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XIII.

Le Haut-Justicier peut informer, connoître et juger de tous cas et crimes, hormis des cas Royaux.

De l’origine des Hautes-Justices, de leur competence, et de leurs Officiers.

C’est assurément un abus et un déreglement dans un Etat, que la distribution de la Justice soit commise à d’autres Officiers, qu’à ceux du Prince ou de la Republique ; quoy que fautorité des Hauts-Justiciers soit émanée de la Royale ; il est neanmoins important que la puissance publique ne soit exercée que par ceux qui reçoivent immediatement du Souverain leur caractere et leur pouvoir ; parce qu’elle est presque inseparable de la Souveraineté : Ea que sunt jurisdictionis, et pacis ; et que paci, et justitia annectuntur, ad nullum pertinent nisi ad coronam Regiam, nec à coronâ separari possunt, cum faciant ipsam coronam. Henricis Bracton de leg. Angl. l. 1.

On ne rencontre aucun exemple contraire dans toute l’antiquité, qui a precedé l’usage des fiefs : les Romains n’ont pas ignoré cette Politique. Dans toute l’étenduë de leur vaste Empire aucun particulier de quelque condition qu’il pût être n’avoit droit de Jurisdiction : la Justice ne s’exerçoit en aucun lieu que sous le nom de la Republique ou de l’Empereur. Perpetua hac et ordinariae Dominorum Jurisdictio à veteri Romanorum jure aliena est, nec Augustus quidem ipse propriam Jurisdictionem in heredes suos transmisit :Eguin. Baro , de judic. ad benef. pert. l. 4. c. 1.

s’étoit donné la gloire d’avoir observé le premier, que Mr Charles du Moulin temps de, et même sous les Empereurs precedens, les proprietaires des terres avoient une Justinien publique sur leurs domestiques, et sur leurs fermiers, et que pour cet effet ils avoient des Juges en premiere instance. de feud. 83. n. 9.

Mais trois celèbres Jurisconsultes François ont fortement combattu son opinion : Mr d’Argentré fait voir, que quand son observation seroit véritable, il n’en seroit pas l’auteur, et que Balde l’avoit déja faite auparavant, et neanmoins que tous deux avoient été surpris pour n’avoir pas sentendu la Novelle 80. deJustinien , et s’être atrachez à une mauvaise version de cette Novelle : Maître Charles Loyseau a dit la même chose des Seign. c. 10. n. 47. Depuis Maître Didier Heraut a pleinement traité cette question, et nous a donné le véritable sens de cette Novelle, fort opposé à l’explication deMaître Charles du Moulin , et : il conclut qu’il faut chercher ailleurs que dans cette Novelle lorigine de ces Jurisdictions, que les Seigneurs feodaux exercent sur les personnes qui habitent, ou qui possedent des terres dans l’etenduë de leurs Seigneuries. quoy que ces Justices feodales soient inconnuës dans le droit Romain, leur introduction et leur établissement sont fort anciens en France, et l’on peut dire que leur origine est aussi vieille que celles des fiefs ; il peut être arrivé, que dans la suite des temps elles soient devenuës llus amples et plus étenduës qu’elles n’étoient dans leur principe : mais leur pouvoir est si porné qu’elles ne peuvent produire de mauvais effets contre l’Etat : l’abus en est plus grand aujourd’huy à l’égard des particuliers qu’à l’égard du Souverain : car ces deux seigneuries ou uissances publiques ne peuvent jamais être si bien reglées l’une avec l’autre, qu’il ne se forme rontinuellement des contestations par leurs entreprises reciproques, et tous ces conflicts de Jurisdiction se font toûjours à l’oppression des parties.

C’origine de ces Justices est si cachée, qu’on a de la peine à la découvrir, et parce que les Justices temporelles des Ecclesiastiques, me paroissent avoir cemmencé d’une autre manière que celles des Laiques, je tacheray de montrer comment elles se sont établies Les gens d’Eglise ayant profité si heureusement de la simplicité des peuples, et leurs rithesses étant devenuës immenses, ils chercherent les moyens de les conserver. Car quoy que outes les Eglises de France fussent sub Mundiburde Regia, c’est à dire sous la protection du Roys. es grands Seigneurs souffioient avec regret que les plus belles terres du Royaume fussent entre les mains de gens d’Eglise, dont l’Etat ne tiroit aucun secours ; cela les obligea de chercher la protection de quelques particuliers, qu’ils appellerent leurs Advoüez et leurs Deferseurs. In Germania ESPERLUEaeTE Gallia Ecclesiae ob pinguiorem cenaeum et Doynastarum frequentiam obviae, Defensores sive Advocato. expetivêre.Dadinus de Alta-serra , de Ducib. et Comit. Gal. l. l. c. 6 On jugea même que ces Avocats, ausquels nos anciennes Histoires ont donné le nom d’Advoüez des Moustiers, étoient si necessaires, que dans un Concile tenu à Mayence, Can. 50. sous Charlemagne, il fut enjoint aux Evesques, aux Abbez, et à tout le Clergé, ut continuo ViceDominos, Prapositos et Advocatos sive Defensores haberent ; de Roye in proleg. Ad rit. de jure pat. c. 11.

Car encore que quelques-uns mertent de la différence entre les Vidames, et les Avocats, néannoins la pluspart des Auteurs de ce siecle-là les ont confondus ; Pithou des Comtes de Champagne, page 472, et 473 Ces Défenseurs ne pouvoient accepter cet employ que par la permission du Roy : ce qui procedoit apparemment de cette ancienne Coûtume de France, dont Marculphe l. 1. c. 21. nous a conservé la formule, suivant laquelle l’on ne pouvoit plaider par Procureur, sans la pernission du Roy. De sorte qu’à l’effet de pouvoir exercer cette qualité d’Advoüez et de Défen-seurs, il leur falloit obtenir l’aggrément du Roy. L’Histoire nous apprend que dans la suite ces Vidames et ces Avocats en userent fort mal ; mais cela n’est pas de mon sujet.

Les gens d’Eglise obrintent encore une seconde grate, qui fut qu’aucun Juge public, ni seculier ne tiendroit ses Assises, ou ses Pleds dans les maisons qui leur appartenoients t nullus judex publicus ad causas audiendas, aut freda undique exigenda a quocumque tempore non presumat ingredi ; Marculp. de immunit. Regia. Dans le t. de immun. aux Decret. on n’a pas manqué d’employer ce privilege, ut in domibus Ecclesiarum, neque Missus, neque Comes vel udex publicus, quasi pro consuetudine placita teneant, sed in publicis locis domos constituant quibus placitum teneant.

Le Pere Pommeraye , en son Histoire de l’Abbaye de S Oüen, a donné au public la Charte d’une donation faite par Charles le Chauve, où cette exemption de la Jurisdiction Royale est contenuë. Statuimus, aut jubemus nt. nullus judex publicus, aut quilibet exercens judicantis potestatem, aut ullus fidelium nostrorum tam instantium quém futurorum in Ecclesias, aut loca, vel agros ceu reliquas possessiones, quas moderno tempore infra imperii nostri ditionem possident, ad caufas audiendas, vel freda exigenda audeat ingredi.

Nous trouvons dans Marculphe l. 1. c. 17. la confirmation d’une donation de certains heritages fiscaux, faite en ces termeé, absque ullius introitu judicum, de quibustibet caufis ad frecta exigenda.

Ces paroles, absque introitu judicum, se : rencontrent souvent dans les anciens titres, mats on ne peut pas fonder là-dessus l’établissement des Justices privées, ni même une exemption generale, et absoluë de la Jurisdiction Royale. On défendoit seulement aux Juges Royaux l’entrée des Monasteres et des Abbayes pour y tenir leurs Audiences, iou pour exiger le payement des amendes qu’ils avoient prononcées rontre les Ecclesiastiques ; car freda ou fredum signific une amende, et il faut remarquer qu’alors on ne punissoit les crimes que par des peines pecuniaires, thaque crime êtoit taxé. à une certaine fomme, et ce qui en appartenoit au Fisc ctoit appelé fredum, et ce qui étoit ajugé à l’offensé ou à ses heritiers virgildum Or il y a grande différence entre un privilege ou une exemption, et un droit de justice ; les rens d’Eglise qui souffroient difficilement que les personnes Laiques exercassent quelque autorité sur eux, et qui d’ailleurs étoient executez jusques dans leurs maisons, pour les amendes ausquelles ils étoient condamnez, eurent assez de credit pour obtenir que l’entrée de leurs Monasteres fust nterdite aux Juges, à l’effet d’y tenit leurs Audiences, ou pour y executer leurs Sentences pour Je payement des amendes.

Et ces immunitez fournissent même une preuve, qu’à la réserve de l’entrée dans leurs Abbayes, et de l’execution pour les amendes, ils demeuroient soûmis à la Justice Royale. est vray que l’Empereur Conrard accorda cette grace à une certaine Abbaye d’Allemagne, Monasterio Laurismahensi, que les Juges de quelque qualité qu’ils fussent n’auroient droit de Jurisdiction sur les esclaves et les serviteurs de cette Abbaye, ut nullus Comes, Vicecomes, vel quelibet ilia judiciaria persona in mancipiis Monasterii aliquam haberet jurisdictionem. Et l’Empereur Henry IV. accorda un pareil privilege à l’Abbaye de Hirshaugen, pour leurs personnes et pour leurs piens. Loüis Hutin qui commença de régner en l’an 1138. promit à l’Abbé de S. Martin des Champs, que ni luy, ni ses successeurs, ne feroient arrêter les gens dépendans de cette Abbaye, s’ils n’étoient pris en flagrant délict : mais tous ces Princes ayant vécu depuis Hugues Capet, et en un temps où les Justices seigneuriales étoient en grand nombre, on ne peut pas conclure de ces autoritez que sous la premiere et la seconde Race, les gens d’Eglise eussent un droit de Justice, en vertu de ces privileges qui défendoient aux Juges l’entrée de leurs Eglises Il y a beaucoup d’apparence qu’aprés avoir eu le credit de fermer la porte de leurs maisons aux Officiers Royaux, ils tacherent d’usurper quelque Jurisdictien sur leurs Esclaves et sur les autres personnes qui étoient soûmises à leur pouvoir, ce qui leur êtoit d’autant plus aisé que leurs Advoüez étoient particulièrement établis pour la protection de leurs biens et de leurs ersonnes POINaeV Advocatorum fuit temporalem Ecclesiae Jurisdictionem in colonos & servos ejus, exercere ; Duc. et Comit. Provinc. l. 1. c. 6. et Dadin. de Alta-Serra Orig. feude c. 13. De sotte gue ces Advoüez ne les protegeoient pas seulement contre les étrangers, ils étoient encore les Juges de leurs domestiques, et quoy que cette Jurisdiction fût fort bornée, et qu’elle n’eûr aucun térritoire dans l’etenduë duquel ils pussent exercer une puissance publique sur les biens et sur les personnes de ceux lesquels y étoient domiciliez, ce qui compose la Justice feigneuriale, cela pourtant leur servit de pretexte pour profiter du temps ; car les Laiques ayant ob-tenu la proprieté et l’heredité de leurs benefices ou fiefs, et en suite s’étant attribuez quelque Jurisdiction sur leurs vassaux, les Ecclesiastiques qui possedoient des fiefs suivirent leur exemple, et se formerent des Justices plus grandes ou plus mediocres, selon la dignité des fiefs, qui étoient en leur possession, comme je l’expliquerayplus particulierement dans la suite.

On ne peut rapporter l’origine de nos Justices seigneuriales à cet ancien usage des Gaules remarqué par Cesar en ses Commentaires ; Principes Regionum, arque pagorum inter suos jus ditunt, controversiasque dirimunt ; Car outre que ce pouvoir êtoit attaché à leurs personnes, et non point à leurs terres, c’étoient les plus nobles et les plus puissans qui étoient choisis par Je peuple pour faire entr’eux la fonction de Juges et de Magistrats ; mais cette autorité ne passoit point à leurs successeurs, quoy qu’ils possedassent les mêmes biens ; Loyseau des Seig c. 1. n. 20.

On trouveroit plûtost un crayon de nos Justices de village dans une Comedie Latine, que les sçavans estiment avoir été composée du temps de Theodose, ou Querolus le principal versonnage, et qui donne le titre à cette piece conjure Lar, de le faire devenir Gentilhommes et il luy répond ae vade ad Ligerim, illic sententiae capitales de robore proferuntur & scribuntur in ussibus : illic etiam rustici perorant et privati judicant : ibi totum licet. Mais l’Auteur de cette Comedie ne se proposoit par ce discours, que de faire une peinture de la violence, et de s’injustice des Nobles, et ce n’a pas été sa pensée de nous enseigner que dés ce temps-là, les Nobles avoient un droit de Jurisdiction sur les particuliers.

D’Arerac dans son Irenarchie a écrit, que les Goths furent les premiers qui accorderent aux Gentilshommes le droit de Justice, mais cette opinion n’a point de vray-semblance ; aussi eurs Loix n’en font aucune mention, et même l’usage des fiefs leur êtoit inconnu.Maître René Chopin , ayant tenu que l’invention des fiefs étoit dûë aux Lombards, il a crû qu’en même temps ils y avoient annezé le droit de Justice : Il n’est pas vray que les Lombards ayent été les premiers formateurs des fiefs ; il est certain toutesfois que ce que nous avons de plus ancien touchant les Coûtumes, et les Usages feodaux, nous a été appris par deux Milanois ; mais quand ces Auteurs ont écrit, il y avoit plus de deux cens ans qu’en France les Seigneurs feodaux êtoient en possession des droits de Justice : Me Charles Loyseau a été de ce sentiment, que cette usurpation avoit commencé dés le temps des Maires du Palais. Il ne paroit neanmoins par aucun titre, qu’avant Charlemagne il y eût en France aucune Jurisdiction que la Royale.

Entre nos Auteurs qui ont joint la connoissance de l’Histoire avec la science des Loix, quelques-uns ont été de ce sentiment, que si sous la première Race de nos Rois, ces Justices sei-gneuriales n’étoient pas encores connuës,’au moins sous la seconde, et du temps même de Charlemagne, les particuliers avoient des Justices C’étoit l’opinion deMr Bignon , en ses Nottes sur Marculphe, l. 1. c. 3. dont il rapporte ces deux preuves ; la premiere est tirée d’une Charte d’indemnité octroyée par le Roy Dagobert à l’Abbaye de S. Denis : Et ut ab omnibus optimatibus et judicibus nostris, et judicibus publicis, & privatis, meliùs et certiùs credatur : L’autre se trouve dans les Capitulaires de Charlemagne, l. 2. c. 44. Admonendi sunt Domini subditorum, ut circa suos pié et modestè agant, nec eos qualibet opinione injustâ condemnent, nec eos opprimant, nec eorum substantiolas injustè tollant, nec issa debita que à subditis reddenda sunt impiè ac crudeliter exigantur.

