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XII.

Et sont tous Juges, tant Royaux que Subalternes, sujets et tenus de juger par l’avis et opinion de l’assistance.

Les Juges pour s’acquiter de leur devoir, ne doivent pas seulement prononcer par l’avis de l’assistance, ils doivent aussi donner leurs jugemens avec connoissance de cause, nam in eo maximae aequitas consistit. Suivant les loix Saliques, les Comtes ne jugeoient pas feuls ; Comites non soli, sed ad sidentibus ut plurimum septem consiliariis jus dicebant, qui Racimburgi vel Rachimburgi dicebantur tunc graphio congreget secum septem Rachimburgos. MBignon , ad veteres form. l. l.

C’est en consequence de cet Article, qui oblige les Juges à juger par l’avis de l’assistance, que la Cour refusa de proceder à la verification de l’Art. 27. de l’Ordonnance de Roussillon, par lequel les Seigneurs sont condamnez en l’amende, pour le mal-jugé de leurs Officiers, parce qu’en Normandie les Juges étant tenus de prononcer par l’avis de l’assistance ; il n’étoit pas raisonnable. de faire payer aux Seigneurs l’amende du mal-jugé.

Il étoit fort necessaire de borner le pouvoir et lautorité de celuy qui preside, ou du Juge en chef, en ne luy laissant pas la liberté de juger à sa volonté. Homere en a si bien reconnu la consequence, que son Jupiter dans les affaires importantes, fait toûjours assembler le conseil des autres Dieux, ce que Virgile a pareillement imité.

Le Juge ne doit jamals prononcer contre l’avis de l’assistance, mais en quelques rencontres il peut juger sans assistance, comme en matière de compte et de liquidation : Arrest en la GrandChambre du 19 de May 1650. sur la prise à partie de Mr Coupel, Lieutenant du Vicomte de Domfront, parce que dans une liquidation d’acquits, où il ne s’agissoit que de 400. livres, il n’avoit appelé aucune assistance, le domandeur en prise à partie fut condamné en dix livres d’amen-de et aux interests, moderez à cent livres ; l’Arrest est fondé sur cette raison, que si pour une matière si legere, il avoit appelé de l’assistance, il auroit consumé les parties en frais, plaidans Lyout et le Perit.

Il y a même des choses qui peuvent être expediées sur une simple requeste, ou de l’autorité seule du Juge. On juge en connoissance de cause en deux manières : la premiere consiste en un demandeur, un défendeur, et un Juge, et on l’appelle Jurisdiction contentieufe, l. de unoquoque D. de re judic. l’autre espece, que imperiosa est magis quam juridica ; consiste en toutes les choses que le Magistrat peut ordonner de son autorité, et sans entendre les parties ; et c’est pourquoy Goncanus ad l. 4. de Jurisd. a remarqué que hujus muneris quod jurisdictio apoellatur, pars quedam magis imperiosa est, quedam magis juridica : illa & interdum quod iniquum est imperat, hec semper quod aequum est causâ cognitâ constituit ; c’est pourquoy ce que le Juge ordonne de son chef et sans connoissance de cause, n’a pas l’effet et la vertu d’un jugement contradictoire, et il se retracte aisément ; celuy qui est donné aprés une pleine discution du fait et du droit, ne peut être aneanti que par la voye de l’appel. Cette distinction est necessaire pour entendre plusieurs loix du droit Romain : Lors que le Jurisconsulte répond en la l. quod jussit. D. de re judic. quod jussit vetuitve praetor, contrario edicto tollere potest, il parle de ces Ordonnances du Preteur, que magis sunt imperii quâm jurisdictionis. Au contraire la loy qui porte que possquam judex sententiam dixit, desinit esse judex l. judex 54. de re jud. lib. 42. t. 1. s’entend de ces jugemens, que sine cause cognitione expediri non possunt.

Nos Docteurs ont traité cette question, si celuy qui preside, voit que les assistans errent manifestement en droit ; est obligé de juger selon leur, sentiment, ou s’il doit s’y opposer ; plusieurs estiment qu’il ne doit point s’attacher au plus grand nombre, quia sententia non jure profferetur, si specialiter contra leges lata fuerit ; et Bodin en sa Republique a remarqué qu’à ITholoze, Mr Barthelemy, President aux Enquêtes, voyant que les Juges jugeoient contre TOrdonnance, il fist assembler les Chambres et les obligea de juger conformément à la loy. Mais. puisque nôtre Coûtume leur prescrit de prononcer suivant la pluralité des opinions, ils ne peuvent contrevenir à cet ordre, et neanmoins pour faire connoître qu’ils ne sont pas tombez dans ferreur, il seroit juste de leur permettre d’employer qu’il a passé contre leur avis.

