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DES GARDES.

ETTE espèce de Patrons et de Cliens dont l’Histoire et les loix Romaines. font mention, n’a jamais été pratiquée parmy nous, mais nous avons unt autre espèce de Patronnage et de protection qui en a quelque ressemblance.

C’est celle que les Seigneurs s’attribuent à légard des fiefs qui rclevent d’eux, car au lieu des presens, des services et des reconnoissances que les Cliens de Rome faisoient à leurs Patrons, les Seigneurs feodaux ont le droit de Garde, en vertu duquel ils joüissent des fiefs appartenans à leurs vassaux mineurs,Couvell . in Instit. jur. Angl.Cujas , l. l. t. 17. de legitim. patron. tutel.

Ce droit de Garde-Noble n’est point particulier’aux Normans. Jus nec Francis nec cateris Provinciis ignotum, quamquam variat usus, dit M’d’Argentré , sur l’Article 74. de sa Coûtumes qui donne à ce droit le nom de bail et de rachapt : Mais quelque difference que les Coûtumes et les Usages divers y ayent apporté, elies conviennent toutes en ce point que le Gardien fait les fruits siens des choses qui tombent en garde, sans en rendre compte ; elles different en ce point qu’en la pluspart ce droit est deféré par droit du sang ; et par la nôtre, comme par celle de Bretagne, c’est par la loy de la feodalité, lege feudi, non jure sanguinis, M d’Argent . ibid. Et de pretexte que les Seigneurs ont pris pour se fattribuer, est que le mineur n’étant pas en pouvoir de servir son Seigneur, le Seigneur doit joüir du fief pour se desinteresser ; Et d’ailsieurs on présumoit qu’il ne pouvoit être mieux instruit en lart militaire que par le Seigneur même qui en devoit tirer le service :Couvell . ibid.Chopin , Coûtume de Paris, l. 1. t. 1. n. 1. tient que la Garde-Noble est introduite afin que les Seigneurs ne fussent pas privez du service qui leur êtoit du pendant la minorité des pupilles.

Ce droit est en usage dans l’Angleterre et dans l’Ecosse ; il est assez obscur si nous lavons appris d’eux, ou s’ils l’ont recû de nous. Il est bien certain que les Ecossois ne nous sont point redevables de cette invention ; car Maleolin Il. qui commença de régner l’an mil quatre de Nôtre Seigneur, et qui ne regna que trerte ans, l’avoit établi dans l’Ecosse ; et le passage. de nôtre Guillaume le Conquérant en Angleterre ne fut qu’en l’année mil soixante : six. Rex Malleolinus ou Micolinus dedit et distribuit totam terram regni Scotiae hominibus suis, et nihil sibi rerinuit, nisi Regiam dignitatem, & montem Placiti in villà de Sconâ, et ibi Barones concesserunt illi Wardiam et rele vium de cujuscunque herede defuncti ad sustentationem Regis : Ils entendent par ce montem Placiti, le lieu où se jugeoient les procez, et aeù. la Cour et le Parlement du Roy se tenoit : etBuchanan , l. 6. histor. Scotiae, ajoûte que la Noblesse pour reconnoître la liberalité du Roy, consentit que quand quelqu’un tnouroit, ses enfans jusques à l’âge de vingt ns demeureroient en la Garde du Roy, qui joüiroit de tous leurs revenus, à condition de les nourrir et de les faire instruire, qu’il auroit seul le pouvoir de les marier, et que la dot luy retourneroit, ce que Buchanan confirme en la vie de Jacques I. lib. 1o Il est fort vray-semblable que ce droit s’établit aisément en Angleterre, à cause du voisinage et du commerce qui étoit entre ces deux Royaumes, ou peut-être que ce qui fut fait par Maleolin, n’étoit qu’une imitation de ce qui s’observoit en Angleterre ; en effet c’est l’opinion deBuchanan . Hunc morem à Danis et Anglis acceptum puto, quod in totâ Angliâ et parte Normanniae perseveret ; il se tiompe, car il a lieu en toute la Normandie.

Il pourroit être aussi que ce droit étoit déja établi en Normandie avant le passage de Guilaume, et qu’il le fit recevoir aux Anglois comme toutes les autres Coûtumes de Norman-die. On peut en rapporter cette preuve que le mot de Garde est François, Steneus l’avoue, Warda gallicum est verbum : illi enim Gardiam nos Wardam dicimus ; nam illis ( G ) nobis CW est in usu : illi enim i garentir ) nobis ( Warentixare ) illi ( garenne ) nobis ( Warenne ) illi ( garderobbe ) nobis marderobbe, illis ( Gardianus ) nobis ( Wardianus. ) Ce qui peut être confirmé par cette autre remarque, que presque tous les Articles de ce Titre sont conformes aux loix d’Ecosee : Steneus en a composé des regles, l. 2. Tit. 42.

Les Normans porterent encore depuis cette même Coûtume au Royaume de Naples, Matth. de Afflictis Constit. Neapol. l. 3. Tit. 23. et 27. de jure Balii, vide Thomam Smith Reip. Angl. l. 2. c. 4.


CCXIII.

Droit de gardes.

Les enfans mineurs d’ans, aprés la mort de leur pere, mere, ou autre leur predécesseur, tombent en la garde du Seigneur duquel est tenu par foy et par nommage le Fief-Noble à eux échû, soit fief de Haubert, ou membre de Haubert jusques à un huitiéme.

Prarogativa Regis Angliae edita an. 17. Eduard. Il. Dominus Rex habebit custodiam omnium terrarum que de ipfo tenentur in capite per servitium militare de quibus tenentes fuerunt faisiti in do-minio suo ut de feodo die quo obierunt, de quocunque tenuerunt, per hujusmodi servitium, dum tamen ipsi de Rege tenuerunt aliquod tenementum ab antiquo de Corona usque ad septimam atatem heredis.

