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CCIV.

Comme le Seigneur peut s’éjouir de son fief sans treixiéme ni démembrement.

Le vassal se peut éjoüir des terres, rentes, et autres appartenances de son fief. sans payer treizième à son seigneur feodal, jusques à dimission de foy et hommage exclusivement, pourvû qu’il demeure assez pour satisfaire aux rentes et redevances dûes au Seigneur.

Plusieurs Coûtumes de France sont conformes à la nôtre ; celle de Paris, Article 51. apporte un temperamment raisonnable, elle permet bien, comme la nôtre, au vassal de s’éjoüir de son fief, et de disposer des rentes et héritages qui en dépendent, sans payer profit au Seigneur Dominant, pourvû que l’alienation n’excede pas les deux tiers, qu’il en retienne la foy entière, t quelque droit Seigneurial et Domanial sur ce qu’il aliene : les fiefs doivent avoir quelque ubstance ferme et solide, et un corps réel, autrement c’est separer l’ombre du corps, ou la forme de la matière. Ces fiefs en l’air que quelques Coûtumes appellent volans, sont plûtost un fantôme et une chimere qu’un véritable fief.

On a trouvé néanmoins cet expedient pour empescher les profits et les drolts feodaux, lonobstant l’alienation, en permettant de démembrer le fief, pourvû que le vendeur ou bailleur à rente rerinst la foy et hommage, car en ce cas il est reputé tenir encore le fief, quoy que le us souvent il ne luy en reste plus que l’ombre et une forme sans matière ; il étoit raisonnable de donner cette liberté aux vassaux de vendre ou d’infeoder une partie de leurs Domaines, sur tout lors qu’ils étoient de trop grande étenduë, et que le terroir êtoit ingrat et sterile, afin de leur donner le moyen d’en tirer du revenu dans leur necessité, qusoi nôtre Coûtume ne permet pas absolument et indistinctement de s’éjoüir de son fiefi mais sous ces deux conditions ; la premiere, jusqu’à dimission de foy et hommage, quia nulla cetentâ feudalitate corruit tota feudi substantia, que maximè in fidelitate consistit, et comme a ditBalde , plenitudo feudi non constat absque juramento fidelitatis.Pontanus , Coûtume de Blois, Article 48. Et pour cette raison on a jugé que le Seigneur qui vendoit son Domaine non fieffé avec retention de foy et d’hommage, quoy que depuis il alienât son fief à la même personne ne devoit point les lods et ventes pour le premier contrat, mais seulement pour le second ; jugé entre Pierre Chenis, sieur du Fontenil, Nicolas Lécolier, et le sieur Marquis de Villars. prétendant le treizième du fief de Conneville, dépendant du Marquisat de Graville, le Domaine duquel avoit été vendu le 25 de Novembre 1621. et le lendemain le fief fut vendu au même acquereur, par Arrest par Rapport du18 de Mars 1624. Du Moulin dit que le mos éjoüir signifie acultatem liberam difponendi ad libitum de feudo, citra dismembrationem probibitam, et dummodo non interveniat dimissio feudi. 6. 51. gl. 2. n. 1.

L’autre condition que le vassal doit garder en s’éjoüissant de son fief, est qu’il en demeure assez pour satisfaire aux rentes et redevances dûës au Seigneur. Ces paroles ont été prudemment ajoûtées pour prévenir plusieurs difficultez traitées par duDu Moulin , sur l’Art. 51. gl. 2. Il faut apporter cette exception à la disposition generale de cet Article, que les fiefs de dignité mouvans de la Couronne, comme les Duchez, les Marquisats, et les Comtez, ne peuvent être alienez que tous entiers, parce qu’ils sont indivisibles, ce qui a été jugé par plusieurs Arrests du Parlement de Paris.

Brodeau , sur l’Article 51. de la Coûtume de Paris, n. 31. estime que le Seigneur ne peut aliener son vassal, sans aliener le fief Dominant et le lieu Seigneurial duquel il releve : voyez Loüet Loüer, let. 21. n. 10. J’ay traité cette question cy-devant

