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DE LOY APPAROISSANTE

ANS le Tître precedent la Coûtume a introduit une voye pour rerenir ou pour recouvrer sa possession nouvellement perduë ; en ce Titre elle donne une action au proprietaire pour recouvrer la possession de son héritage qu’il avoit perduë depuis quarante ans.

Ce que nôtre Coûtume appelle Loy apparoissante, est la même chose que Lex apparibilis, ou paribilis, dont les Auteurs font mention lors qu’ils traitent du Duel. Car il faut remarquer que les anciens Gaulois, et presque tous les reuples du Septentrion, ne décidoient pas leurs querelles et leurs procez par l’autorité de la loy ou de la raison, mais par des combats, et celuy qui demeuroit le vainqueur êtoit reputé voir le meilleur droit ; c’est pourquoy on appelloit cette maniere de vuider un procez Loy apparoissante, Legem apparibilem, quasi apparentem, dautant que par l’évenement et l’issuë du duel, l’mnocence ou le crime demeuroient connus, elles faisoient la justification du victorieux.

Cette Coûtume barbare a duré fort long temps.Tite-Live , lib. 5. parlant des Gaulois, in prmis jus ferè et omnia virorum fortium sunt. Saxo Grammaticus, a écrit que Froto, Roy de Dannemarx, donnoit toûjours gain de cause au plus fort, n’estimant pas que celuy qui se laissoit battre fût digne de posseder quelque chose. Nos Conquerans apporterent avec eux cette Coûtume, et ils l’établirent aussi en Angleterre. Nôtre ancienne Coûtume, au Tit. de suite de Meurdre, nous décrit la forme du duel qui se faisoit avec beaucoup de solemnitez ; aprés theure de midy passée, les champions venoient tous appareillez en leurs Cuirées, ou en leurs Côtes, nvec leurs coûteaux et leurs bâtons cornus, armez de draps de cuir, de laine, et d’étoupes, si comme mêtier sera ; és écus, ni és bâtons, ni és armures des jambes ne doit avoir fort feust et cuir, ou ce qui est devant dit. et ne peuvent avoir autre instrûment à grever l’un l’autre fors écu et le bâton, et doivent avoir leurs cheveux coupez jusqu’aux oreilles. Mais le Glossateur estime que ce texte ne s’entend que pour, les armures des roturiers ; car pour les Nobles, ils devoient avoir tels harnois, comme ils avoient en la guerre au Duc pour desservir leurs fiefs.

On tacha d’abolir peu à peu l’usage du duel ; il fut permis tant au demandeur qu’au défendeur, de vuider leur different ou en l’Assise ou par le Duel. Glanville l. 2. en son Recueil des Loix et Coûtumes d’Angleterre, rapporte la forme de proceder en l’un et l’autre cas, sur l’action en clameur d’héritage, pour en reprendre ou conserver la proprieté. Les Anglois et les Ecossois ont retenu nôtre forme d’agir, et même nos termes ; ils appellent leur Bref de Loy apparente, clameur d’héritages. On en trouve la formule dansGlanville , liv. 2. c. 2. et 5. Skenaeus et dans Sxenaeus ad leg. Reg. majest. Tit. quoniam attachiamenta, c. 57. art. 7. formam clamei sive petitionis terrae.

Parmy les anciens Romains l’action se formoit en cette maniere : in lite vindiciarum ex duobus litigantibus, alter alterum ad conserendum manu in re, de quâ lu esset vocabat, atque simul in agrum profecti aliquid ex eo in jus ad Praetorem deferebant, ut in duabus glebis tanquam in toto agro vindicarent.Ald. Manut . in l. de Orat.Cic . in principio. Ciceron en l’Oraison pro Murena, se raille agreablement des Jurisconsultes et de leurs manieres de proceder en cette action ; et autrefois parmy nous, pour obtenir un Bref de Loy apparente, on y apportoit beaucoup de façon : le demandeur êtoit tenu de jurer que l’héritage luy appartenoit, et il ȇtoit obligé d’amener un témoin pour attester qu’il avoit vû le demandeur ou ses predecesseurs joüir de l’héritage depuis quarante ans ; ce qui apparemment êtoit imité des. Romains, C. de assertione tollendas mais aujourd’huy il suffit d’obtenir des lettres en la Chancellerie.


