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II.

Connoit aussi en premiere instance de toutes matieres hereditaires et personnelles entre personnes nobles : De fiefs nobles et leurs appartenances entre toutes personnes, soient nobles ou roturieres.

Les Loix Romaines, et presque toutes les Coûtumes de France, ont traité de l’etat des personnes. Neanmoins nôtre Coûtume n’a rien ordonné sur ce sujet, quoy qu’il soit fort important, et quand dans cet Article et dans les suivans elle a parlé des nobles et des roturiers, elle n a eu desein que de regler la competence du Bailly et du Vicomte ; Au surplus elle n’etablit aucune autre diffe-rence entre leurs conditions, soit pour les droits successifs, ou pour le partage des biens nobles ou roturiers.

Cet Article établit deux regles generales en faveur du Bailly ; la premiere luy attribue la connoissance de toutes les matieres hereditaires et personnelles. Et suivant la deuxiéme il connoit des fiefs nobles et de leurs appartenances, entre toutes personnes soient nobles ou roturieres. Les nobles ont toûjours affecté cette prerogative, de ne pouvoir être jugez que par les Baillifs. Loyseau des Seigneuries c. 8. n. 58. temoigne qu’anciennement les Gentilshommes pretendoient ne pouvoit être jugez qu’en l’assemblée des Pairs de fief ou Francs-Hommes, c’est à dire Vassaux ou Gentilshommes comme eux, qui êtoit l’assemblée des Assises, ce qui se pratique encore en Lorraine ; c’est pour cette raison que les Baillifs en connoissent au prejudice des Vicomtes et des Prevots ; Ce privilege leur fut conservé par l’Edit de Cremieu Art. 5. qui attribuoit aux Juges ressortissans sans moyen au Parlement, la connoissance de toutes les matieres civil et criminelles, personnelles et possessoires des nobles.

Mais sur l’opposition des Seigneurs Haut-Justiciers, par un Edit donné à Compiegne, le Roy declara qu’il n’avoit entendu faire un reglement qu’entre ses Officiers, et non pas faire du prejudice aux Seigneurs, voulant que leurs Justices demeurassent en leur entier, de sorte que les Gentilshommes qui ont leur domicile dans le district d’une Haute-Justice, ne peuvent pas demander leur renvoy par devant le Bailly Royal.

Nous trouvons dans 1’ancienne Coûtume c. 9. que les Barons doivent être jugez par leurs Pairs : Le Glossateur estime que cela ne s’entend que des choses qui concernent leurs Baronnies, et non point des causes mobiliaires, desquelles le jugement pouvoit être fait par un Bas-Justicier. Nos anciens Normans neanmoins êtoient fort jaloux de cette prerogative, imitans en cela les citoyens Ro-mains, qui ne pouvoient être jugez à mort qu’en pleine assemblée de tout le peuple de Rome, et par le droit Romain : Illustres personae speciales habebant Judices l. 3. c. de dignitat. Et en Sicile ils obtinobtinrent un Edit de l’Empereur Frederic, par lequel en renouvelant leurs privileges, il ordonna que toutes leurs causes civil et criminelles ne pourroient être jugées que par les Comtes et les Barons, et par ceux seulement qui avoient des fiefs immediatement relevans du Roy.

Ces paroles, entre personnes nobles, ne comprennent pas seulement ceux qui sont nobles d’origine, mais aussi ceux qui joüissent des privileges et des prerogative, de noblesse, comme les Ec-clesiastiques et les Officiers de Cours souveraines, et autres. Mais à l’égard de ces derniers qui ne sont qu’en possession de la noblesse, il y a eu de la difficulté sur ce point ; si ce privilege finissoit par leur mort, comme n’êtant donné qu’à leurs personnes.

On l’a jugé diversement, car à l’égard des Ecclesiastiques lors qu’on vouloit proceder à la confection d’inventaire d’un Prestre de ce nom ; il se meut question entre le Bailly et le Vicomte du lieu, pour la connoissànce de l’opposition qui fut formée pour la confection de cet inventaire. On pretendoit que s’agissant de l’inventaire des meubles d’un Prestre, le Bailly en êtoit competent, puis que durant sa vie il eust connû de ses causes ; parce qu’il jouissoit du privilege des nobles, et comme la confection d’inventaire des meubles d’un Gentilhomme appartiendroit au Bailly, nonobstant que ses heritiers fussent de condition roturière, aussi s’agissant des biens d’un Prestre il falloit considerer seulement la qualité qu’il avoit euë durant sa vie : Le Vicomte soûtenoit que la consequence des nobles aux Prestres n’êtoit pas valable en cette rencontre, le Prestre n’êtoit reputé noble que par privilege, et ce privilege finissoit par sa mort ; mais par Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre le 16 de Novembre 1645. la connoissànce de la cause fut renvoyée au Vicomte de Vernon.

Au contraire par Arrest du 29 de Janvier 1672. l’ordre et la distribution des deniers provenus de la vente des meubles du sieur le Nouvel Tresorier de France à Roüen, fut renvoyée devant le Bailly, quoy que la veuve eust renoncé, et qu’il n’y eust point d’heritiers : On estima qu’un Officier conservoit encore quelque prerogative de sa dignité aprés son decez, et que le privilege du sieur le Nouvel, quoy qu’il ne fut pas de condition noble, subsistoit à l’effet d’attribuer au Bailly la discussion de ses biens-meubles ; plaidans de Cahagnes pour le Bailly, et le Bourgeois pour le Vicomte de Roüen.

