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LXVII.

Cas ausquels le Seigneur peut saisir toutes bestes sur son fief.

Le Seigneur peut saisir pour sa rente les bestes paturantes sur son fonds, encore qu’elles n’appartiennent à son vassal, ains à ceux qui tiennent l’heritage à loüage, ou qui ont alloüé lesdites bestes.

Quand la Coûtume permet au Seigneur de saisir pour sa rente les bestes paturantes sur son fief, cela s’entend pour sa rente Seigneuriale, ou pour ses droits feodaux, et non point pour des rentes constituées, pro debitis tantùm feudalibus et fundiariis, sed in reditu pecuniâ constituto nullum retinetur dominium, nec aliud prater hpothecam conventionalem. D’Argentré , Article 250. gl. 1. n. 4.

Quoy que la Coûtume donne une permission generale au Seigneur de saisir pour sa rente les bestes pâturantes sur son fonds, on n’a pas laissé de mettre en question, s’il pouvoit indistinctement saisir toutes les bestes qu’il trouvoit sur son fonds, soit qu’elles appartinssent à ses vassaux, ou à d’autres personnes ; Godefroy dit qu’il a souvent vû naître ces difficultez. Premierement, sur les oppositions des adjudicataires des biens des mineurs, qui soûtenoient qu’étant marchands de bonne foy, leurs biens n’êtoient point obligez à la rente du Seigneur ; en second lieu, par les particuliers dont les biens êtoient trouvez sur les héritages affectez à la rente Seigneuriale, qui soûtenoient qu’ils ne devoient que le dommage, ou la nourriture de leurs bestiaux ; en troisième lieu, sur l’opposition des fermiers, qui pretendoient que le Seigneur pouvoit seulement user de saisie sur leurs fermages ; sur quoy cet Auteur aprés avoir attesté que l’on ugeoit ordinairement en faveur des opposans, il ajoûte que son opinion est qu’à légard des adjudicataires des biens des mineurs, les biens des adjudicataires ne doivent point être vendus pour les arrérages échûs avant l’adjudication ; ce qui doit aussi être observé pour les bestiaux qui par faute d’être gardez ont entré dans quelque héritage, et que le proprietaire. en doit être quitte pour le dommage : pour les fermiers, qu’ils ne peuvent pas se dispenser du payement des arrerages, ayant fait leur profit des fruits ; et enfin cet Auteur n’estime pas que le creancier pour ne rente fonciere puisse avoir le privilege que cet Article accorde au Seigneur

Les paroles de cet Article sont si expresses contre l’opinion deGodefroy , qu’il ne faut pas d’autre raisonnement pour la détruire ; pour prévenir toutes ces difficultez, cet Article ne dispose pas simplement que le Seigneur peut saisir pour sa rente les bestes paturantes sur son fonds : On auroit pû expliquer ces paroles des bestes seulement appartenantes à son vassal, i nais on a éclairci cette ambiguité par ce qui suit ; il peut saisir non seulement celles qui appartiennent à son vassal, mais aussi les bestes de ceux qui tiennent l’héritage à loüage, ou qui ont alloüé lesdites bestes. Ce qui comprend tous les cas que Godefroy proposoit pour exceptions à cet Article. L’Arrest de Guénon, dont je parleray incontinent, a jugé que le Seigneur peut executer indistinctement tout ce qu’il trouve sur son fonds.

Le creancier de la rente foncière à cause du droit réel qu’il a sur la chose, n’a pas moins de privilege, et on l’a même jugé pour un doüaire, comme il sera remarqué ailleurs.