LX.

Mandement de Loy apparente, par qui, et en quel temps peut être obtenu.

Chacun est reçû dans les quarante ans à demander par action de Loy apparoissante être déclaré proprietaire d’heritage qui fuy appartient, ou qui a ap-partenu à ses predécesseurs ou autres desquels il a le droit, et dont il et ses predécesseurs ont perdu la possession depuis lesdits quarante ans.

En cet Article la Coûtume dispose comment on peut former cette action, celuy qui depuis quarante ans a perdu la possession de quelque héritage, peut agir par Loy apparente pour être déclaré propriétaire. Afin donc que cette action soit legitime, le demandeur doit être proprietaire, le défendeur possesseur, et la chose contentieuse doit être designée certainement par ses bornes et par sa situation.

Si le demandeur s’étoit trompé, et qu’ȇtant en bonne possessiom de la chose il eût agi par ignorance pour la proprieté, on demande si ȇtant mieux conseillé il pourroit reprendre la voye possessoire ? La raison de douter est que le demandeur en Loy apparente a reconnu le demandeur pour possesseur, et la fin de son action êtoit la restitution de la proprieté qu’on luy avoit usurpée, et par sa nouvelle action il conclud à la conservation de la possession : Sic pugnantia postulare : videtur, qui rem sibi restitui et eandem sibi seruari postulat. Le Jurisconsulte Ulpian décide cette question en la l. naturaliter. §. 1. de adquir. poss. nihil habet commune proprietas cum possessione ; et ideo non denegatur ei interdictum, uti possidetis, qui coepit rem vindicare. Ce sont deux actions distinctes ; et celuy-là n’est pas reputé avoir renoncé à la possession qui a demandé la proprieté ; Hotoman en ses Questions Illustres q. 3. Au procez qui fut jugé au Rapport de Mr Romé, le 30 d’Avril 1618. entre Baudri et Langlois, et où il étoit question d’une clameur de Loy apparente, pour un pied et demy de terre, que l’on pretendoit avoir ȇté usurpé en bâtissant une maison ; l’entreprise êtoit constante par le Procez verbal de la vûë du lieu ; la difficulté fut, si en prononçant à bonne cause la Loy apparente, on ordonneroit la démolition de la muraille, ou si on la feroit commune ; ou si on estimeroit le fonds qu’on avoit usurpé ? Pour la démolition, on disoit que pour avoir usurpé le fonds de son voisin on n’y avoit acquis aucun droit, et que l’usurpation du fonds étant connuë, il étoit tenu de démolir ; qu’aucun ne peut être forcé à vendre ou à céder son héritage, que son interest ne peut être assez estimé, dautant qu’il luy est important d’avoir un pied et demy de place pour son batiment ; qu’on ne pouvoit argumenter de l’action de rigno juncto ; que suivant la l. 1. de tigno juncto. ff. on n’ȇtoit pas reçû à revendiquer les matereaux, encore bien qu’on les eût dérobez pour les mettre à un batiment, et le proprietaire étant seulement obligé de payer l’estimation ; mais il y avoit de la difference : en l’action de rigno juncto, on n’a pas trouvé juste de démolir un grand batiment pour, une piece de bois ; en cette action il s’agissoit d’un fonds ; et en matière d’interdit on oblige à démolir.

On répondoit qu’il ne paroissoit point de mauvaise foy de la pars de celuy qui avoit bâti, il possedoit depuis vingt ans, et quand dans la rigueur du droit étroit il seroit tenu d’abattre, dans l’équité qu’on devoit plûtost suivre, on ne pouvoit le condamner qu’à l’estimation et aux interests du demandeur, plûtost que de démolir un grand édifice : c’étoit la veritable espece de l’action de tigno juncto, qui n’étoit fondée que sur cette équité, ne diruantur aedificia en l’action fin. reg. permittitur judici, ut ubi non poterit fines dirimere, adjudicatione fines dirimat. l. 2. et 3. ff. fin. reg.Ulpian , in frag. t. 19. il fut jugé de la sorte.