En cet Article la Coûtume déclare les personnes qui tombent en garde, ceux à qui la garde appartient, et pour quelle nature de biens on tombe en garde La minorité seule donne ouverture à la garde, et elle appartient au Seigneur duquel est tenu par foy et par hommage le fief échû au mineur ; mais la garde n’a lieu que pour les fiefs tenus par foy et par hommage, et par cette raison quelques-uns estiment que les Ecclesiastiques n’ont point à cause de leurs fiefs le droit de Garde-Noble. Par cet Article les mineurs tombent en la garde du Seigneur, duquel est tenu par foy et par hommage le Fief-Noble à eux échù : Or les fiefs Ecclesiastiques sont fiefs d’Aumones, à cause desquels on ne leur fait point de foy ni d’hommage. Nôtre Coûtume ayant fait quatre sorte de tenûres, par hommage, par pagage, par aumone, et par bourgage. Et comme les Ecclesiastiques sont dispensez de la fuy et hommage quand ils ont obtenu un amortissement, ou possedé par quarante ans, et qu’ils ne tombent jamais en garde, il ne seroit pas juste qu’ils joüissent d’un droit qu’ils ne rendent s jamais à d’autres. Les Aveux qu’on leur rend ne doivent être considerez que comme de simples declarations, et des dénombremens qui ne leur servent que pour la conservation de leurs droits et de leurs rentes, et qui sont necesçaires aux Seigneurs pour maintenir la dignité de leurs fiefs. On peut dire pour les Ecclesiastiques que par l’Article 41. les Ecclesiustiques possedans Fiefs-Nobles par aumone, ont l’exercice de la Justice, et tous autres droits appartenans à leurs Fiefs par les mains de leur Juge, Senéchal ou Bailly. Puis donc que la Coûtume leur attribue et reur conserve tous les droits appartenans à leurs fiefs, il n’y a pas lieu de les exelure du retrait feodal, ni du droit de garde ; cette question se décide par les mêmes raisons que celle du retrait feodal, que j’ay remarquées sur l’Article 178. Il y a cela de particulier pour les Gardes-Nobles, qu’en conservant ce droit aux gens de main-morte, l’interest public n’y est point blessé, ne s’agissant que de joüissances qui finissent aussi-tost par la majorité du mineur auquel la proprieté demeure entière. D’autre part on peut dire que la Garde-Noble n’est donnée au Seigneur que pour le desinteresser du préjudice qu’il souffre par l’incapacité du mineur, de luy donner assistance pour le service militaire qu’il doit au Roy : Or les Ecclesiastiques étant exempts de ce service, la cause de la Garde-Noble cessant, elle ne doit plus avoir d’effet à leur égard. D’ailleurs le Gardien. Noble étant obligé à l’instruction et à la nourriture des mineurs, les Monasteres et les gens d’Eglise sont incapables de s’acquiter de ces devoirs-là, sur tout lors qu’il n’y a que des filles. Cette question est assez importante pour être décidée par un Reglement ; mais jusques à present les Seigneurs feodaux Ecclesiastiques sont en possession de ce droit. Voyez cu-aprés l’Article 217.

Suivant l’Article 134. le treizième n’est point dû pour la premiere vente, que le parager fait de son fief ; il semble aussi que le parager pour la premiere fois ne doive point tomber en garde, ce qui est décidé de la sorte par l’Article 174. de l’ancienne Coûtume de Bretagne. J’ay proposé cette question sur l’Article 154. et il se pratique de la sorte en Angleterre, comme on l’apprend par une Declaration de Henry Roy d’Angleterre ; car pour montrer que les puisnées ne doivent point l’hommage à leur seur ainée, il raisonne de cette sorte. Si primogenita homagium à suis sororibus acciperet, effet quasi Domina earum, et posset habere custodiam parum & filiorum suorum. Ce qui montre que les paragers ne tombent point en garde ; en effet puisque suivant cet Article il n’y a que ceux qui tiennent par foy et hommage qui tombent en garde, les paragers n’y sont point sujets, vû que par l’Article 128. ils ne doivent point l’hommage.

La Garde-Noble commence par la mort des peres et meres des mineurs, ou autres leur predécesseurs, si le vassal est absent, Berault demande par quel temps on le présumera mort : T’ay traité cette question ailleurs.

On peut voir dans la Conference des Coûtumes, Tit. 12. des Gardes-Nobles, et dans les additions à cet Article, toutes les espèces de Garde-Noble qui sont en usage en France.


CCXIV.

Combien de sortes de Gardes.

Il y a Garde-Noble Royale, et Garde-Noble Seigneuriale.

Le Roy n’est pas le Gardien et le Tuteur universel de tous les mineurs, puisque la Coûtume fait de deux sortes de Garde-Noble, l’une Royale, l’autre Seigneuriale.


CCXV.

Garde Royale, La Garde Royale est quand elle échet pour raison du fiéf-noble tenu nuëment et immediatement de luy, et a le Roy par privilege fpecial, que non seu-sement il fait les fruits siens des fiefs-nobles immediatement tenus de luy, et pour raison desquels on tombe en sa garde : mais aussi il a la garde et fait les fruits siens de tous les autres fiefs-nobles, rotures, rentes et revenus tenus d’autres Seigneurs que luy, mediatement ou immediatement : à la charge toutefois de tenir en état les édifices, manoirs, bois, prez, jardins, étangs, et pescheries, payer les arrerages des rentes seigneuriales, foncieres et hypotheques qui échéent pendant la garde, et de nourrir et entretenir bien et dûement les enfans selon leur qualite, âge, facultez et famille, et sont ceux ausquels le Roy fait don desdites gardes sujets ausdites charges, et d’en rendre compte au profit des mineurs.

Les prerogatives de la Garde-Noble Royale sont incomparablement plus grandes que celles et de la Garde Seigneuriale. Elles sont exprimées par cet Article, et les conditions sous lesquel les le Roy, ou ceux ausquels il en a fait don, doivent joüir du bien des mineurs Par le Reglement de la Cour de l’année 1666. les moulins, colombiers et autres droits feodaux separez du fief ne tombent point en la garde Royale ni Seigneuriale, Article 31. Les meubles du mineur n’y tombent point, Article 33

Il eût été fort necessaire de faire encore un Reglement pour les rentes constituées. Il est sans doute qu’elles n’appartiennent point à ceux qui ont la Garde-Noble Seigneuriale, la dificulté n’est que pour la Garde-Noble Royale.

Il semble que la Coûtume s’en est expliquée fort nettement, en donnant au Roy non seulement les fiefs-nobles, mais aussi les rotures, rentes et revenus tenus d’autres Seigneurs, les rentes y étant comprises sans distinction ; dans cette disposition on ne peut pas en rétrancher les rentes constituées, ce qui est d’autant plus juste que le Roy ou le donataire est tenu de payer toutes les rentes qui sont dûës par le mineur.