De Roye veut même que ces Justices fussent si bien établies, que sous la seconde Race les Seigneurs feodaux avoient déja Omninodam Jurisdictionem, haute, moyenne, et basse Justice ; ce qu’il entreprend de prouver par trois moyens ; premierement par le Capitulaire 31. deCharles le Chauve , in Edicto Pistensi, unusquisque Comes de suo comitatu, & nomina eorum, et qui sint Seniores eorum describi faciat, & ad Senioratum suum unusquisque redeat, & usque ad medium Majum, propter seminationem ibi maneat. En second lieu, il cite un Edit de Clotaire Il. ad Concilium Parisiacum quintum ; où il louë Missos Potentum, eosque judices et discussores vocat, qui de raptu cognoscant ; et par le mot Potentum, de Roye entend Seniores : Sa troisième preuve semble plus expresse, c’est l’Extrait d’une lettre d’Hincmarus, Archevesque de Rheims , à Anselme, auquel il donne la qualité d’homme illustre, viro illustri, en faveur d’un Prestre qui avoit été accusé devant luy, et lequel n’y avoit point comparu, ad denominatum placitum non convenerat, luy declarant qu’il avoit absous canoniquement ce Prestre du crime qui luy êtoit imputé, en la presence des Commissaires d’Anselme même, coram Missis ipsius Anselmi.

Mr le Févre qui a sans doute étudié fort exactement la matière des fiefs, assure fortement au contraire, qu’au temps de Hugues Capet, ou pour le plûtost sous Charles le Simple, les firefs n’étoient plus ce qu’ils avoient été dans leur premiere origine, et que les Jurisconsultes s’étoient abusez, lors qu’ils avoient confondu le benefice avec le fief, et qu’ils étoient tombez dans cette erreur, pour n’avoir pas assez penetré dans l’antiquité Françoise, n’ayant consideré le benefice que dans le moment de sa fin, et lors qu’il commençoit à devenir une proprieté hereditaire, qui le faisoit changer de nature, et au temps que le fief prenoit naissance, qui n’étoit autre chose que cette proprieté héreditaire du fief, qui fut formée et accruë par l’augmentation des droits, que depuis on a appellez seigneuriaux, comme sont ceux de Justice.

Il ajoûte que sur tout il falloit observer cette différence essentielle entre le benefice et le fief, que le fief étoit conféré par un seigneur particulier, le benefice au contraire n’étoit tconféré que par le Souverain ; comme parmy les Romains, l’Empereur seul faisoit la distribution des terres frontieres aux gens de guerre, ce qui n’eût pas été permis à leurs Généraux ; et par cette raison il concluoit que les possesseurs des benefices n’avoient pas le pouvoir de bailler en fief une portion de leurs benefices, n’êtans que de simples usufruitiers, d’où il s’ensuit que n’ayans point de vassaux, ils ne pouvoient avoir de Justice ; les droits de Justice de cens et rentes n’étans deubs en ce temps-là qu’à la Souveraineté, et n’ayant été connus que depuis la possession des fiefs. En effet il paroit par l’Histoire que les Ducs et les Comtes en qualité de Gouverneurs et de Lieutenants Généraux des Provinces, exercoient toute l’autorité du Souverain en l’etenduë de leur Duché ou Comté, et particulierement ils prononçoient par ejugement souverain sur les appellations des Centeniers, qui étoient les Juges ordinaires établis par le Roy ; de sorte qu’il n’y avoit point d’autre Jurisdiction que la Royale dans toute l’étenduë de la domination Françoise, depuis l’établissement de la Monarchie : aussi c’est la mar-que la plus essentielle de la Royauté que la distribution de la Justice.

Mais la puissance des grands Seigneurs du Royaume étant beaucoup augmentée sous Charles le simple, et davantage encore depuis la mort de Loüis le Bégue, parce qu’il n’y eut plus que des usurpat eurs, ou des Rois foibles et mal-servis, on ne pût empescher durant les troubles, qui durerent plus de So ans, que les Gouverneurs des Provinces ne laissassent à leurs heritiers, leurs Duchez et leurs Comtez en proprieté hereditaire. Ce que Hugues Capet fut obligé de souffrir, pour n’être point troublé en la possession de la Couronne.

Ce fut alors que ces mêmes Seigneurs supprimerent les Juges Royaux, et qu’ils établirent en leur place des Baillifs, des Prevosts, et des Châtelains, avec divers pouvoirs et ressorts, selon les conditions qu’ils apposerent dans les investitures des fiefs, accordans aux uns la Haute-Justice, aux autres la moyenne.

Il est mal-aisé de prendre parti dans un sujet qui fait naître tant d’opinions differentes, cependant tout le monde convient de deux principes, qui contribuent beaucoup à l’éclaircissement de la verité.

Le premier est que les Justices seigneuriales ne peuvent avoir d’autre origine que celle des fiefs ; ils en font le principe et le fondement, les Justices n’en sont qu’une suite et une dépendance, jus feudorum ex supremo dominio delibatum hac omnia invexit.Herald . l. 1. quest. quot c. 12. de forte. Pour connoître la source de ces Justices, on ne peut remonter plus haut qu’à l’établissement des fiefs.

On pose encore comme un principe infaillible, que pour exercer un droit de Jurisdiction, il faut avoir necessairement des hommes et des vassaux, qui en soient dépendans, et contre lesquels on puisse user d’un droit de superiorité, autrement ces Justices seroient chimeriques, s’il n’y avoit des gens que l’on pût obliger à s’y soûmettre volontairement, ou par contrainte : Or parce que les fiefs ont eu leurs âges et leurs progrez, et que dans la suite des temps ils ont reçû beaucoup de changement, c’est assurément le point le plus curieux et le plus difficile de cette contro-verse, que de montrer en quel temps les possesseurs des fiefs ont eu le pouvoir d’infeoder une partie d’iceux avec des conditions de fidelité, de service, et de superiorité ; que si cela peut être clairement prouvé, il sera vray de dire que les Justices feodales ne peuvent avoir commencé, que depuis que les particuliers ont eu la liberté de s’assurer du service et de la fidelité des vassaux, par se moyen des infeodations qu’ils leur faisoient de leurs terres.

Il n’est pas vray-semblable que lors que les benefices ou fiefs n’étoient encore que de simples usufruits, qui finissoient par la mort, les possesseurs d’iceux eussent le pouvoir ou la volonté de les infeoder avec les mêmes conditions qui ont été pratiquées depuis que les fiefs furent donnez en proprieté : Il y a même de l’apparence que cela ne leur eust pas été permis, et que toutes sortes d’alienations ou de dispositions leur en étoient défenduës. Il faut donc dire que le droit d’avoir les vassaux, et d’exercer sur eux quelque espèce de Jurisdiction, n’a commencé d’être en usage, que quand les fiefs ont commencé d’être possedez proprietairement et héréditairement.

On ne peut pas marquer précisément le temps où ce changement est arrivé ; selon l’opinion l plus commune et la plus apparente, cela ne se fit que depuis Loüis le Debonnaire, comme je le prouveray plus amplement sur le Titre des fiefs ; car la Postérité de ce Prince tomba dans une l rande foiblesse, que la pluspart des Princes de cette Maison, ou se laisserent dépoüiller de leurs Etats, ou souffrirent l’usurpation des plus beaux droits de leurs Couronnes ; Ce fut donc alors qu’en France, en Allemagne, et en Italie les plus puissans usurperent les hautes dignitez, et les autres usurperent, ou se firent donner la proprieté de leurs benefices, et y joignirent plusieurs droits, qui jusqu’alors n’avoient appartenu qu’au Souverain.

On peut objecter, que le droit de feodalité et celuy de Justice n’ont rien de commun, et que les Seigneurs feodaux ont pû avoir des vassaux, sans avoir neanmoins aucune Justice, et qu’encore que ce droit de Jurisdiction soit inutile, s’il n’y a des vassaux, il ne s’ensuit pas que le droit de Justice ait été établi aussi-tost qu’il a été permis d’infeoder, et de bailler en fiefe ne conteste point que cela ne soit véritable, mais il en resulte aussi que les Iustices des par-ticuliers n’ont pû commencer que depuis que les fiefs ont été donnez en proprieté, et qu’il a été permis de les infeoder.

Il ne reste donc plus qu’à montrer, que les Seigneurs ne furent pas long-temps sans s’attribuer quelque Iurisdiction ; cela fut en usage aussi-tost que les fiefs tomberent dans un libre commerce, et que les possesseurs d’iceux purent les donner en fief, ou en censive, ou pour user des anciens termes, quand les Ducs, les Marquis, et les Comtes commencerent d’avoir Majores valvassores, et les Châtelains et autres moindres Seigneurs valvassinos : Car alors les Seigneurs ne faisans ces nfeodations qu’avec obligation de services, de fidelité, et de plusieurs autres devoirs, ils retenoient par ce moyen quelque superiorité sur leurs vassaux La foiblesse des Carlovingiens ou l’ambition de Charles Capet, ne furent point la seuls ause de ce changement, puis que la même chose fe pratiqua dans l’Allemagne, et dans l’Italie ; et si l’on fuit le sentiment de quelques Auteurs, les possesseurs des benefices n’ont jamais été sans avoir quelque espèce de Iurisdiction, jure beneficiorum fere Jurisdicundi potestas sequitur bene ficium,Eguiner. Baro . in méthodo de jure benef. l. 1. c. 1. Et un Historien a écrit qu’en Lombardie. et sous Alboin et ses successeurs, jusqu’à Charlemagne, cela s’observoit en Italie, Paulus Diacon.

Il est vray que ce droit de Iustice est étably par les livres des fiefs, composez par Obretus etGerardus Niger . Si inter duos vassallos de feudo sit controversia, Domini sit cognitio, & controversia per eum terminetur ; De feud. l. 2. 1. de prohib. feud. Alienat. per Fredericum. Et par une autre loy de l’Empereur Conrard, si inter Capitaneos controversia sit, coram rege finiatur : si inter val. vassores coram Paribus curiae : C’est à dire que quand deux vassaux du Roy avoient procez entr’eux touchant les fiefs mouvans du Roy, le jugement s’en devoit faire en la presence du Roy : mais lors que deux vassaux avoient quelque dispute, elle devoit être terminée par les Pairs des fiefs, 8. praterea de prohib. feud. alien. per fréder. On ne peut douter que l’on n’en usast de même en France, puis que dans les Coûtumes de France, et dans nos anciennes Histoires, on fait souvent mention de ces Pairs de fief : et par le Chap. ex transmissa, et le Chap. Verùm eod. les questions de fief doivent être jugées par le Seigneur de fief, quoy que le vassal même fust un Ecclesiastique.

Il faut neanmoins observer que l’on ne peut pas induire de ces autoritez : une grande antiquité de ces Iustices feodales, parce que les Auteurs ont vécu depuis Hugues Capet : il est vray que l’on peur dire qu’ils n’établissoient pas un droit nouveau, ils declaroient seulement quel étoit l’usage. que l’on observoit depuis long-temps.

Ces mêmes autoritez nous servent à découvrir quelle étoit l’etenduë de ces Iustices, et en quoy consistoit leur compétence : Il semble qu’ils ne connoissoient que de matieres purement feodales.

Suivant le droit des fiefs de Lombardie, toutes les contestations qui naissoient entre les vassaux, pour leurs fiefs, ou pour leurs dépendances, devoient être terminées par le Seigneur superieur dles deux contendans, et par les Pairs de fiefs : Si le procez étoit entre le seigneur et le Vassal, 1 le Seigneur n’en pouvoit connoître, les Pairs de fiefs en jugeoient seuls ; que si un Seigneur seodal demandoit quelque droit au particulier, qui ne le reconnoissoit pas pour son seigneur, en ce cas le Seigneur ne le pouvoit retenir en sa Justice, mais il falloir plaider en la Cour du Prince, Baro l. 4. t. 3.

On peut bien soûtenir que par les loix des fiefs, les Seigneurs feodaux avoient une Justice plus ample que celle qui appartient à nos Bas-Justiciers, puisqu’ils connoissoient entre leurs vassaux de toutes les matieres feodales et de leurs dépendances ; mais on ne remarque point qu’ils eussent la puissance du glaive, et qu’ils fussent competens de connoître de toutes matieres civil et criminelles, ce qui compose le droit de Haute-Iustice.

Il y a beaucoup d’apparence qu’avant le regne de Hugues Capet, ces Iustices de fiefs n’avoient pas plus de competence, et que ce fut alors que les Seigneurs profiterent de l’occasion pour amplifier leurs droits, et que selon leur pouvoir et leur autorité leur usurpation fut plus grande, ou de moindre étenduë. Cette opinion peut être confirmée par cette difference, qui se remarque entre les Justices dont les droits sont si differens, selon la diversité des Coûtumes ; ce qui ne peut proceder apparemment que de la qualité des Seigneurs, dont les plus puissans entreprirent davantage, tant au préjudice du Roy, que de leurs propres vassaux.

Cette distinction de haute, moyenne, et basse Iustice, ne peut avoir commencé que depuis l’établissement des Iustices, quoy que de Roye estime qu’elle peut proceder de ce que sous la première et seconde Race, il y avoit trois sortes de Cour, ou Iurisdiction Royale ; la première des Commissaires envoyez par le Royaume, qui étoit souveraine ; la seconde des Comtes et Gouverneurs des Provinces, qui étoit la moyenne ; et la troisième de ces Commissaires ou deléguez des Comtes, Missi Comitum, qui êtoit la basse ; de Roye de mis. dom. l. l. c. 6.

Mais cet Auteur reprend avec raison ceux qui attribuent au Iurisconsulte Oldradus l’invention de cette distinction des Iustices. Car pour prouver qu’il ne pouvoit en être l’Auteur, il rapporte une Charte de l’an 1146. de Gaucher de Châtillon, que du Chesne a donnée au public dans son Histoire de la Maison de Châtillon, l. 2. c. 12. qui contient ces termes : Item do comnem justitiam & homines quos habeo apud Castellionem, cum omni justitia alta, media et bassaz Or Oldradus n’a vécu que plus de deux cens ans aprés.

Mais apparemment le titre de Haute-Justice ne fut attribué à ces Justices seigneuriales, que depuis que le pled de l’épée ou la puissance du glaive y fut annexée, et que l’on commença de punir les crimes par le dernier supplice : Car jusqu’au temps de Charlemagne, excepté le crime de leze-Majesté, on ne punissoit tous les crimes que par des peines pecuniaires, qui étoient si mediocres, qu’on étoit quitre de la mort d’un Evesque pro poo solidis.

Quoy qu’il en soit, il ne faut point chercher d’autre cause de cette distinction de Justice, que dans la seule volonté des Ducs, des Comtes, et des Seigneurs, qui eurent assez de pouvoir pour se maintenir en l’usurpation de tous ces droits-là ; nos Rois même en accordant le droit de Justice, en ont quelquefois excepté le pled de l’épée. Le Pere Pommeraye rapporte la Charte d’une donation faite par le Roy S. Loüis à l’Abbaye de S. Oüen, où la puissance du glaive est expressément reservée retento nobis Spadae placito.

Il faut enfin remarquer que les Seigneurs feodaux rendoient la Justice en personne, assistez de leurs Pairs de fief, de feud. l. 2. t. 16. de controversia feudi, apud pares terminanda. Ces Pairs de fiefs étoient d’autres vassaux qui étoient choisis par le Seigneur, et par le vassal, qui plaidoit contre luy ; mais enfin les Seigneurs étant devenus plus puissans, et ne voulant plus se donner la peine de juger eux-mêmes, ils établirent des Officiers en leur place.