Les dernieres paroles de cet Article m’engagent à dire un mot de cette question si célèbre, si le Seigneur de fief peut transferer son vassal et changer sa tenûre par d’autre voye que par l’alienation entière du fief ; Tous les Docteurs Feudistes sont de ce sentiment, que cela ne se seur faire que cum universitate feudi, et ils en font la comparaison avec les affranchls : leurs Patrons ausquels ils étoient tenus de faire quelques ouvrages, pouvoient céder le profit de ce travail à d’autres, mais ils ne pouvoient les forcer de les reconnoître et de les accepter pour Patrons, l. si non sortem. S. Libertus, versic. sed si delegatus Di de cond. indib. Ainsi le Seigneur seodal qui n’a pas tant d’autorité sur son vassal, que le Patron en avoit sur son affranchi, peut bien ceder les profits et les redevances qui luy sont dûës par son vassal, mais il n’a pas cette puissance de le céder et de l’assujettir à un autre Seigneur, bien que la condition du vassal n’en devienne point plus mauvaise, et même que le nouveau Seigneur, auquel on l’attribué, soit d’une qualité plus relevée : la raison est que le Seigneur et le vassal sont deux correlatifs. qui ne peuvent subsisteral’un sans l’autre, ni être separez ; ce qui rend cette obligation reciproque si indissoluble, que quand cette separation auroit pour fondement la paix de l’Etati elle ne pourroit avoir son effet. Du Moulin a tenu cette opinion sur l’Article premier du titre Zazius les Fiefs, gl. 3. n. 26. et suivans, et sur l’Article 201. de la Coûtume de la Marche. Lazius Tiraquel en son Epitome des fiefs, Part. 7. à la fin. Tiraqueau, sur la l. si jure quam vers. liber. n. 8.

Loüet Mr Loüer, I. V. n. 10. a suivi l’opinion de duDu Moulin , par ce raisonnement que c’est un droit réel qui est dû non à cause de la personne, mais à cause du fief, et ubi feudum, ibi vasalluss et comme le vassal ne pouvoit pas en substituer un autre en sa place en retenant, le fief, le Seigneur ne le peut aussi, à cause de cette relation que le Seigneur et le vassal ont ensemble. 6 Mr d’Argentré a soûtenu au contraire, que par le droit Coûtumier la mouvance, ou pour user g de ces termes, l’obeissance dûë à cause du fief n’est point inseparable du fief ; le Domaine, direct étant un droit incorporel, il peut être separé de sa matiere, cum sit jus incorporale à p materia abstractum quod nallos situ locali contineatur & cohibeatur, sed separabile est à causa sua, postquam in esse prodictum est. Mi d’Argent . Art. 329. de la Coûtume de Bretagne, n. 8.

L’opinion de du Du Moulin est véritable à l’égard des Princes et de leurs sujets, parce qu’il y va de l’interest de l’Etat, que les sujets n’en soient pas alienez. L’Histoire nous en fournit des exemples ; Philippes le Bel ayant renoncé par un traité de paix à la mouvance du Duché de Bretagne, en faveur d’Edoüard Roy d’Angleterre, à qui il donnoit lsabelle sa fille en mariage ; Artus Duc de Bretagne, et tous les grands Seigneurs de la Province s’opposerent à ce changement, declarans qu’ils vouloient demeurer vassaux du Roy de France. Par la même raison les Etats de Bourgogne empescherent l’execution du Traité de Madrid, fait avec François 1.

Les fiefs de Dignité, comme les Duchez et Paitries, Marquisats et Comtez, ne peuvent aussi être démembrez

Le sentiment de Mr d’Argentré n’a pas été entièrement suivi parmy nous, car il n’est pas permis à un Seigneur de changer les vassaux qui tiennent de luy noblement, mais il peut ceder la tenûre rotutière. Cela a été jugé par un Arrest donné en la Grand. Chambre le 2r d’Aoust 1675. qui est d’autant plus considérable que l’alienation avoit été faite par le Roy : voicy la teneur de l’Arrest.

EXTRAIT DEs REOISTREs DE la. COUR DE PARLEMENT.

