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CCXVIII.

Charge de la Garde-Noble Seigneuriale.

Le Seigneur fait les fruits de la garde siens, et n’est tenu à la nourriture et entretenement des personnes des sous-âges s’ils ont échéettes ou autres biens roturiers : mais où les tuteurs et parens mettroient tous les héritages et biens desdits sous-âges entre les mains du Seigneur gardain, en ce cas il est tenu les nourrir et entretenir selon leur qualité et la valeur de leurs biens, contribuer au mariage des filles, conserver le fief en son integrité, et outre de payer les arrerages des rentes foncieres, hypothecaires, et autres charges réelles.

Dominus tenetur ut heredes ipfos pro quantitate hereditatis honorificè habeant, et debita defuncti vtiam pro quantitate hereditatis & temporis, pro quo illis custodia deputatur, acquitent ;Glanville , 1. 7. c. 9.

En explication de cet Article, on a demandé si le Seigneur Gardien doit avoir les enfans en sa garde, ou s’ils doivent demeurer au Tuteur ; Cette question fut disputée en l’Audience dé la Grand-Chambre le 19 de Mars 1666. entre Achard, sieur du Pin, ayant la Garde-Noble Seigneuriale des enfans mineurs du sieur de Barneville, et Morin, sieur de Banneville, Tresorier de France, à Caen ; tuteur desdits enfans. Je representay pour luy qu’en France il y avoit deux sortes de Garde-Noble, l’une, que jure agnationis deferebatur ; l’autre, jure feudi.

Argentré Argentr. Ad Art. 74. Pour la Garde-Noble qui étoit deférée jure agnationis, elle ne se donne qu’aux pere, mere, ayeul, et ayeule ; et comme on présume que des personnes si proches s’acquiteront d’un devoir où la nature les sollicite si puissamment, on leur confie la garde de sieurs enfans, quia tutela eodem jure defertur. Il n’en est pas de même de la garde seodale et Seigneuriale, nullum jus tutelae aut curae habet, nec obstat Baillium tutela aut curae. M d’Argentré , Art. 79. gl. 1. n. 3. Le Gardien-Noble n’a point de droit sur les personnes, et c’est pourquoy par l’Article 216. le seigneur a seulement la garde des fiefs nobles ; et quoy que par cet Article le Seigneur soit obligé de nourrir et d’entretenir les enfans selon leur qualité et selon la valeur de leurs biens, il ne s’ensuit pas qu’il doive avoir la garde de leurs personnes, quand le tuteur ou les parens se veulent charger de leur éducation, de leur garde, et de leur nourriture ; que si les parens refusoient de prendre ce soin, en ce cas le Seigneur est tenu de les recevoir : Il fut jugé de la sorte, et que les mineurs demeureroient entre les mains du tuteur.

Autre Arrest sur ce fait. Mre Henry de Vieuxpont avoit la Garde-Noble Seigneuriale du fief des Vietes, appartenant aux enfans mineurs du feu sieur de Guerpel. Abraham le Maienen, Ecuyer, leur tuteur, le poursuivit pour envoyer le fils à l’Academie, et pour payer les penfions des filles qui étoient en un Monastere, comme aussi pour reparer les bâtimens, à quoy n’ayant point satisfait, aprés plusieurs remises on le déclara déchû du droit de GardeNoble : Sur son appel, de l’Epiney, son Avocat, disoit que suivant cet Article, le tuteur et les parens pouvoient se plaindre contre le Gardien-Noble qui ne faisoit pas son devoir, tant pour l’éducation et l’instruction des enfans, que pour leur nourriture, aux fins de l’y obliger. c’étoit la seule peine que la Coûtume prononçoit contre le seigneur Gardien, qui en usoit mal, à sçavoir de le contraindre à fournir la nourriture et les autres choses necessaires, Art. 215 ce que le tuteur pouvoit faire en saisissant les revenus pour y être employez, mais que ce manquement de la part du Seigneur n’emportoit pas la perte de la Garde-Noble : Je répondois pour le tuteur que ce droit n’étoit pas favorable, si le Seigneur s’en vouloit prévaloir, il étoit obligé nécessairement d’executer tputes les conditions qui luy étoient imposées par la Coûtume et qu’il n’y en avoit point de plus importante pour le public, et pour les enfans, que celle de leur nourriture et de leur instruction : et pour cette cause on a permis aux tueurs de se plaindre contre les Seigneurs qui abusoient de leur droit, que si aprés avoir été condamnez par la Justice, ils ne s’acquittoient pas de leur devoir, ils encourent la peine imposée que leur negligence merite, qui est la perte de leur droit, et il ne seroit pas juste qu’ils profitassent de leur faute, et que le tuteur et la Justice n’eussent d’autre voye pour contraindre le Seigneur que la simple saisie qui seroit toûjours onereuse aux pupilles, à cause des frais qu’il faudroit faire, et encore le plus souvent inutiles par les traverses et les oppositions. qu’un seigneur ne manqueroit pas de former pour se conserver la joüissance du bien. Or le Seigneur de Vieuxpont non seulement en avoit mal-usé pour la personne des mineurs, il avoit même laissé tomber en ruine tous les bâtimens, faute de les avoir entretenus et reparez, que les payemens des pensions qu’il disoit avoir faits depuis la Sentence ne lexcusoient point, post cecptum judicium non admittitur purgatio mora, parce qu’en ces sortes d’affaires aprés la Sentence on n’est plus reçû à reparer sa negligence ; mais bien loin d’avoir fatisfait à son devoir, quoy qu’il y eût plus d’un an que la Sentence eût été donnée, il n’avoit pis envoyé le fils à l’Academie : Par Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre du 16 de Decembre 1667. la Sent ence fut confirmée