Par Arrest aux Enquêtes du 2 de Mars 1645. au Rapport de Mr de Vigneral, Nicolas Nalo fut debouté des lettres de Loy apparente qu’il avoit obtenuës, pour entrer en possession de sept acres de terre, qu’il avoit acquises de Lusse, par contrat du 7 d’Octobre 1607. sous signature privée, reconnu le même jour, parce qu’il n’avoit intenté son action qu’aprés trente ans, et qu’il ne justifioit point qu’en vertu de son contrat il eût pris possession ; suivant cet Arrest il ne suffit pas d’avoir un contrat, il faut qu’il ait été executé, et que l’acquereur ait pris possession, comme nos contrats sont translatifs de proprieté, et que la tradition actuelle n’est plus requise Il semble que s’agissant d’un droit réel, le tître ne pouvoit en être prescrit que par quarante ans.


LXI.

Competence du Mandement de Loy apparentê.

La connoissance de Loy apparoissant appartient au Bailly Royal et Haut-Justicier.

Cet Article attribué au Haut-Justicier, comme au Bailly Royal, la connoissance des lettres de Loy apparente. Ce qui montre que les Juges Royaux ne sont pas bien fondez à pretendre privativement aux Hauts-Justiciers la connoissance de toutes les lettres de la Chancellerie


LXII.

Privilege du défendeur en Loy apparente, qui joüit jusques en fin de cause.

Durant la suite de Loy apparoissant, le défendeur demeure saisi, sauf la question des fruits si en fin de cause il déchet.

La Loy apparente n’a pas le même effet que le bref de nouvelle dessaisine, quand les parsies pretendent chacune de leur part la possession, on établit un sequestre ; mais en l’action pour la proprieté la Loy apparente ne dépossede point, et le défendeur demeure saisi. Et un Juge d’Argentan ayant jugé contre la disposition de cet Article sur l’appel de la Sentence, elle fut cassée, je plaidois pour l’appelant. Il est vray que si le défendeur perd sa cause, il est tenu de restituer les fruits

Pour la restitution des fruits le droit Romain a fait différence entre le possesseur de mauaise foy, et le possesseur de bonne foy.

Ce possesseur de mauvaise foy ne rendoit pas seulement les fruits qu’il avoit perçûs, on le condamnoit même à tenir compte de ceux qu’il avoit dû percevoir, quoy qu’il n’en eût pas profité par sa faute, et on pratiquoit avec justice cette rigueur contr’eux, afin que les hommes ne se portassent point à usurper les biens d’autruy dans l’esperance de profiter, et de retenir les fruits qu’ils avoient perçûs ; ne furtis, latrociniis, populationibus passim ferverent omnia.

C’est donc avec justice que ces usurpateurs sont condamnez d’indemniser en toutes manieres le veritable Seigneur de la chose : on reputoit pour possesseur de mauvaise foy non seulement celuy qui s’étoit mis en possession par force, sed omnem omnino qui prudens et sciens rem alienam letinebat, etiam pro emptore, pro donato, pro herede, et ce pretendu tître ne le déchargeoit point de la restitution des fruits.

