propter feudi conditionem ex lege infeudationis : Mais cette raison cesse pour les actions personnelles, Et quae à personâ maximè dependent. Nam ex alieno dissidio quisquam non rationabiliter captat praedam. On devoit donc laisser en la liberté des Parties de convenir d’une Jurisdiction : voyez Faber sur la l. si qui C, de Episc.

audientiâ. Guido Papae decis. 275. sed alio jure utimur. Le sieur de la Luzerne Brevant, en achetant la terre de Mandeville du sieur d’Emeri Dorcher, avoit stipulé que pour les differens qui pourroient naître en execution de leur contract, ils se soûmettoient à la Jurisdiction du Juge de Bayeux. Le sieur Dorcher étant appelé pour garantir quelque terre dont la proprieté étoit disputée au sieur de Brevant, il demanda son renvoy devant le Juge de son domicile ; sur son appel du déni de renvoy, Durand son Avocat s’aidoit de ces raisons, que la prorogation de Jurisdiction ne se peut faire en Normandie, et que les Juridictions sont patrimoniales : de Cahagnes répondoit pour le sieur de Brevant, que la stipulation portée par son contract ne devoir point luy être inutile, et qu’étant question d’une garantie prétenduë pour un fonds, c étoit une action réelle, pat Arrest du 23. de Juillet 1676. en en l’Audience de la Grand-Chambre la Sentence fut confirmée.

C’est une question importante, sçavoir si les Ecclesiastiques au prejudice de leur caractère peuvent proroger la Jurisdiction et renoncer à leur privilège : car comme les sujets du Roy ne peuvent se soustraire de sa Justice pour se soûmettre à celle de l’Eglise, aussi les Ecclesiastiques ne peuvent proroger la Jurisdiction laïque, c’est l’opinion de Fevret fondée sur le c. si diligenti extra de foro competenti. Monsieur Cujas au contraire prétend qu’il faut entendre ce chapitre d’une simple renonciation, privilegio fori, mais qu’il n’a point de lieü, quand en chose civil et pécuniaire l’Eccle-siastique convient par un contract de plaider en la Cour seculiere, en ce cas cette renonciation fait partie du contract, elle ne blesse point le droit public ; et ne donne aucune atteinte au privilege qui qui est acquis toti ordini. Et Mornac sur la 1. si quis in conscribdeno 29. C. de pactis, dit, que tandem itum est ab omnibus in eam sententiam, ut si de crimine agatur, renunciare non possit clericus cleri privilegio, cùm dedecus ex eo inferatur ordini in cujus gratiam privilegium inductum est ; in civili autem negotio secus. Duaren ad l. si convenerit, de jurisd. est d’avis contraire, non potest nec tacitè, nec expressè expressè clericus in cauâ civili vel criminali privilegio clericali renunciare, et ista est communis sententia Doctorum,Boer . Coûtume de Bourg, Tit. 2.. Touchant l’établissement et le progrez de la Jurisdiction con-tentieuse des Ecclesiastiques, voyez Févret l. 4. c. 10. de l’Abus.Argentré , Coûtume de Bretagne, art. 44. touchant les entreprises de la Jurisdiction Ecclesiastique. Loyseau des Seig. c 15. n. 41. La Coûtume de Bretagne Tit. des Justices, contient plusieurs Articles touchant la competence des Jurisdictions seculieres et Ecclesiastiques, et même des personnes Ecclesiastiques.

Les Juges subalternes ne peuvent deleguer ny donner des Juges ; ils peuvent bien adresser une commission rogatoire à un autre Juge hors de leur ressort, pour quelque instruction de la cause dont ils retiennent la connoissance, et lors qu’ils sont récusez, et qu’il faut renvoyer les parties en un autre siege, ils n’ont pas le pouvoir de le faire, non pas même du consentement des parties ; mais ils doivent renvoyer les parties au Parlement, qui seul a l’autorité de donner des Juges par les Ordonnances. Les Ecoliers étudians aux Universitez peuvent évoquer leurs causes personnelles devant les conservateurs de leurs privileges : là-dessus cette question s’ofrit en l’Audience de la Grand-Chambre, si le tuteur d’un mineur étudiant à Caen pouvoit évoquer au nom du mineur, le tuteur proposoit, que s’agissant de l’interest du mineur on ne pouvoit luy empescher son privilege, la personne du tuteur n’étant point considerée ; autrement ce seroit aneantir entierement leur privilege, n’y ayant presque plus d’écoliers qui ne soient mineurs : on disoit au contraire que ce privilege ne leur avoit été accordé que pour empefcher qu’ils ne fussent distraits de leurs études, mais ceux qui étoient mineurs ne pouvant agir de leur chef, ni sister en Jugement que sous l’autorité de leurs tuteurs, puisque par ce moyen ils n’étoient point distraits de leurs études, et que la cause du privilège cessoit, il n’y avoit point de lieu de la leur accorder, qu’en tous cas ils ne pourroient s’en aider que dans les causes où leur presence étoit necessaire, comme és matières beneficiales ; sur l’appel du tuteur de la rétention, jugée par le Vicomte de S. sauveur Lendelin, la Cour mit les parties hors de Cour, le 4. de Juin 1649. plaidant Pilastre et Heroüet.

Bien que le juge Royal soit toûjours comptetent, il ne s’ensuit pas qu’il puisse prévenir le HautJusticier pour les matieres qui sont de sa competence, ni qu’il puisse pretendre un droit de de-volution fondé sur sa negligence ; car à proprement parler, la prevention ne peut avoir lieu qu’entre des Juges qui ont une puissance égale, l. si pluribus civibus, cum ibi notatis, per doctores de legatis primo :Boer . Coûtume de Bourges, Tit. 2. V. 3. on trouve neanmoins une Ordonnance de Charles VI. rapportée par Aufrerius dans le stile de Parlement, Tit. de Bailliage, par laquelle, Jurisdictio inferioris ad superiorem de volvitur ex negligentiâ, et c’est aussi la disposition de l’art. 31. de l’ancienne Coûtume de Bretagne, mais du Moulin a fort bien prouvé le contraire. De feudis §. 2. g. n. 11. et n. 12.

Le Juge competent peut être recusé pour causes justes et valables, ad l. 10. de Jurisd. Duaren étoit de cette opinion, qu’à Rome les Magistrats ne pouvoient être recusez, et que toutes les Loix qui parlent des recusations des Juges ne s’entendent, que de Judice dato, parce que la grandeur Romaine ne pouvoit souffir que ces Magistrats fussent recusez. Mais Monsieur Cujas a écrit le contraire, qu’il étoit bien vray que les Magistrats ne jugeoient pas eux-mêmes, l. 9. observ. c. 23. sed ubi extra ordinem judicant, non dubium est quin recusari possint, Nov. 96. vel collegram sive sundikasten accipere, Nov. 13. et 86.

Ces deux Docteurs conviennent que les Juges donnez par les Magistrats pouvoient être recusez aisément, olim, ditMonsieur Cujas , ibid. rejectio, sive recusatio, vel ut est in veterum glossis MOTGREC MOTGREC MOTGREC fiebat statim post sortitionem, ante litem contestatam, vel his verbis, hunc nolo ; licet exclamare, hunc nolo, timidus est, &c.