C’est encore une question fort douteuse et décidée fort diversement par les Jurisconfultes, comment le Juge en doit user ; lors qu’il sçait en sa conscience que les titres et les preuves, dont on se sert, ne sont point véritables, s’il doit juger selon la connoissance particuliere qu’il pa de la vérité, ou s’il doit prononcer selon les titres et les preuves qui sont au procez.

Les Interpretes du Droit civil, sur la l. l. illicitas S. veritas. D. de offic. presid. Et les Canonistes sur le c. pastoralis 28. S. quin vero Extr. de offic. dilig. ont amplement traité cette ma-tière ; les uns ont suivi l’opinion deMartin , qui soûtenoit que le Juge êtoit obligé de prononcer plûtost selon sa consciente, que selon des preuves qu’il sçavoit assurément être fausses : Les autres, et particulierement les Canonistes, ont pris le parti de Jean, qui vouloit que le Juge s’attachast aux titres et aux preuves, qui étoient produits : Hotoman en ses questions illustres, quest. 27. estime qu’à l’égard du Juge d’appel, lors qu’il est pleinement issuré de la vérité du fait, plûtost que de juger contre sa conscience, il doit s’abstenir d’en connoître, ou se rendre témoin, et principalement dans les Procez criminels, suivant l’exempla le Julius Decemuir, accusator apud populum maluit esse ejus rei, cujus judex legitimus erat, et deScipion l’Africain , lequel offrit de quitter sa fonction de Censeur, pour servir de témoin contre Licinius, qu’il sçavoit certainement avoir commis un parjure ; et le Juge d’appel en roit user de cette manière ; car en cas d’appel, les Juges superieurs, qui n’auroient pas ses connoissances, n’auroient égard qu’aux preuves et aux pieces du procez. Mais pour les Juges ep dernier ressort, et sur tout pour les aibitres, ausquels les parties ont donné un plein pouvoircet Auteur est d’avis qu’ils peuvent juger selon leur conscience : Au contraire Mr Cujas a crû que le Juge doit prononcer suivant les pieces et les preuves, ou quitter la fonction de Juge, pour rendre témoignage à la vérité, quia tutior est hec ration finiendarum litium, quam si obtentu scientiae judicis licere permiseris, nullam habere probationum ratiodem. Il peut souvent arriver que les preuves sont fausses, et que le Juge est beaucoup mieux informé de la vérité, mais comme dans les Jugemens le plus mauvais parti l’emporte sur le meilleur, lors que les voix sont en plus grand nombre, et qu’on n’est pas recevable à peser les suffrages, afin de donner force et autorité aux choses jugées, et pour ne laisser pas flotter les choses dans lincertitude, aussi il est plus à propos que le Juge s’attache aux preuves, qu’à ses lumières et à ses connoissances particulières, afin qu’il ne fasse pas les fonctions de Jugé et de témoin.Cujac . l. 12. obser. c. 19. Le sentiment de Mr Cujas me paroit le plus raisonnable.

Cette assistance doit être composée de sept Juges en matiere criminelle, qui doivent être commez et signez en la Sentenee, suivant le Reglement du 2 Mars 1613. et quand les Juges rdinaires ne se trouvent pas en ce nombre-là, il doit être suppleé par d’autres ; mais le supément ne doit pas être fait aux dépens des parties, car le Roy doit la justice à ses sujets, comme aussi celuy à qui le droit de Jurisdiction a été donné. Cependant c’est un abus fort commun dans les Hautes-Justices, où les Juges font garnir les parties pour appeler des Juges en nombre suffisant Si le pere et le fils font partie de lassistance, lors que leurs avis sont conformes, ils ne font qu’une voix, comme il fut jugé en la Grand. Chambre le 23 de Decembre 1660. entre les officiers d’Evreux, et s’étant rencontré qu’en un même siege, le pere, le fils et l’oncle, ui étoit le beau-frere du pere, étoient Officiers, on ordonna qu’en cas que ces trois Officiers fussent de même avis, leurs trois voix ne seroient comptées que pour deux, mais que les suffrages des cousins germains seroient comptez : et j’ay aussi remarqué cet Arrest sur l’Article 558. on a même étendu plus loin ces sortes de recusations, pour les déliberations des communautez et des mêtiers.

Les Bourgeois de Verneüil ont la liberté de nommer un Maire, qui est le Juge politique.