D’autre part on raisonne de cette sorte, que la Garde-Noble ne s’étend proprement que sur les choses réelles qui ont une assiete : qu’on ne peut tirer avantage de ces mots rentes et revenus ; car il est manifeste que le mot de rentes ne peut être entendu que des rentes foncie res, la suite des paroles le fait connoître évidemment. La Coûtume dans la premiere partie de cet Article dispose, que le Roy fait les fruits siens des fiefs-nobles immediatement tenus de luyi mais elle ne fait aucune mention des rentes, et elle ne les donne point au Roy : Elle ajoûte en suite que par un privilege special, il a la garde et fait les fruits siens de tous les autres fiefs. nobles, rotures, rentes et revenus tenus d’autres Seigneurs que de luy : D’où il resulte que cet Article ne donne pas generalement toutes les rentes au Roy ; au contraire dans l’énumeration des choses où la Garde Royale s’étend, il n’est parlé que des fiefs, et on ne luy donne que les rentes qui sont tenuës d’autres Seigneurs : ce qui ne peut être appliqué aux rentes constituées qui n’ont point de corps solide ni de situation, et qui ne sont tenuës d’aucun Seigneur. Par un ancien’Arrest du 29 de Novembre 1520. rapporté parTerrien Terrien , il fut jugé pour les enfans mineurs du sieur de Gaillard. Bois, que les meubles et les rentes constituées ne tombent oint en garde. Et le 17 de Decembre 1660. en une cause où je plaidois pour le fils de Mr d’Anviray Conseiller en la Cour, qui avoit obtenu du Roy le don de la Garde-Noble Royale des enfans mineurs du feu sieur le Miere contre le tuteur des mineurs, il fut dit que Mr d’Anviray joüiroit des rentes constituées. Maurry plaidoit pour le tuteur ; mais cet Arrest ne peut faire de décision, car le tuteur se rapporta à la Cour d’ordonner ce qu’elle trouveroit à propos, et les parties étoient d’accord. L’opinion la plus commune, est que les rentes constituées tombent en la Garde Royale.

Nous en avons en cette Province une espèce de Principauté, à sçavoir celle d’Vvetot dont autrefois le Roy a prétendu avoir la Garde-Noble ; et par un ancien Arrest du 23 de Novembre 1503. il fut jugé par provision que la Principauté ou Royaume d’Vvetot tomboit en garde entre Mr le Procureur General du Roy et Mre René de Clermont, ayant le droit du Roy, et Guy Chenu, tuteur des enfans de Penot Chenu, Seigneur d’Vvetot.

Nos Rois en usent si liberalement qu’ils ne profirent point des Gardes-Nobles, ils la remettent le plus souvent aux mineurs, et dans la concurrence de plusieurs donataires, les plus proches parens sont toûjours preferez par la Chambre des Comptes.

On doutoit autrefois si lors qu’il n’étoit point declaré par les lettres que le don êtoit fait aux mineurs, et qu’au contraire elles contenoient expressément que la grace êtoit faite au tuteur, et pour recompense de ses services, ce tuteur pouvoit profiter de la Garde-Noble au préjudice ni de ses mineurs ; Cette question fut discutée au procez mû pour la reddition du compte du sieur de Franqueville. Le sieur de Bosrosey, tuteur donataire de la Garde-Noble, prétendoit ne devoir aucuns interests des deniers restans en ses mains ; la Demoiselle de Gangeville, tutrice de ses enfans, heritiers en partie du sieur de Franqueville, soûtenoit que vû sa qualité de tuteur, il ne pouvoit s’en exempter. Les raisons du sieur de Bosrosey étoient que le don de cette GardeNoble avoit été fait pour recompense de services, et non point en consideration des mineurs, qu’il avoit appelé les parens à la vérification qui ne s’y étoient point opposez, que ce droit appartenant au Roy, il pouvoit en disposer à qui il luy plaist, et qu’un parent n’étoit pas moins favorable qu’un étranger, et s’il ne profitoit point de cette Garde-Noble, il seroit frustré de li recompense de ses services contre lintention du Roy ; un tuteur depuis sa nomination ne peut rofiter sur ses mineurs, mais on ne pouvoit pas luy faire ce reproche, puisque leur bien appartenoit au Roy. La Demoiselle de Ganzeville luy opposoit que depuis son institution il avoit dû obrenir le don au profit de ses mineurs, qu’il avoit supprimé sa qualité de tuteur, tant dans le prevet que dans la verification en la Chambre des Comptes, qu’elle ne l’auroit pas verisiée de la sorte si elle favoit connuë ; c’est l’opinion deBacquet , Tit. des Francs-Fiefs, c. 10. que celuy qui accepte la tutelle ne peut accepter la Garde-Noble. Cette question fe trouvant partagée en la Chambre de EEdit le 22 de Mars 1635. on resolut de la consulter en la Grand-Chambre, où la pluspart des Messieurs furent d’avis que le tuteur devoit payer l’interest, nonobstant le don de la Garde-Noble ; mais que cet interest devoit être modéré au denier vingt, ce qui fut fait ans interest de l’interest ; l’Arrest est aux Régistres des derniers jours du mois de Mars 1635.

Pour la méré, comme son devoir l’oblige plus étroitement à conserver le bien de ses mineurs, on présume que le don de la Garde-Noble a été fait au profit de ses mineurs, par la raison de la l. verum ex familiâ. ff. de leg. 2. Et par Arrest du i8 de Juin 1638. un beau-frere, à qui la Garde-Noble avoit été donnée en consideration qu’il étoit parent des mineurs, fut condamné leur en faire la remise, bien qu’il ne fût pas tuteur.