Nous en usons en quelque façon de la même manière, lors qu’une cause est évoquée de la

Jurisdiction ordinaire et renvoyée dans un autre siege, il suffit à celuy qui est évoqué de dire que ce Juge là luy est suspect, quia sine suspicione procedere omnes lites nobis cordi est, dit la Loy, apertissimè 14. de Judiciis, ad quam vide Mornac : et quoy que suivant cette Loy les recusations doivent être proposées, antequam lis inchoetur, non post litem contestatam, parce, dit-on, que eadem est recusationum, quae exceptionum dilatoriarum ratio, que in ipso limine litu opponende sunt ; toutesfois la Glose et les Docteurs conviennent que même aprés la contestation en cause, les recusations peuvent être proposées, si nolva quedam suspicionis causa supervenerit, si les causes de recusations sont nouvellement venuës à la connoissance, quod etiam jure Pontificio proditum est, Cujas et Morn . eodem. L’Ordonnance nouvelle touchant les recusations, apporte cette exception, que quand le Commissaire est sur les lieux, il n’est pas temps de le recuser, et qu’il saut qu’il acheve sa commission.

Les causes et moyens de recusations sont reglez par les Ordonnances anciennes et nouvelles, voyez Rebuffe en son Traitté des Recusations. On ne doute point que les Gens de Roy ne puissent être recusez, encore qu’ils soient les parties publiques et necessaires. Leur ministere peut être suppleé par des substituts, comme il arrive tous les jours, et Mornac in l. 1. de off. procur. cas. rapporte un Arrest du Parlement de Paris qui l’a jugé de la sorte, c’est aussi le sentiment de Monsieur Boyer decis. 258. Par un ancien Arrest de ce Parlement Me l’Avocat General Bigot fut recusé de connoître des causes du Cardinal d’Amboise. Monsieur Loüet let. p. n. 39 : et Monsieur le Prestre citent un Arrest con-traire par lequel on a fait cette distinction que quand le Procureur General est seul partie, il ne peut être recusé, mais qu’il peut 1’être quand il y a une partie jointe : Mornac atteste avoir appris des Juges que cet Arrest fut donné sur des circonstances particulières.

Par un ancien Arrest du 9. d’Aoust 1550. entre la Marquise de Rotelin et le sieur d’Alegre, le President de S. Autot ayant été recusé à cause qu’il tenoit à foy et hommage du sieur d’Anneville, dont le sieur d’Alegre avoit épousé la fille, il fut dit que la recusation n’étoit pas valable, le serment de foy et hommage ne s’étendant qu’à celuy qui le reçoit et non à la famille. Il a été jugé qu’un Conseiller ; fils de l’Avocat d’une des parties, ne pouvoit être recusé comme Juge ; mais il fut delibéré qu’il s’abstiendroit à relatu, On a aussi jugé qu’un fils pouvoit connoître en cause d’appel des jugemens rendus par son père : En un procez où Monsieur de Matignon étoit partie, il fut jugé que Monsieur le President de Franquetot n’en pourroit connoître, parce que Monsieur le Comte de Thorigni, fils et presomptif héritier de Monsieur de Matignon, avoit épousé sa parente ; et par cette même raison il fut dit au procez d’entre Monsieur le Duc de Roquelaure, et la Dame Marquise de Mirepoix, que Monsieur le President Bigot, et Monsieur de Cambremont Conseillers en la Cour ; s’abstiendroient d’en connoître, parce que le sieur Marquis de Mirepoix, fils et héritier de 1a Dame de Mi-repoix, avoit épousé leur parente. Par Arrest du 20. d’Avril 1663. en l’Audience de la Grand-Chambre, il fut jugé que la recusation proposée contre un Juge pour avoir donné le nom à l’enfant de la partie n’étoit point valable, plaidant Aubout et Theroude.

Apollon étant consulté touchant les bons Juges fit cette réponse, qu’il ne sçavoit s’il devoit les mettre entre les Dieux, ou entre les hommes : Cicero pro cluentio. Quid enim preclarius, digniusque inter homines excogitari potest, quàm unum hominem in rep. reperiri, qut communi utilitati serviat, qui communia prosuis, sua pro communibus habeat ; qui velit et sciat personam civitatis gerere, dignitatem et decus sustinere. Mais en considérant l’excellence et la dignité de leurs charges, ils doivent avoir toûjours devant les yeux ces belles paroles : Illud est magni atque sapientis hominis, cum illam judicandi tabellam sumpserit, non se putare esse solum, neque sibi quodcunque cupivit licere, sed habere in consilio, legem, Re ligionem, aquitatem, fidem ; libidinem autem, in vidiam, odium, cupiditatesque amovêre. Des qualitez requises pout être Juge, voyezGregoire Tholozani , Syntag. Jur. l. 47. c. 9. 10. 11. et l’ancienne Coûtume, titre des Jugemens.

En l’absence des Juges les Avocats postulans dans la Jurisdiction peuvent tenir la Chaire, et même hors la Jurifdiction, s’il y avoit quelque chose de provisoire, et qu’il ne se rencontrast point de Juge sur les lieux ; un Avocat pourroit ordonner sur la provision, et renvoyer au principal devant les Juges, et par Arrest en la Grand-Chambre du 3 Juillet, ou 3 d’Aoust 1674. le Juge de Cany ayant condamné Benard en amende, pour avoir ordonné quelque chose sur la contestation de deux Graduez qui vouloient prendre possession d’un Benefice la veille de Noël, sur l’Appel de Benard la sentence fut cassée.

L’antiquité de la Reception, l’immatriculation, et le service dans le Siege reglent ordinairement la seance entre les Avocats ; il faut neanmoins faire ces deux distinctions : la premiere que les Avocats reçûs en la Cour, qui ont plaidé et suivi le Barreau en icelle, conservent leur rang, du jour qu’ils ont été reçûs en la Cour, et précedent les autres Avocats reçûs depuis dans le Siege, bien qu’ils y soient immatriculez auparavant, cela a encore été jugé depuis l’Arrest rapporté par Berault pour Maître Tiron Avocat en la Cour, contre les autres Avocats du Pontlevesque en 1’Audience de la Grand-Chambre le 2 Décembre 1657. Pour avoir cette prerogative, il faut, comme j’ay dit, avoir plaidé, autrement ils ne précedent point ceux qui sont reçûs les premiers, jugé pour Poignant Avocat à Caudebec et postulant à Longueville, où il êtoit le premier immatriculé ; contre sinar reçû en la Cour, mais qui n’y avoit fait aucune fonction, par Arrest du 13 de Juin 1615.

La deuxième distinction est que les Avocats graduez précedent les non graduez, quoy que plus anciens en reception. Arrest en la Chambre de l’Edit du 8 de Mars 1662. pour les Avocats de Dieppe contre Brebion : et par autre Arrest en la Grand-Chambre du 10 d’Avril 1661. entre le Carpentier, Bonnel et des Perrois qui avoit êté Procureur au Pontdelarche pendant trente six années, il a êté juge que ledit des Perrois ne pourroit faire aucune fonction de Juge, bien que cela luy eût été permis par les Officiers du Pontdelarche ; et défences furent faites à tous Juges de ce Ressort d’admettre ni recevoir aucun Procureur au serment d’Avocat, pour en faire la fonction, dans les sieges Presidiaux et autres sieges de ce Ressort, qu’ils n’ayent fait apparoir de leurs licences, conformément au Reglement du 22 de Mars 1626. sur les peines au cas appartenans, et cassation de toute procedure. La Cour fait cette grace aux anciens Procureurs du Parlement de les recevoir au serment d’Avocat, mais il ne leur est pas permis d’en faire aucune fonction. Et Bretoc Procureur, aprés avoir êté reçû Avocat, ayant signé un Expedient, il fut ordonné qu’il seroit signé par un Avocat.