Les gens d’Eglise qui possedoient des Justices temporelles, eurent plus de peine à se défaire de leurs Advoüez, et de leurs Vidames. Ils étoient devenus si puissans, que les Ecclesiastiques demanderent comme un privilege de n’en avoir qu’un, qui ne pourroit avoir qu’un Lieutenant : On le prouve par un Concile tenu à Ratisbonne en l an onze cens trois, sous lEmpereur Henry III. qu’on laissoit à ces Advoüez, pour leurs gages, la troisième partie des bans et des amen-des, à la charge de les garantir de toutes sortes de pertes et d’injures, et de leur faire payer ce qu’ils appelloient veregildum, c’est à dire les reparations et amendes. Pithou des Comtez de Champ. p. 272. Ainsi quoy que ces Vidames ne fussent établis au commencement, que pour un temps, ils se firent hereditaires, et à la fin ces emplois se donnerent en fief. Du Chesne en rapporte les preuves en son Histoire de la Maison de Châtillon.

Aprés cela il n’est pas vray-semblable que lors que les Benefices étoient si peu de chose, et qu’ils étoient si peu prisez en comparaison des Alodes, qu’ils eussent toutes ces prerogatives, qui sont maintenant annexées aux fiefs ; aussi les preuves contraires que j’en ay rapportées, paroissent foibles et obseures, et il est aisé de les concilier.

La Charte du Roy Dagobert qui parle de Juges publies, et privez, se peut expliquer aisément par l’autorité de Mr Bignon même ; car en ses notes sur Marculphe, il avoué qu’il avoit crû autrefois que ces paroles, Judices publici, fignifioient les Juges Royaux, et ceux qui exerçoient la Jurisdiction Royale : et Judices privati, qui privatorum Dominorum loco jus dicerent ; mais que depuis il avoit reconnu qu’il s’étoit trompé, et qu’il falloit donner à ces paroles-là une meilleure explication ; sur quoy il nous apprend que lon appelloit le Juge Royal Judicem publicum, à la diffe-rence du Juge d’Eplise, ce qu’il prouve par ce Capitulaire de Charlemagne, l. 5. c. 114. et l. 6. c. 106. ut omnes justitiam faciant tam publici quâm Ecclesiastici : et en un antre endroit, ut Episcopus Judices publicos commoneat.

C’étoit si fort l’usage de donner ce titre de Judex publicus aux Magistrats, qu’Anian se servit de ce terme dans son Code Theodosien, specialiter prohibetur ne quis audeat apud Judices publicos Episcopum accusare, l. 12. de Epis. et Cleri L’autre passage paroit d’abord plus formel, parce qu’il y est fait mention de Domini, & subditi : mais en ce siecle-là on n’employoit point ces paroles pour exprimer le Seigneur, et son Vassal, ou Sujet ; lors qu’on parloit du Benefice ou Fier, et du Vassal, on usoit de ces mots, Beneficium, et Miles : VoyezMr le Févre , l. 2. c. 3.

Aprés tout on pourroit induire seulement de ce passage, que dés ce temps-là les possesseurs des Benefices avoient des Vassaux, car il ne fait aucune mention de Iustice, et l’Empereur leur défend seulement d’user de violence contre leurs Sujets : ce que l’on enjoint encore tous les jours aux Seigneurs de fiefs, qui ne pourroient pas fonder là-dessus un titre de Justice. On peut bien aussi entendre ces paroles des maîtres et de certains esclaves, qui étoient attachez à la culture de certaines terres.

Et pour réponse aux argumens dede Roye , je dis contre le premier, que sous lEmpereur Charles le Chauve, les Normans donnoient tant de frayeur à tous les François, qu’ils abandonnoient leurs maisons, et leurs terres, pour se refugier dans les lieux, où ils esperoient trouver un asyle. Sur cela cet Empereur enjoint aux Gouverneurs de Province de faire un rolle, et un dénombrement des personnes, et de prendre leurs noms et ceux de leurs Seigneurs, et qu’à l’égard de ceux qui s’y étoient habituez du temps de son pere et de son ayeul, ils leur permissent d’y continuer leurs demeures, mais pour ceux que la fureur des Normans avoient forcez de s’y retirer, ils les obligeassent à s’en retourner, ad Senioratum suum unusquisque redeat, & suo Seniori seruiat.

Ces mots de Senior, et de Senioratus, ne doivent point faire d’équivoque : On s’en servoit en plusieurs significations en ce siecle-là : ils sont remarquez parMr le Févre , des fiefs, l. 2. c. 2. et c. 4. Selon son opinion, senioratus signifioit l’exercice de la puissance publique ; et en ce sens quand Charles le Chauve renvoyoit ces pauvres fugitifs ad suum Seniorarum, c’étoit devant le Juge de leur Province.

L’explication du mot de Potentum par celuy de Seniorum ne prouve rien, puis que plusieurs Scavans estiment que Seniores étoient les Juges publics ; et d’ailleurs il y a peu d’apparence que du temps de Clotaire Il. on donnast le titre de Potentum aux possesseurs des Benefices, qui n’étoient que de simples usufruits, revocables toutes les fois qu’il plaisoit au Prince.

Le passage de Flodoard ne porte pas qu’Anselme fust un seigneur particulier, au contraire il en resalte évidemment que cet Anselme êtoit un Officier Royal, parce qu’un Prestre avoit été accusé devant luy. Et Hinemarus bien loin de contester sa competence, il appella ses subdeléguez au jugement de la cause.

Ce que j’ay remarqué de lorigine des Justices seigneuriales de France, ne peut être entierement appliqué à nos Justices de Normandie. Elles ont cet avantage sur celles de France, que l’ufurpation faite par les Ducs et les Comtes, ne peut être leur titre et leur fondement.

On se prévaloit en France de la foiblesse des Rois, mais les Seigneurs de Normandie ne furent jamais en état de faire la même chose : Ils vivoient alors sous la domination de leurs Ducs, qui soûtenoient avec vigueur leur autorité, et qui châtioient rigoureusement les revoltes et les desobeissances de leurs sujets : Aussi l’Histoire nous les represente comme des Princes belliqueux, qui furent l’amour et les délices de leurs peuples, et la terreur de leurs voisins. De a sorte que nos Justices ne peuvent avoir qu’un titre fort legitime, soit qu’elles ayent commencé dés le Traité de paix, qui assura la Normandie au Duc Raoul, ou que nous en rapportions e l’établissement à nos Rois ; depuis le retour de la Normandie à la Couronne : car depuis ce temps-là nos Rois ayant été puissans et fort grands politiques, il n’y a point d’apparence qu’on fit rien entrepris à leur préjudice.

Je traiteray donc seulement de ces deux points, si dés le temps de nos Ducs, les Seigneurs de fiefs ont eu droit de Iustice, et quel étoit le pouvoir et la comperence de leurs Justices : Nous tirerions beaucoup d’éclaircissement de nôtre ancien Coûtumier, si l’Auteur de cette Collection avoit écrit avant Philippe Auguste, nous serions assurez que ce seroit nôtre ancien Droit Normand dans sa pureté, et sans aucun mélange ; mais cet Ouvrage étant posterieur au regne de S. Louis, puisqu’il contient des Ordonnances de ce Prince, on ne peut pas faire un discernement juste et certain de ce qui avoit été établi par nos Ducs, ou introduit par uns long usage, d’avec ce qui fut depuis adjoûté par les Rois de France.

Pour donner plus de lumière à nôtre sujet, il est necessaire d’observer quelle êtoit la nature des fiefs dans le Royaume de France, et par consequent dans cette partie de la Neustrie, qui devint le prix de la victoire et des conquôtes des Normans, par cette cessiou qui leur en fut faite par Charles le Simple. ay montré cu-dessus que les benefices de France avoient alors changé de nature, et que sous le nom de fiefs ils avoient été convertis en de pures proprietez héreditaires, et qu’on y avoit ajoûté plusieurs droits et particulièrement celuy de Jurisdiction.

Les choses étoient en cet état, lors que le Duc Raoul fit le partage et la distribution des terres à ses parens, à ses Officiers, et à ses gens de guerre, qu’il leur quitta en pure proprieté et heredité. Il ne fut pas possible que plusieurs grandes seigneuries et plusieurs fiefs de dignité, qui appartenoient auparavant aux Seigneurs Neustriens, ne tombassent au partage des principaux Normans, qui ne manquerent pas d’en conserver les anciennes prerogatives, et de les posseder même comme de petits Souverains ; car êtans pour la pluspart les proches parens de Raoul, comme Malahulcius, qui étoit son oncle, et grand Capitaine, ou personnes de grande autorité, ils ne reçûrent pas ces biens-là, pour en joüir comme de simples vassaux, mais comme une recompense qui étoit due à leur naissance et à leurs services, et par cette raison ils se conserverent un droit de superiorité sur tous ceux qui se trouverent dans l’etenduë de leurs partages ; d’autre part comme le Duc êtoit un sage Prince, et qu’il voyoit sa Province toute desolée, par la mort ou par la suite des anciens habitans, il ne dépoüilla pas de leurs biens ceux qui étoient restez, au contraire il rappella les fugitifs, et conserva dans leurs anciennes possessions ceux qui voulurent retourner.

Ainsi l’on peut dire que par la venuë des Normans, les fiefs ne changerent point de qualité, et qu’au contraire ils augmenterent en dignité, selon le credit et l’autorité de ceux qui les possederent. Le droit de Iurisdiction ne fut pas oublié, ce qu’on appella dans. la suite, la Justice aux Barons, dont ils demanderent la confirmation à Philippe Auguste, aprés sa conquête.

Mais parce que dans l’explication, que ces Barons donnerent à ce Prince, des droits dont cette Iustice aux Barons êtoit composée, la Haute-Justice n’y est point employée, on peut douter si avant Philippe Auguste, il y avoit des Fautes-Justices en Normandie.

L’ancienne Coûtume fait mention d’une Iustice fiefale, qu’elle définit être la Iurisdiction, qu’aucun a à raison de son fief, parquoy il doit faire raison des plaintes qui appartiennent à son fief.

Suivant cette définition, cette Justice fiefale n’est autre chosé que la Basse-Justice, ou Etout au plus la moyenne. L’ancienne Coûtume en plusieurs endroits fait mention des Offit ciers de Justice, et de leurs fonctions : Dans le titre de Justiciement, elle nous propose la division des Iurisdictions, dont l’une est baillée, et l’autre fiefale. Sil y en avoit eu d’autres, elle n’auroit pas manqué d’en faire mention ; comme dans la Coûtume nouvelle, on a fait la distinction de toutes les Iurisdictions ordinaires de la Province.

Dans le titre des Justices, elle parle de tous les Juges, des plus grands, des moindres, et des subalternes ; et il n’y en a pas un qui ne soit un Juge Royal : et dans le titre de Justiciement, toute Justice de corps d’homme appartient au Duc en Normandie. Et dans le titre de Jurisdiction, le prince seul a planiere Jurisdiction de toutes les plaintes, qui luy viennent, qui appartiennent à la Cour-Laie, et en peut faire droit à tous ceux qui s’en plargnent. Sur quoy le Glossateur a crû que ce Texte s’entend des Bas-Justiciers ; car au temps. que ce Texte fut fait, il n’appert pas qu’il fût aucun Haut-Justicier. Il est vray qu’il est dit dans le même endioit, si la Cour ne luy en est demandée par celuy qui la doit a-oir.

Aprés la Charte aux Normans inserée à la fin du vieil Coûtumier, on a mis une piece, qui porte pour titre la Justice aux Barons, où il est fait mention des Hautes-Justices : mais c’est un Reglement, qui fut fait du temps de Philippes Auguste, pour les Basses-Justices : Que si les Hautes-Justices avoient été établies en Normandie, du temps des Ducs, on en trouveroit quelques preuves dans l’ancienne Coûtume, qui fut portée en Angleterre. Or tant s’en faut qu’il y ait des Hautes-Justices, que les vassaux même des Seigneurs ne peuvent plaider touchant leurs héritages en la Cour de leur Seigneur seodal, sans en avoir obtenu la permission du Roy, ou de son Giand Justicier.Glanville , en ses Formules, l. 12. c. 6. dit bien que, quedam sunt placita quae in curiis Dominorum, vel eorum qui Dominorum loco habentur, deducuntur, fecundum rationiabiles consuetudines ipsarum curiarum. Mais il ajoûte dans le c. 15. que secundum consuetudinem regni, nemo tenetur respondere in curia Domini sui super aliquo libero tenemento, sine pracepto Domini Regis, vel capitalis ejus Justitiarii. Et S. Germain qui écrivoit au commencement de ce siecle dans son Dialogue, de fundamento legum Anglicarum, fait une exacte énumeration de tous les Officiers de Justice, qui sont en Angleterre, sans parler de HautesJustices.

Les preuves dont on se sert, pour montrer que les Hautes Justices ont. commencé du temps. l. des Ducs de Normandie, me paroissent plus fortes. L’ancienne Coûtume, dans le titre de Cour, dit que, le Duc de Normandie a le pled de l’épée, si comme de roberie, de meurdre, d’homicides, de treves enfraintes, et excepté ceux, ausquels les Ducs de Normandie, ont octroyé ce droit d’avoir la Cour de telles choses, si comme il est apparoissant par Chartes, par longue tenué, par échange, ou par autre raison apperte ; et dans le titre de Jurisdiction, par ce même Article, où lon donne au Duc, une Jurisdiction planiere, on y apporte cette exc ption, si la Cour ne uy en est requise par tel qui la doive avoir. l’ay vû des Chartes sans datte, de donations faites à l’Abbaye de Châtillon de Conches, par les Seignéurs de Thoni, qui contiennent ces termes : siquis hominum Abbatis in terra sua vel in aliqua villarum mearum, vel oppidorum, seu alibi aliquem hominum meorum percusserit, vel sanguinem fecerit, vel occiderit, quod absit ; si famulus Abbatis. ( le croy qu’il faut lire Bajulus, car ce mot dans le Latin de ces siecles-là signifioit Baillyy vel ejus Prapositus, prius quâm meus vadimonia ab illis quesierit, inde fiat placitum, concordia, vel duellum, si acciderit in curiâ Abbatis.

Et dans une autre donation de Ranulphe de Thoni, fils de Roger, fondateur de cette Abbaye, aepredicte Abbatiae concedo ut eandem libertatem, & dominationem & consuetudinem habeat Abbas super suos homines, & etiam super advenas in terra sua habitantes ubique, per totum feofum meum, quam libertatem, quam dominationem, quam consuetudinem habeo super meos homines & advenas in terra mea manentes.

Ces Chartes ne prouvent pas seulement le droit de Haute-Iustice, elles nous marquent encore que les Seigneurs de Normandie s’attribuoient une si grande autorité dans l’etenduë. de leurs terres, qu’ils octroyoient à d’autres personnes le droit de Justice. En effet ils se reputoient égaux à leur Duc ; et quand Hastine fut envoyé vers les Normans par le General de l’armée Françoise, pour sçavoir le nom de leur Chef, ils répondirent fierement, qu’ils n’en avoient point, quia potestatis aequalis sumus ; Dudo sancti Quintini deca. l. 2. Sur tout on ne doit pas s’étonner que ces Seigneurs de Thoni en usassent avec tant d’autorité, car ils étoient descendus de Malahuleius, oncle paternel de Raoul, dontGuillaume de Jumieges , 1. 7. c. 3. a écrit que, cum Rolone Francos fortiter atterens, Normaniam acquisierat, vir potens et superbus, ac totius Normaniae Signifer erat.