Cette Mairie est compolée d’onze Eschevins et d’un Maire, et lors qu’un Eschevin meurt, on en supplée un autre qui est pris d’un nombre des Bourgeois, que lon appelle les vingt-quatres de sorte que pour parvenir à l’Eschevinat, il faut être du nombre des vingt-quatre, et pour fourvir ces vingt-quatre, Il faut être des Cinquantaines c’est à dire des cent Bourgeois qui sont choisis pour entrer dans les vingt-quatre, quand il en manque quelqu’un et quand ils sont nommez. En l’an 1674. deux places étant vacantes dans les vingt-quatre, il y eut contestatiom entre Jean Langlois, et Pierre Mauduit, sieur de S. Simon, Receveur des Tailles à Verneüils Langlois eur le plus grand nombre des voix, mais le Juge Royal qui n’assiste en cette assemblée que pour prononcer, voyant que la nomination de Langlois avoit été faite par caballe, il ordonna que la nomination dudit Mauduit prévaudroit, et qu’à l’avenir on seroit tenu de choisir un Officier pour la premiere fois, et deux Bourgeois en suite ; sur l’appel de Langlois, Maurry, son Avocat, soûtenoit que le Juge Royal n’avoit eu le pouvoir de faire un Reglement, qui donnast atteinte à la liberté des Bourgeois, et que lappelant ayant le plus grand nombre des suffrages, il devoit l’emporter ; qu’en ces sortes d’assemblées publiques les parens ne pouvoient être recusez. Je répondois pour l’intimé, que pour le Reglement fait par le Juge, il n’y avoit point d’interest, que la nomination de l’appelant ne pouvoit être bonne, ayant été faite par son pere, son frère, son beau-frère, et son onele, et que pour les autres suffrages qu’il avoir eus, c’êtoit leffer d’une caballe, composée de parens, qui ne vouloit point souffrir que les Officiers entrassent dans la Mairie ; par Arrest du 30 d’Avril 1675. il fut dit qu’il seroit procedé à nouvelle élection, et que les voix du pere, du fils, du frère, et du neveu, ne seroient comptées que pour une voix. Et par Arrest du 4 de Mars 1664. entre les Maîtres Selliers, pour lesquels e p’aidois, et les Gardes de ce mêtier, on cassa une Sentence qui avoit confirmé l’élection de leurs Gardes, et on ordonna qu’il seroit procedé à une nouvelle élection, et que les peres, fils, fteres, oncles, et ne veux, ne pourroient être nommez Gardes ensemble, de Lespiney plaidoit pour les Gardes intimez Tous Juges doivent être graduez, suivant le Reglement donné pour lUniversité de Caen.

Nôtre Coûtume n’a point parlé des arbitres, quoy que l’usage en soit fort commun : fuit hac componendaram litium ratio sapientissimis hominum valde probata, dit Mr d’Argentré C’étoit autrefois une opinion fort commune, qu’on ne pouvoit compromettre sur le Juge ordinaire des parties, et par la Coûtume de Brétagne sur l’Article 18. les parties peuvent libre ment compromettre sur telles personnes que bon leur semble, excepté sur leurs Juges ordinaires, qui ne peuvent être arbitres entre leurs sujets. Cette Coûtume avoit pris son origine du droit, Romain, en la l. si servum S. si judex ff. de arbitris. Si quis judex sit, arbitrium suscipere, ejus rei de que judex est, in se compromitti jure prohibetur. Mr d’Argentré sur cet Article 18 de sa Coûtume, nota 4. a fort bien montré qu’en cette loy ce mot de judex ne s’entendoit que de cettains Commissaires, qui étoient députez pour le jugement de certaines causes, qui in causâ tantùm commissâ judicare jubebantur, par consequent ils ne pouvoient accepter le compromis fait sur eux : Mais pour les Magistrats ordinaires, on pouvoit compromettre sur eux. l. 3. et sequent. de arbitris.

Quant aux Canonistes ils tiennent indistinctement in ordinarium compromitti posse.Febur . l. 4. c. n. 45. et sed. Et c’est aussi nôtre Usage, et tous les jours on compromet sur Messieurs les Presidents, et Conseillers de la Cours Pour regler toutes ces questions, qui naissent ordinairement sur la matière des arbitres, ces regles sont fort utiles : La premiere, que celuy qui n’est point capable de sister en jugement, ne peut compromettre : La seconde, que celuy qui ne peut contracter, ne peut aussi compromettre : et la troisième regarde les personnes sur lesquelles on peut compromettre : Suivant la premere de ces regles, les mineurs et les femmes mariées ne peuvent compromettre. Par la seconde, les Ecclesiastiques et les tuteurs ne peuvent compromettre de leur autorité, quia res Ecclesia et mimorum alienare non possunt. Si le compromis avoit été commencé par le pere, le tuteur pourroit de continuer par favis des parens, parce que l’on présume que le pere avoit eu raison de compromettre. Arrest en la Grand. Chambre du premier de Février 1667 On peut compromettre sur tous ceux qui n’en sont point exclus par le droit, comme sont les Mornes, les pupilles, deportati, relegati, damnati ad metallum. Monsieur d’Argentré tient qu’un infame peut être arbitre, et que cela est aussi permis aux femmes illustres, c. Quintavallis, extravaganti de jure-jurando.