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CCVI.

En quel cas le Seigneur peut détourner l’eau courante en son fief.

Le Seigneur peut détourner l’eau courante en sa terre, pourvû que les deux rives soient assises en son fief, et qu’au sortir d’iceluy il les temette en leurs cours ordinaires, et que le tout se fasse sans dommage d’autruy.

Nous apprenons deTacite , l. 1. Annal. que pour empescher les inondations trop frequentes du Tibre, on députa des Commiffaires pour essayer si l’on pouvoit détourner les rivieres qui grossissoient le cours de ce fleve, en le faisant sortir de fon lit ; mais les riverains s’opposerent à l’execution de cette commission, alléguans qu’il ne falloit point changer l’ordre de la nature, que d oprimè rebus mortalium natura consuluerat, que sua ora fluminibus, suos cursus, ut originem ita finem dederat.

Les Seigneurs Feodaux ont souvent taché d’usurper beaucoup de choses contre le droit commun, la liberté et la commodité publique ; et quoy qu’il ne dût être permis à personne de changer le cours des rivieres, néanmoins ils se sont conservez le pouvoir de détourner l’eau courante en leurs terres, pourvû que les deux rives fussent assises en leurs fiefs, et qu’au sortir d’iceux ils les remissent en leur cours ordinaire : mais comme par ce changement les héritages qui n’étoient plus atrosez par ces eaux pouvoient être rendus steriles et infructueux, la Coûtume ne leur sermer de détourner les eaux qu’à cette condition que le tout se fasse sans dommage d’autruy, en ce cas ce droit Seigneurial n’est point odieux, et si ce changement apporte quelque utilité au Seigneur, ses vassaux n’ont point sujet de s’y opposer lors qu’ils n’en souffrent point de perte ce droit Romain donnoit même cette liberté aux particuliers, comme on l’apprend de la l. 1. 5. 7. D. Ne quid in flumine publico ripâ-ve fiat, quo aliter aqua fluat, sed si ( dit Ulpian ) alia urilitas vertatur ejus qui quid in flumine publico fecit, si fortè aggeres, vel quam aliam munitionem adhibuit, ut agrum suum tueretur, eaque cursum fluminis ad aliquid immutavit, cur éi non consulatur : Oportet enim in hujusmodi rebus utilitatem & tutelam facientis Spectari, sine injuriâ utique accolarum.

Cet Article a été tiré apparemment de cette loy.

Ces eaux dont la Coûtume permet au Seigneur dé détourner le cours, ne se doivent entendre ue des rivieres qui ne sont point navigables ; car les rivieres navigables appartenans au Roy, les oeigneurs feodaux ne peuvent rien entreprendre sur le cours d’icelles. C’est une maxime en France que les rivieres navigables sunt de Regalibus ; que sint Regalia de usib. feud.Bacquet , des droits de Justice, c. 30. Ainsi le Seigneur feodal ne peut détourner que les ruisseaux et es petites rivieres, lors qu’elles sont dans l’etenduë de son fief, parce que la Seigneurie directe luy en appartient en quelque façon. Une rivière, selon la doctrine de Cepola, peut appartenir I un particulier en trois manières, parce qu’elle prend sa source et son cours dans ses terres, u’elle luy appartient par la concession du Prince, ou par une longue possession qui excede toute memoire d’homme. Cepol. de Servit. predior. rustic. c. 4. n. 18.

La Coûtume ne donnant qu’aux Seigneurs cette liberté de détourner les rivieres, il est évident que les particuliers n’ont pas ce pouvoir. Mais au moins n’ont-ils pas cette liberté de boucher ou d’arrêter le cours des fontaines ; quand elles prennent leur source et leur origine dans leurs héritages ; Cette matière forme souvent de la contestation entre les voisins, sur tout lors qu’une fontaine a eu long-temps son cours, et que celuy qui le veut changer ou arrêter, ne le fait que ar quelque motif de vengeance ou de haine, et dans la seule vûë de nuire à son voisin, comme n’il arrive lors que l’on ôte à celuy qui est au dessous l’eau qui arrouseroit ses terres, ou que le moulin qu’il avoit fait bâtir demeure inutile faute d’eau.

