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CXIX.

Charge des fruits.

Si les fruits demeurent au Seigneur, il doit payer les aireures, labours et semences à celuy qui les aura faites, autre que le vassal, si mieux le Seigneur n’aime se contenter du fermage, ou de la moitié des fruits.

Les Coûtumes. de France, et leurs Commentateurs, veulent que le Seigneur qui gagne les fruits, rembourse les labours et les semences au vassal. Il est vray qu’elles parlent de lannée du rachapr, qui est dû au Seigneur par la mutation du vassal ; et comme en ce cas les fruits luy appartiennent, quoy que le vassal ne soit point en faute, il est raisonnable qu’il rembourse les labours et les semences, nam quod in fructus impensum est, ipsos diminuit, l. 46. D. de usu.

Nôtre Coûtume donnant le loisir au vassal de faire son devoir, pendant les longs delais et les diligences qu’elle prescrit au Seigneur pour parvenir à la reünion, punit enfin son mépris, tion seulement par la perte des fruits, mais encore par la perte de tous les frais qu’il a faits pour la eulture de son héritage ; ce qui est d’autant plus juste, qu’il peut même aprés la Senence de reünion fauver sa levée en baillant un Aveu, quoy qu’il soit mauvais.

En cas que la reünion soit executée, on demande si le Seigneur peut déposseder le fermier : On dit pour le Seigneur qu’il ne prend pas la possession d’un fief, comme d’un bien qu APOae il ne luy appartienne point, Dominus in possessionem non quasi rei alienae, aut causâ rei servandae, sed in propriam rem mittitur : Ce qui est si véritabie, que le Seigneur n’est pas tenu de payer les rentes ausquelles le vassal a hypothequé le fief, parce que tout le droit du vassal est ineanti par la dépossession. La Coûtume d’Orléans, titre des fiefs, c. 3. le décide expressément, quoties feudo aperto jus suum patronus exertere voluerit, hoc sine ulla pendendi vectigalis quod vassallus impofuit necessitate potietur. Le Seigneur n’entre pas en la place du vassal par une suprogation à ses droits, mais par une pure extinction et une resolution parfaite de tout le droit lu vassal. Et tout ce que le fermier peut demander, est d’être remboursé de ses frais et de ses abours et semences, ce que le Seigneur ne peut refuser, nam nec casus ullus in jure intervenire gotest, qui impensarum bonâ fide factarum deductionem impediat, l. fundus qui in fine. ff. fam. erscise.

Et comme cette resolution du droit du vassal procede de la cause primitive et essentielle de nfeodation, le vassal n’a pû rien faire qui donne atteinte, ou qui affoiblisse les droits de son Seigneur, ni qui rempesche de jouir avec toute liberté du fief qui luy retourne. C’étoit aussi Tiraquel a disposition de lancienne Coûtume de Paris, Article. 38. et a été de ce sentiment en plusieurs lieux de ses écrits ; Tiraqueau du Moulin Retr. lign. Art. 40. n. 2. Mr d’Argentré , ur la de Bretagne, Art. 76. not. 8. nomb. 3.Chopin , sur la Coûtume d’Anjou, l. 1. C. 4. n. 17. parlent du desaveu fait par le vassal, et si lon s’attache à la rigueur du droit, plûtost qu’à l’équité, cette opinion doit être. suivie.

L’on dit au contraire qu’un vassal pour une simple omission de devoirs ne doit pas être puni de plusieurs peines, en permettant au Seigneur de chasser le fermier ; le vassal perd les fruits, et outre cela il est encore condamnable aux interests envers son fermier. La reünion n’a point un effet permanent et itrevocable, il n’est pas privatif, il suspend seulement le droit du vassal, et le Seigneur est sans interest, quand le bail est fait de bonne foy et sans fraudes puisqu’il perçoit le véritable revenu de la chose.Brodeau , Article 56. vide eundem, sut Mr Loüet Loüer, l. 5. n. 11. in fine. Aussi la nouvelle Coûtume de Paris, Article 58. a corrigé l’ancienne en maintenant le fermier, si le bail a été fait de bonne foy et sans fraude : etdu Moulin , en son Appendice, sur l’Article 38. de lancienne Coûtume, avoit reconnu que la décision en êtoit rigoureuse, et que les Coûtumes qui obligent le Seigneur à se contenter des fermages sont plus équitables ; et en d’autres lieux, Article 43. et 45. de la Coûtume de Valois, il a écrit que le Seigneur ne peut déposseder le fermier qu’aprés la première année, à laquelle s de peut toucher : ce qu’il jugeoit devoir avoir lieu pour les fermiers des benefices. La Coûtume de Blois, Article 76. est conforme à celle de Paris ; et Orléans, Article 72. titre des fiefs.