On a traitté cette question, s’il faut être reçû Avocat pour exercer un office de Judicature.

Vautier avoit pris des licences, et ayant traitté de l’office de Lieutenant en la Haute Justice de Condé sur Noireau, il y avoit êté reçû par le Bailly. Harel Avocat en ce même siege appela de sa reception, prétendant que Vautier n’avoit pû être reçû, avant que d’avoir la qualité d’Avocat ; l’Appel êtant pendant en la Cour, Vautier s’y fait recevoir Avocat, et ayant fait appeler sa cause, Castel son Avocat representa qu’il n’y avoit plus de lieu de 1’inquieter. La Cour le 10 Decembre 1655. prononça en cette manière : La Cour aprés la reception de Vautier et le serment prêté en la forme ordinaire, l’a maintenu et maintient en l’exercice de Lieutenant du Bailly de Condé.

Les Substituts de Messieurs les Gens du Roy peuvent aussi plaider pour les parties, quand le Roy ni le Public n’y ont point d’interest ; et par les Arrests du Parlement de Paris on a permis aux Officiers de plaider pour les parties en autres Jurisdictions que celles où ils sont Officiers, sans pouvoir être Juges des parties pour lesquelles ils auront plaidé.1

Nonobstant l’Arrest rapporté parBerault , par lequel il a êté juge que les Substituts de Messieurs les Gens du Roy ne pourroient tenir la Chaire au préjudice des Avocats, on a depuis jugé le contraire, et même ils ont fait dire, qu’ils presideroient au préjudice des Assesseurs, Enquêteurs, et Commissaires examinateurs, en toutes les causes où le Roy ni le public ne seroient point interessez ; et par Arrest donné au rapport de Monsieur Puchot du 3 de Fevrier 1653. pour Maître Pierre Petit Avocat Fiscal à Longueville, il fut dit qu’il tiendroit la Jurisdiction, au préjudice des Avocats postulans dans les causes civil, où il n’y auroit aucun interest du seigneur, du Public, des Mineurs, ni de la Police. Il a êté jugé entre 1 Avocat Fiscal, et le Procureur Fiscal de la Jurisdiction des Hauts-Jours de l’Archevesché de Roüen, que l’Avocat Fiscal devoit avoir la pressean-ce ; par Arrest du 12 de Decembre 1614. entre Maître Nicolas Boissel Avocat Fiscal appelant, et Maître Charles Aleaume Procureur Fiscal, on cassa la sentence qui àvoit ajugé la presseance au Procureur Fiscal.

Par Arrest du 19 de Juillet 1645, entre Maître Jacques Cousin Lieutenant General en la Vicomté de Mortain, d’une part ; Maître Robert samuel Lieutenant particulier dudit Vicomte, et entre Maître Alexandre Tonnelet, et Guillaume le Chauboix Avocat et Procureur du Roy au Siege du Bailliage et Vicomté à Mortain, Maître Guillaume de l’Espine, et George Gasteboix Enquêteur à Mortain, Maître Jean le Vant et Julien Fremin pour eux et les Avocats resseans à Mortain, et Maître Marc Delle et Jacques Guerout, auffi Avocats resseans hors la Ville. La Cour faisant droit, sur les conclusions des parties, ordonna qu’en l’absence du Lieutenant General et particulier dudit Bailliage, la Jurisdiction seroit tenuë pour le Vicomte dudit lieu, les Lieutenans, les Avocats, et Procureurs du Roy, les Enquêteurs qui seront graduez, et ensuite par les Avocats, selon l’ordre de leur reception, sans que la tenuë de la Jurisdiction des Officiers de Vicomté puisse préjudicier à la presseance des Avocats et Procureurs du Roy en toutes assemblées, tant generales que particulieres, à laquelle la Cour les a maintenus, au préjudice des Lieutenans du Vicomte ; a maintenu pareillement les Enquêteurs en la fonction de leurs Charges, conformément à leur Edit de creation, Arrests et Reglemens, et entant que la Jurisdiction du Vicomte, la Cour ordonne, qu’en l’absence du Vicomte et de ses Lieutenans, elle sera tenuë par les Avocats et Procureurs du Roy, les Enquêteurs graduez, et ensuite par les Avocats. Par autre Arrest du 10 de Mars 1644. entre N. Valet, Louis Heurtemate Robert Lucas, Denis Maillard, Jacques Bigot et du Ruslé pour eux et les autres postulans, au Bailliage et Vicomté du Pontdelarche demandeurs pour être maintenus au préjudice de tous Commissaires examinateurs et enquêteurs, en leurs honneurs et prerogatives, et d’être appelez les premiers aux assises Mercuriales, d’avoir la presseance au Bareau, et aux actes et ceremonies publiques, avec défences aux Juges de les admettre en autre ordre et de les souffrir opiner en aucun Procez, et notamment, en ceux sur lesquels lesdits enquêteurs auroient informé, et ausdits Commissaires examinateurs et enquêteurs, d’exercer office de Seneschal ni faire autre acte que de Commissaire et Enquêteur. Et N.

Claude Lyard Avocat enquêteur et examinateur au Bailliage et Vicomté du Pontdelarcne défendeur d’autre. Il fut dit que la Cour faisant droit sur le mandement de tous lesdits Avocats postulans des fins dudit mandement, en ce faisant a ordonné et ordonne que ledit Arrest 4 Aoust 1676. obtenu par ledit Lyard enquêteur, sera executé définitivement et suivant iceluy, que ledit Lyard enquêteur sera appelé aux assises Mercuriales, auparavant lesdits Avocats postulans, et aura presseance et voix deliberative à leur préjudice, en tous actes de Justice, et publics.

ARTICLE PREMIER.

Le Bailly ou son Lieutenant connoist de tous crimes en premiere instance.

On a beaucoup discouru sur 1’origine du nom de Bailly : Rebuffe l’a fait venir de ce mot Hebreu baali, qui signifie dominaris mihi, mais il n’est pas necessaire de remonter si haut pour en trouver l’origine, l’ancien Coûtumier nous en instruit nettement, en disant que Jurisdiction baillée est celle qui est baillée au Bailly, et dans le Chapitre precedent que les Hauts-Justiciers sont ceux à qui la Justice du Duc est baillée en garde. Bailly signifie donc un gardien ou un dépositaire : d’où vient que quelques Coûtumes de France appellent Baillifs, ou Baillistres, ceux qui ont la garde-Noble ou bourgeoisie de leurs enfans. VoyezLoyseau , des Seigneuries c. 8. n. 29. Coquille en sa Preface sur la Coûtume de Nivernois. Pasquiet en ses Recherches l. 2. et 3. c. 23. Menage en ses origines verb. Bailly, Bajulos vocaviae media aetas Juniorum Principum pedagogos, voyez-en les autoritez dansDadin de haute serre , l. 3. c. 23. de Duc. et comit. Provinciarum. Verum sub tertia Regum nostrorum stirpe, Bajulorum, sive Baillivorum nomen è scholâ transiit in forum ; id aest ad praetores et Juri dicos, quasi plebis rectores, unde et Baillivorum territorium Bali dixerunt.