I semble que lon ne peut empescher le proprietaire de disposer à sa volonté de la fontaine dont il est le maître, et pour user des termes de la loy, dont il possede le chef : Nam caput aquae, illud est unde aqua nascitur. l. 1. 5. caput. D. de aqua quotid. et estiva. Le Seigneur du fonds qui est au dessous n’a point sujet de s’en plaindre, parce qu’il est du droit naturel que chacun puisse user ce de son bien à sa volonté, neque existimari oportet operis mei vitio damnum tibi dari in ea re, in qua ure meo usus sum. l. sluminum. 5. item ; videamus. D. de damno infecto. Ce qui est si véritable que si nonobstant cette stipulation que le droit appelle damni infecti, je hausse mon bâtiment, ou que creusant dans mon fonds je dérive et attire l’eau qui étoit dans le champ de mon voisin, il ne peut m’en empescher en vertu de cette stipulation. Quand la source seroit dans mon héritage si mon voisin en coupoit les veines et les conduits qui passent dans le sien, je n’aurois point d’action contre luy : si in meo aqua erumpat que ex tuo fundo venas habeat, si eas vens incideris, et ob id desierit ad me aqua pervenire, tu non vim fecisse, si nulla servitus mihi eo nomine debita fuerit. à in meo. D. de a4. et aquâ pluv. arc.

On allégue au contraire, que quand une eau a eu son cours durant un si long-temps, qu’il excede toute mémoire d’homme, cela fait présumer un droit de servituaee. C’est la décision de la loy hoc jure de aquâ quotid. et estiv. ductus aquae cujus origo memoriam excessit jure constituti loco habetur ; et dans le 5. dernier de la même loy, le Jurisconsulte pose pour maxime qu’encore que le titre de la servitude ne paroisse point, si toutefois la possession en est ancienne, et qu’elle sit été publique, par cette longue coûtume la servitude semble avoir été justement imposée Ubi servitus non invenitur imposita, qui diu usus est servitute, neque vi, neque clam, neque precario habuisse longa consuetudine, velut ex jure impositam servitutem videatur. En second lieu, il y va de l’interest public que le cours des eaux ne soit pas détourné, et c’est violer l’ordre de la nature que de changer ce qu’elle a dispensé si sagement, l. Preses de servitut. et aquâ. C. l. 2. de Lege Aquil. C Mais en tout cas quand le proprietaire ne fait ce changement que dans le dessein de nuire à son prochain, l’équité naturelle ne peut souffrir une malice dont l’auteur ne reçoit aucune utilité, ce que le Jurisconsulte a fort bien décidé en la l. 1. 5. denique Marcellus de aquâ et a4. pluv. arc D. cum eo qui in suo fodiens vicini fontem avertit, nihil posse agi, nec de dolo actionem et sanè non debet habere, si non animo vicino nocendi, sed suum agrum meliorem faciendi id fecit Pour la décision de cette difficulté nos Docteurs font cette distinction, ou le proprietaire de onds est obligé de laisser couler l’eau qui sort de la source, qui est sur son fonds, sur les héritages qui sont au dessous, ou il ne l’a souffert que par grace et sans aucune obligation ; au premier cas celuy qui souffre du dommage par le changement du cours ordinaire de l’eau peut s’y opposer. mais quand l’eau n’a coulé sur son fonds que par une grace, et comme parlent les Docteurs, jure facultatis, il est vray de dire que le proprietaire de la fontaine en la détournant ne fait rien qui ne luy soit permis jure suo utitur, et par consequent le voisin n’a point d’action contre luys quoy qu’il en fouffre un grand préjudice ; et c’est l’espèce de la loy Proculus de damno insecto, et des autres loix que j’ay citées.