En consequence de cet Article, qui oblige les donataires de la Garde-Royale à rendre compte, on a demandé si la mere pouvoit être exempte en payant seulement le reliqua du compte : Cette question s’offrit entre Daniel, sieur de Boisdalmenesc, et la Dame sa mere, femme en seconde nopces du sieur de Poitrincourt ; et par Arrest du mois de Mars 1655. en la Chambre des Enquêtes, I fut jugé qu’elle ne pouvoit s’éjoüir du don : on présuma qu’il luy avoit été fait en faveur de ses enfans, et que d’ailleurs sa qualité de mere l’obligeoit à la demander pour eux, Mais afin que toutes ces questions ne fussent plus douteuses, par l’Article 36. du Reglement, l est porté que le don ou remise de la Garde-Noble Royale, quoy qu’elle ne soit point faite à la tutrice ou au tuteur depuis son institution, est reputée faite au mineur, au profit duquel ils sont obligez de tenir compte des interests pupillaires ; ce qui a lieu pareillement si lors de l’institution le tuteur ne s’est point reservé à joüir de la garde qui luy êtoit acquise avant la tutelle.

On demande au contraire si la mere qui avoit obtenu la Garde-Noble du Roy, pourroit remettre e profit d’une autre Garde-Noble qui écherroit à son mineur : Une mere avoit obtenu du Roy. la Garde-Noble de son fils, âgé seulement de dix-sept ans ; la Garde-Noble d’un mineur, qui possedoit un arriere, fief, dépendant de la terre de son fils, étant échûë elle en fit remise pour quatre cens livres, son fils étant majeur prétendit qu’elle n’avoit pû disposer de cette Garde-Noble que pour le temps de sa minorité, que le fief dont elle avoit fait remise pour quatre cens livres valoit plus de trois mille livres de rente, et appartenoit à un mineur qui n’avoit que trois ans, ce qui luy apportoit un notable préjudice ; mais elle n’avoit pû exceder le temps, durant lequel par la grace du Roy elle devoit joüir de son bien, et neanmoins par Arrest du t de May 1643. le fils fut debouté de sa demande en l’Audience de la Grand : Chambre.

La qualité de mere peut avoir été le motif de l’Arrest, car présupposant que la remise faite par Je Roy est en faveur des mineurs, le tuteur n’en peut traiter qu’à leur avantage Tay remarqué sur l’Article 213. que la minorité donne ouverture à la Garde-Noble, et neanmoins la joüissance de la Garde-Noble Royale ou Seigneuriale ne commence que du jour de la demande en Justice, comme il fut jugé entre le fieur Baron de la Lutumière, Seigneur du fiefde S. Germain, et Guillaume Mersan, par Arrest du 27 de Juillet 1623. conformément à cet Arrest. Par l’Article 32. du Reglement, il est porté que la joüissance de la Garde-Noble Royale ou Seigneuriale ne commence que du jour que celuy qui la prétend, en a fait la demande en Justice, ou que le donataire a presenté ses lettres enrégistrées, lesquelles lettres seront sans effet si l’impetrant n’obtient sur icelles un Arrest d’enregistrement.

Le Seigneur qui n’a pas demandé la Garde-Noble perd les fruits, quia videtur aut remisisse, aut noluisse, si toutefois il venoit à vaquer quelque benefice il pourroit y presenter ; cela sur ugé pour le Curé d’Hermainville dont la presentation fut déclarée valable, bien que le Seigneur n eût fait aucune demande de la Garde-Noble : j’estime néanmoins que si le tuteur des mineurs avoit presenté, que sa presentation prévaudroit sur celle que le Seigneur auroit faite, avant qui l’avoir fait la demande de la Garde Noble, puisque cessant cette demande en Justice, la poüissance de la Garde-Noble ne luy appartient point.

Suivant l’Article 34. du même Reglement, le donataire de la Garde-Noble Royale est comptable des immeubles du mineur, au profit duquel il doit payer ce qui en restera aprés les charges acquitées, ausquelles charges il n’est obligé que jusques à la valeur du revenu du mineurs la Garde-Noble étant donnée au Roy pour en tirer quelque benefice, il n’étoit pas raisonnable de charger le donataire au-de-là de ce qu’il en reçoit ; cet Arrest ne se trouve point sur le Registre.

Le donataire de la Garde-Noble Royale est exempt des interests pupillaires, mais aussi il ne peut demander aucune chose pour ses vacations ; il peut seulement avoir ses voyages et son sejour hors sa maison, Article 35. du Reglement. C’est une espèce de Garde-Noble Royale que le droit de Regale, qui appartient au Roy lors qu’un Eveché ou Archeveché vient à vaquer ayant droit de pourvoir aux Benefices, faisant les fruits siens de tout le Temporel, et étant administrée par ses Officiers.


CCXVI.

Garde-Noble Seigneuriale.

Le Seigneur feodal a seulement la garde des fiefs nobles qui sont tenus de luy immediatement et non des autres fiefs et biens appartenans ausdits mineurs tenus d’autres Seigneurs, soit en fief ou en roture.

Cet Article est encore observé en Angleterre, heredes Sonomannorum mortuis Antecessoribus suis in custodiâ propinquorum suorum erunt.

L’acceptation que le Seigneur fait de la Garde-Noble ne l’engage pas indispensablement, il est en son pouvoir de la remettre et d’y renoncer quand elle luy est onereuse. Jacques Henty du Moussel, sieur d’Acqueville, Conseiller en la Cour des Aydes, qui avoit épousé la veuve du sieur Labbé, ayant formé action contre Pierre Labbé, sieur d’Ecajeul, tuteur de la fille mineure du sieur de la Roque, pour l’obliger de recevoir la remise de la Garde-Noble du sieur de la Roque, qui luy avoit été donnée par l’Evéque de Lisieux, avec offre de luy rendre compte de la joüissance, le tuteur ayant été déchargé de cette action, fut l’appel du sieur du Moussel, par Arrest en la Grand. Chambre du s d’Aoust 1650. en infirmant la Sentence, on déchargea l’appelante de la Garde-Noble du jour de sa declaration. La même chose fut jugée pour le sieur du Pin : Je plaidois pour le sieur de Banville-Morin, Tresorier de France à Caen, tuteur des enfans mineurs du sieur de Barleville, qui accepta la remise faite par le Gardien-Noble, et en consequence les parties furent renvoyées compter devant les Commissaires sur le Registre de la Cour ; le Gre ffier a omis la déclaration du sieur du Pin.