On ne peut appliquer à nos Baillifs ce qu’on a dit de l’origine de ceux de France ; les Seigneurs de Normandie vivans sous des Ducs qui soûtenoient hautement leur autorité, ne pou-voient faire ce que les seigneurs de France firent ; en tirant avantage de la foiblesse des derniers Rois de la troisiéme Race, de sorte que le discours de Loyseau ne leur peut convenir lors qu’il rapporte l’origine des Baillifs, à l’usurpation de la souveraineté par les grands Seigneurs de France à l’exemple de Huges Capet, car ces Seigneurs ne voulant plus s’assujettir à tenir leurs Assises, ils mirent en leur place des Officiers qu’ils appeloient Baillis : Nos Ducs n’êtoient pas d’humeur à souffrir ces usurpations, ils établirent eux-mêmes leurs Baillifs, et ces autres Officiers qui subsistent encore à present, comme on l’apprend par le c 4. de l’ancien Coûtumier ; et bien que Pasquier assure, comme une chose vraye, que l’on ne commença d’user du môt de Bailliage, que sous le Roy Jean, l’usage de ce terme est neanmoins beaucoup plus ancien ; car dans le vieil Coûtumier c. 14. il est parlé de Baillie : les Baillifs sont de moindre pouvoir, car ils n’ont pas le pouvoir de faire justice hors de leurs Baillies. Et cet ancien Coûtumier a êté redigé par écrit long-temps avant le Roy Jean. Ce mot de Baillie êtoit deja bien commun du temps d’Innocent III . praeposituras quas vulgariter Baillius appellant. lib. 2. Epist. 252.

Le Bailly est maintenant dépoüillé de toute sa fonction, et toute l’autorité de cette Charge a êté transferée à son Lieutenant, dont l’un des plus beaux droits consiste au pouvoir qui luy est donné de connoître de tous crimes en premiere instance. Il ne faut point douter que les Baillifs n’eussent le pouvoir d’informer des crimes et de les punir, avant même que la Charge de grand Seneschal fut supprimée ; le vieil Coûtumier le porte en termes exprés : il est établi pour garder la paix, pour détruire les larrons, les homicides, et les autres mal-faicteurs ; ainsi les Baillifs ayans jus gladii, qui est le merum imperium des Romains, il semble que leur autorité soit plus grande que celle des Consuls à Rome ; nam merum imperium, est omnis gravior atrociorque animadveriso, vel coërcitio ; scilicet qui plectere potest ; vel aliquam atrociorem paenam infligere. Le merum imperium appartenoit à l’Empereur seul dans la ville de Rome ; les Consuls n’y pouvoient condamner à mort aucun Citoyen Romain sans la permission du peuple : illis solum relictum erat, ut coërcere possent, & in vincula duci juberent ; eaque secures in urbe Consulaebus non praeferebantur ; mais dans les Provinces le merum imperium leur êtoit accordé.Goveanus , lib. 2. de Jurisdict. ad l. 3.

Combien que les Baillifs connoissent des crimes, ce n’est qu’en premiere instance, et suivant la nouvelle Ordonnance ils ne peuvent même faire executer une condamnation de mort, qu’elle n’ait êté auparavant confirmee par la Cour ; il est vray de dire qu’ils n’ont que quandam causam sive partem imperii, qui n’est même que la moindre partie, ne pouvant juger en dernier Ressort ; non habent absolutè merum imperium summum, qui demeure en la main du Prince et de son Parlement ; sed habent merum imperium aliquâ lege determitiatum, et pour mieux dire ils ne l’ont point du tout, puisqu’ils ne peuvent condamner sans appel, et même par un ancien Arrest du 3 de Juin, 1559. il fut defendu aux Juges d’user de cette Clause, sans pour ce encourir aucune note d’infamie ; comme aussi par un autre ancien Reglement, il leur est defendu de prononcer l’appellation au neant, ou l’appellation et ce dont, mais qu’il a êté bien ou mal jugé : leur pouvoir neanmoins est important, puisqu’ils peuvent informer, instruire, ou condamner, et même bannir non seulement hors de leur Territoire, mais aussi hors du Royaume, ce que ne peut faire un Haut-Justicier, qui ne peut bannir que hors son Territoire. Morn. ad l. extra Territorium de Jurisdictione.

Nous ne connoissons point de Jurisdiction militaire, ce qui fut jugé le 17 d’Avril 1638. en la Chambre de la Tournelle, sur l’appel des Sieurs Ferriere, de Montgoubert et de Duranville l’abbé, l’un Capitaine, et l’autre Cornette de Chevaux legers en l’Armée que Monsieur le Duc de Longueville commandoit en la Franche-Comté : Ces deux Officiers avoient fait decretter en prise de corps par Monsieur de Miromesnil Commissaire départy en Normandie, un soldat qui avoit deserté : mais êtant mort quelque temps aprés, ses freres avoient porté l’assaire devant le Juge du Ponteaudemer. Les Sieurs de Mongoubert et de Duranville demanderent leur renvoy devant le Commissaire départi, comme s’agissant d’un cas militaire ; sur leur appel du dény de renvoy, on confirma la sentence, parce que leur action n’êtoit plus contre le deserteur, mais contre ses heritiers qui n’êtoient pas gens de guerre. Consule Vigel. de milit. Magist. l. 10.

Expil . plaid. 24.Rosin . antiq. Rom. l. 10. c. 25. Lipsium ad Polybium, lib. de milit. Rom. Loyseau des Offices. l. 4. c. 4. Par Arrest en la Tournelle du 20 de Mars 1631. un particulier ayant êté condamné par contumace comme deserteur par Messieurs les Mareschaux de France, il fut reçû appelant sans Lettres pour ester à droit, et faisant droit sur son appel il fut absous, et défence de mettre à execution le jugement des Mareschaux de France : il semble neanmoins que cette action êtoit de leur competence.

Nonobstant cetre competence de tous les crimes que la Coûtume attribuë au Bailly, il y a des Juges qui prétendent d en connoître en certains cas. Les Officiers des Eaux et Forests font valoir l’Ordonnance de 1669. comme ayant beaucoup amplifié leur competence pour les crimes.

Le Vicomte de l’Eau à Roüen reclame la connoissance de tous les crimes qui se commettent sur la riviere de seine depuis certaines limites ; les Officiers de l’Amirauté prétendent au contraire, que les Ordonnances leur attribuent la competence de tout ce qui se passe dans les navires, quoy qu’ils soient devant les Quais de Roüen, ou aillent sur la riviere de Seine. Le Vicomte de l’Eau alleguant en sa faveur un Arrest donné en la Chambre de l’Edit le 23 d’Aoust 1659. sur une contestation avenuë entre les Matelots, dont les navires êtoient à l’ancre devant les Quais de Roüen. Le Lieutenant General civil en avoit informé comme d’un fait de Police, et donné prise de corps contre Denis Pitreson, Maître de navire Hollandois ; et Guillaume le Sergeant, Maître d’un navire Anglois, dont ils avoient appelé comme d’incompetence ; Le Vicomte de l’Eau en avoit informé comme ayant la Police sur la Riviere, tant pour le civil que pour le crime ; et les Juges de l’Amirauté en avoient encore pris connoissance, comme d’un fait arrivé sur des navires. Tous les Officiers de ces trois Jurisdictions êtoient parties en la cause ; et par Arrest on on cassa tout ce qui avoit êté fait par les Juges du Bailliage et de l’Amirauté, et le Vicomte de l’Eau fut declaré Juge competent du Procez. Mais il y avoit cela de particulier, qu’il s’agissoit d’un ponçon de Vin qui avoit êté dérobé sur la Riviere ; et apporté daris un navire ; de sorte que le crime avoit êté commis sur la Rivière ; et ainsi la competence en appartenoit au Vicomte de l’Eau : mais cette question reste encore indécise entre ces Officiers touchant la connoissance d’un crime commis dans un navire, qui seroit sur les Quais de Roüen, ou sur la riviere de seine ; et les Officiers de l’Amirauté prétendent que la competence leur en est expressément attribuée par les Ordonnances de l’Amirauté.