Celuy qui dans une juste ignorance et dans la bonne foy possedoit le bien d’autruy êtoit traité plus favorablement, il retenoit à son profit tous les fruits qu’il avoit perçûs et consommez : Bonae fidei emptor non dubiè percipiendo fructus, etiam ex aliena re perceptos suos facit, non tantùm eos qui diligentia et opera ejus pervenerunt, sed omnes ; quia quod ad fructus attinet, loco Domini ene est. l. bonae fidei D. de adquir. rer. Mais depuis la contestation en cause, la bonne foy luy manquant, alors il est tenu à la restitution de tous les fruits. Nôtre Coûtume ne fait point cette distinction : le défendeur en lettres de Loy apparente ne doit la restitution des fruits que du our de l’action ; et aujourd’huy les possesseurs de bonne foy et de mauvaise foy sont de pareille condition quant à la restitution des fruits, hors le cas d’une possession usurpée par force, ou que la possession fût fondée sur un contrat nul et frauduleux, lequel seroit annullé ; quia ubi bona fides esse non potest, ibi doli & fraudis probatio improbitatem detegit contrabentis ; Mr d’Argentré , Article 48. de la Coûtume de Bretagne.

Poincheval qui avoit épousé une fille nommée Joüenne, et à laquelle on avoit donné vingt livres de rente pour sa dot, poursuivit les acquereurs des biens de son pere pour luy payer vingt années d’arrerages : les acquereurs répondirent qu’il n’avoit point d’action personnelle contr’eux, et qu’en abandonnant leurs acquests ils n’étoient tenus à la restitution des fruits que du jour de son action ; par une premiere Sentence le Bacheley, sieur du Breüil, et le sieur du Fayel, furent condamnez au danger de leurs acquests ; mais Poincheval les ayant fait executer en sieurs biens, sur leur opposition ils furent condamnez à rapporter les fruits depuis le jour de leurs contrats : sur leur appel je remontray que l’intimé n’avoit point d’action personnelle contr’eux, et que par consequent ils n’êtoient obligez à aucune restitution de fruits, car le possesseur de bonne foy fait les fruits siens, suivant la l. Bonae fidei poss. Et les Docteurs conviennent pour la conciliation de quelques loix, qui paroissent contraires sur cette matière, que le possesseur de bonne foy gagne même les fruits naturels, quand outre la bonne foy il a encore un juste titre, comme il est expressément décidé au §. si quis à non Domino Inst. de rerum diu. qui est la veritable conciliation de la l. bona fides de acq. rer. dom. avec la l. fructus de usuris.

Suivant laquelle fructus naturales non sunt cujustibet possessoris, comme si elle vouloit dire que les fruits n’appartiennent pas à tous possesseurs, mais à ceux seulement qui outre la bonne foy sont Loyseau fondez en un juste titre. Loyseau du Déguerp. l. 5. c. 16. n. 17. Les appelans êtoient en ces termes ayant acquis du véritable Seigneur et proprietaire de la chose : et quand la dot de la soeur seroit reputée une charge fonciere, l’on n’en pourroit tirer aucune consequence contr’eux : Car si le véritable proprietaire d’un fonds agissoit par lettres de Loy apparente, il ne pourroit pas reperer les fruits perçûs avant son action, que s’il ne pouvoit pas les repeter contre le possesseur de bonne foy, durant le temps qu’il luy en a laissé la joüissance, à plus forte raison celuy qui n’a qu’un simple droit foncier, ne peut pas obliger à la restitution des fruits celuy qui a acquis du véritable Seigneur de la chose ; d’ailleurs la rente dûë par la dot de la fille n’êtoit pas absolument fonciere, elle avoit bien de l’aptitude à le devenir, elle avoit même cette prerogative que la soeur pour être payée n’est pas tenuë de decreter, et neanmoins avant qu’elle devienne entièrement fonciere, deux choses sont requises, à sçavoir qu’elle ne change point de main dans les quarante ans, et que ces quarante ans soient comptez depuis sa creation. Theroude pour l’intaemé répondoit que cette rente luy étant dûë loco legitimae et pour ses alimens, le fond lequel y êtoit sujet n’avoit pû être aliené à son préjudice ; par Arrest en l’Audience de la Grand. Chambre, du 29 de Janvier 1664. les Sentences furent cassées, et les acquereurs condamnez seulement à rapporter les fruits du jour de Faction. Pareil Arrest, où je plaiday pour Behote acquereur contre le sieur Février.

Voyez la conference des Coûtumes t. 22. de Loy apparente.