E Ntre Mre Guillaume le Sens ; Chevalier, Seigneur de Folleville, Lieutenant General dans les Armées de sa Majesté, demandeur en Requête du 21. jour de Janvier derniers afin d’enregistrement des Lettres Patentes à luy accordées par le Roy, données à Versailles au mois de Septembre 1674. et défendeur en opposition, d’une part ; Me Nicolas Asselin, sieur de Frenelles, Conseiller en la Cour ; Me Claude Berthoult, sieur de Bois.-Fremont, Conseiller en la Cour des Aydes ; Mre François, le Comte de Nonant, Seigneur de Fontaines ; Adrien de Livet, sieur de Fresnes ; Jacques de Malhortie, sieur de Villars ; Loüis de Malhortie, sieur de Faverolles ; Jacques de Maxüel, sieur Deschamps ; Estienne de Maxiel, sieur de la Fortière ; Pierre du Moucel, sieur du Fresné ; Claude de Bigards, sieur de S. Aubin ; Jean François du Fay, sieur de Lieuré ; et Marc-Aurelle de Giverville, Chevalier de lOrdre de S. Jean de Jerusalem, sieur de Bonntbose, opposants à lenregistrement desdites Lettres, d’autre part. Vû par la Cour l’Arrest d’appointement à mettre leurs pieces par devers la Cour, lesdites Lettres Patentes sus-dattées, par lesquelles sa Majesté, en consideration des services à Elle rendus par ledit le Sens, a loüé, agreé, et ratifié le Contrat d’ajudication faite audit le Sens, le 2r jour d’Aoust 1674. par les Commissaires Généraux députez par le Roy en execution de ses Edits et Declarations du mois d’Avril 1667. Aoust 1669. et 8 Avril 1672. concernant la vente, alienation et delaissement à perpétuité par infeodation et deniers d’entrée de ses Domaines et droits Domaniaux de 117 livres dix sols trois deniers de rente en argent, et trois quarterons d’orge dûs au Domaine d’Orbec, dans la Vicomté de Folleville, démembrée du Comté dudit Orbec, à les avoir et prendre sur les particuliers possedant fiefs et terres dans les Paroisses dépendantes de ladite Vicomté de Folleville, avec tous les droits Seigneuriaux utiles et casuels appartenant au Roy dans toute rétenduë de ladite Vicomté de Folleville, avec la Justice et droits de presenter aux Offices de ladite Vicomté, démembrée dudit Comté d’Orbec, pour en joüir par ledit le Sens, ses hoirs, successeurs et ayant cause à titre d’infeodation et de proprieté incommutable à perpetuité, à la charge de les tenir de sa Majesté en fief, luy en faire les foy et hommage, et de payer par chacun an au jour de S. Remy un écu l’or de rente feodale et perpetuelle à la recepte de son Domaine d’Orbec ; comme aussi sadite Mdajesté joint, unit, annexe et incorpore tous les cens, rentes et rédevances, et droits cydessus specifiez et déclarez, tout ainsi et de la même maniere qu’ils sont contenus et expli-quez par ledit Contrat d’ajudication et Quittance de Finance y inserée, au Fief, Terre et seigneurie de Folleville, que ledit le Sens tient de ses ayeuls, relevant du Roy pour un quart de fief de Haubert, à cause de sa Comté d’Orbec, pour avec ledit fief, terre et Seigneurie de Folleville d’ancien patrimoine dudit le Sens, presentement uny à ladite Vicomté, ni faire à favenir qu’un seul et même fief, et le tout être mû du Roy conjointement à une seule foy et hommage que ledit le Sens rendra en la Chambre des Comptes de Normandie, à cause di sadite Comté d’Orbec et la Justice exercée et renduë aux sujets de ladite Vicomté de Folles ville, par les Officiers établis au principal lieu et Siege ordinaire d’icelle ; et seront les tenanciers et vassaux, tant en fief que roture dans l’etenduë de ladite Vicomté ; tenus de rendre à l’avenir audit le Sens leurs hommages, Aveux, dénombremens et déclarations, sans tousesfois être obligez à autres et plus grands droits que ceux qu’ils doivent à present, pourvû que les appellations desdits Juges ressortissent où elles ont accoûtumé, que la presente union ne préjudicie aux droits du Roy, et à ceux d’autruy, et enfin qu’elle ne soit contraire aux Us et Coûtumes des lieux, lesdits Contrat d’ajudication et Quittance du Garde du Tresor Royal susmentionnez. Coppie de ladite Declaration pour l’alienation des petits Domaines du Roy, du mois d’Avril 1672. D’Arrest du Conseil d’Etat donné en consequence. Autre copie d’Arrest dudit Conseil, donné sur la requête dudit le Sens, du a8 Juillet 1674. Arrest de la Cour du 15. Decembre demier, par lequel avant que faire droit sur les fins de la Requête presentée par sedit le Sens pour l’enregistrement desdites Patentes, avoit été ordonné qu’elles seroient lûës et publiées au jour de Dimanche, issuc des Messes Paroissiales où est situé et s’étend ledit fief, et informé par le Bailly d’Evreux ou son Lieutenant au Siege d’Orbec, de la commodité ou incommodité que peut apporter au Roy et au public ladite union sur la liste des témoins qui seroient produits par le Substitut du Procureur Genéral pour les Procez verbaux desdites lectures et informations rapportées à la Cour, avec les Officiers dudit Siege et dudit Si-bstitut, être ordonné ce qu’il appartiendroit. Attestations des publications faites issuës des Messes Patroissiales de Folleville, S. Aubin, d’Espreville, S. Victor, d’Espiné, d’Espagne, la Chapelle-Bayüel, Nôtre-Dame de Fresné, Jouveaux, Noüards, S. Georges-du. Ménil, Basocque, Heudreville, le Favril, S. Martin-de-Lieurey, Canverville, Bailleul, Barville, Morainville, S. Syl. restre de Cormeilles, et S. Jean d’Asnieres, les Dimanches 30. Decembre et 6. Janvier derniers.