La connoissance d’un crime commis sur le Quay appartient au Lieutenant Criminel.

Il a êté jugé que les Consuls sont incompetens de connoître d’un crime commis à la porte de leur Jurisdiction, hors icelle et dans la ruë : Larchevesque, Marchand à Roüen, avoit reproché à un autre Marchand qu’il êtoit un Juif, il en reçût un souflet, et cela se passa dans la ruë à la porte de la Jurisdiction des Consuls, qui informerent de cette action ; on appela comme d’incompetence de tout ce qu’ils avoient fait, parce que n’êtant point gradués ils ne pouvoient con-noître d’aucun crime, et quand même ils auroient quelque pouvoir de punir le mépris, qu’on auroit fait de leur Jurisdiction, il ne leur seroit permis que pour les actions qui se seroient passées dans l’enclos de leurs Pretoires, pourvû qu’elles fussent legeres, et qu’elles pûssent être terminées sur le champ. Par Arrest en la Chambre de la Tournelle du 23 de Juin 1656. il fut dit qu’il avoit êté nullement et incompetemment procedé, et tout ce qui avoit êté fait fut cassé, les parties renvoyées devant les Commissaires de la Cour. Depuis on a même jugé qu’ils êtoient incompetens de connoître d’une plainte criminelle renduë pour une action qui s’êtoit passée dans la Sale de la Bourse. Un nommé le seigneur, Courtier, ayant eu quelque contestation avec Mendez, Marchand Portugais, dans la Sale de la Bourse, et à l’heure de la Bourse, Mendez l’appela banqueroutier, aprés un démenty qui fut donné par le seigneur, ils se donnerent quelques coups. Les Consuls prétendirent que cette action s’étant passée en leur Maison et à l’heure de la Bourse, on ne pouvoit leur en ôter la connoissance, suivant la l. 1. ff. si quis judic. non obtemp. omnibus magistratibus concessum est suam Jurisdictionem paenali judicio defendere. Au contraire il fut dit par le Lieutenant Criminel que les Consuls n’avoient droit de Jurisdiction que par privilege, qu’il falloit le restraindre dans son cas ; que les Consuls qui ne sont point graduez ne peuvent instruire ni juger un Procez criminel : que par l’Ordonnance nouvelle, en permettant à tous Juges de connoître du crime êtant incident aux causes pendantes devant eux, on avoit excepté les Consuls ; et les bas et moyens Justiciers Art. 20. Tit. de la competence des Juges, au Code Criminel.

Par Arrest du 22 d’Octobre 1675. en la Chambre des Vacations, l’instance fut renvoyée devant le Lieutenant Criminel ; plaidant le Quesne pour Mendez, de Cahagnes pour le Seigneur, Theroude pour les Consuls ; et Durand pour le Lieutenant Criminel.

Les Vicomtes ont aussi prétendu la competence de l’action en injures civilement intentée, ce qu’on appelle à Paris le Petit Criminel ; sur cela il y a eu Arrest du 2 de May 1656. entre le Lieutenant Criminel et le Vicomte de Caen. Le Févre pour le Lieutenant Criminel soûtenoit, que suivant cet Article, le Bailly est seul competent de connoître de tous crimes, que les actions pour injures êtoient de cette qualité, qu’il avoit êté jugé de la sorte pour le Lieutenant Criminel d’Arques, et que c’êtoit l’usage dans tous les Bailliages de la Province :

Maurry pour le Vicomte de Caen, remontroit que les actions de cette qualité n’êtoient point comprises sous cet Article, qu’elles êtoient purement civil, et formées par la voye civil, que par la l. 2. de injuriis, elles n’êtoient pas comprises inter judicia publica, qui sont à vray dire les actions dont la connoissance est attribuée aux Juges Criminels. Et il ajoûtoit, que cette question devoit se décider principalement par la possession. Or il êtoit certain que le Lieutenant Criminel n’en avoit jamais pris connoissance, et au contraire le Vicomte en avoit toûjours connu.

Aussi l’Arrest donné pour le Lieutenant Criminel d’Arques êtoit fondé sur la possession, parce qu’il paroissoit que le Lieutenant Criminel en avoit toûjours eu la connoissance. Il êtoit même de l’interest public de conserver cette competence au Vicomte, parce qu’il terminoit sommairement ces affaires-là ; et au contraire le Lieutenant Criminel prolongeoit la procedure et en prenoit des rapports. Par Arrest la competence des actions pour injures civilement intentées, fut donnée au Lieutenant Criminel, à charge de les vuider sommairement, et sans préjudice de la competence attribuée au Vicomte par la Coûtume. Voyez un autre Arrest sur l’Article 11.

On a même ôté au Vicomte la competence des fautes, et des malversations commises par les Receveurs du Domaine et leurs Préposés, bien qu’ils connoissent des affaires domaniales ; et par Arrest en la Tournelle du 2. de Juillet 1664. on cassa l’information faite par le Vicomte de S. Sau veur l’Endelin contre Pezeril, Commis à la Recepte du Domaine de S. Sauveur, pour concussions dont il étoit accusé, le Bailly de S. Sauveur l’Endelin ayant êté reçû partie intervenante, et appelant de son chef. Le Vicomte pour fonder sa competence alleguoit qu’il étoit le Juge du Domaine, que les adjudications en êtoient faites devant luy, que la connoissance des comptes du Domaine luy appartenoit, et que par consequent la competence pour les fautes commises en faisant cette recepte du Domaine ne pouvoit luy être contestée.

Un particulier avoit rendu plainte au Lieutenant Criminel de Roüen pour une substraction de meubles en la succession d’un défunt. La veuve qui avoit renoncé étant chargée par une information, fut decretée en adjournement personnel : aprés l’interrogatoire prêté par cette veuve, le Lieu-tenant Criminel se desaisit de la cause, et la renvoya devant le Vicomte ; les Officiers du Bailliage s’en plaignirent à la Cour, disant que si la cause avoit commencé par une simple action elle auroit appartenu à la Jurisdiction du Vicomte, mais l’action étant criminelle dans son origine, quoy qu’on eut ordonné depuis qu’elle seroit traitée civilement, le Bailly n’avoit pû s’en désaisir. Le Vicomte au contraire, qu’encore que l’action eût commencé par une plainte, toutesfois n’étant plus poursuivie que civilement, elle étoit de sa competence. Par Arrest en la Grand-Chambre du 21. de Février 1673. les parties furent renvoyées devant le Lieutenant particulier Criminel.