Ce droit de Garde-Noble engage étroitement le Seigneur à la protection des mineurs et à la conservation de leurs interests, autrement il se rend indigne de ce benefice s’il commet quelque chose contre son devoir, ou qu’il les plaide mal à propos et sans aucun pretexte. Le sieur de Pierre avoit contesté la legitimité des enfans de du Pont, sieur de la Blachere, il avoit même maltraité le pere ; cela donna lieu au tuteur des mineurs de soûtenir qu’il étoit déchû de son droit de Garde-Noble, car au lieu de défendre ses mineurs, il avoit contesté leur condition et entrepris. le les reduire dans l’infamie, et la mendicité. Le Seigneur répondoit qu’il n’avoit contesté leur état que pour la conservation de ses droits, que la Garde-Noble étoit un droit feodal dont le seigneur n’étoit pas privé pour avoir plaidé contre le mineur ; par Arrest en la Grand-Chambre du 8 de May 1640. le Seigneur fut maintenu en son droit de Garde-Noble : mais en l’espece de cet Arrest le Seigneur n’êtoit pas défavorable pour avoir soûtenu un droit qu’il prétendoit luy appartenir par la Coûtume.


CCXVII.

Ce qui ne tombe en garde est regy par le tuteur.

Les biens appartenans à sous-âges, soit en fief ou roture, lesquels ne tombent en garde, sont regis et gouvernez par leurs tuteurs, à la charge de leur en rendre compte quand ils seront en âge.

Il est mal-aisé de comprendre ce que la Coûtume a voulu dire en cet Article, et ce qu’elle entend par les biens appartenans à sous-âges, soit en fief ou roture, lesquels ne tombent point en garde ; car tous les fiefs regulierement tombent en la garde du Seigneur dont ils sont tenus par foy et par hommage, suivant l’Article 213. Or en cette Province nous ne connoissons aucuns fiefs qui ne soient tenus par foy et par hommage, finon les fiefs d’aumône possedez par les gens de main-morte.

Il faut donc dire, pour donner im sens raisonnable à cet Article, que par ces fiefs appartenans à sous-âges qui ne tombent point en garde, hous entendions les fiefs d’aumone. D’où il rensuivra nécessairement que les gens de main-morte ne pourront joüir du droit de GardeNoble : car puisqu’il n’y a point de fiefs qui ne soient nobles, et qui ne soient tenus par foy et par hommage, et que les fiefs qui sont de cette qualité tombent en garde, et que d’ailleurs suivant cet Article, il y a des fiefs qui n’y tombent point, il est d’une consequence infaillible que les fiefs d’aumone sont les fiefs dont il est parlé en cet Article, parce qu’ils ne sont point renus par foy et par hommage.

Aussi Mr Vigor manqua de se prévaloir de cet Article et d’en tirer un puissant argument, pour prouver que les Ecclesiastiques n’étoient pas recevables au retrait feodal, et le sieur Châtelain n’y répondit que par une raison tres-foible : Il allégua que ce nom de fief s’attribuoit aussi-bien à quelque espèce d’héritages roturiers comme à des héritages nobles, ce qui est veritable ; mais on n’en peut faire d’application en cet endroit où la Coûtume a parlé de rotu-res, aussi-bien que de fiefs ; quand même la Coûtume auroit dit simplement qu’il y a des biens ou des fiefs qui ne tombent point en garde, on admettroit difficilement cette explication en traitant des Gardes dont les fiefs sont le véritable sujet, mais les paroles de cet Article levent toute lambiguité ; il n’est pas dit seulement qu’il y a des fiefs qui ne tombent point en garde, on y ajoûte qu’il y a aussi des rotures : Or si le mot de fief êtoit employé pour signifier une roture, il s’y rencontreroit une repetition de mots ridicule et supersluë, et cet Article repeteroit deux fois qu’il y auroit des rotutes qui ne tombent point en garde ; ainsi ces mots ssoit en fief, soit en roture ) ne signifieroient qu’une seule chose.

Bérault n’a point compris cet Article ; voicy comme il lexplique. La Coûtume disant que les enfans mineurs tombent en garde elle parle improprement, car c’est le fief qui tombe en garde ; c’est à dire gardé et conservé par le Seigneur. Il étoit dans cette pensée que ces paroles, lesquels ne tombent en garde, ont leur liaison avec le mot de sous-âges et non point avec ceux de fief, ou de roture : Mais quels pourroient être ces sous-âges qui ne tombent point en garde, puisque tous mineurs sans exception qui possedent des fiefs tombent en garde ? Au conrraire tous fiefs, excepté ceux d’aumone, tombent en garde, et les rotures quand la garde est Royale ; mais quand elle ne l’est pas, les rotures ne tombent point en la garde des Seianeurs que quand le tuteur fait l’abandonnement de tous les biens des mineurs Si la Coûtume avoit parlé seulement des rotures, on n’auroit pas de peine à comprendre son sens, parce que n’étant point abandonnez à celuy qui a la garde Seigneuriale, ils doivent être administrez par le tuteur, qu’il est toûjours necessaire d’instituer : et Godefroy a crû que cet Article ne vouloit rien dire davantage ; mais étant fait mention de fiefs, cela rend l’explication de cet Article fort difficile.


CCXVIII.

Charge de la Garde-Noble Seigneuriale.

Le Seigneur fait les fruits de la garde siens, et n’est tenu à la nourriture et entretenement des personnes des sous-âges s’ils ont échéettes ou autres biens roturiers : mais où les tuteurs et parens mettroient tous les héritages et biens desdits sous-âges entre les mains du Seigneur gardain, en ce cas il est tenu les nourrir et entretenir selon leur qualité et la valeur de leurs biens, contribuer au mariage des filles, conserver le fief en son integrité, et outre de payer les arrerages des rentes foncieres, hypothecaires, et autres charges réelles.

Dominus tenetur ut heredes ipfos pro quantitate hereditatis honorificè habeant, et debita defuncti vtiam pro quantitate hereditatis & temporis, pro quo illis custodia deputatur, acquitent ;Glanville , 1. 7. c. 9.

En explication de cet Article, on a demandé si le Seigneur Gardien doit avoir les enfans en sa garde, ou s’ils doivent demeurer au Tuteur ; Cette question fut disputée en l’Audience dé la Grand-Chambre le 19 de Mars 1666. entre Achard, sieur du Pin, ayant la Garde-Noble Seigneuriale des enfans mineurs du sieur de Barneville, et Morin, sieur de Banneville, Tresorier de France, à Caen ; tuteur desdits enfans. Je representay pour luy qu’en France il y avoit deux sortes de Garde-Noble, l’une, que jure agnationis deferebatur ; l’autre, jure feudi.