Mais cette distinction ne décide pas pleinement la question, car la difficulté consiste le plus souvent à sçavoir si le voisin a droit de servitude, ou s’il ne s’est servi de ces eaux que par souffrance et par grace

si la servitude est prouvée par quelque titre ou quelque contrat, ou qu’elle soit imposée par la coûtume du lieu, il est sans doute que les choses doivent demeuter en leur ancien état, et que l’on ne peut y apporter d’innovation ; mais lors que l’on ne prouve point la servitude, ni par l’autorité de la loy, ni par aucune convention, quoy que par nos Coûtumes une servitude ne se puisse acquerir sans titre, on demande si pour les choses de cette qualité une si longue souffrance et une possession immemoriale, et qui paroit aussi ancienne que le monde suffit pas pour faire présumer un titre : Il faut neanmoins distinguer entre les actes de possession : Ils doivent être de telle qualité qu’ils ne puissent avoir été faits qu’en consequence d’un droit de servitude, quod quis per se ipsum facere non posset in fundo vicini citra jus & nomen servitutis, comme couper la haye, faire vuider et curer le canal, ou fossé, qui traverseroit par le fonds du voisin, ou d’avoir fait couler l’eau par dessus iceluy, ce qui ne se peut faire regulièrement sans avoir un droit de servitude.

Je ferois difference entre les cax que l’on prétend être d’un usage public, et celles qui ne sont contestation qu’entre les particaliers. Il arrive souvent dans le païs de Caux, et dans les autres lieux éloignez des rivieres, de la dispute pour les mares entre les habitans des villages, lors que des particuliers veulent les clorre pour en empescher l’usage au priblic, prétendans en être proprietaires : c’est en ce cas qu’une longue souffrance, un usage public, et une possession immemoriale me paroissent suffisans pour faire présumer un titre, sur tout lors que la situarion du lieu favorise cette presomption ; car il n’est pas vray-semblable que des proprietaires eussent souffert une possession si publique et si continuelle s’ils avoient eu droit de l’em-pescher ; mais quand la contestation pour le changement d’eaux n’arrive qu’entre des particuliers, et pour leur interest particulier, puisque nous sommes si fort attachez à cette maxime qu’il n’y a point de servitude sans titre, la possession feule ne la peut établir, et l’on doit présumer qu’elle n’a eu pour cause que la grace et la patience du voisin, jure familiaritatis & facultatis usum fuisse, et que par consequent le proprietaire du fonds où la fontaine prend son origine en peut disposer à sa volonté, si le proprietaire du fonds inferieur n’a fait quelque chose qui fafse présumer un titre ; comme si pour faire couler sur ses terres l’eau avec plus l’abondance, il avoit élargi les canaux et les fossez, par lesquels elle passe dans l’héritage de dessus appartenans à un autre, ou s’il les avoit curez, enfin s’il y avoit fait quelque acte de pro-priéraire, tout cela étant soûtenu par une longue possession publique et contradictoire, seroit présuimer un titre, et que cela ne s’est point fait par une simple souffrance.

Sa au contraire l’eau a eu son cours naturel sur le fonds inferieur, dont le propriétaire n’a fait aucun acte possessoire, qui puisse marquer quelque droit de servitude, et comme parlent nos Docteurs, si non intervenit aliquis hominis usus vel factum, en ce cas il faut dire qu’il ne s’est servi de cette eau que par grace, jure facultatis & familiaritatis.

Mais en donnant cette liberté à celuy qui possede le fonds superieur, de détourner la fonaine, celuy qui est au dessous n’a-il pas droit de son côté d’empescher que l’eau ne coule sur son fonds, n’étant pas obligé de souffrir cette servitude sans titre ; Mais il faut dire que regusierement le fonds inferieur est tenu de recevoir l’eau qui coule d’enhaut, lors que par la situa-tion du lieu elle y a une pente naturelle ; en ce cas c’est une espète de servitude naturele, que la nature mêmé a imposée, comme lors que l’eau prend sa source dans un lieu élevé, Il faut absolument qu’elle décende, et qu’elle soit reçûë dans le fonds qui est au dessous, dont de proprietaire n’a point d’action pour contraindre celuy qui possede le fonds superieur de faire des digues et des chaussées pour la retenir ; agri natura serbanda est, et semper inferior superiori servire atque naturaliter pati inferior ager à superiore compensareque debet cum alio commodo. l. 1. 8. denique, c. 65. 8. si vicinus. D. de aqua pluv. arc. suivant la l. 2. de aqua et a4. pluv. arc. an. D. On est tenu en trois cas de recevoir les eaux de son voisin ; tria sunt per que locus inferior supeviori servit, lex, natura loci, vetustas que semper pro lege habetur dirimendarum scilicet litium causâ.