Cahiers d’informations faites au Siege d’Orbec du 14. dudit mois de Janvier. Avis du Substitut au Procureur General audit Siege, du 15. dudit mois. Acte exercé audit Siege, conte-nant l’avis des Lieutenants Généraux dudit Bailliage et des assistans, du 16. dudit mois. Requêtes presentées à la Cour par lesdits opposants, contre lenregistrement desdites Lettres, des 15. 17. 24. Janvier, 4. 6. Février, 11. May, 12. 19. et 27. Juin dernier. Acte de dedaration faite le 7. jour de Février dernier au Procureur desdits de Maxüel, tant pour eux que pour les autres possedants fiefs relevants du Roy à cause dudit Domaine d’Orbec, à simple foy et hommage, sans aucune rente, ayant opposé à ladite verification que ledit le Sens protestoit de nullité de leursdites oppositions, atrendu que lesdits possesseurs desdits fiefs à imple foy et hommage et sans redevances d’aucunes rentes Seigneuriales, n’y ont aucun interest, et n’y en peuvent prendre, comme n’étant compris dans son Contrat d’ajudication, ni dans lesdites Lettres Patentes. Requête presentée par ledit Asselin le 22. jour de Juin dernier, à ce qu’il soit accordé acte de ladite declaration à luy signifiée. Requête dudit le Sens, et en consequence du 8 Février 1675. pour éviter aux procez à l’avenir, il soit jugé que son fief de Bailleul relevera du Roy à cause de la Comté d’Orbec, comme il faisoit auparavant ledit Contrat d’ajudication et Lettres Patentes, sans que ledit le Sens puisse rien prétendre à a Garde-Noble, treiziéme, et autres droits utiles et casuels en consequence, le cas offrant.

Aveu audit fief rendu au Roy par ledit Asselin, du 14 de Mars 1671. Moyens d’opposition desdits Berthoult, de Malhortie, et de Giverville, des 22. et 28. May, et 9. Juin dernier.

Ecrit de réponce dudit le Sens, du 18. Juin. Aveux produits par lesdits Berthoult et de Giverville, de leurs fiefs relevants du Roy. Requêtes desdits Maxüel et du Moucel, à ce que la déclaration dudit le Sens soit insèrée dans l’Arrest qui inrerviendra des 11. May et 12. Juin dernier. Aveu rendu au Roy de la Sergenterie de Folleville et d’Espagne, produit par lesdits Malhortie. Requête de fins et conclusions dudit Berthoult, du 19. Juins Autre Requête presentée par ledit le Sens, du 25. jour dudit mois, pour servir de contestation à ladite Requête, et aux moyens d’opposition dudit de Giverville. Conclufions du Procureur General du Roy, et tout ce que lesdites parties ont mis et produit par devers la Cour, et ouy le Conseiller Commissaire en son Rapport, tout considéré : L’a COURa dit à bonne cause les oppositions des possedants fiefs et rotures y reünies, tant sujets que non sujets à rente envers le Roy, à cause du Comté d’Orbec en la Vicomté de Folleville, dont les mouvances et tous droits seigneuriaux utiles et casuels demeureront au Roy, et ordonné que lesdites Lettres seront registrées au Registre de ladite Cour pour être ledit fief érigé, et les rentes et mouvances des rotures reünies aux biens possedez par ledit le Sens dépendantes du Roy, et non d’autres en ladite Vicomté ; et faisant droit sur les conclufions dudit de Giverville, Ordonné que ledit fief érigé sera à l’avenir dénommé le fief de Folleville le Sens. Au surplus tres-humbles renontrances seront faites à sa Majesté sur la consequence de telles ajudications, dépens com-pensez. Payera néanmoins ledit le Sens le Rapport et coust du present Arrest. Fait à Roüen en Parlement le 2it jour d’Aoust l’an 1675. Signé, VALLÉE, avec paraphe.

Ce Seigneur feodal ne peut pas empescher que celuy qui possede quelque héritage dans san mouvance ne foüille dans son héritage aussi avant que bon luy semble, soit pour en tirer de la marne, de l’ardoise, de la pierre, ou autre chose semblable, quoy que le Seigneur alléguât que l’héritage en étant déterioré, s’il étoit vendu, les droits Seigneuriaux en seroient diminuez cela a été jugé au Parlement de Paris en l’Audience de la Grand. Chambre le 14 de Février 1é48. contre un S. igneur qui prétendoit empescher son vassal de tirer de la marne sur le fonds qui étoit le de sa censive, pour la transporter sur un fonds qui n’en êtoit pas.