L’antiquité des Hautes-Justices peut encore être prouvée par un exemple, qui se trouve dansOdericus Vitalis , l. 3. où les Moynes de S. Evrout firent le procez à un Gentilhomme, qui leur avoit caché une donation qu’on leur avoit faite ; sed monachis, dit l’Historien, juste conquerentibus justo judicio determinatum est, ut omnem feudum quem reus de sancto Ebrulfo tenebat mitteret ; cette action se passa l an mil cinquante-cinc Par la Capitulation faite en l’année 1207. entre Philippes Auguste et les habitans de Roüen, ce Roy confirme le droit de Iustice, qui avoit été accordé aux Maire et Eschevins de la ville, par Richard, Roy d’Angleterre, concedimus quod ipsi habeant communiam et banleugam ad metas, quas Richardus quondam Rex Anglix eis concessit, & justitiam suam juxtâ metas, salvo tamen jure Dominorum, qui ibi terras habuerint, qui Domini habent curias hominum suorum in villas, renendas usque ad recoonitionem. D’où il paroit évidemment qu’il y avoit alors, et même danse l’étenduë de la ban-lieue de la ville de Roüen, plusieurs Justices seigneuriales, qui sont apparemment les mêmes qui subsistent encore aujourd’huy.

Il est notoire que depuis Philippes Auguste, plusieurs Seigneurs de Normandie ont obtenu de droit de Haute-Iustice, dont ils sont en paisible possession.

En cas de trouble pour le droit de Haute-Iustice, on demande comment on doit le justifier, et s’il est nec-ssaire de representer le titre de l’érection s Suivant nôtre ancienne Coû-tume il suffit d’établir son droit, ou par Chartres ; ou par longue teuuë, c’est à dire par une longue possession ; autrement les plus anciennes Iustices seroient le plus en hazard d’être supprimées, puis qu’aprés tant de siecles d’une paisible possession, il ne seroit pas possible de representer le titre primitif de leur érection : la possession vérifiée par le continuel exercice de la Iustice, les Aveux et dénombremens sont des titres suffisans ; et suivant l’opinion deBacquet , des droits de lust. c. 5. les Aveux reçûs et verifiez en la Chambre des Comptes, font une preuve entière contre le Roy, mais pour la preuve par témoins elle ne seroit pas feule admissible sans quelques adminicules ; comme M’Charles Loyseau le soûtient contreBacquet .

Aprés cela l’on proposeroit inutilement cette question ; an concesso feudo sit concessum terri torium et jurisdictios L’affirmative pourroit être vraye parmy nous, pour les simples Justices de fief ; et neanmoins comme le fief peut subsister sans Justice, et même que le droit de Justice peut en être separé, suivant cetté maxime que le fief et la Justice n’ont rien de commun, il est plus seur dans les lettres d’érection de fief, d’y employer ce droit de Justice Pour la Haute-Justice ; on peut répondre assurément pour la negative, que la concession de fief ne comprend point le droit de Haute-Justice, quia in jurisdictione feudi, nemo prater Regem uam intentionem fundatam habet : nisi prabet,Molin . de feud. 8. 1. glos. 5. n. 40. Et c’est une maxime que, Jurisdictio nihil habet commune cum proprietate.

Le droit de Haute-Justice peut dont être prouvé ou par un tre, ou par une longue possession ; nam hujusmodi possessiovim habet tituli. l ae hoc jure. S. ductus-aquae. D. de aqua et a4. plu. are. La longue possession est fort considérable en ce cas, car l’exercice en étant public on ne peut presumer que les Officiers Royaux en eussent souffert si long-temps la continuation, sans s’opposer à cette usurpation, omnium consensu receptum est, merum, mixtum imperium, jurisdictionem criminalem et civilem prescriptione acquiri posse, modo semper excepta sit apud Regemt uprema illa jurisdictio ;Covarr . 2. par. pral. 8. 3. ce qu’il confirme en ses quest. practid. c. 1. n. 8.

La distinction de ces Justices feodales en haute, moyenne, et basse, procede assurément de la difference des fiefs : Les Duchez, les Marquisats, et les Comtez étant appelez feuda Regalia, êtans les premiers en noblesse et en dignité, on leur attribua le merum imperium, ou pour parler en nôtre langage le pled de l’épée, c’est à dire le pouvoir de condamner à mort, ce qui donna lieu à cette dénomination de Haute-Justice : les Barons tenant le second rang eurent une moyenne Justice qui fut d’une plus grande ou moindre étenduë ; selon le credit et lautorité desn

Seigneurs en Normandie, la Justice de nos Barons n’étoit gueres plus ample que celle des Bas-Justiciers ; les Châtelains et les Seigneurs de fiefs de Haubert ne purent obtenir en Normandie. qu’une simple Justice fiefale, que nous appelons Basse-Justice.

Le temps et les usages differens de chaque païs ont causé de grands changemens en ces especes de Justices ; la dignité des fiefs n’est plus considerée pour leur érection ; le Prince en accorde le droit à qui bon luy semble, et pour leur compétence il seroit impossible d’en donner une définition generale, parce qu’elles sont reglées si diversement par les Coûtumes qui en ont parlé, que le plus seur et le plus utile est de s’attacher à ce que nôtre Coûtume en a définiLe droit de Haute-Justice étant fondé sur la grace du Prince, on ne peut l’étendre au de-là des termes de sa concession ; le seigneur Haut-Justicier ne peut augmenter le nombre de ses Officiers.

Cela fut jugé de la sorte en l’Audience de la Grand. Chambre le et de Juillet 1643. contre lEvesque de Bayeux, lequel vouloit établir en sa Haute-Justice un office nouveau de Sergent ; et dans le Journal du Palais on a rapporté un Arrest du Parlement de Provence, par lequel il a été jugé que le seigneur Haut-Justicier ne peut instituer deux Iuges, lun en cher et lautre par subrogation generale : Il peut avoir suivant nôtre usage un Bailly et un Lieutenant, mais par abus plu-sieurs instituent des Lieutenans particuliers, des Procureurs, et des Avocats fiscaux, quoy qu’ils ne puissent avoir qu’un Procureur fiscal.

C’estst une question célèbre, si le seigneur Haut-lusticier peut diviser sa Iustice et la separer de son fief, ou en tout cas s’il peut se donner du ressort, et multiplier les degrez de Iurisdiction : Quelques Auteurs ont estimé que lun et fautre luy êtoit permis, se fondans sur cette raison, que les Iurisdictions étant devenuës patrimoniales, aussi-bien que les Fiefs, Jurisdictiones et feuda aeer omnia aequiparantur, cum utraque sint ad instar patrimoniorum ; et comme on peut diviser les Fiefs, on peut aussi en separer la Iustice ; le Seigneur peut retenir la Iustice directe, et conceder la Iurifdiction utile, et même la regler par divers ressorts, et ut ita dicunt, dividere per inferius & superius, id est, quod vulgo dicitur per ressortum : nam jurisdictio jurisdictionis esse potest. Pontanus sur la Coûtume de Blois, t. 3. art. 9. Bald. in C. uno delegatorum col. ult. extr. de officio deleg.

Pour refoudre cette difficulté, il faut distinguer ces deux points, diviser la Justice d’avec le fief, et multiplier le ressort et les degrez de Jurisdiction. La Justice est véritablement attachée au fief, elle n’y est pas neanmoins tellement inherente, qu’elle n’en puisse être separée, parce qu’elle n’y est pas comme une qualité essentielle, mais comme une qualité accidentelles aussi c’est une Maxime certaine, que le fief et la Justice n’ont rien de commun, et qu’il peut y avoir une Justice sans fief, comme il y a des fiefs sans Justice, et ces deux parties qui par leur union forment un cerps de Seigneurie, peuvent neanmoins subsister étant separées.

Mais on pretend que cette Maxime n’est véritable, que pour les fiefs de haute dignité, comme les Duchez et Pairiez, qui doivent être conservez tous entiers, sans pouvoir être divisez par aucun partage, et que telle est la disposition de plusieurs Coûtumes de Francez et comme la Justice en fait un des plus nobles attributs, ce seroit les dépoüiller de leur principal ornement, que d’en separer le droit de Jurisdiction.

Cette separation ne fe peut valablement faire qu’à l’égard des fiefs simples, qui ne sont relevez par aucune prerogative, ou qui n’ont qu’une dignité médiocre.

Pour le second point, il est certain que le Seigneur Haut-Justicier ne peut multiplier les degrez de Jurisdiction, et se faire un ressort nouveau. C’est une marque des plus importantes de la Souveraineté, de pouvoir ériger des Justices et instituer des Officiers ; et il y a long-temps que son ne le permet plus aux grands Seigneurs, et il ne nous reste plus aucuns vestiges de cette ancienne usurpation, que dans les Coûtumes de Touraine et de Loudunois, qui permettent aux Barons d’ériger des Justices. Conformément à ces raisons le Parlement de Paris a jugé qu’un Duc et Pair ne pouvoit diviser le droit de Justice, ni multiplier les degrez de Jurisdiction ; par Arrest rapporté dans la seconde partie du Journal des Audiences, l. 6. c. 11.

S’il n’est pas permis au Haut-Justicier d’instituer de nouveaux Offices, il semble au moins qu’il doit avoir le pouvoir de les destituer ad nutum, lors qu’ils ne luy sont plus agreables, et qu’ils n’ont point été pourms à titre onereux, ou pour recompense de services. Comme cette question de la destitution des Officiers est encore problematique en Normandie, il ne sera pas superslu d’examiner ces trois points, quels Officiers sont destituables, quels Seigneurs peuvent les destituer, et les causes qui peuvent empescher la destitution.

Il ne faut pas mettre au nombre des Officiers, qui peuvent être revoquez, ceux qui ont été pourvûs par le Roy. Depuis l’Ordonnance de Loüis XI. les Officiers Royaux joüissent de cette prerogative, de ne pouvoir ôtre ôtez de leurs charges, que dans les cas de mort, de resignation volontaire, et de forfaiture.

La destitution dont ne peut être pratiquée que contre les Officiors des Seigneurs Laiques, et Ecclesiastiques ; mais comme leur condition n’est pas toûjours pareille, les uns ne possedans leurs Offices que par la pure liberalité de leurs Seigneurs, les autres n’en ayant été pourvûs qu’à titre onereux, et pour des causes remunératoires, aussi leur droit n’est pas égal, et il n’est pas indistinctement permis à ceux qui les ont pourvûs de les revoquer sans cause.

La principale difficulté est à l’égard de ceux qui ont été pourvûs gratuitement, et pour séclaircir il est necessaire de sçavoir si les Seigneurs les peuvent destituer sans cause, et s’il est utile au public de leur accorder cette liberté.

La destitution des Officiers peut être soûtenue par raison et par autorité.

Il y a cette différence entre les Magistrats de la Republique Romaine, et les Officiers du Roy, et des Seigneurs, qu’à légard des premiers, toute la puissance et l’autorité de la Republique leur êtoit transferée ; mais en France les provisions d’un office ne donnent à celuy qui en est pourvû qu’un simple titre pour exercer, mais la puissance publique et le droit de Jurisdiction demeurent toûjours au Roy, et aux Seigneurs Hauts-lusticiers, Jurisdictiones penes Regem et Dominos feudales, quibus in feudum fuerunt concesse ; Pontanus sur la Coûtume de Blois, Article 9. t. 3. Balde pour prouver que les Officiers sont revocables, a dit que, provisio officiorum jus tantum tribuit ; non causam tituli perpetuam, Baldus c. cum omnes. col. 4. extra. de Const. En effet la Iustice ne s’exerce pas au nom des Officiers, mais des Seigneurs ; de sorte que le Seigneur retient et conserve toûjours son droit de Iustice, et l’Officier n’est considéré, que comme son fermier ( comme parlent quelques Auteurs ) Dominus per judicem jus retinet sieut et Dominus fundum per colonum adscriptitium possidet item et ipsum servum, & uterque à Domino quasi possessus intelligitur, ille ratione jurisdictionis, hic ratione dominica potestatis : quo fit ut jurisdictionem, & Magistratum possit à se repellere, Pontanus ibid. la glose sur la Clement. et si principalis in verboElectionem, in 6. y est expresse, Officialis ad nutum removeri potest ab Episcopo.

Et cet usage est aussi ancien que la Monarchie, tous les offices tant du Roy que des Seigneurs étoient revocables : Philippes de Valois entreprit le premier de les rendre perpétuels, mais il ne pût en venir à bout ; ils demeurerent revocables jusqu’à Loüis X. lequel, afin que son Ordonnance ne fût point violée par ses successeurs, obligea par serment Charles VIII. son fils de la garder inviolablement.

Mais cette Ordonnance ne regardoit que les Officiers Royaux ; les Seigneurs Hauts-lusticiers continuerent d’en user comme auparavant, et ils furent aussi maintenus en cette liberté par HOrdonnance de Roussillon, Article 27. qui leur permit de revoquer leurs luges et de les destituer de leurs charges, à leur plaisir et volonté, sinon en cas qu’ils eussent été pourvûs pour recompense de services, ou à titre one reux.

On leur objecte sans fondement qu’ils ne furent maintenus en cette liberté qu’à cause que par cette même Ordonnance, ils étoient condamnez en amende pour le malejugé de leurs Juges, et par consequent il n’eût pas été raisonnable dé les contraindre à se servir d’Officiers qui s’acquitteroient mal de leurs charges.

Si lOrdonnance n’eût été fondée que sur ce motif, le Parlement qui l’a verifiée, et lequel neanmoins ne condamne jamais les Seigneurs en l’amende du malejugé, ne leur permettroit pas de destituer leurs Officiers, puisque la cause pour laquelle on leur avoit accordé ce pouvoir n’avoit aucun effet.

Cependant ces destitutions ont été confirmées par plusieurs Arrests du Parlement de Paris, rapportez par le Commentateur de M.Loüet , 1. 0. n. 2. et par du Fresne Fresne en son Journal d’Audiences. Cette jurisprudence n’est pas singuliere pour le Parlement de Paris, le privé Conseil et le grand Conseil ont donné des Arrests conformes.

Ce qui confirme que famende du mal-jugé. n’a point été le véritable motif de l’Ordonnance.

La difference qu’il s’est conservée entre les offices Royaux et les offices des Seigneurs dont les premiers sont perpétuels, et les autres revocables, procede de ce que ceux-là ne sont devenus perpetuels que depuis qu’ils ont commencé d’être venaux ; car alors il n’eût pas été raisonnable que le Roy eût dépoüillé les Officiers, dont il avoit reçû l’argent, et pour ceux des Seigneurs ils sont toûjours demeurez revocables, lors qu’ils les ont donnez gratuitement, i mais lors qu’il les ont vendus on n’a plus fait de difference entre les uns et les autres, et les Seigneurs non plus que le Roy, n’ont plus eu le pouvoir de les destituer. C’est la disposition expresse de l’Ordonnance, qu’ils ne pourront les destituer à leur volonté, lors qu’ils auront été pourvûs à titre onereux, ou pour recompense de services.