Argentré Argentr. Ad Art. 74. Pour la Garde-Noble qui étoit deférée jure agnationis, elle ne se donne qu’aux pere, mere, ayeul, et ayeule ; et comme on présume que des personnes si proches s’acquiteront d’un devoir où la nature les sollicite si puissamment, on leur confie la garde de sieurs enfans, quia tutela eodem jure defertur. Il n’en est pas de même de la garde seodale et Seigneuriale, nullum jus tutelae aut curae habet, nec obstat Baillium tutela aut curae. M d’Argentré , Art. 79. gl. 1. n. 3. Le Gardien-Noble n’a point de droit sur les personnes, et c’est pourquoy par l’Article 216. le seigneur a seulement la garde des fiefs nobles ; et quoy que par cet Article le Seigneur soit obligé de nourrir et d’entretenir les enfans selon leur qualité et selon la valeur de leurs biens, il ne s’ensuit pas qu’il doive avoir la garde de leurs personnes, quand le tuteur ou les parens se veulent charger de leur éducation, de leur garde, et de leur nourriture ; que si les parens refusoient de prendre ce soin, en ce cas le Seigneur est tenu de les recevoir : Il fut jugé de la sorte, et que les mineurs demeureroient entre les mains du tuteur.

Autre Arrest sur ce fait. Mre Henry de Vieuxpont avoit la Garde-Noble Seigneuriale du fief des Vietes, appartenant aux enfans mineurs du feu sieur de Guerpel. Abraham le Maienen, Ecuyer, leur tuteur, le poursuivit pour envoyer le fils à l’Academie, et pour payer les penfions des filles qui étoient en un Monastere, comme aussi pour reparer les bâtimens, à quoy n’ayant point satisfait, aprés plusieurs remises on le déclara déchû du droit de GardeNoble : Sur son appel, de l’Epiney, son Avocat, disoit que suivant cet Article, le tuteur et les parens pouvoient se plaindre contre le Gardien-Noble qui ne faisoit pas son devoir, tant pour l’éducation et l’instruction des enfans, que pour leur nourriture, aux fins de l’y obliger. c’étoit la seule peine que la Coûtume prononçoit contre le seigneur Gardien, qui en usoit mal, à sçavoir de le contraindre à fournir la nourriture et les autres choses necessaires, Art. 215 ce que le tuteur pouvoit faire en saisissant les revenus pour y être employez, mais que ce manquement de la part du Seigneur n’emportoit pas la perte de la Garde-Noble : Je répondois pour le tuteur que ce droit n’étoit pas favorable, si le Seigneur s’en vouloit prévaloir, il étoit obligé nécessairement d’executer tputes les conditions qui luy étoient imposées par la Coûtume et qu’il n’y en avoit point de plus importante pour le public, et pour les enfans, que celle de leur nourriture et de leur instruction : et pour cette cause on a permis aux tueurs de se plaindre contre les Seigneurs qui abusoient de leur droit, que si aprés avoir été condamnez par la Justice, ils ne s’acquittoient pas de leur devoir, ils encourent la peine imposée que leur negligence merite, qui est la perte de leur droit, et il ne seroit pas juste qu’ils profitassent de leur faute, et que le tuteur et la Justice n’eussent d’autre voye pour contraindre le Seigneur que la simple saisie qui seroit toûjours onereuse aux pupilles, à cause des frais qu’il faudroit faire, et encore le plus souvent inutiles par les traverses et les oppositions. qu’un seigneur ne manqueroit pas de former pour se conserver la joüissance du bien. Or le Seigneur de Vieuxpont non seulement en avoit mal-usé pour la personne des mineurs, il avoit même laissé tomber en ruine tous les bâtimens, faute de les avoir entretenus et reparez, que les payemens des pensions qu’il disoit avoir faits depuis la Sentence ne lexcusoient point, post cecptum judicium non admittitur purgatio mora, parce qu’en ces sortes d’affaires aprés la Sentence on n’est plus reçû à reparer sa negligence ; mais bien loin d’avoir fatisfait à son devoir, quoy qu’il y eût plus d’un an que la Sentence eût été donnée, il n’avoit pis envoyé le fils à l’Academie : Par Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre du 16 de Decembre 1667. la Sent ence fut confirmée

Les sentimens des Commentateurs, Bérault etGodefroy , sont opposez sur cette question, esi la coupe des bois-taillis et la pesche des étangs échéant au temps de l’ouverture de la GardeNoble, appartiennent entieres au Seigneur Gardien : Bérault les donne entieres au Seigneur, et dit que gaudebit bonâ fortunâ ; comme dans un cas contraire il n’auroit rien du tout, si la Garde-Noble duroit si peu qu’il ne se trouvat aucuns fruits ni revenus dont le Seigneur pût avoir la joüissance. L’opinion contraire a paru plus équitable àGodefroy , étant même fondée ur l’autorité dePapinien , en la l. Divortio, S. si fundum D. solut. matrim. et il a crû que les ruits et les taillis doivent être partagez pro ratâ temporis.

L’opinion de Bérault me semble plus véritable suivant cet Article, le Seigneur fait sans ditinction les fruits de la garde siens, et par consequent tout ce qui peut être perçû luy appar-tient, et l’autorité de la I. Divortio, S. si fundum jure, ne peut être appliquée à ce propos, parce que le mary ne doit avoir les fruits qu’à proportion de la joüissance ; aussi en quelque temps. que le divorce ou la mort de la femme arrive, le mary profite des fruits à proportion du temps. Il n’en est pas de même du Seigneur Gardien, qui ne fait les fruits siens que quand ils peuvent être percûs durant le temps de la garde ; et c’est pourquoy il doit jouir de la bonne fortune, comme de la mauvaise. La Coûtume de Troyes, Art. 26. Tit. des Droits Seigneuriaux, t pour lever cette ambiguité, dit que si le Seigneur prend l’année pour son droit de relief, s’il y a étang ou pesche, ou forests en coupe, l’année qu’il choisira les coupes et pesches seront égalées et évaluées.