Cette autre question seroit plus douteuse, si celuy dont le Seigneur auroit saisi les bestes, pourroit agir solidairement contre les rédevables, de la même sorte que le Seigneur auroit pû faire ; Le Receveur de Gragnes avoit saisi des bestiaux pâturans sur le fonds affecté à une rente Seigneuriale, lesquels appartenoient à des nommez la Ruë et Gutnon, qui n’étoient point tenans de cette Vavassorie, dont les rentes étoient demandées ; leurs biens ayant été vendus ils en obtinrent une recompense solidaire sur l’ainé et sur les puisnez. Sur l’appel des puisnez ils remontroient qu’ils ne devoient aucune chose de la rente, ayant payé leur part, et qu’en tout cas de la Ruë et Guénon ne pouvoient avoir leur recours qu’à proportion de ce que chacun devoit, le Seigneur seul ayant l’action solidaire ; que les intimez étoient en la place du proprietaire du fonds, qui n’auroit action contr’eux que pour la part qu’ils devoient ; les intimez au contraire se fondoient sur cette raison, que ne possedans le fonds affecté à la rente, par le payement qu’ils avoient fait au Seigneur, ils étoient subrogez naturellement et ipso facto à son droit ; par Arrest aux Enquêtes du 3 de Janvier 1650. au Rapport de Mr du Val, la Sentence fut confirmée : cet Arrest ne passa pas tout d’une voix, et Mr Damiens, un des Juges. disoit que le contraire avoit êté jugé à son Rapport.

Cet Arrest neanmoins me semble être dans les regles. Dans son espèce ceux qui demandoient la recompense solidaire n’étoient pas les redevables de la rente, et n’étoient point tenans de la Vavassorie, à laquelle elle étoit duë : leurs biens seulement avoient êté vendus en vertu de cet article, et c’est pourquoy les puisnez raisonnoient mal en disant que de la Ruë et Guénon étoient en la place du proprietaire du fonds, ou de l’aîné de la Vavassorie : en ce cas cet aîné n’auroit pû demander un recours solidaire. Il faut donc faire difference entre celuy, dont le Seigneur a fait vendre les biens en vertu du privilege porté par cet Article, et l’ainé ou puisnez, ou des coobligez qui auroient payé plus que leur contribution : Au premier cas celuy qui a payé la dette d’autruy, comme subrogé naturellement au droit du Seigneur, peut exercer toutes ses actions, et la cession expresse de ces actions de la part du Seigneur n’étoit point necessaire, et c’est l’espèce de l’Arrest.

Il n’en est pas de même entre les coobligez ou les codetenteurs d’un fonds affecté à une Loyseau rente fonciere ou seigneuriale, l’action recursoire n’en étant pas solidaire : car pour m’en exliquer suivant le raisonnement de Mr CharlesLoyseau , du Déguerp. l. 2. c. 8. le recours que quelqu’un prétend contre un autre, est fondé sur le payement réel et utile qu’il a fait pour luy, par le moyen duquel il est devenu quitte envers son créancier ; et c’est pourquoy il est raisonnable qu’il luy restituë ce qu’il a payé pour luy, bien qu’il l’ait fait par contrainte, quia revera ipfius negotium utiliter gessit l. 53. rem C. si certum pec. Que si celuy contre lequel on demande un recours n’êtoit pas le véritable debiteur de la rente, il n’y seroit pas tenu, encore bien qu’en consequence de ce payement, il demeure quitte envers le créancier, comme le droit Romain a fort bien décidé, que le fidejusseur, qui a payé toute la dette, n’a point l’action contre son cofidejusseur : l. cum alter C. de fidejus. l. ut fidejus. D. eod. parce qu’encore que ce cofidejusseur eût pû être contraint par le creancier, neanmoins s’il avoit payé il auroit eu recours contre le principal obligé, et ainsi n’étant pas le véritable et absolu debiteur, il est vray de dire que le fidejusseur qui a payé n’a pas acquité. la dette de son cofidejusseur, mais celle du principal obligé.

On ne peut user de ce raisonnement entre des coobligez, qui sont toûjours de véritables debiteurs à l’égard de leur contingente portion, et néanmoins le recours ou la recompense de ce qu’ils ont trop payé ne peut être solidaire entr’eux : quoy que l’obligation soit solidaire envers le creancier, ils ne doivent entr’eux que chacun leur part, la dette n’étant dûë qu’une seule fois par tous ; ainsi pour le surplus outre leur part ils ont la division entr’eux : l. 2. c. de duob. reis deb. autrement ce seroit une reflexion perpétuelle d’actions, car si le coobligé qui a payé toute la dette pouvoit forcer l’un des coobligez à rendre le tout, le coobligé qui auroit tout rendu auroit luy-même une action recursoire contre celuy qui l’auroit forcé de payer le tout ; ainsi il se feroit un circuit et un progrez à l’infini, ce qu’il faut éviter, l. vendicantem de Evict.