Tous offices originairement étoient revocables, on a vécu plusieurs siecles dans cet usage, et si les Rois par des considerations d’état y ont apporté du changement, ils n’ont pas neanmoins imposé la même loy aux Seigneurs Hauts-Justiciers : Aussi le public n’en reçoit aucun préjudice, quand un Seigneur en use si genereusement, que de ne tirer aucun profit des offices, qui luy appartiennent, pourquoy luy ôter la liberté de les changer ; on doit présumer qu’il a fait choix d’un sujet digne de sa liberalité, mais s’il arrive qu’il se soit trompé, et que cet Officier ne s’acquitte pas de son devoir, il seroit rigoureux que le Seigneur ne pût pas s’en défaire, sur tout quand il ne s’est engagé avec luy que par les voyes de l’honnêteté, s’il en êtoit autrement, on forceroit les Seigneurs à ne plus disposer gratuitement de leurs offices, et on les contraindroit à pratiquer cette honteuse venalité, qui est si fort détestée par les gens de bien.

Ceux qui n’approuvent point les destitutions, qui se font sans cause, disent qu’elles sont odieuses et défavorables : elles flétrissent toûjours en quelque façon celuy qui la souffre, parce que l’on présume qu’il en a donné le sujet à son seigneur par sa mauvaise conduite, et on la doit moins souffrir en Normandie, qu’en aucun autre lieu ; l’Article 27. de l’Ordonnance de Roussillon n’ayant point été vérifié en ce Parlement, la Cour ayant mis sur iceluy qu’il seroit sursis, et fait remontrance, parce que suivant la Coûtume de cette Province, tous Juges tant Royaux, que subalternes, sont tenus de juger par l’avis de l’assistance On ne peut pas à la vérité conclure de cette modification, que la Coux n’a point approuvé la destitution des Officiers ad nutum, son intention n’ayant été que de n’autoriser point la condamnation d’amende en cas de mal jugé ; mais on peut bien soûtenir que la permission donnée par cette Ordonnance, aux Seigneurs de pouvoir revoquer leurs Officiers à leur volonté, n’a point eu d’autre fondement, que l’amende pour le mal jugé, ce qui paroit évidemment par la suite, et par la haison de ces paroles, lesquels aussi pourront revoquer, &c. dont le sens est que les Seigneurs sont déclarez responsables de la faute de leurs Juges, parce qu’aussi ils pourroient les destituer à leur volonté.

La destitution donc ne leur étant permise, que pour une cause qui n’a jamais eu d’execution, on ne leur doit plus souffrir de s’en prévaloir mais il faut reduire les choses dans le droit general, suivant lequel le Roy même s’est privé de revoquer ses Officiers.

C’est déja un grand avantage qu’ils participent à l’autorité souveraine du Prince, et qu’ils ayent le pouvoir de donner la seigneurie publique en instituant des Officiers, qui rendent la Justice en leur nom, mais aprés avoir obtenu, pour ne pas dire usurpé, ce droit de conferer des offices publies, ce qui ne devoit appartenir qu’au Souverain, au moins ils doivent se contenter du pou-voir de les conferer en la même maniere et sous les mêmes conditions que leur SouverainLa raison de l’utilité publique a porté nos Rois à se lier volontairement les mains ; fi donc il est pareillement utile et avantageux pour le bien de la Justice, que les Seigneurs en usent de la même maniere, ils n’ont pas sujet de se plaindre, si on leur rettanche une liberté dont ils pourroient abuser au préjudice du public.

En effet quelle justice peut-on efperer, lors que l’on plaide contre un Seigneur en sa propre Justice, et que son Officier est retenu par la crainte d’être chassé, s’il ne fuit pas ses mouremens, et s’il n’execute aveuglément ses passions ; cette frayeur ne luy laisse aucune liberté de bien faire : il tremble à chaque moment qu’un valet ne luy vienne apporter son congé, de la part de son Seigneur.

Collige sarcinulai, dicit libertus, & exi.

Cet inconvenient n’étoit pas à redouter de la part du Roy : sa puissance est si fort élevée qu’il ne prend point de part aux affaires particulieres, et son autorité souveraine n’empesche point que ses Officiers ne rendent librement la Justice, dans les affaires mêmes où il peut avoir interest ; il est donc raisonnable de faire prévaloir l’utilité publique contre les raisons que l’on oppose au contraire.

Me Charles Loyseau des Offic. l. 5. c. 4. a fortement appuyé ce party. Il a montré par des raisons solides que l’on ne peut permettre ces destitutions sans cause, sans un grand abus, et l’Histoire qu’il fait de ce Prelat, qui destitua son Juge, parce qu’il avoit fait diminuer son greffe en accordant les procez, est une véritable peinture de la pluspart des Hauts-Justiciers.

Et il est si véritable que la crainte de la revocation precipite les Juges dans une si lache complaisance, que le plus souvent il seroit plus avantageux de prendre le Seigneur pour Iuge dans son proprée interest. Ces Officiers dont la condition est incertaine, ne songent qu’à pro fter du temps : non parcit populis regnum breve. Tibere ne rappella que fort rarement les Magistrats qu’il avoit établis, et pour montrer qu’il n’étoit pas à propos de le faire pour l’interest public, il se servoit de la parabole d’un malade, qui défendit que l’on chassast les mou-ches, qui s’étoient saoulées de son sang, parce qu’il en viendroit d’autres en la place, lesquelles étant affamées acheveroient d’épuiser ses veines : les autres Empereurs ménageoient si delicatement la reputation de ceux qu’ils rappelloient, qu’ils n’usoient point des termes de revocation ou de destitution, sed è Brovinciâ decedere dicebantur, ut Budaeus notat, l. c. ad leg. Jul.

Majest. Maître Didier Heraut a été du même sentiment queMaître Charles Loyseau , quoy qu’il avoue aussi-bien queLoyseau , que l’usage du Parlement de Paris est contraire, et son railonnement est que, puisque l’Ordonnanée de Roussillon n’est plus en usage pour l’amende de mal-jugé, elle doit pareillement être abrogée pour la destitution des Officiers, cum hodie planè obsoleta sit, & MOTGREC, quà cessante, et si cessare debeat constitutioni effectus, vix est tanen, ut id persuaderi queat obstantibus arestis,Herald . quest. quot. l. 1. c. 5. On peut encore mettre au nombre des Auteurs du Parlement de Paris, qui n’approuve point les destitutions sans cause, Mr Loüet l. D. n. 2. aprés avoir parlé de l’Ordonnance qui a rendu perpétuels les Officiers Royaux, sans pouvoir être destituez qu’en ces trois cas, de mort, de resignation, et de forfaiture, il ajoûte que cette Ordonnance n’a point été gardée par les Archevesques et les Evesques, n’y ayant point été dénommez, mais que cette Ordonnance ayant été faite pour le bien public, et pour ôter aux Officiers la crainte d’être destituez sans cause, et qui par ce motif n’ofoient desobeir aux commandemens de leurs Seigneurs, il y auroit grande pparence de la faire garder aux Archevesques et aux Evesques.

Quoy que l’Ordonnance de Roussillon ne permette aux Seigneurs de revoquer leurs Officiers, que lors qu’ils n’ont point été pourvûs pour recompense de services, ou à titre onereux ; néanmoins les Seigneurs, et particulierement les Ecclesiastiques, ont entrepris plusieurs fois d’éluder lette disposition : car à légard de ceux qui se pretendent pourvûs pour recompense de services ils alléguent que ce n’est pas assez de les avoir énoncez, et que non seulement ils doivent en rapporter les preuves, mais qu’il est encore nécessaire qu’ils fussent de telle qualité, que pour en obtenir recompense on pûst avoir une action civil ; que s’ils produisoient seulement une action d’honneur, que le Jurisconsulte appelle une obligation naturelle, ad antidora, en l. l. c sed si lege, S. consuluit D. de petit. hered. le Seigneur même qui les a reconnus n’a point les mains liées par cette reconnoissance.

Et à l’égard de ceux qui n’ont obtenu leurs Officés qu’à titre onereux, les Ecclesiastiques répondent que l’Ordonnance n’a lieu, que quand celuy qui a pourvû à titre onereux, a eu pouvoir de le faire ; mais comme le fait de leurs predecefseurs ne les oblige point, n’ayant pû faire de préjudice à leurs successeurs, les pourvûs à titre onereux sont de la même condition que ceux qui les ont eus gratuitement, si leurs services n’ont été rendus ou leurs deniers employez au trofit de l’Evesché, ou de l’Abbaye Pour décider cette question, on fait distinction entre les Seigneurs qui pretendent avoir le pouvoir de destituer, et les Officiers que l’on pretend être destituables Les Seigneurs peuvent être de differente qualité : Il y en a de Laiques, il y en a d’Ecclesiastiues ; mais les Ecclesiastiques ont de deux sortes de Jurisdiction, l’une temporelle qui leur ap-partient, à cause de leurs fiefs, l’autre Episcopale et Ecclesiastique. tous ces Seigneurs possedent leurs Justices par un titre commutable, ou incommutable ; les Ecclesiastiques sont toûjours commutables, mais les Laiques peuvent être Seigneurs incommutables ou commutables Les Officiers que l’on pretend destituables peuvent avoir été pourvûs par une pure gratifi cation, ou par une cause remunératoire et à titre onereux Pour déméler ces diverses espèces de destitution, et ne confondre pas les droits differens des Seigneurs, et de leurs Officiers, je traiteray premierement des Seigneurs Lasques, soit qu’ils soient proprietaires incommutables ou commutables.

Si un Laique qui seroit proprietaire incommutable de sa Seigneurie vouloit destituer un Officier qu’il auroit pourvù purement et simplement, cette destitution seroit valable, suivant la urisprudence certaine du Parlement de Paris. On peut en voir les Arrests dans les Reglemens deChenu , dans le Commentateur deMr Loüet , 1. 0. n. 2. et dans le Iournal de du Fresne Fresne. ais en Normandie on ne souffriroit point une destitution, qui n’auroit d’autre cause que le plaisir et la volonté du Seigneur, parce que ces destitutions sont odieuses, et que le plus souvent n Officier ne devient l’objet de la haine et de l’aversion de son Seigneur, que pour avoir fait son devoir. Un Seigneur peut pourvoir un Officier sans connoissance de cause, mais il ne doit pas le destituer sans connoissance de cause. Pour admottre un’Officier on informe de son mérite et de a capacité, à plus forte raison pour le destituer on doit entrer en connoissance de son demerite, ut sine causâ amare, ita sine causa odisse non licet ; Tertull. despect Nous avons si peu de panchant à favoriser ces destitutions ad nutum, que l’on pretend que par plusieurs Arrests on a maintenu l’Officier, que le successeur à un Benefice vouloit démettre, quoy que son droit fût beaucoup plus foible, parce que le precedent possesseur n’avoit pû nuire au successeur, au lieu que le Laique est tellement maître de son Office, qu’il en peût disposer si absolument, que son successeur soit universel, ou singulier, ne peut jamais contrevenir. à son fait : Aussi il est sans exemple que les Seigneurs Laiques ayent entrepris ces destitutions.

Me Iosias Berault sur l’Article 190. rapporte un Arrest par lequel on a confirmé la destitution d’un Seneschal, faite par un Seigneur : Mais outre que ces offices de Seneschaux sont de si peu d’importance, que rarement ils prennent des provisions, et que par consequent il n’y a rien qui empesche leur destitution, n’étans que de simples mandataires. On a depuis jugé le contraire en l’Audience de la Grand. Chambre, le 8 de Iuillet 1622. pour Me Huré, Seneschal de la Sci mneurie d’Echaufour, contre la Dame d’Echaufour. Il est vray qu’il alléguoit avoir été pourvû pour recompense de services rendus par son pere, mais il n’en rapportoit point de preuves, on cassa la Sentence qui prononçoit sa destitution.

Et quand même les provisions contiendroient cette clause, tant qu’il nous plaira, elle ne signifie autre chose à l’égard des Seigneurs, sinon ce qui est selon raison et justice, et refertur ad arbitrium boni viri : de sorte que quand un seigneur, auquel le plaisir absolu ne peut convenir, comme au Roy, pourvoit, un Officier pour en joüir tant qu’il luy plaira, cela veut dire tant qu’il luy devra plaire, c’est à dire tant que l’Officier vivra en homme de bien, et que le Seigneur n’aura point de cause legitime pour le destituer. Il n’est donc pas necessaire en cette Province, comme au Parlement de Paris, que les provisions ayent été accordées pour une cause remunératoire, ou à titre onereux, les Officiers des Seigneurs Laiques non plus que ceux du Roy, ne peuvent être destituez sans cause.

Ce qui est si véritable en cette Province, qu’il a même été jugé que le vendeur, qui rentre en a possession de sa terre en vertu de la faculté de rachapt, qu’il avoit retenuë, ne peut destituer l’Officier qui a été pourvù par Iacquereur à faculté de rachapt : la question s’offrit en l’Audience de la Grand. Chambre, le 1s de Juin 1657. Mie de Pelvé, Comte de Flers, avoit engag é à Mi le Prince de Guimené sa terre de Condé sur Noireau, avec faculté de rachapt pendant un certain temps ; l’Office de Bailly ayant vaqué dés la première année de la joüissance de Mr de Guimené il y pourvût M de Prepetit, moyennant vingt mille livres. Il est considérable qu’en ce même temps le sieur Comte de Flers s’étoit pourvù par lettres de récision contre le Contrat, dont il avoit été debouté, sauf à luy à exercer la faculté de rachapr, et Prepetit avoit été maintenur Depuis ayant retiré sa terre, il destitua Prepetit, disant que Mr de Guimené n’étant qu’un Seigneur commutable ; il n’avoit pû pourvoir aux Offices, et que l’on ne pouvoit tirer avantage de l’Arrest qui l’avoit maintenu, parce qu’alors Mr le Prince de Guimené êtoit encore en joüissance, mais son droit ayant cessé par le retrait qui avoit été fait, il falloit remettre les choses au premier état, n’étant pas juste que pendant un engagement, le véritable proprietaire fût prive de pourvoir aux Offices, et quoy que l’acheteur fist les fruits siens, cela ne pouvoit s’entendre que des fruits qui naissent chaque jour, qui par consequent luy appartiennent comme échûs durant sa joüissance, mais il ne pouvoit vendre les Offices à son préjudice, non plus qu’un Eccle iastique ne peut faire de tort à son successeur. On répondit pour Mr le Prince de Guimené, que la Cour avoit déja préjugé que les Offices étoient in fructu, puis qu’elle avoit déja confirmé la nomination qu’il en avoit faite, l’acheteur à faculté de rachapt étant véritable proprietaire, et ar consequent il peut conferer irrevocablement les Offices qui sont à vendre ; par l’Arrest le pourvû par Mr le Prince de Guimené fut maintenu, plaidans Greard et de la Lande : Ainsi la pour jugea que l’Office êétoit in fructu, et que l’acheteur à faculté de rachapt, étant un veritable proprietaire, il avoit pû conferer l’Office ; Maître Charles Loyseau a été d’un sentiment contraire. Il estimoit que l’acheteur à faculté de rachapt, pouvoit conferer jusqu’au rachapr les Offices non venaux, mais qu’il ne les pouvoir conferer sous cause, qui empeschast le vendeur ou le successeur de les pouvoir retirer : Loyseau des Seig. l. 5. c. 2. n. 15. et c. 5. n. 34. Mais comme nous n’admettons pas les destitutions sans cause, on a jugé que l’Officier qui avoit été pourvû par celuy qui avoit un titre translatif de proprieté, ne pouvoit être dépossedé par le vendeur, l’acte étant pleinement consommé, et l’Office étant un fruit et un profit qui appartenoit irrevocablement à l’acheteur à faculté de rachapr.