Il est sans doute que dans l’abandonnement de tous les héritages et biens des mineurs, les meubles ne sont point compris ; ces paroles, tous les héritages et biens, donnoient lieu de douter, si la Coûtume n’entendoit parler que des héritages, le mot de biens êtoit superslu ; mais le droit de garde étant purement réel, il ne s’étend que sur les biens de cette nature.

si durant la garde les enfans avoient vécu de leur industrie, ou s’ils avoient été nourris par leurs parens ou par leurs amis, on demande s’ils pourroient user de repetition contre leur ardien pour la dépense qu’il auroit dû leur fournir : Là-dessus les Docteurs ont fait cette distinction, que lorsque les alimens ne sont dûs que par une obligation naturelle ex officio pieta-tis, si ceux qui auroient eu droit de les demander, ont eu leur subfistance d’ailleurs, ils n’ont point d’action pour le passé : Mais quand les alimens sont dûs par une obligation, et en vertu de la disposition de la Coûtume, le créancier alimentaire a toûjours droit d’en faire la demande, et on ne luy peut objecter qu’il ne peut demander des alimens pour le temps passé, parce que celuy qui étoit obligé de luy fournir sa nourriture ne doit pas profiter de son épargne ou de son industrie, ni de la gratification de ses parens ou de ses amis. Ainsi le frere étant obligé de fournir des alimens à sa seur quand elle n’est point mariée, il n’en est pas hiberé s’il ne luy a rien baillé, et si elle a subsisté par son industrie ou par la liberalité de ses parens. On peut appliquer ces maximes aux gardiens, lesquels étant obligez de fournir la nourriture aux Jason nineurs, ils sont tenus de les en recompenser lorsqu’ils n’y ont point satisfait. Jason, ad l. de Alimentis, c. de Transact.


CCXIX.

La contribution en diversité de Seigneurs.

Et s’il y a plusieurs Seigneurs ayant la Garde-Noble à cause de divers fiefs appartenans ausdits mineurs, ils seront tenus contribuer à la nourriture, entretenement et instruction d’iceux chacun pour sa quote-part de leurs fiefs, et au marc la livre.

Cet Article, comme presque tous les autres de ce Titre, est conforme à nôtre ancienne Coûtume d’Angleterre.

Si minores plures habuerint Dominos capitales, eorum Domini, illi quibus ligeantiam debent, sicut de primis eorum feodis habebunt custodiam, ina quod de ceteris feodis relevia et alia recta servitia Dominis ipforum feudorum facere tenentur : et fic custodia eis per totum sub prascriptâ formâ remanebit.


CCXX.

Pourvoy des tuteurs contre les Seigneurs.

Et où lesdits Seigneurs ne feroient leur devoir tant de la nourriture, entretenement, que de linstruction desdits sous-âges, les tuteurs, ou parens se pour-ront pourvoir en Justice pour les y contraindre.

Non seulement les tuteurs et parens des mineurs peuvent se pourvoir en Justice pour contraindre les Seigneurs à s’acquitter de leur devoir, mais on peut même les priver de la garde, quand ils y manquent, suivant l’Arrest du sieur de Vieuxpont rapporté cy-devant,


CCXXI.

Autres charges de la Garde-Noble Seigneuriale.

Le Seigneur ayant la garde est sujet de tenir en droit état ancien les édifices, manoirs, bois, prez, les jardins, les étangs, les moulins et pescheries, et les autres choses, sans qu’il puisse vendre ou arracher les bois, ni remuer les maisons, et s’il fait le contraire, il en doit perdre la garde, et amender le dommage.


CCXXII.

Arriere-garde.

Pendant que le mineur d’ans est en garde, si ceux qui tiennent fief-noble de luy, tombent en sa garde, la garde en appartient au Seigneur gardain. dudit mineur, et où ledit mineur seroit à la garde du Roy, il à pareil droit à l’arriere-garde que les autres Seigneurs, et non plus : Et toutefois et quantes que le mineur sortira de garde, il aura delivrance non seulement de son fiefa mais aussi du fief qui est en sa garde.


CCXXIII.

Mâles quand sortent de garde.

La Garde-Noble finit aprés que le mineur a vingt ans accomplis ; et s’il est en la garde du Roy, aprés vingt et un an accomplis.

La Coûtume ; en cet Article, donne encore cette prerogative à la Garde-Noble Royale, qu’elle ne finit qu’à vingt et un an, bien que la Seigneuriale cesse aprés vingt ans accomplis ; mais en Angleterre et en Ecosse lage de la majorité feodale est à vingr et un an. Skenaeus ad à leg. Reg. Maisco etCouvell . in Instit. Instit. jur. Angl.. l. 2. c. 3. 8. 56. et les filles à seize ans.

Par la Coûtume de Paris ; Article 32. lhomme est reputé âgé à vingt ans quant à la foy et hommage, et la fille à quinze ans accomplis ; et en toutes autres choses ils ne sont majeurs qu’à vingt : cinq ans.

Il est hors de doute qu’en Normandie fils ou filles sont âgez et majeurs à vingt ans accomplis, et à cet âge ils sont dits être parvenus à un âge legitime, etas persecta, Cod. Theod. de iis qui veniam & imp

Quoy que celuy qui tombe en garde eût son domicile à Paris, où l’on n’est majeur qu’à vingt-cinq ans accomplis, il ne laisseroit pas de sortir de garde aprés lage ordonné par cet Articles Il est bien vray que quand il est question de la capacité ou incapacité des personnes, on se egle suivant la loy du domicile ; mais cette raison n’est point considérable en cette rencontre, où la Coûtume ne prononce pas que la Garde-Noble finit par la majorité, mais aprés vingt ans et vingt et un an accomplis.