Les Juges de l’Amirauté connoissent aussi des crimes commis sur la Mer, et sur les vaisseaux, et même le sieur Aveline Lieutenant en l’Amirauté de Dieppe s’êtant plaint des injures que le Clerc luy avoit dit en haine de ce qu’il faisoit le devoir de sa charge, et le juge de l’Amirauté en ayant informé, sur l’appel, comme d’incompetence de la part du Clerc, la procedure fut confirmée, et il fut debouté du renvoy qu’il demandoit devant le Juge ordinaire ; par Arrest en la Tournelle du 13 de May 1625. Nam cujusque judicis est, suam Jurisdictionem tueri.

Il y a même des personnes qui pretendent avoir un privilege pour decliner la Juridiction criminelle du Bailly. De seran, Chevalier de Marthe, êtant accusé de crimes atroces, demanda son renvoy devant ceux de son Ordre ; il fut jugé que les Chevaliers de son Ordre n’avoient point ce privilege, par Arrest du 3. de Janvier 1632.

On a disputé si l’Official êtant Juge en cause de mariage, peut recevoir, instruire, et juger l’inscription en faux, contre des personnes Laïques, qu’on avoit produites pour la preuve des promesses de mariage. Sur l’appel comme d’abus de la procedure de l’Official, on concluoit que l’inscri-ption en faux ne peut être de la Jurisdiction Ecclesiastique, que les produisans et les témoins êtoient des personnes Laïques sur lesquelles l’Official n’avoit aucune puissance, et qu’il n’y a point d’incident en ce qui est de diverses Juridictions, in his quae sunt alterius fori ; il falloit renvoyer devant le Juge Royal, et surseoir cependant l’instance principale, c. novit. De Judiciis. c. per venerab. qui filii sint legitimi, que l’Official ne pouvant juger de reparations ni d’interests, il etoit en obligation de se désaisir.

On répondoit que la cause principale êtant de la competence de l’Official, il pouvoit être Juge de l’incident pour détruire la preuve si elle êtoit fausse, et à l’effet de rejetter le temoignage, en reservant toutesfois le jugement de la peine au Juge seculier ; de la même maniere, que le Prestre peut être jugé pour le delict commun, et renvoyé pour le cas privilegié. L’Official qui est Juge du mariage, peut en consequence connoître de la legitimation. c. causam. De ordine cognit. s’il étoit tenu de renvoyer un incident devant le Juge Royal, cela causeroit un grand trouble en la Jurisdiction Ecclesiastique : par Arrest au Rapport de Monsieur Roque du 18. Juin 1633. on mit sur l’appel comme d’abus les parties hors de Cour. Entre la nommée Flamend demanderesse en promesses de ma-riage, et Loüis et Guillaume Jobart. Cette raison qui fut alleguée, que l’Official qui est Juge du mariage, peut en consequence connoître de la legitimation, peut être vraye selon le droit Canon ; mais la maxime des Parlemens est contraire, et le Juge Royal seul connoit de la legitimation, et non point l’Official, et cet Arrest merite une grande reflexion ; car suivant nos maximes l’Official ne peur decreter ni interroger un Laïque, ni par consequent connoître du fait, s’il n’y avoit d’autres moyens pour y parvenir.

Monsieur Olive traite cette question, l. 1. c. 4. si en matieres criminelles les Actes faits en la Jurisdiction Ecclesiastique peuvent faire foy en la Jurisdiction Temporelle, et il rapporte un Arrest par lequel on a jugé que ces Actes ne pouvoient servir, et la procedure en consequence fut declarée nulle ; secus, dit le même Auteur, en matiere civil.

Si l’accusé fait casser la procedure criminelle faite contre luy, le Juge qui a mal instruit le procez n’en doit plus connoître aprés un Arrest, qui annulloit toute la procedure ; un accusé avoit êté confronté devant ce même Juge ; et depuis aprés l’avoir recusé, il consentit qu’il en connût ; on jugea par Arrest donné en la Tournelle, au Rapport de Monsieur de Tierceville, le 6 Decembre 1629. que le consentement de la partie rendoit valable ce qui avoit êté fait.

Il a êté jugé au Rapport de Monsieur de Fermanel en la Grand-Chambre le 17 de Juin 1671. entre le Lieutenant General de S. Sylvin, et le Lieutenant Criminel du même lieu, que le Lieutenant Criminel ne pouvoit prendre qualité de Lieutenant General Criminel, et qu’il n’y avoit que le Lieutenant Criminel du Siege principal qui la pût prendre ; parce que leurs Offices n’avoient pas êté demembrez, mais qu’ils êtoient d’origine et de creation Lieutenans Generaux, et les Offices de Lieutenans Criminels dans les Sieges particuliers ayant êté démembrez de l’Office du Lieutenant General Criminel, ils ne pouvoient avoir la qualité de Lieutenans Generaux. J’avois écrit au Procez pour le Lieutenant General civil.

Cette multitude de Juridictions, dont la competence est si differente, cause un desordre étrange dans la Justice ; c’est pourquoy il ne sera pas inutile de rapporter quelques Arrests donnez entre differens Juges, sur la matiere de leur competence.

Le 2 Aoust 1657. en l’Audience de la Grand-Chambre, il fut jugé que l’Official n’êtoit point competent de connoître des limites de deux Paroisses. La maison du sieur de Sainte Colombe en cette Ville étant située sur les confins des Paroisses de Sainte Marie la Petite et de S. Vigor, elle est pretenduë par ces deux Curez. Le sieur de la Motte Papavoine qui l’occupoit alors, voulant faire baptiser un enfant, le Curé de S. Vigor obtint un Mandement de l’Official pour appeller le Curé de sainte Marie, et faire dire qu’il le baptiseroit par provision : Le Curé de sainte Marie n’ayant point comparu, l’Official ordonna que l’enfant seroit baptisé sans attribution de droit, et qu’au principal les parties en viendroient au premier jour. Sur l’appel comme d’abus relevé par le Curé de sainte Marie, il soûtenoit que l’Official n’avoit pû prendre connoissance des limites des Paroisses, et cette action êtant purement temporelle, il fut dit par l’Arrest qu’il avoit êté mal, nullement, et abusivement procedé par l’Official, et évoquant le principal, la Cour l’appointa au Conseil, et cependant elle permit aux locataires d’opter l’une des deux Paroisses, par provision.

On a douté si les Consuls de la ville de Roüen font competens de connoître des causes entre les parties, qui ont leur domicile hors la ville de Roüen.

Un Marchand de cette Ville avoit vendu du poisson salé à un Marchand demeurant en Basse Normandie, et pour le prix de cette marchandise, il avoit fait obliger la femme avec son mary ; sur l’ajournement fait aux debiteurs devant les Consuls de Roüen, aprés quelques procedures, la femme appella comme d’incompetence, et presenta Requête au principal. Elle disoit pour moyens d’incompetence, que la Jurisdiction des Consuls, êtoit bornee, et ne pouvoit s’étendre sur ceux qui n’êtoient point domiciliez dans Roüen ; qu’on ne pourroit appeler des parties éloignées sans une grande vexation, et que cette Jurisdiction qui n’êtoit établie que pour la facilité et l’utilité du commerce, produiroit un effet contraire. Au principal, que cette femme n’êtant point une Marchande publique, elle n’avoit pû s’obliger valablement, le debit qu’elle avoit fait de la marchandise, dont son mary faisoit commerce, ne luy attribuant point la qualité de Marchande publique.

Je répondois pour l’intimé que la cause se décidoit par cette distinction, que quand la vente et l’obligation avoient êté contractées en cette Ville, les debiteurs pouvoient être convenus devant les Consuls, que cette attribution leur êtoit donnée par l’Edit de leur établissement.