Cette question peut recevoir moins de difficulté dans les Coûtumes qui donnent au Seigneur pour son droit de relief ou de rachapt, le revenu d’une année, parce que la jouissance du Seigneur étant limitée à un certain temps, on ne doit pas luy permettre d’expulser le fermier, au trement le vassal souffriroit la perte de son revenu pendant une année, et de plus il seroit tenu aux interests envers son fermier pour sa dépossession ; et quoy qu’au cas de la saisie seodale le Seigneur doive jouir autant de temps que dure le mépris et la negligence du vassal, toutefois comme il peut en tout temps se remettre en possession, on ne doit point donner cette liberté au Seigneur de déposseder le fermier ; parce que ce seroit augmenter la peine du vassal, qui payeroit des interests au fermier, et faute d’en trouver un autre solvable aprés avoir obtenu main-levée, sa terre luy demeureroit inutile ; et c’est aussi le sentiment dePontanus , Article 78. de la Coûtume de Blois. Et Brodeau témoigne que la Coûtume de Paris, qui oblige le Seigneur feodal de tenir le bail fait par son vassal avant la saisie, comme tres juste et équitable, a été étenduë aux autres Coûtumes qui n’en décident rien. Voyez les Auteurs citez par luy, et par MrLoüet , l. et. n. 54.

Mr d’Argentré , Article 76. nomb. 9. n. 3. fait différence entre les causes, qui donnent ouverture à la prise de fief et à la possession du Seigneur, quand il jouit du fief à droit de rachapr. ou à faute d’homme, droits et devoirs Seigneuriaux non faits, le Seigneur n’est point obligé d’entretenir le bail, parce que son droit procede ex causâ antiquâ inseodationis et investiturae, qui est préférable à toutes les obligations que le vassal a contractées depuis Mais lors que le fief retourne au Seigneur à droit de Commise pour la felonie du vassal, ou par confiscation, ou pour cause d’ingratitude, en ces cas le droit du Seigneur n’a pas un effet ret roactif, et par consequent il est tenu de reprendre son fief en létat qu’il le trouve, cum ex hujusmodi causis feudum revertitur, retro iste non respiciunt, sed rem in eostatu in quo reperitur applicant cum suis causis & hypothecis pracedentibus.

Les paroles de cet Article paroissent décisives contre le fermier, si les fruits demeurentu Seigneur, il doit payer les labours et semences à celuy qui les aura faites, autre que le vassali si mieux le Seigneur n’aime se contenter du fermage ou de la moitié des fruits. N’est-ce par déposseder le fermier, que d’avoir les fruits à son préjudice, en luy remboursant seulement ses labours et semences ; et s’il est au pouvoir du Seigneur de se contenter de la moitié de fruits, il a par consequent la liberté de jouir par ses mains ; Voyez la Coûtume d’Anjou, Article 22. Mante, Article 132. Poitou, Article 136

Quelques-uns sont de ce sentiment, que si le bail est passé devant Notaires, le fermier a son hypotheque, comme un autre créancier ; mais cette raison n’est pas considérable en Normandie, où le Seigneur fait les fruits siens au préjudice des creanciers hypothecaires. Berault semble incliner pour lopinion qui maintient le fermier par une raison de commiseration, et afin que le vassal ne soit pas encore surchargé par une condamnation d’interests envers son fermier.

Cependant puisque le Seigneur peut avoir les fruits en payant les labours et semences, cette consideration des interests n’est point décisive, car ils luy sont dûs en cas que le Seigneur prenne les fruits. Nôtre Coûtume étant indulgente au vassal, en ce qu’elle luy donne des moyens si faciles pour sauver les fruits de son héritage, il ne peut être puni trop severement lors qu’il neglige de s’en servir.

On pourroit expliquer cet Article en cette manière, que le Seigneur peut bien retenir les fruits en payant les labours et semences, et non pas chasser le fermier ; mais cette explication seroit contraire au sens de l’Article, car le fermier pouvant être privé du profit de son travail, quoy qu’il ait labouré et ensemencé les terres, on rend par cette voye le bail inutiles Le Seigneur ayant cette faculté de rembourser les frais à celuy qui les aura faits, autre que se vassal ; on demande s’il est tenu de faire ce remboursement aussi-tost qu’il entrera en possession, ou s’il peut retarder le remboursement jusqu’à la recolte : On répond que ces paroles, en remboursant ) important tantùm modum non conditionem, & actum futurum, non prasentis tempris, et que partant le Seigneur peut attendre aprés la recolte ; et même du Moulin est de ce sentiment, que si les fruits étoient perdus par quelque accident, le Seigneur ne seroit point tenn au remboursement des labours et semences, de feud. Article 3. n. 3. et seqL’opinion contraire a parû plus équitable àBrodeau , étant injuste de faire tomber la perte sur un pauvre fermier dépossedé de son bail malgré luy ; nôtre Coûtume décide cette difficulté par ces paroles, si les fruits demeurent au Seigneur : comme il n’est pas asçuré d’avoir les fruits, et qu’ils ne peuvent luy appartenir qu’aprés être engrangez, on ne peut pas le forcer à rembourser les frais avant ce temps ; si toutefois aprés sa declaration faite au fermier de luy rembour-ser ses fruits, ils étoient perdus par un cas fortuit, le fermier qui ne les peut plus avoiri et qui aprés cette déclaration n’y doit plus prendre aucun interest, ne doit pas en porter la perte, encore que le vassal ne donnât point d’Aveu, le Seigneur qui a consommé l’option qui luy étoit donnée par la loy, ne pouvant plus y renoncer. Il est vray que cette option pouvoit devenit caduque par la presentation de l’Aveu, mais à l’égard du fermier elle etoit pleinement consommée.