Quoy que par la jurisprudence du Parlement de Paris, il soit permis au Seigneur de destiguer lOfficier qu’il a pourvù gratuitement, néanmoins on y fait cette justice aux Officiers, ue la seule énonciation de services employée dans les provisions accordées par le Seigneur, orment un empeschement legitime à la destitution, et qu’il n’est pas necessaire de rapporter s preuves de ces services. Car le Seigneur ayant une fois reconnu les services, c’est assez qu’il ait témoigné qu’il s’en sentoit obligé, et qu’il ait declaré qu’il vouloit les recompensers de pouvant plus aprés cet aveu venir contre son propre fait, ni demander des preuves d’une reconnoissance qu’il a faite luy-même : ce qui a été jugé au Parlement de Paris, en l’Audience de la Grand-Chambre, le 24 de Janvier 1651. contre le grand Prieur de France, qui avoit donné à un particulier les provisions de la charge de grand Voyeur du Temple, pour recompense de services à luy rendus et à ses predecesseurs, grands Prieurs, avec la clause or-dinaire, tant qu’il nous plaira ; ce grand Prieur avant baillé cette charge à un autre, il y eut pposition formée par le premier pourvû, qui soûtenoit qu’ayant été pourvû pour recompense de services, Il n’étoit point sujet à destitution, et quoy qu’il n’en rapportast d’autres preuves que l’énonciation portée par ses lettres, il fut maintenu-Autre Arrest semblable rapporté dans la seconde partie du Journal des Audiences, l. 5. c. 24.

La provision accordée par le Seigneur Laique ne luy lie pas seulement les mains, elle oblige aussi son heritier, et son successeur qui ne peut venir contre le fait de son auteur, lequel étant proprietaire de la chose et capable de l’aliener, le successeur ne peut alléguer qu’il ne pouvoit rien faire à son préjudice.

Ce qui n’a pas lieu seulement à l’égard de l’heritier universel, mais aussi du successeur à titre ingulier, comme celuy qui possede à titre de vente, échange, ou autrement, parce que c’est une espèce de charge reelle et fonciere, qui suit la chose en quelque main qu’elle passe, bien que l’acquereur n’en soit point chargé par clause expresse. C’est le raisonnement de Brodeau sur Mr Loüet, l. 0. n. 2. qui cite un Arrest du Parlement de Paris, qui l’a jugé de la sortes et neanmoins lors que ce même Auteur propose la question, si l’adjudicataire par decret pourroit destituer les Officiers anciens, qui ne se seroient point opposez, quand l’adjudication n’es point faite à cette condition-là, il conclut pour l’affirmative, parce que le decret purge tou es sortes d’hypotheques et droits reels et fonciers ; mais en Normandie, où par la Coûtume ts droits reels et fonciers ne se perdent point, à faute de s’être opposé en posant pour une maxime que le droit de l’Officier fuit la seigneurie, en quelque main qu’elle passe, comme étant un droit reel et foncier, il en faut conclure que ces droits n’étant point purgez par le decret, l’adjudicataire non plus qu’un successeur à titre singulier, n’a point le pouvoir de changer les anciens Officiers. bli le Seigneur Laïque, combien qu’il soit proprietaire incommutable, ne peut destituer l’Officier qu’il a pourvû purement et simplement, il n’y a pas d’apparence de donner cette liberté aux

Seigneurs commutables ; et sur ce principe il faut dire que le mary constant le mariage ne pourroit changer l’Officier pourvù par sa femme ; l’usufruitier, ni le gardien noble ne pourroient aussi revoquer ceux qu’ils avoient trouvez établis : il faut mettre en ce rang l’acquereur à faculté de rachapr. Tous ces Seigneurs commutables n’ayant pas plus de droit que les vrais proprietaires, que nous avons montré ne pouvoir destituer, soit que les provisions ayent été données gratuitement, ou à titre onereux, ils sont obligez de maintenir les choses en l’état qu’ils les ont trouvées.

En ôtant aux Seigneurs commutables le pouvoir de destituer, on demande si le droit de conferer les offices vacans pendant leur joüissance, peut leur appartenir sans que le successeur revoque leur collation : Maître Charles Loyseau propose cette question, et fait distinction entre les offices venaux, et non venaux, et il estime que pour les offices venaux, le successeur ne peut en revoquer la collation : mais pour les non venaux, que la doüairière, le gardien, l’usufruitiere, et tout autre usufruitier, l’acquereur du Domaine du Roy, et l’acquereur à faculté de rachapt, et enfin celuy qui est chargé de substitution et de toute autre restitution ne peuvent les conferer sous cause qui empesche le successeur de les revoquer. Loyseau des Seign. 5. c. 5. n. 11. 43. et suivans.

Comme nous n’admettons point les destitutions ad nutum, nous tenons indistinctement en Nonmandie que les offices sunt in fructu, et tournent au profit du Seigneur commutables comme tous les autres revenus d’une terre : Le droit de presentation à un benefice n’est par moins important qu’un office de Haute-Justice ; cependant les doüairieres presentent aux benefices vacans, lors que le Patronnage est compris dans le lot dont elles joüissent pour leur loüaire : il semble que le vendeur rentrant en la possession de la chose venduë, en vertu de la faculté de rachapr, l’acquereur soit tenu de remettre les choses en leur premier état, et toutesfois il a été jugé par l’Arrest donné contre le Comte de Flers, que l’acquereur avoit pû donner irrevocablement la collation d’un office qui avoit vaqué durant sa joüissance.

Cette matière de la destitution est beaucoup plus difficile à l’égard des Seigneurs Ecclesiastiques.

Nous tenons en Normandie indistinctement que l’Officier ne peut être destitué par le Beneficier qui luy a donné la collation, et que son successeur par resignation ou permutation est pareillement obligé d’entretenir ses faits ; le Commentateur de Mr Loüet l. 0. n. 2. ajoûte, que l’on a étendu cette décision contre des Chapitres, et autres communautez qui ne meurent point.

Mais c’est une question encore problematique en ce Parlement, si l’Officier pourvû par ur Beneficier, soit purement et simplement, ou pour recompense de services rendus à d’autres qu’à l’Evesché ou à l’Abbaye, peut être destitué sans cause par le successeur, car si les offices sont in fructu, et que comme d’un Patronnage, le Beneficier en puisse disposer irrevocable. ment, comme il a été jugé, que l’acquereur à faculté de rachapr le pouvoit faire, il s’ensuivra que la collation qu’il en aura donnée liera les mains à son successeur, de la même manière que la provision des benefices demeure en sa force aprés la mort ou resignation du collateurs au contraire le Beneficier ne peut faire préjudice à son successeur, ni étendre plus loin que le temps de sa possession, le successeur pourra revoquer ce qu’il a fait.

I semble qu’en ce Parlement on a fait différence entre les Offices appartenans aux Ecclesiatiques à cause de leurs Jurisdictions temporelles, et les Offices de leurs Justices Ecclesia-tiques. e Josias Berauit a cité un Arrest sur l’Article 190. par lequel Me Pierre Vauchel qui avoit été pourvû à la charge de Bailly de Jouy parl’Abbé de Jumieges , ayant été destitué par le sieur de Martinbosc, qui avoit été nouvellement pourvû de cette Abbaye, fut mainrenu au préjudice de celuy que le sieur de Martinbosc vouloit mettre en sa place.

La même question s’offrit encore en l’Audience de la Grand. Chambre le 24 de Juillet 1654. gentre Mre de Roncherolles, Abbé de Beaubec, et le Bailly de cette Abbaye ; et par l’Arrest fut dit, que l’Abbé n’avoit pû destituer l’ancien Bailly.

On peut dire encore que l’on a même autorisé une espèce de resignation ; Jamot, Bailly de S. Pierre sur Dive, ayant été condamné à se défaire de sa charge, il presenta Requête à la Cour, à ée qu’il luy fût permis de la resigner : Sur l’opposition du sieur Abbé de S. Pierre, amot disoit que le precedent Abbé l’avoit pourvû de son office, pour recompense de services, et que pour s’y maintenir il avoit donné au sieur Abbé, sa partie, une somme de 500 écus ; Heroüet pour Mre de Breauté demeuroit d’accord, que par l’Ordonnance de Roussillon on ne pouvoit revoquer les Officiers pourvûs pour recompense de services ; mais qu’il ne s’agissoit : pas d’une destitution, mais d’une resignation, que Jamot vouloit faire de son office, ce qu’il ne pouvoit faire, il offroit neanmoins de luy donner cent pistoles ; par Arrest donné en la Chambre de l’Edit le 27 de Novembre 1652. aprés la déclaration dudit sieur Abbé, il luy fut permis de pourvoir à cet office en payant à Jamot la somme de mille livres.

Enfin cette question fut encore solemnellement plaidée en l’Audience de la Grand-Chambre le 12 de Février 167s. Le sieur Barbe ayant été pourvù par Mr le Duc de Verneuil, de la charge de Seneschal de Fescamp, il lexerça plusieurs années, en suite dequoy ledit sieur Duc de Verneüil luy permist d’en tirer quelque composition, sur cette consideration que son ayeul, son pere, et son oncle, favoient exercée. Il en traita avec Mr le Vilain, sieur de Beaucamp, auquel Mr le Duc de Verneüil donna son agrément, et des provisions qui contenoient la clause de recompense de services. Il paroissoit neanmoins par des lettres qu’i en avoit payé trois mille livres aux gens de Mr le Duc de Verneüil : quelque temps aprés Mr le Duc de Verneüil s’étant marié, le Roy donna l’Abbaye de Fescamp au Roy de Polone, aprés la mort duquel cette même Abbaye fut donnée au fils du Duc de Neubourg, qui pourvut Fauconnet de la change de Seneschal de Fescamp, par l’entremise du sieur de Jar ville, qui en tira quelque gratification. Le sieur le Vilain s’opposa à sa reception, et appells en garantie le sieur Barbe, pour faire dire qu’en cas de destitution, il seroit déchargé de la rente qu’il luy faisoit pour la resignation de cette charge : Maurry pour le sieur le Vilain representoit que Mr le Duc de Verneüil étoit encore vivant et joüissant pour sa pension de l meilleure partie du revenu de cette Abbaye, on le devoit considerer comme en étant encore se véritable Abbé, et que par consequent suivant l’Ordonnance de Roussillon, ayant été poulvû pour recompense de services il ne pouvoit être destitué sans cause ; mais aprés touti cette Ordonnance n’avoit jamais été gardée en Normandie, et les Seigneurs Ecclesiastiques non plus que les Laiques ne pouvoient revoquer leurs Officiers ad nutum, quoy qu’ils n’eussent point été pourvûs à titre onereux, n’étant pas raisonnable de leur donner une liberté dont le Souverain même n’avoit pas jugé à propos de se prévaloir.

Sreard et de l’Epiney plaidans pour le Duc de Neubourg, et pour Fauconnet ; alléguoient les Arrests donnez en cas pareil, au Parlement de Paris. Ils s’aidoient de l’Arrest donné en ce Parlement contre l’Official de Domfront, et pretendoient encore que depuis peu Mr l’Archevesque de Roüen avoit fait juger la même chose contre son Official ; par Arrest du privé Conseil, je plaidois aussi pour Barbé qui se défendoit de la garantie, la cause fut appoinée au Conseil, et depuis les parties s’accommoderent, et le sieur le Vilain fut maintenu moyennant une somme qu’il donna au sieur de Janville. Ce qui rend la question plus problematique à l’égard des Ecclesiastiques, est que les Seigneurs Laiques étant proprietaires, ils peuvent aliener irrevocablement leurs offices et en disposer comme de leur propre bien, et par cette raison leurs successeurs sont obligez de tenir leurs faits et obligations, mais les Seigneurs Ecclesiastiques sont de simples usufruitiers, qui ne peuvent faire aucune disposstion qui blesse les droits de leurs successeurs, qui de leur côté ne sont aucunement tenus de leurs faits Quant aux Officiers des Justices Ecclesiastiques, il se trouve des Arrests à leur préjudices Mr l’Evesque du Mans ayant destitué l’Official de Domfront, qui avoit été établi par le precedent Evesque, cet ancien Official fit appeller en la Cour ce nouveau pourvu, et incidem-ment il appella comme d’abus d’une Ordonnance du Chapitre, lequel, sede vacante, avoit donné pouvoir au Vicegerent de faire les fonctions d’Official ; par Arrest donné en l’Audience de la Grand. Chambre le 22 de Juin 1649. la Cour sans avoir égard au Mandement, maintint le Vicegerent en la charge d’Official.

On admet plus aisément la destitution des Juges Ecclesiastiques, soit parce qu’on en doit moins souffrir la venalité, que des Offices des Jurisdictions seculieres, ou parce que les fonctions en étant plus importantes ; il est juste que l’Evesque en puisse disposer plus librement, et que d’aileurs l’Evesque peut tenir sa Jurisdiction luy-même. Mais le Haut-Justicier est necessairement obligé d’en commettre à un autre l’exercice de sa Justice, et c’est pourquoy les Offices de la Jurisdiction Ecclesiastique ne sont à proprement parler que des commissions, qui cessent et qui sont revoquées par la mort de l’Evesque Puisqu’il est permis à l’Evesque de destituer les Officiers de sa Justice Ecclesiastique, on demande si le Chapitre d’une Eglise Cathedrale sede Episcopali vacante, peut en instituer d’autres qui ne puissent être destituez par l’Evesque successeur, pour en mettre d’autres en leur place ; sur la première question l’on dit en faveur du Chapitre, que comme les Offices de la Jurisdiction.

Ecclesiastique ne se baillent que par Commission, laquelle cesse et est revoquée par la mort de Evesque. C. Si gratiose de rescript. in 6. veluti morte mandantis finitur mandatum l. si mandatum S. si adhuc C. mand. Ce qui a été aussi remarqué parJoannes Gallus , quest. 173. que morte Prelati cessat potestas Officialis et transit ad Capitulum ; quia in Capitulum sede vacante transeunt mnia, que sunt Jurisdictionis, C. his que et C. olim de major. et obed. aux Decr. et C. cum eo rodem in et D’où il s’ensuit que le Chapitre ayant le pouvoir d’instituer et de pourvoir ausdits Offices, Bpeut pareillement destituer.

Les Officiaux empeschent leur destitution par ces raisons, que les destitutions sont odieuses et infamantes. Le Chapitre, sede vacante, est veluti custos & curator bonis datus, conservare debet non destruere & immutare. C’est le sentiment deRebuffe , au titre requisita ad bonam collationem n. 21. Capitulum sede vacante poterit procuratorem in beneficiis spectantibus ad collationem Epis-ropi facere vel commendare, sed non poterit conferre, nisi collatio fuerit necessaria, ce qu’il confirme par le C. illa devotione sede vac. aux decretales qui portent, que nunquam invenitur cau-tum in jure quod Capitulum sade vacante vice Episcopi fungatur in collationibus prabendarum.