Au principal qu’elle seule ayant debité sa marchandise ; elle ne pouvoit éviter la condamnation personnelle. Par Arrest du 31 de May 1658. on mit sur l’appel et principal les parties hors de Cour. Par la jurisprudence du Parlernent de Paris ; la Jurisdiction des Consuls nc peut s’étendre au de-là du ressort du Bailliage où ils sont établis ; on en trouve un Arrest dans le Journal des Audiences 2. p. l. 2. c. 14. par lequel défenses furent faites aux Consuls de la ville d’Auxerre, de connoître à l’avenir des causes des Marchands, sinon de ceux du ressort du Bailliage d’Auxerre. Il seroit fort raisonnable, à mon avis, d’en user parmy nous avec le même temperament, et de borner la competence des Consuls pour les Marchands qui seroient resseans dans le ressort du Bailliage de Roüen, sans l’étendre plus loin, ce qui ne se peut faire sans vexation.

Un Maître de navire, nomme Piloquet, avoit chargé dans le Port de Dieppe des barils de farine pour les porter au Havre, avec pouvoir et commission de les y vendre. Une partie de ces barils de farine ayant êté soustraite par ce Maître de navire, il fut poursuivi par le Marchand devant les Consuls de Dieppe ; les Juges de l’Amirauté du même lieu en voulurent connoître, vû la qualite de Piloquet de Maître de navire, et qu’il s’agissoit de malversation commise dans sa charge. Mais comme l’action du Marchand n’êtoit que pour la restitution des marchandises, en vertu de la commission particuliere qu’il avoit donnée à ce Maître de navire, et qu’il n’y avoit point de contestation ni pour le fret, ni pour les avaries, on les renvoya devant les Consuls, par Arrest du 29 de Janvier 1660. plaidant le Fevre, Maurry, et Martin.

Le 13 de Juin 1626. en l’Audience de la Grand-Chambre, entre le Boucher et le Penitencier d’Evreux, il fut jugé que la Chambre du Tresor de Paris ne connoissoit point des affaires du Domaine du Roy, ni des Tresors de Normandie. Environ deux mois auparavant, il avoit êté dit pour le Baron de l’Aigle contre de la Fontaine, pour la confiscation pretenduë d’un nommé Baron, que cette Chambre du Tresor ne connoissoit point des confiscations. Et en l’an 1588. le Conseil du Roy êtant à Roüen, il fut aussi jugé que l’évocation prise par le seigneur d’Enneval, pour le démembrement prétendu de la terre de Motteville, n’y venoit point ; la Chambre du Tresor ne connoissant point des Domaines de Normandie, nonobstant l’opinion deBaquet , en son Traité du Domaine.

J’ay remarqué cy-devant, que les Avocats en l’absence des Juges peuvent tenir la Chaire et faire fonction de Juges ; mais on a fait cette difficulté, s’ils avoient ce même pouvoir en matiere criminelle, et s’ils pouvoient informer. Autrefois on tenoit au Palais qu’un Avocat pouvoit informer in flagranti delicto, en l’absence des Juges. Neanmoins en la Tournelle en l’an 1644. on cassa une information commencée par un Avocat et continuée par le Juge ; il est vray que cet Avocat exerçoit en une Haute-Justice, et non point dans un siege Royal ; mais l’Arrest ne pouvoit être fondé sur cette circonstance, parce qu’il avoit le caractère d’Avocat, et qu’ayant êté reçû par un Juge Royal, il pouvoit en faire la fonction par tout ; on faisoit cette distinction qu’un Avocat peut bien recevoir la déposition d’un homme mourant, mais qu’il ne pouvoit pas informer.

Par Arrest donné en la Chambre de la Tournelle du 18 de Novembre 1664. il fut dit qu’une action en simples injures, intentée par une femme contre un Prestre, êtoit de la competence du Juge Royal. Entre Maître Bindel Prestre, appelant d’une sentence du Juge d’Andely, qui le refusoit du renvoy par devant l’Official son Juge naturel : Durand son Avocat disoit, qu’il ne s’agissoit que de simples injures, et que le Juge Royal ne pouvoit connoître des delicts des Prestres, sinon dans les cas privilegiez. Theroude au contraire, pour l’intimée remontroit que pretendant faire condamner sa partie en ses interests, l’Official n’en devoit pas prendre connoissance. La Cour confirma la Sentence.

On a jugé que l’Official pouvoit informer des irreverences commises par un Religieux contre l’Evesque en faisant sa Visite. Arrest du 15 ou 16 Decembre 1662. sur un appel comme d’abus de la Sentence de 1’Official de Coûtance, contenant ordonnance d’informer des irreverences commises par un Chanoine Regulier de l’Hôtel-Dieu de Coûtance, contre l’Evesque du même lieu. Liout representoit à la Cour, que si ce Religieux avoit manqué à son devoir, la correction en devoit être faite sur le champ, de consensu fratrum, sans en faire un procez. Maurry pour le Promoteur intimé remontroit, que si l’action s’êtoit passée intra septa domus, suivant l’ordonnance la correction eust dû se faire en même temps, mais que l’irreverence avoit êté commise hors la clôture du Convent, et que d’ailleurs il avoit empesché par sa suite, que la correction n’en fust faite ; il n’êtoit pas raisonnable que les insultes, qu’il avoit commises contre son Evesque, demeurassent impunies. La Cour sur l’appel mit les parties hors de Cour et de Procez.

Il fut aussi prononcé le 1 de Mars 1667. que l’Official de Roüen avoit commis abus, ayant fait emprisonner le sieur de S. Vigor, Tresorier au Bureau des Finances à Caen, sur la seule representation d’un Contrat de mariage, quoy qu’il n’y eut apparence de grossesse, ni naissance d’enfant : entre ledit de S. Vigor et la Demoiselle de Pisle intimée. Durand alleguoit pour moyens d’appel qu’il y avoit abus, d’avoir ordonné que l’appelant entreroit en prison, en consequence d’un simple Contrat de mariage ; car ne paroissant point de grossesse, les promesses de mariage se resolvoient en interests, pour lesquels l’Official avoit dû renvoyer les parties devant le Juge Royal. Que la procédure êtoit abusive, même en l’execution, en ce qu’on s’êtoit servy du ministere d’un sergent Royal, sans avoir pris permission et attache du Juge Royal, ce qui êtoit necessaire pour mettre à execution les jugemens de l’Official sur des personnes Laïques. Castel pour l’intimé repondoit, que la permission d’emprisonner n’êtoit point abusive, autrement que l’Official n’auroit plus de Jurisdiction en ces sortes d’affaires, n’ayant point d’autre moyen pour obliger les parties à comparoître. La Cour dit qu’il avoit êté mal, nullement et abusivement procedé. Par ce même Arrest, quoy que la fille eut un Contrat de mariage, elle fut declarée non recevable à faire preuve par témoins, de la consommation, pour conclure au mariage ; on luy donna seulement des interests.

Autre Arrest du 8 Mars 1667. par lequel il fut dit que l’Official avoit commis abus, d’avoir pris connoissance de la presseance entre deux Confrairies, et qu’il avoit entrepris sur la Jurisdiction Royale, qui seule en êtoit competente, comme d’une police exterieure de l’Eglise, même entre personnes Ecclesiastiques.

