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XCIX.

Division d’héritage.

Par la Coûtume generale de Normandie, tout héritage est noble, roturier, ou tenu en franc-aleu.

En France on divisoit anciennement les biens en trois autres manieres : en biens fiscaux, qui étoient les biens patrimoniaux du Prince, qu’ils donnoient quelquefois en Emphyteose ; les Benefices et les Alodes : d’autres n’en faisoient que deux especes, les biens fiscaux qui comprenoient Bignon les Benefices et les Alodes. MrBignon sur sur Marculphe, l. 1. c. 2.Le Févre , l. 1. c. 7. et l. 3. c. 3.

Les benefices qui ont été depuis convertis en fiefs, ne tenoient pas alors le premier rangi car les possesseurs d’iceux n’en ayant qu’une joüissance precaire et revocable, ils les laissoient souvent en friche pour cultiver leurs Alodes, parce qu’ils leur appartenoient en proprieté.

Ce la leur fut défendu par Charlemagne, leg. Longob. l. 3. t. 8. l. 1. quicumque beneficium suum, occasione proprii desertum habuerit, et infra annum, postquam Comes aut Missus noster notum factumb habuerit, illud emendatum non habuerit, ipsum beneficium amittat.

Ils pratiquoient encore cette ruse, dont il est fait mention dans les Capitulaires de Loüis le Debonnaire, l. 3. c. 20. audivimus quod aliqui reddant beneficium nostrum ad alios homines in proprietatem, & in ipfo placito dato pretio, comparant et ipsas res etiam in Alodum.

Mais lors que par la foiblesse des derniers Rois de la seconde Race, les benefices furent convertis en des proprietez hereditaires, il se fit deux changemens notables. Le premier à l’égard des biens, car les benefices étant devenus des fiefs, ausquels on ajoûta plusieurs droits fort importans, ils commencerent d’être fort recherchez, et ce premier changement en causa un second à l’égard des personnes ; car les fiefs étant tombez en la main des personnes puissantes et qui portoient les armes ; ils commencerent alors à se distinguer de ceux qui n’avoient que de simples biens, et ne souffrirent plus qu’ils fussent possedez que par ceux qui faisoient, comme eux, profession des armes.

Auparavant et jusques sur le déclin de la seconde Race, les François n’étoient point distinguez par leur naissance, ils naissoient également libres, c’est à dire également nobles, et ils contribuoient aux charges de l’Etat, à proportion de leurs facultez ; étant tous obligez de servir à la guerre, dont on trouve une preuve dans les Capitulaires de Charles le Chauve, apud arisiacum, c. 55. in Alode suo quis quiètè vivere voluerit, nullus ei aliquod impedimentum facere presumat, neque aliud aliquoae ab co requiratur ; nisi solummodo ad defensionem patriae pergat. Ce qui montre qu’indistinctement les possesseurs des Alodes et des Benefices étoient tenus à des ser tices militaires. Le Févre l. 3. c. 4. Et suivant le sentiment de MBignon , ce terme de noble ignifioit les hommes libres, constituez en dignitez Ecclesiastiques ou Seculieres, ou possedans des Benefices ou des Aleuds, comme à Rome on observoit la même chose, quoy que la Repuplique fût divisée en trois ordres, le Senat, les Chevaliers, et le Peuple : on ne distinguoit point ces trois Etats par le titre de nobles, et il ne se donnoit qu’à ceux qui avoient exercé certaines.

Magistratures ; Curulem Magistratum exercuerat. M’Bignon sur sur Marculphe l. 1. Formul. 22. Dominici de prarog. Alod. c. 14. a pareillement remarqué qu’en France il y avoit deux sortes de personnes ibres ; les uns qui étoient libres et nobles ; les autres libres et non nobles ; mais ce n’étoient que des affranchis : les uns et les autres étoient capables de posseder des Alodes ; mais les Senefices et les Dignitez n’étoient donnez qu’aux personnes libres et nobles : et tous ceux qui étoient libres de naissance étoient reputez nobles.

Ce ne fut donc que depuis l’accroissement des fiefs que les proprietaires d’iceux fe qualifierent Gentilshommes, et les autres Roturiers, et qu’ils se distinguerent par des qualitez et par des Armes.

Cette opinion est plus suivie que celle de Me JosiasBerault , qui dans sa Preface sur ce titre a écrit que les François, aprés avoir conquis les Gaules, retinrent à eux seuls la dignité d’être Gentilshommes, et le droit de porter les armes, et qu’ils ne laisserent aux anciens Gaulois que le ménage rustique et la marchandise, lesquels pour cette raison furent appelez Roturiers : et c’est de-là que procede la distinction des Nobles et des Roturiers.

Car tous les Historiens remarquent que les François ne traiterent pas les Gaulois avec cette igueur ; en effet soit que les Gaulois eussent sollicité les François de les delivrer de la domination Romaine, ou que les François voulussent se les rendre favorables, ils devinrent bien-ost un seul peuple, gouverné sous les mêmes loix, et cette distinction des personnes ne fu introduite que par l’établissement des fiefs, dont les possesseurs furent reputez seuls nobles, et ils obtinrent encore dans la suite qu’ils ne pourroient être possedez que par des personnes de cette qualité ; de sorte que la possession d’un fief faisoit une preuve de noblesse : ce qui ne se pratiquoit pas parmy les Romains, immunitas praediis data, nihil commune cum persona nobilitate habuit. Eguinar. Eguiner. Baro de jure benef. l. 1. c. 8.

Les voyages d’Outremer ou de la Terre Sainte, donnerent occasion aux roturiers de pouvoir posseder des fiefs. Les Ducs, les Comtes, les Seigneurs, et les Gentilshommes pour lournit la dépense de cette entreprise, étoient contraints de vendre et d’engager leurs plus belles terres, et afin de trouver plus aisément des acheteurs, on permit aux Ecclesiastiques et aux ro-turiers de les acquerir ; les Papes qui étoient les Promoteurs de cette guerre, solliciterent les Princes d’y donner leur consentement : ce qu’on apprend d’une lettre d’Eugene III. Ut liceat eis terras sive cateras possessiones Ecclesiis, aut aliis personis, sine ulla reclamatione impignorare. Otho Frising Frising. De Gest. Friderici, c. 35., Dadin de Alta-Serra Orig. feud. Philippes le Hardi en l’année 1275. donna permission aux roturiers de posseder des fiefs, moyennant finance, et c’est ce qu’on appelle encore aujourd’huy droit de francs. fiefs, et en l’an 1579 denry. III. ordonna que lles fiefs n’anobliroient plus : plusieurs villes de ce Royaume ont ce privilege que leurs Citoyens peuvent posseder des fiefs, en exemption du droit de francs-fiefs.

La ville de Roüen en a de tres. anciens et de tres-authentiques, qui luy ont toûjours été conservez, nonobstant la nécessité des affaires publiques.

La Coûtume en cet Article fait de trois sortes d’héritages, le noble, le roturier, et le francleu. Cette division est plus exacte que celle de la Coûtume de Paris, qui ne fait que de deux sortes d’héritages, les feodaux et les censiers : elle a compris les alodiaux sous les feodaux, quoy que leurs qualitez soient fort differentes : mais dans son district il y a des Aleuds, qui ont Justice censive, ou fief mouvant d’eux, Article S8. de la Coûtume de Paris Et quoy que la Coûtume en l’Article 108. fasse de quatre espèces de tenures, il n’est point contraire à celui-cy, parce qu’il y a différence entre la qualité d’un héritage et la tenure.