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LXII.

Privilege du défendeur en Loy apparente, qui joüit jusques en fin de cause.

Durant la suite de Loy apparoissant, le défendeur demeure saisi, sauf la question des fruits si en fin de cause il déchet.

La Loy apparente n’a pas le même effet que le bref de nouvelle dessaisine, quand les parsies pretendent chacune de leur part la possession, on établit un sequestre ; mais en l’action pour la proprieté la Loy apparente ne dépossede point, et le défendeur demeure saisi. Et un Juge d’Argentan ayant jugé contre la disposition de cet Article sur l’appel de la Sentence, elle fut cassée, je plaidois pour l’appelant. Il est vray que si le défendeur perd sa cause, il est tenu de restituer les fruits

Pour la restitution des fruits le droit Romain a fait différence entre le possesseur de mauaise foy, et le possesseur de bonne foy.

Ce possesseur de mauvaise foy ne rendoit pas seulement les fruits qu’il avoit perçûs, on le condamnoit même à tenir compte de ceux qu’il avoit dû percevoir, quoy qu’il n’en eût pas profité par sa faute, et on pratiquoit avec justice cette rigueur contr’eux, afin que les hommes ne se portassent point à usurper les biens d’autruy dans l’esperance de profiter, et de retenir les fruits qu’ils avoient perçûs ; ne furtis, latrociniis, populationibus passim ferverent omnia.

C’est donc avec justice que ces usurpateurs sont condamnez d’indemniser en toutes manieres le veritable Seigneur de la chose : on reputoit pour possesseur de mauvaise foy non seulement celuy qui s’étoit mis en possession par force, sed omnem omnino qui prudens et sciens rem alienam letinebat, etiam pro emptore, pro donato, pro herede, et ce pretendu tître ne le déchargeoit point de la restitution des fruits.

Celuy qui dans une juste ignorance et dans la bonne foy possedoit le bien d’autruy êtoit traité plus favorablement, il retenoit à son profit tous les fruits qu’il avoit perçûs et consommez : Bonae fidei emptor non dubiè percipiendo fructus, etiam ex aliena re perceptos suos facit, non tantùm eos qui diligentia et opera ejus pervenerunt, sed omnes ; quia quod ad fructus attinet, loco Domini ene est. l. bonae fidei D. de adquir. rer. Mais depuis la contestation en cause, la bonne foy luy manquant, alors il est tenu à la restitution de tous les fruits. Nôtre Coûtume ne fait point cette distinction : le défendeur en lettres de Loy apparente ne doit la restitution des fruits que du our de l’action ; et aujourd’huy les possesseurs de bonne foy et de mauvaise foy sont de pareille condition quant à la restitution des fruits, hors le cas d’une possession usurpée par force, ou que la possession fût fondée sur un contrat nul et frauduleux, lequel seroit annullé ; quia ubi bona fides esse non potest, ibi doli & fraudis probatio improbitatem detegit contrabentis ; Mr d’Argentré , Article 48. de la Coûtume de Bretagne.

Poincheval qui avoit épousé une fille nommée Joüenne, et à laquelle on avoit donné vingt livres de rente pour sa dot, poursuivit les acquereurs des biens de son pere pour luy payer vingt années d’arrerages : les acquereurs répondirent qu’il n’avoit point d’action personnelle contr’eux, et qu’en abandonnant leurs acquests ils n’étoient tenus à la restitution des fruits que du jour de son action ; par une premiere Sentence le Bacheley, sieur du Breüil, et le sieur du Fayel, furent condamnez au danger de leurs acquests ; mais Poincheval les ayant fait executer en sieurs biens, sur leur opposition ils furent condamnez à rapporter les fruits depuis le jour de leurs contrats : sur leur appel je remontray que l’intimé n’avoit point d’action personnelle contr’eux, et que par consequent ils n’êtoient obligez à aucune restitution de fruits, car le possesseur de bonne foy fait les fruits siens, suivant la l. Bonae fidei poss. Et les Docteurs conviennent pour la conciliation de quelques loix, qui paroissent contraires sur cette matière, que le possesseur de bonne foy gagne même les fruits naturels, quand outre la bonne foy il a encore un juste titre, comme il est expressément décidé au §. si quis à non Domino Inst. de rerum diu. qui est la veritable conciliation de la l. bona fides de acq. rer. dom. avec la l. fructus de usuris.

Suivant laquelle fructus naturales non sunt cujustibet possessoris, comme si elle vouloit dire que les fruits n’appartiennent pas à tous possesseurs, mais à ceux seulement qui outre la bonne foy sont Loyseau fondez en un juste titre. Loyseau du Déguerp. l. 5. c. 16. n. 17. Les appelans êtoient en ces termes ayant acquis du véritable Seigneur et proprietaire de la chose : et quand la dot de la soeur seroit reputée une charge fonciere, l’on n’en pourroit tirer aucune consequence contr’eux : Car si le véritable proprietaire d’un fonds agissoit par lettres de Loy apparente, il ne pourroit pas reperer les fruits perçûs avant son action, que s’il ne pouvoit pas les repeter contre le possesseur de bonne foy, durant le temps qu’il luy en a laissé la joüissance, à plus forte raison celuy qui n’a qu’un simple droit foncier, ne peut pas obliger à la restitution des fruits celuy qui a acquis du véritable Seigneur de la chose ; d’ailleurs la rente dûë par la dot de la fille n’êtoit pas absolument fonciere, elle avoit bien de l’aptitude à le devenir, elle avoit même cette prerogative que la soeur pour être payée n’est pas tenuë de decreter, et neanmoins avant qu’elle devienne entièrement fonciere, deux choses sont requises, à sçavoir qu’elle ne change point de main dans les quarante ans, et que ces quarante ans soient comptez depuis sa creation. Theroude pour l’intaemé répondoit que cette rente luy étant dûë loco legitimae et pour ses alimens, le fond lequel y êtoit sujet n’avoit pû être aliené à son préjudice ; par Arrest en l’Audience de la Grand. Chambre, du 29 de Janvier 1664. les Sentences furent cassées, et les acquereurs condamnez seulement à rapporter les fruits du jour de Faction. Pareil Arrest, où je plaiday pour Behote acquereur contre le sieur Février.

Voyez la conference des Coûtumes t. 22. de Loy apparente.