Nous avons encore une Jurisprudence particuliere pour la Jurisdiction des Consuls : L’heritier d’un Marchand, quoy qu’il ne soit plus de cette profession, est tenu de plaider devant eux pour les effets qui luy sont demandez, resultans de marchandises faites par le defunt. Cela fut jugé de la sorte en l’Audience de la Grand-Chambre le 15 de Janvier 1669. contre les enfans de defunt Pouchet Marchand à Roüen, qui soûtenoient que n’êtant point Marchands et n’ayant qualité que de défendeurs on leur devoit accorder leur renvoy devant leur Juge naturel, suivant la règle : Actor sequitur forum rei. L’Arrest fondé sur ce que lors qu’il s’agit de marchandises, les Consuls en sont competans, tant en demandant qu’en défendant ; plaidans Maurry, Greard, et Aubout.

Un Gentilhomme heritier d’un Roturier ne pourroit être poursuivy devant le Vicomte en une cause personnelle.

Lors que la Coûtume donne au Bailly la connoissance de toutes matieres hereditaires et personnelles entre personnes nobles, son intention n’est pas qu’il puisse connoître de toutes les actions de cette nature, pourvû seulement qu’une des parties soit noble : Car si le defendeur êtoit Roturier, le Vicomte en seroit competent, ce que la Coûtume marque assez expressément par ces paroles entre personnes nobles, dont le sens est que quand le procez est entre personnes nobles pour des matieres hereditaires et personnelles, la competence en appartient au Bailly, soit que les biens dont il s’agit soient nobles ou roturiers, la raison est qu’en ce cas le Bailly est constitué Juge du demandeur et du défendeur ; mais lors que le défendeur est roturier, combien que la matiere soit hereditaire et personnelle, il peut demander son renvoy devant le Vicomte.

Cela resout la difficulté proposée parMe Jacques Godefroy , si le Bailly seroit competent de connoître d’une action en partage entre un noble et un roturier, la competence se regleroit par la qua-lité du défendeur ; car l’action en partage êtant mixte, reelle et personnelle, si le roturier êtoit le défendeur, il faudroit s’en tenir à la maxime generale, que Actor sequitur forum rei ; et par consequent le renvoyer devant son Juge naturel qui est le Vicomte.

Je sçay bien que par l’Article 7. de l’Edit de Cremieu, la matiere de partage de succession universelle entre personnes nobles, et entre personnes non nobles et roturieres ; quoy que les biens et heri-tages ou partie d’iceux soient roturiers, appartien aux Baillifs ; mais cette Ordonnance n’ayant point êté verifiée en la Cour, elle ne fait point de décision.

Et quand il se trouveroit un Fief dans la succession, le Vicomte n’en seroit pas moins competent, pourvû qu’il ne fût pas question de la qualité du Fief ou de ses droits et appartenances, car en ce cas la connoissance en est donnée au Bailly ; mais quand il ne s’agit que de le partager comme un autre corps hereditaire, la qualité feodale n’est point considerable pour la Jurifdiction ; et il suffit que l’action soit personnelle, pour obliger le demandeur à suivre la Jurisdiction du défendeur.

Sur ce principe Maître Josias Berault a écrit que s’il êtoit question des fermages d’un Fief noble entre le Seigneur et son Fermier qui soit défendeur, cette action êtant personnelle le Gentilhomme seroit obligé de suivre la Jurisdiction du Vicomte, cet Article ne pouvant être entendu que des choses appartenantes au Fief, comme Fief.

Si au contraire on poursuivoit la discussion de fermages de terres roturieres appartenantes à une personne noble, on ne pourroit agir que devant le Bailly : ce qui a êté ordonné par Arrest du 18 de Janvier 1655. sur ce que Monsieur le Procureur General remontra qu’il avoit êté proposé par le Lieutenant General de Caux, en la presence du Vicomte de Montivilliers, que pour la discussion des deniers des fermages des Gentilshommes provenans des terres roturieres, la competence en êtoit pretenduë par les Vicomtes, quoy que les Gentilshommes fussent défendeurs, et que l’action êtant personnelle, elle fût par consequent de la Jurisdiction du Bailly, comme Juge des causes personnelles des nobles ; c’est pourquoy il estimoit que l’action en devoit être poursuivie devant luy, requerant que si la Cour le trouvoit juste, il luy plust de donner Arrest qui pût servir de Reglement, sur quoy la Cour ordonna que les actions qui seroient introduites par voye d’Arrest, pour la discussion des deniers des meubles et des fermages des terres roturieres appartenantes aux nobles, seroient intentées devant le Bailly comme Juge naturel des actions personnelles des nobles.

Le Bailly et le Vicomte contestent encore souvent pour les plaids Royaux du Domaine du Roy.

Par l’ancienne Coûtume Tit. de justiciement, la connoissance en est donnée au Bailly ; Le Bailly, ditelle, est mis par dessus les autres pour garder la Justice au Duc. Par un Arrest du premier de Juin 1618.

Sur la Requête de Monsieur le Procureur General, il fut dit que les appellations des jugemens rendus par le Vicomte, en tenant ses plaids Royaux, seroient portées directement en la Cour.