Pour concilier ces Canons, qui paroissent contraires, on fait distinction entre les actes de Jurisdiction volontaire, et les actes de Jurisdiction nécessaire ; le Chapitre où ses Vicaires peuvent exercer ces derniers irrevocablement, comme les collations des Benefices qui seroient perdus pour l’Evesque, et pour le Chapitre, si elles étoient differées ou negligées. Pour les actes de S Jurisdiction volontaire, le Chapitre peut commettre, sede vacante, mais le titre et la collation doivent être réservez futuro successori, autrement le Chapitre pourroit donner des Officiers à l’Evesque, qui ne luy seroient pas agreables. M René Chopin , de Sacra. pol. l. l. t. 6. approuve aussi cette distinction, que le Chapitre, sede vacante, a la Jurisdiction volontaire et spirituelle ; il peut poser des Vicaires et des Penitenciers, et pour la Jurisdiction contentieuse il peut commet. re, Panor. sur le C. cum olim de major. et obed. Capitulum est administrator necessarius, et non poluntarius, unde succedit in his que necessario, et non voluntariè sunt expedienda, et non succedit in his que competunt Episcopo jure speciali.

Le Commentateur deMr Loüet , l. 0. n. 2. rapporte trois Arrests du Parlement de Paris, par de quels il a été jugé que le Chapitre, sede vacante, ne peut destituer les anciens Officiers, si ce n’est qu’il en fût en bonne et valable possession, comme il a été jugé par d’autres Arrests remarquez par le même Auteur, et depuis encore par un Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre, le 13 de Mars 1651. au profit du Chapitre de Clermont, parce que ce Chapître étoit en une possession immemoriale de destituer les Officiers de l’Evesque, sede vacante.

Pour la seconde question, si le Chapitre peut pourvoir irrevocablement aux Offices qui vaquent, sede vacante, il est certain qu’il peut y commettre, pour exercer jusqu’à ce qu’il ait été ourvû à l’Evesché. Ces questions ont été décidées par Arrest donné en ce Parlement en l’Audience de la Grand-Chambre le 31 de Mars 1634. entre Me Gilles Denis, Promoteur en Officialité de Coûtance, à S. Lo, pourvû par l’Evesque de Coûtance, et confirmé par le Chapitre, sede vacante, et M’Germain, Official d’une part, et Me Jean de l’Ecluse, pourvû à l’Office de Promoteur, et M Jean Chevreuil, pourvù à celuy d’Official par Mre Leonon de Matignon, Evesque de Coûtance ; qui soûtenoit qu’il avoit pû pourvoir aux Offices qui étoient vacans, aprés la mort de l’Evesque, son predecesseur, et que ces Officiers-là avoient suffisamment reconnu son droit, lors qu’ils avoient pris des commissions du Chapitre, sede vacante, pour exercer leurs charges et que le Siege ayant été vacant depuis l’an 1626. asques en l’an 1633. ils avoient joui de leurs charges sur la commission du Chapitre, laquelle étant finie par la prise de possession et consecration de l’Evesque, pourvû par mort, il n’étoit point obligé de conserver ni de maintenir ce qui avoit été fait par son predécesseur. La Cour, sans avoir égard aux lettres de maintenue et requête pour être recû appelant comme d’abus d’une Sentence qui maintenoit par provision les nouveaux pourvûs, ordonna que ledit Che vreuil et de l’Ecluse pourvûs par Mre de Matignon joüiroient de leurs Offices.

C’est assez parlé de la destitution ; j’ay remarqué cu-dessus que la collation des Offices est n fructu, et que sur ce principe l’acquereur à faculté de rachapt avoit pû conferer irrevocablement l’Office ; suivant cette maxime il s’ensuivroit qu’aprés la saisie reelle de la Haute-Justice, a provision des Offices appartiendroit aux creanciers du decreté, puisque c’est un fruit ; il a éti neanmoins jugé que la saisie reelle ne dépossede point si absolument le decreté, que pendant la saisie il ne luy reste encore une possession civil, qui luy conserve le droit de pourvoir aux Offices et Benefices, et de recevoir les aveux de ses vassaux et d’en rendre au Seigneur dominant.

Cette question s’offrit en l’Audience de la Grand. Chambre le 2i de Juin 1640. durant le saisie reelle de la Baronnie d’Enneval, l’Office de Bailly ayant vaqué par mort, la Dame d’Enneval doüairière, mére du sieur d’Enneval, les Dames ses seurs ses presomptives heritieres, et le Curateur, par l’avis du conseil qu’on luy avoit donné, nommerent conjointement Me Guy.

Mondeau, Avocat au Parlement de Paris ; le sieur de Breauté et les autres creanciers du sieur l’Enneval s’opposerent à cette nomination, en consequence de la saisie reelle de cette terre, qui dessaisissoit le proprietaire et la mettoit en la main du Roy : de sorte que tous les fruits en apparte. voient aux créanciers, et que l’on ne doutoit point que la collation des Offices et des Benefices ne fût en fruit. Le pourvù à l’Office répondoit que la simple saisie ne dépossedoit point, qu’en tout cas il demeuroit proprietaire jusqu’à l’adjudication, que par les Ordonnances la venalité des Offices étoit défenduë, et nonobstant la corruption du siecle, beaucoup de Seigneurs les conferoient gratuitement ; le decret peut être annullé, le saisi peut acquitter ses dettes, et payer ses creanciers avant l’adjudication, et cependant il trouveroit un homme investi de sa charge par argent, qu’il ne pourroit destituer quoy qu’il luy fût desagreable ; Mr d’Argentré a crû que cela n’étoit point çailonnable, Art. 409. gl. 2. n. 3. Maître Charles Loyseau des Offices, l. 5. c. 2. dit que le sais non seulement demeure Seigneur, mais aussi possesseur de la chose saisie, au moins quant à la possession civil, laquelle neanmoins ne luy donne point la liberté d’aliener : c’est pourquoy le propriétaire peut prescrire, c’est luy qui peut faire lexercice actif et passif des droits feodaux, secevoir les vassaux à hommage, il fait justice, c’est à dire il confere les Offices et Benefices, et joüit des droits honorifiques de la Seigneurie. La distinction que l’on fait des fruits utiles, comme finstitution aux Offices et des fruits honorables, comme la nomination aux Benefices à leffet de laisser ées derniers au saisi, et donner les premiers aux créanciers ne sert de rien

Car un seigneur qui ne veut point vendre son Office, comme en cette occasion, ne tire aucun profit ni des uns ni des autres ; par l’Arrest qui fut rendu ledit jour, les créanciers furent depoutez de leur opposition, et ordonné que le pourvû seroit reçû, en jurant qu’il n’avoit point paillé d’argent. Ces dernieres paroles de l’Arrest donnent lieu de croire, que si le saisi avoit verendu l’Office, on auroit peut-être jugé autrement, néanmoins en ce cas il seroit équitable de maintenir le pourvû par le saisi, et ajuger le prix de la composition à ses créanciers Il est sans doute fort desavantageux de plaider contre un Seigneur en sa propre Justice ; Parum interest an judicet quis in suâ causâ, an à judice à se constituto ; il est fort injuste que quelqu’un soit Juge en sa propre cause, l. 17. ff. de judiciis, l. unicâ C. nequis in sua cau jud. Ce qui a fait dire agreablement àArtemidore , que si un plaideur songeoit qu’il étoit assis dans la chaire du Juge, ce seroit un. fort bon augure pour le jugement de son procez, parce que personne ne se condamne soy-même, MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGRECMOTGREC, MOTGREC MOTGREC ; MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC, MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC.

Par l’Article 30. de l’ancien Coûtumier de Bretagne, quand un seigneur veut pretendre un plus grand droit luy être dû par son sujet, que le sujet n’avoué, iceluy vassal peut decliner la Jurisdiction de son Seigneur et aller en la Jurisdiction souveraine. Nôtre Coûtume en l’Article 52. ne permet cela que pour les Bas-Justiciers, mais il n’en est pas de même pour les Hauts-Justiciers, parce qu’ils ne jugent pas eux-mêmes, et que d’ailleurs s’ils ne pouvoient plaider en leurs Hautes-Justices, la grace du Prince leur seroit inutile et préjudiciable. Loyseau des Seign. c. 10. n. 77. a estimé que le Seigneur ne devoit plaider en sa Haute-Justice, que pour les droits de son Domaine, et non pour les causes personnelles, et sur tout pour les criminelles. L’Ordonnance de l’an 1667. pour les recusations, Article 11. contient ces termes : N’entendons neanmoins exclure les Juges des Seigneurs, de connoître de tout ce qui concerne les Domaines, droits, et revenus ordinaires ou casuels, tant en fief que roture de saterre ; même des baux, sous-baux et joüissances, circonstances et dépendances, soit que l’affaire fut poursuivie sous le nom du Seigneur ou du Procureur Fiscal, et à l’égard des autres actions, où le Seigneur sera partie ou interesse, le Juge n’en pourra connoître.

La connoissance de tous crimes, que cet Article donne au Haut-Justicier, est une prerogative fort importante ; les Romains étoient bien plus jaloux de la puissance du glaive. Il est vray que le Haut-Justicier ne juge pas en dernier ressort, mais il instruit le procez sur lequel on doit juger, et l’information est l’ame du procez criminel. Cette façon de parler jus gladii, la puissance du glaive, procede de ce qu’à Rome, lors que les Empereurs Romains accordoient de pouvoir de condamner à mort aux Gouverneurs de Provinces, ou au Prefet du Pretoire, ils leur donnoient une épée, mais aux Tribuns qui n’avoient point ce pouvoir ils donnoient adversar un poignard, Turneb. adversar. l. 12. c. 6.

La Jurisdiction du Haut-Justicier est souvent traversée par le Juge Royal, qui ne manque jamais à faire valoir cette maxime, que le Juge Royal a la grande main. Ces contestations se forment ou pour le territoire et l’etenduë de la Haute-Justice, ou à cause de la qualité des personnes et des matieres.

Les contestations touchant le district sont plus de fait que de droit ; sur tout le Juge Royal a souvent disputé au Haut-Justicier la competence de tout ce qui se passoit dans les grands chemins, soit pour les crimes, ou pour la police, quoy qu’ils fussent dans les terres de la Haute-Justice ; la qualité de chemins royaux, qui leur est donnée ordinairement, a servy de pretexte à cette pretention : Mais ces chemins pour être royaux n’en sont pas plus au. Roy. que les autres chemins. Cette dénomination leur est donnée principalement, parce qu’ils sont plus grands, plus publics et plus frequentez que les autres : En effet les Romains qui n’avoient point de Rois, ne laissoient pas de les appeler vias regias, et les Grecs MOTGREC MOTGREC ;. et comme dit Loyseau des Seign. c. 9. nos anciens praticiens ont appellé chemins royaux, ceux ui tendent aux bonnes villes, les distinguans d’avec les autres qui conduisent de village en illage, que les Romains appelloient vias vicinales, nous les appellons chemins de traverse.

Et quoy que quelques Coûtumes attribuent au Prince la garde de ces grands chemins, ten dans de ville marchande à une autre ville, et des autres chemins, au Seigneur Haut-Justicier, neanmoins on ne peut pas dire qu’ils soient du Domaine du Roy ; au contraire ils sont hors du commerce, et la proprieté n’en appartient à aucune personne, mais l’usage en est à urs chacun ; et c’est par cette raison que par la concession de la Haute-Justice, la Seigneurie publique étant accordée, le Haut-Justicier peut connoître en tous les lieux de son térritoire, de toutes les choses dont la competence luy est attribuée : Aussi la competence de tout ce qui se passe dans les grands chemins luy a été conservée par plusieurs Arrests ; c’est aussi la jurisprudence du Parlement de Provence, Boniface l. 1. t. 4. n. 11. Et afin qu’on n’en doutast plus, on en a fait un Reglement, Art. 10 du Reglement de 1666. Un crime ayant été commis dans un chemin, qui soit borné des deux côtez de deux Hautes-Justices differentes, on demande auquel des deux Seigneurs la connoissance doit en appartenir : La plus commune opinion est que le chemin étant individu, la connoissance en doit demeurer au plus diligent.Bald . Ad l. si plures. 38. fuit Quastio.

C. de condit. incert. mais que les profits et les amendes se partageront également entre les deux

Seigneurs. Quam sententiamBaldi , veram certamque esse arbitror, dit Pontanus sur la Coûtume de Blois, t. 3. art. 17. etTronçon , art. 68. de la Coûtume de Paris. Par Arrest du Parlement de Paris rapporté dans le Journal du Palais du 12 de Juin 1672. la connoissance d’un crime fut attribuée au Roy, au préjudice du Haut-Justicier.

On peut former la même difficulté pour les rivieres, lors qu’elles coulent entre les confins des territoires de deux Hautes-Justices. Bartole a resolu, que chaque Seigneur a la Justice jusu’à la moitié de la riviere, du côté de son térritoire, quia omnia que sunt in confinio, sunt com-nunia illis, qui ab utraque parte possident. l. arbor. Communi divid. ff. l. adeb S. fin. de adquir. ci. domin. D.Bartol . tracta. de flumin. et Tyberia. 5. per alluinonem in verbo acquiritur. n. 1. 6. versu, item videndum est. C’est aussi le sentiment deM Boyer , Cons. 24. n. 14. et suiv. Si fluten est in confinio duorum territoriorum, prasumitur esse cujustibet usque ad medium fluminis. En France il faut mettre difference entre les rivieres navigables, et celles qui ne le sont pas ; les premieres appartiennent au Roy, et par consequent la Jurisdiction, quoy que les mouvances et les térritoires des Hauts Justiciers s’étendent jusques aux bords de la rivière ; et c’est pourquoy Guy Papé a écrit en sa question 477. que la Jurisdiction de tout ce qui se passe sur le Lone appartient entièrement au Roy, au préjudice du Pape et du Duc de Savoye, quoy que leur térritoire s’étende aux bords de ce fleuve. Ainsi l’on ne peut faire conséquence des grands chemins aux rivieres navigables, sur lesquelles le Haut-Justicier ne peut pretendre de Jurisdition, si elle ne luy a été particulièrement concedée par le Roy, quia sunt juris publici, Instit. l. 2. t. 1. 82. flumina ; mais pour les rivieres non navigables, l’opinion de Bartole et de Boctius eut être véritable Loysel en ses Institutes coûtumières, l. 2. Tit. 2. Art. 8. dit que les petites rivieres et les chemins sont aux Seigneurs des terres, et les ruisseaux aux particuliers tenanciers ; et par l’Arti-cle suivant, la Seigneurie des Seigneurs s’étend jusques aux bords des grandes rivieres, et des sujets tenanciers jusques aux petites ; c’est le droit general auquel on ne peut déroger s’il n’y a titre et possession contraire.