Les sentimens des Commentateurs, Bérault etGodefroy , sont opposez sur cette question, esi la coupe des bois-taillis et la pesche des étangs échéant au temps de l’ouverture de la GardeNoble, appartiennent entieres au Seigneur Gardien : Bérault les donne entieres au Seigneur, et dit que gaudebit bonâ fortunâ ; comme dans un cas contraire il n’auroit rien du tout, si la Garde-Noble duroit si peu qu’il ne se trouvat aucuns fruits ni revenus dont le Seigneur pût avoir la joüissance. L’opinion contraire a paru plus équitable àGodefroy , étant même fondée ur l’autorité dePapinien , en la l. Divortio, S. si fundum D. solut. matrim. et il a crû que les ruits et les taillis doivent être partagez pro ratâ temporis.

L’opinion de Bérault me semble plus véritable suivant cet Article, le Seigneur fait sans ditinction les fruits de la garde siens, et par consequent tout ce qui peut être perçû luy appar-tient, et l’autorité de la I. Divortio, S. si fundum jure, ne peut être appliquée à ce propos, parce que le mary ne doit avoir les fruits qu’à proportion de la joüissance ; aussi en quelque temps. que le divorce ou la mort de la femme arrive, le mary profite des fruits à proportion du temps. Il n’en est pas de même du Seigneur Gardien, qui ne fait les fruits siens que quand ils peuvent être percûs durant le temps de la garde ; et c’est pourquoy il doit jouir de la bonne fortune, comme de la mauvaise. La Coûtume de Troyes, Art. 26. Tit. des Droits Seigneuriaux, t pour lever cette ambiguité, dit que si le Seigneur prend l’année pour son droit de relief, s’il y a étang ou pesche, ou forests en coupe, l’année qu’il choisira les coupes et pesches seront égalées et évaluées.

Il est sans doute que dans l’abandonnement de tous les héritages et biens des mineurs, les meubles ne sont point compris ; ces paroles, tous les héritages et biens, donnoient lieu de douter, si la Coûtume n’entendoit parler que des héritages, le mot de biens êtoit superslu ; mais le droit de garde étant purement réel, il ne s’étend que sur les biens de cette nature.

si durant la garde les enfans avoient vécu de leur industrie, ou s’ils avoient été nourris par leurs parens ou par leurs amis, on demande s’ils pourroient user de repetition contre leur ardien pour la dépense qu’il auroit dû leur fournir : Là-dessus les Docteurs ont fait cette distinction, que lorsque les alimens ne sont dûs que par une obligation naturelle ex officio pieta-tis, si ceux qui auroient eu droit de les demander, ont eu leur subfistance d’ailleurs, ils n’ont point d’action pour le passé : Mais quand les alimens sont dûs par une obligation, et en vertu de la disposition de la Coûtume, le créancier alimentaire a toûjours droit d’en faire la demande, et on ne luy peut objecter qu’il ne peut demander des alimens pour le temps passé, parce que celuy qui étoit obligé de luy fournir sa nourriture ne doit pas profiter de son épargne ou de son industrie, ni de la gratification de ses parens ou de ses amis. Ainsi le frere étant obligé de fournir des alimens à sa seur quand elle n’est point mariée, il n’en est pas hiberé s’il ne luy a rien baillé, et si elle a subsisté par son industrie ou par la liberalité de ses parens. On peut appliquer ces maximes aux gardiens, lesquels étant obligez de fournir la nourriture aux Jason nineurs, ils sont tenus de les en recompenser lorsqu’ils n’y ont point satisfait. Jason, ad l. de Alimentis, c. de Transact.