L’Official ayant jugé un adjournement personnel contre une personne Laïque, quoy que ce fut pour desordre et scandale commis dans l’Eglise, sur l’appel comme d’abus du sieur de Calleville, on prononça mal, nullement et abusivement procedé ; par Arrest du 27 Février 1659.


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a même chose a été jugée en ce Parlement. Me Jacques Hefosse Avocat Postusant au Siege d’Arques, aprés avoir été pourvû d’un Office d’Assesseur dans le même Siege, voulut continuer ses fonctions d’Avocat ; sur lopposition des Avocats qui pretendirent qu’on ne pouvoit exercer les fonctions de Juge et d’Avocat dans une même Jurisdiction, il luy fut fait défense de plaider pour les parties, et on luy enjoignit de reprendre sa place d’Assesseur, dont ayant appelé à la Cour, dénard son Avocat soûtenoit que sa pretention n’avoit rien qui blessât le droit publie ni linterest des particuliers, que la qualité de Juge et celle d’Avocat n’avoient rien d’incompatible, que ceux qui sont établis pour rendre la Justice aux Peuples peuvent bien quelquefois employer leur voix pour la soûtenir avec le temperament que le droit requiert : dans la Loy 6. au Code, de postulando, en ces termes, quisquis vult esse causidicus, idem non in eodem negotio sit Advocatus & Judex, quiconque veut être Avocat, le même ne peut être Avocat et Juge en la même affaire ; que c’étoit lusage du Barreau de Rome que les hommes élevez aux premieres Dignitez de la Republique plaidassent les auses des parties, même pendant leur Magistrature, ainsi que le témoigne l’Orateur Romain dans son Oraison contre et. Cacilius.Quintilien , dans ses Institutions Oratoires, et Pline Il. dans une Lettre qu’il écrit à CorneilleTacite , quod me docuit usus Magicter egregius frequenter egi, frequenter udicavi, ce que l’usage m’a enseigné, qui est un excellent Maître, je l’ay souvent pratiqué, je l’ay souvent jugé. a l’égard des Ordonnances de nos Rois données à Moulins et à Blois, qui défendent aux Juges de plaider pour les parties dans les Sieges de leur Office, il representoit que quand il en resulteroit de la difficulté pour les Juges principaux, il ne pouvoit pas y en avoir pour les Assesseurs, qui tiennent le milieu entre le Tribunal et le Barreau, et qui ne sont pas tant des Juges comme les Assistans, ou plûtost des Avocats privilegiez et établis en titre d’Office pour assister aux Certifications de decret et aux autres Actes, où le nombre de sept est requis, au prejudice et par preferen-ce des autres Avocats : Que d’ailleurs l’on n’avoit point compris dans l’Ordonnance de Moulins. les Assesseurs ni même pensé à eux, puisqu’ils n’étoient point encore créez lorsqu’elle fut faite, l’assemblée des Etats à Moulins ayant été faite en l’année 1566. sous le regne du Roy Charles I et. et l’établissement des Offices d’Assesseur en l’année 1575. par Henry III. et quoy que l’Ordonnance de Blois qui fait les mêmes défenses soit posterieure à leur établissement, comme elle est relative à celle de Moulins et conçûë dans les mêmes termes, elle ne doit pas recevoir une plus grande étenduë, ni faire de conséquence pour les Assesseurs, puisque celle de Moulins n’en fait point Il se servoit enfin de l’exemple des Substituts de Messieurs les Gens du Roy, lesquels plaident pour les parties, quoy qu’ils ayent voix déliberative dans toutes les affaires, et faisoit voir que tous les moifs sur lesquels on s’étoit fondé pour leur accorder cette liberté convenoient également aux Asses-seurs, qu’on devoit encore considerer le defaut de gages, le peu d’occupation dans l’exercice de leurs Chages, que le moyé assuré pour les rédre habiles étoit de leur permettre de plaider pour les parties.

Ce qui autorisoit cette prétention êtoit l’usage particulier du Siege d’Arques dont il s’agissoit ; et cet usage étoit conforme à celuy de plusieurs Sieges de la Province.

Basnage le jeune, Avocat des intimez, répondoit qu’il seroit entièrement contre la bien-seance de voir des Juges sortir à tous momens de leur Siege, que ce changement de personnage apporteroit une confusion qui ne convient gueres à l’ordre qu’on doit garder dans une Jurisdiction.

Royale ; que ceux qui rendent la justice ne doivent jamais prendre party, qu’un Juge doit nonter sur le Tribunal le bandeau sur les yeux, et sans être prévenu ; mais que l’alliance qui se contracte entre l’Avocat et le Clien est trop étroite pour n’ôter pas la liberté du jugement, que n’étant pas moins forte que celle du sang, l’esprit ne pouvoit plus choisir, et comme dit fort bien l’Empereur Justinien à la fin de la loy Nemo, au C. de Assessoribus, quod affectionis suae & affinitatis memor incorrupti judicis personam sustinere non potest ; que ce seroit donner un pretexte à ces petit.

Juges pour se laisser cortompré, qu’ils recevroient souvent en qualiré d’Avocats pour donner sieur suffrage en celle de Juges, qu’ils ne le font que trop sans leur en fournit encore les moyens, qu’il avoit été jugé de la sorte au Parlement de Paris par un Arrest rapporté au second Tome du Journal des Audiences ; que c’étoit pour y remedier que les Ordonnances de Moulins, Article 19. et de Blois, Article 115. le défendoient si expressément à tous Juges sans distinction, et enfin que s’avoit été l’intention du Roy en les établissant ; que c’étoit le but de l’Edit, comme on le voit par les termes qui y sont employez ; que si l’on prenoit des Avocats au defaut des Juges, cela presupposoit une necessité qui ne pouvoit servir d’exemple ni d’autorité ; que ce n’étoit point l’usage d’Arques, puisque la Sentence du Siege avoit jugé le contraire ; que ce n’étoit point l’usage du Barreau de Rome, qu’à la vérité les jeunes gens de la premiere qualité. pour se faire paroître et se couvrir de gloire et d’honneur, entreprenoient quelquefois de plaiders que Scipion même. et Lalius, les plus honnêtes gens de Rome, l’avoient fait, mais que cels n’établissoit rien, qu’il étoit bien vray que Ciceron tout Consul qu’il étoit ne laissoit pas de plaider, mais que les Consuls dont la digmité s’étendoit sur ce qui concernoit les Armes et le Public, ne jugeoient point les procez des particuliers, et comme l’a remarqué MrCujas , jndices dabant, sed non judicabant ; qu’Auguste même avoit plaidé pour ce soldat qui luy montra les cicatrices qu’il avoit reçûës pour luy, et cela par la politique de ce Prince le plus adroit qui fut jamais pour gagner : l’amitié du Peuple : Au reste que la décision en êtoit tres-claire par les Loix, la loy Nemo, au C. de Assessoribus, en contient une longue défense avec de si belles raisons, qu’il est impossible d’y rien ajoûter, et la loy 5. au ff. de Officio Assessorum, Consiliarii eo tempore quo assidet negotia tractare in suum quidem auditorium nullo modo concessum est, in alienum vero non prohibetur ; qu’au reste il devoit ce respect à la Charge de Juge, et que celle d’Avocat étoit d’un poids assez difficile pour mériter un homme tout entier : Par Arrest du 21 de Janvier 1678. la Sentence fut confirmée.