Le Haut-Justicier n’a pas la simple instruction du procez criminel, il peut condamner à mort, bannir et confisquer, comme je le prouveray sur l’Art. 143. Tous ces cas sont meri imperii. Mr le Bret soûtient que le droit de pouvoir confisquer n’a été accordé aux Hauts-Justiciers, que du temps de Hugue Capet, qui gratifia les Seigneurs de cette prerogative, pour se les rendre favorables : Mais j’ay montré cu-dessus, que le pouvoir des Hauts-Justiciers de cette Province ne peut être rapporté à Hugues Capet. Il est vray que les Empereurs Romains étoient plus jaloux de leur autorité, il n’y avoit que ceux qui jugeoint vice sacra, qui pûssent confisquer. Les Hauts.

Justiciers ne peuvent bannir que hors de leur térritoire, suivant un ancien Arrest de l’Echiquier, de l’an 1304. au terme deS. Michel , et arg. l. in agris limitatis. ff. de ac4. rer. dominio.

Pour les personnes, il est d’un usage certain, que le Haut-Justicier ne peut informer extraordinairement, ni faire le procez à un Ecclesiastique, ce qui a été jugé par plusieurs Arrests, et notamment par un Arrest donné en la Tournelle, du 30 d’Avril 1650. Ils ne connoissent point aussi des actions qui se passent dans les Eglises, soit qu’elles soient civil ou criminelles, ce qui n’appartient point aussi au Juge d’Eglise, hécque Spectat ad judicem secularem, isive regium, ac si esset commissum in loco prophano ; Imo etiam Clericum delinquentem intra Ecclesiam, non potest judes Ecclesiasticus in suâ Jurisdictione capere. Molin. de feud. 8. 51. gl. 2. n. 57. la connoissance en appartient au Juge Royal, nonobstant le c. cum Episcopus de offic. ordin. in 6. Il ne connoit point aussi des matieres beneficiales et decimales.

La connoissance des lettres de sceau leur a été souvent disputée, mais l’attribution leur en a été lonnée, ce qui a été ainsi jugé pour le Bailly de Longueville contre le Juge Royal d’Arques. Il êtoit question de lettres obtenuës par une femme aux fins de sa separation civil. Baudry pour Mr le Duc de Longueville soûtint, que la competence en appartenoit au Bailly de Longueville, puisque suivant cet Article, le Haut-Justicier connoit de tous cas hormis les royaux, que es lettres de separation étoient de simples lettres de Justice, qui étoient bien differentes des lettres de grace. Comme celles-cy dépendent absolument de la volonté et de la clemence du Prince ; elles appartiennent à ses Officiers ; mais pour les lettres de Justice, elles ne se prennent que pour la forme ; que le sceau n’est point attributif de Jurisdiction, autrement que les Hautes-Justices seroient aneanties, ne se trouvans guere de procez qui ne commencent par les lettres de sceau, des lettres de récision, de mariage encombré, de peremption d’instance, &c. 9 Par Arrest en la Grand-Chambre du 8 de Janvier 1649. du consentement de Mr le Procureur General, l’affaire fut renvoyée devant le Bailly de Longueville. Autre Arrest du 22 de Février 1657. contre le même Juge d’Arques. Cela avoit eté jugé pour le Bailly d’Aumale en l an 1583. Sur ce même principe on ne peut contester au Haut-Justicier la connoissance de lettres de benefice d’inventaire, lors que celuy de la succession duquel il s’agit étoit domicilié ur sa Haute-Justice, comme aussi de lettres de curatelle, quelques-uns neanmoins en font difficulté à cause que ces lettres doivent être lûes aux Assises, mais les Hauts-Justiciers ont aussi leurs Assises.

La police luy appartient aussi dans son térritoire ; Arrest du 20 d’Aoust 1603. pour Mr le Duc d’Elbeuf, pour sa Haute-Justice de l’Issebonne. Autre Arrest du 8 de Février 1658. par dequel il fut permis au Bailly de Tancarville, de recevoir trois maîtres de mêtiers, pour exerces dans l’etenduë de la Haute-Justice et non ailleurs. Autre Arrest du 23 d’Avril 1655. qui confirme la reception d’un Apothicaire faite par le Bailly d’lvetot, contre les Juges de Caudebecs Dans les fauxbourgs de Roüen, les Hauts-Justiciers ont des maitrises de mêtier ; et par un ncien Arrest du 11 d’Avril 1567. entre les Gardes Bouchers de Roüen, et Jacques Vetier Boucher au fauxbourg de S. Gervais, où l’Abbé de Fescamp a une Haute-Justice, il fut jugé que le Seneschal de Fescamp pouvoit établir des Maîtres et Gardes de tous mêtiers, même de ceux reservez, comme ceux de Bouchers, parce neanmoins que les Gardes de Roüen pourroient les approcher, s’ils trouvoient du vice en leurs marchandises ; étant accompagnez d’un Sergent Royal, et à condition que les approchemens se feroient devant le Seneschal, quand le Haut-Justicier pretend que le Juge Royal entreprend sur sa Jurisdiction, il ne doit as toutefois prononcer des défences, suivant qu’il a été jugé plusieurs fois ; Arrest du 26 de Juin 836. en la Grand-Chambre, entre le Vicomte de Roüen et le Seneschal de S. Gervais. Autre Arrest en la Chambre de l’Edit, du 9 de Juillet 1636. entre le Bailly de Dieppe et les Juges de l’Amirauté.

Cet Article excepte les cas Royaux de la competence du Haut-Justicier, quelque generale. que puisse être la concession de la Haute-Justice ; etiam cum hac clausulâ, omni jure quod habet nullo reservato, non veniunt tamen, nec transeunt regalia, quia sunt de juribus Corona, et illi annexa et inseparabilia, nec sunt in commercio ; sed etiam si possent concedi, non veniunt sub quibuscunque verbis, etiam generalibiss, sed demum, si expressè et generaliter concedantur,Molin . de feud. 8. 1. gl. 5. n. 55. et sequentibus.

Il n’en est pas de même touchant le pouvoir d’établir des Juges, quoy que le droit de créen des Magistrats soit un droit Royal, tamen eo iffo quod Jurisdictio transfertur, & conceditur, statim in necessariam consequentiam venit potestas constituendi Magistratus ad illius administrationem. Il est donc vray de dire, suivant le sentiment dedu Moulin , ib. n. 57. que Magistratuum constitutio in genere suo non est de regalibus. Et ce pouvoir neanmoins se reduit pour les Officiers necessaires, pour l’exercice de la Jurisdiction dans son établissement, car le Haut-Justicier n’auroit pas diberté d’en instituer de nouveau, comme je l’ay remarqué cy-devant, Loyseau des Seig. c. 14. fait différence entre les droits Royaux et les cas Royaux : les droits Royaux concernent la Seigneurie Souveraine du Prince, ce qui les rend inseparables de sa peronne. Les cas Royaux ont leur relation non à la Seigneurie, mais à la Justice, et on les omme ainsi par un racourcissement de paroles, au lieu de dire cas de Justice Royale. Cas Royal est quand le Roy y a interest, pour la conservation de ses droits et de son autorité, touchant les cas Royaux, voyez Chopin l. 2. Tit. 6. de Domanio.Bouteiller , en sa somme Rurale Etit. des droits Royaux, et Loyseau des Seig. c. 14.

C’est une grande question entre les Feudistes, si la teneure et la mouvance font toûjours une preuve et une consequence neceffaire pour la Jurisdiction, si tout ce qui est dans l’etenluë d’une Haute-Justice est de la competence du Haut-Justicier ou si un fief relevant d’un seigneur Haut-lusticier, quoy qu’il soit situé dans les enclaves d’une Iurisdiction Royale, sera neanmoins reputé sujet à la Iurisdiction du Haut-Justicier : Les Docteurs font différence entre ces trois choses, le fief, le térritoire, et la Iurisdiction.

Le fief peut être sans Iurisdiction, quia feudum nihil habet commune cum Jurisdictione. La Iuisdiction peut être sans térritoire ; car encore que la Iurisdiction soit ordinairement annexée au fief, non est essentialiter pars dominii ipfius, quia per se subsistit, et de se nihil habet commune cum dominio, sed semper heterogenea est.Molin . de feud. S. 68. n. 3.Boer . decis. 22.Ferrer . in not. ad decis. S18.Guid. Papae . On rapporte l’exemple de la Iurisdiction personnelle, que les Iuges d’Eglise ont sur les personnes des Ecclesiastiques, et des Prevosts des Mareschaux de France, ui ont pouvoir sur les vagabonds et sur les deserteurs, quoy qu’ils n’ayent point de territoire certain. Ainsi ditBoerius , ib. n. 8. Jurisdictione concesiâ, non censetur territorium cessum, sed è contra territorio universaliter & simpliciter cesso, videtur concessa omnis Jurisdictio.

Pour la décision des deux questions proposées, c’est une opinion commune que si le daut-lusticier n’a pas un territoire limité, le Roy qui a la grande main, fundatam habet intentionem, pour demander tout ce que le Haut-lusticier ne prouve point être de sa mouvance, quoy qu’il soit dans les enclaves de sa Haute-Iustice. Loyseau des Seign. c. 12. fait cette distinction, que le Haut-lusticier, qui par les lettres de la concession de sa Iustice, n’a Iurisdi-ction que sur ses vassaux, n’en peut pretendre que sur eux, n’ayant point droit de térritoire, ceux qui ne sont point ses vassaux ne sont point sujets à sa Iustice, encore qu’ils soient mé lez dans les enclaves d’icelle : Mais si le Haut-lusticier avoit un territoire universel, la presomption seroit en sa faveur Pour la seconde question, la mouvance et la teneure feodale emportent regulierement la Iurisdiction, lors que suivant la distinction dedu Moulin , de feud. 6. 1. gl. 5. n. 61. la Jurisdiction est lunie et attachée au fief, et eodem jure et titulo tenentur simul, tanquam una res ; autrement, suivant le sentiment de plusieurs Auteurs rapporté pardu Moulin , ibid. Castrum ab alio recognoscens non videtur recognoscere Jurisdictionem & territorium ; Et c’est en ce cas qu’on peut dire que feudum et Jurisdictio nihil habent commune, et possunt à feudo separari.

Mais la Jurisdiction se peut prescrire par un autre Juge. On peut prescrire le droit de Jurisdiction par le même temps que l’on pourroit prescrire le térritoire ; Comme celuy qui acquiert un onds par la voye de la prescription, acquiert aussi en même temps tout ce qui est baty ou planté sur ce même fonds : Aussi celuy qui devient maître du térritoire par la prescription, le devient aussi de la Jurisdiction. Ce n’est pas que pour prescrire la Jurisdiction, il soit aussi necessaire de rescrire le térritoire ; car la Jurisdiction pouvant être separée du térritoire, suivant le sentiment deBartole , in l. 1. ff. de Jurisd. omn. Jud. Mol. de feud. S. 1. gl. 5. art. 44. Jurisdictio potest esse sine erritorio, et territorium sine jurisdictione, elle peut bien être prescrite sans prescrire le terrivoire. Il est vray que celuy qui prescrit le territoire, prescrit aussi la Jurisdiction, quand elle y est annexée, et c’est pourquoy on voit souvent dans un Bailliage, des terres mouvantes d’un fief é itué dans un autre Bailliage, qui ne suivent point neanmoins la Jurisdiction du fief dominant, quand l’usage et la possession sont contraires.

Cette difficulté s’offrit en l’Audience de la Grand. Chambre, le 24 d’Avril 1674. Bougler avoit fait saisir reellement les biens de Mr le President d’Etalleville, dont une portion êtoit située dans le Bailliage de Roüen, une autre partie dans le Bailliage de Caux, dans les enclaves de la Vicomté de Caudebec, et l’autre dans la Vicomté de Cany : La connoissance du decret étoit lemandée par les Juges de Caudebec, et par ceux de Cany ; et comme c’est un usage en Nornandie, que le decret doit être fait en la Jurisdiction du lieu, où la plus grande partie des héritages saisis est située ; le Juge de Caudebec pour en obtenir le renvoy dans son siege, alléguoit que la terre d’Etalleville relevoit du fief du Val Infray, qui êtoit mouvant du Comté de l’Ilebonne, et que cette Haute-Justice étoit dans les enclaves de la Vicomté de Caudebec, et que comme le decret ne pouvoit être fait dans cette Haute-Justice, parce qu’il y avoit des terres dans le district de la Jurisdiction Royale, la connoissance luy en appartenoit. Les Juges de Cany justifioient, que de temps immemorial, tous les habitans d’Etalleville avoient plaidé en leur Jurisdiction, et qu’en consequence de cette possession, sargument de la mouvance feodale n’étoit point valable. Dans rétenduë de la Jurisdiction de Longueville il y avoit des fiefs relevans du Roy, dont les vassaux néanmoins plaidoient en la Jurisdiction de Longueville. Par Arrest en la Grand-Chambre, 1 la connoissance du decret fut attribuée aux Juges de Cany, plaidans de Freville, Théroude, et moy. Jurisdictionum jura maximè ad possessionem modumque utendi referre oportet, & ideo Jurisconsulti in l. more majorum, et l. solet prator, verbo moris & consuetudinis utuntur,Mornac . Ad l. more majorum de Jurisd. Du Moulin de feud. 5. 1. gl. 5. n. 45. traite la question ; an cum alienatione feudi transeat Jurisdictio cum universitate ; Et il répond que quand la Jurisdiction est unie et attachée au fief, la Ju-risdiction est reputée comprise dans la vente du fief, secus de pradiis particularibus castri, etian adjecta clausula universali cum omni jure, quia per eorum venditionem nulla transfertur Jurisdictio.

Les Officiers des Hautes-Justices sont precedez par les Juges Royaux ordinaires, même par reux de l’Amirauté ; Mais il a été jugé pour les Officiers de la Haute-Justice de Fécamp, qu’ils auroient la presseance, sur les Officiers du Grenier à Sel. Loyseau a aussi remarqué, l. 5. c. 7 n. 37. qu’ils ont la presseance sur les Officiers Royaux des Elections.

Nous tenons aussi cette maxime en Normandie, que par la negligence du Haut. Justicier, son roit n’est pas devolu au Juge Royal ; Secus, ditdu Moulin , 5. 2. de feud. gl. 3. n. 11. et 12. ina Jurisdictione illius qui est judex tantùm de jure speciali, quia non censetur habere Jurisdictionem, nisi in quantum est vigil, et hoc casu non propriè fit devolutio, seu transtatio porestatis de uno ad alium, feu potius recuperatio, sed reversio ad pristinum statum.

Les Receveurs des Consignations ne peuvent étendre leurs fonctions dans les Hautes. Iustices, car le Roy leur ayant concedé toute Iustice, il ne peut plus établir d’Officiers dans leur térritoire, et par la même raison, des Receveurs de Conlignations. La même chose s’observe au Parlement de Paris, suivant un Arrest donné en l’Audience de la Grand. Chambre le 29 de Novem pre 1650. pour M. l’Evesque de Laon, contre le Receveur des Cousignations du Bailliage de Laon.

Il faut encore observer que ni le Haut-lusticier, ni même le Iuge Royal, ne peut pronon cer en ces termes, sans pour cela encourir aucune note d’infamie, suivant un Arrest ancien du 3 de Iuillet 1559 et que cela n’appartient qu’aux Parlements.