Toutes personnes, tant mâles que filles, étant majeures aprés vingt ans accomplis, elles ont une pleine disposition de leurs biens ; les restiictions que l’on y apporte sont nulles, suivant qu’il a été jugé aux Enquêtes par Arrest du 3 de Février 1645. au Rapport de Mr de la Place-Ronfeugeres, entre Flamand et Toqueville. Il fut jugé qu’une restriction faite à un majeur de ne pouvoir aliener ses immeubles étoit nulle, parce qu’une personne majeure qui n’est point en curatelle peut disposer de son bien ; pour donner effet à ces restrictions il faut qu’elles soient faites dans les formes, et renduës publiques et notoires Par Arrest du 23 de Juillet 1666. il fut jugé que la ratification d’un contrat fait en minorité ne fait préjudice à un tiers creancier qui a contracté dans l’intervalle du temps, pour la preférence d’hypotheque. Rigout, âgé de dix huit ans, avoit pris de l’argent du Valois, étant devenu majeur, il en avoit emprunté de Frebourg ; il plaida en suite contre le Valois pour faire annuller son contrat, ce qui ayant été jugé, aprés que le Valois en eut appelé, il se fit une transaction par laquelle il confis moit le contrat, parce que le Valois luy remettoit tous les arrerages. Sur la discution des biens dudit Rigout, Valois soûtenoit que la ratification avoit un effet retroactif, Frebourg au contraire, disoit que Rigout n’avoit pû ratifier un contratau réjudice de ses créanciers : par l’Arrest il fut jugé que la ratification n’avoit point un effet retroactifi


CCXXIV.

Main-levée de la garde.

Et neanmoins il demeure toûjours en garde jusques à ce qu’il ait obtenu du Roy Lettres Patentes de main-levée, et icelles fait expedier : et pour les gardes des autres Seigneurs, il suffit leur signifier le passé-âgé

En consequence de cet Article, qui porte que le mineur demeure toûjours en garde jusques à ce qu’il en ait obtenu main, levée, on demande si la fille est dans la même obligation de demander cette main-levée, parce que l’Article 227. ne leur impose point cette nécessité Le sieur de Beuzeville ayant épousé la Demoiselle de Montenay-Garancieres, qui étoit en la garde du Roy, avoit presenté à la Cure de Baudemont M. Joanne. Le Roy y presenta Bouley, et le troisième nommé Dieupart avoit obtenu des Provisions en Cour de Rome : Sut la contestation entre toutes ces parties, Cahaignes pour Dieupart, disoit qu’en ruinant le droit de ses parties, il établissoit le sien : Il opposoit à Joanne qu’encore que par le mariage de la mineure vec un majeur toutefois la garde finit, suivant cet Article, pour sortir de la Garde-Noble Royale, elle étoit obligée d’obtenir une main-levée, elle ne pouvoit prétendre avoir plus de privilege qu’un mâle dans une Coûtume où toutes les dispositions sont si favorables aux mâles.

Il objectoit à Bouley que la véritable datte de sa Provision n’étoit qu’aprés les six mois Greard. pour le sieur de Beuzeville, et son presenté, disoit que la femme étant sortie de garde, son mary avoit pû presenter, que par l’Article 227. la garde d’une fille finissoit aprés vingt ans accomplis, ou plûtost si elle étoit mariée : Mais la Coûtume n’obligeoit point la fille à demander la main-levée, que cela n’avoit lieu que pour les mâles, suivant l’Art. 224. et la raison de la difference est que par l’Article 230. la fille qui se marie à un mineur retombant en garde, la main-levée seroit inutile, autrement il luy faudroit prendre autant de mains-levées qu’elle épouseroit de mineurs, qu’il n’y en avoit aucun exemple dans la Chambre des Comptes, que celuy de Mr de Monville qui l’avoit fait pour une plus grande sûreté, et qu’en tout cas ne pouvant être privé de son droit que par le Roy, et que le Roy ayant negligé son droit pendant un mois, et luy ayant presenté dans les six mois, la Provision de Dieupart ne pouvoit subsister. Par Arrest du 21 d’Aoust 1654. on apointa les parties au Conseil, et cependant la recreance du Benefice fut jjugée au presenté par le sieur de Beuzeville,

La Garde-Noble est une espèce de tutelle et de curatelle qui ne finit qu’aprés en avoir obtent main-levée, et celuy qui a été mis en curatelle par autorité de Justice ne peut aussi en être, restitué que par-la même voye ; ce qui fut jugé par Arrest du 24 de Janvier 1665. au Rapport de Mr Fermanel, entre Claude Turgot ; Colombe, et autres acquereurs des héritages de Jacques Turgot. Jacques Turgot fut mis en curatelle dans toutes les formes, aprés la mort du curateur il en fut nommé un autre, sans autre folennité que la nomination des parens. Il fut dit que cette curatelle ne laissoit pas de subsister à l’égard de l’interdit, parce qu’ayant été privé de l’administration de son bien par la voye de Justice, il ne pouvoit reprendre cette administration qu’en vertu d’un acte judiciaire, et qu’ainsi toutes les alienations qu’il avoit faites depuis la mort de son premier curateur êtoient nulles.

Il n’en est pas de même des Tutelles comme des Gardes-Nobles, elles finissent par la seule majorité, et il n’est point necessaire d’obtenir un acte de passé âgé ; la seule majorité rend la personne capable de tous actes et contrats.


CCXXV.

Relief n’est dit par celuy qui sort de garde.

Celuy qui sort de garde ne doit aucun relief de son fief à son Seigneur gardain, dautant que les fruits issus de la garde luy doivent être comptez au lieu de reliefi et si la garde êtoit au Roy, il n’est pareillement dû relief des fiefs qui sont tenus des autres Seigneurs, encore qu’ils n’ayent eu la garde desdits fiefs.


CCXXVI.

Droits Seigneuriaux sont conservez à celuy qui sort de garde.

Ceux qui sortent de garde ont relief de leurs hommes, et tous autres droits Seigneuriaux qui leur sont dûs, tout ainsi que s’ils n’eussent point êté en garde.


CCXXVII.

Fille quand sort de garde.

La garde d’une fille finit aprés l’âge de vingt ans accomplis, ou plûtost si elle est mariée par le conseil et licence de son seigneur.

Le mariage est si favorable qu’il met les filles hors de garde avant l’âge requis. Il n’en est pas de même quand la fille obtient des lettres de benefice d’âge, Arrest du 24 de Mars 1631. 1 On a jugé depuis que les filles ne peuvent obtenir des lettres de benefice d’âge, contre les Demoiselles d’Arconat, par Arrest en la Chambre de l’Edit du 24 de Mars 1639. Autre Arrest en 1662. 8 en la même Chambre, au Rapport de Mr Salet, contre une fille nommée Bosquet ; aprés en p avoir consulté la Grand Chambre, et depuis on en a fait un Reglement, Article 40.

Le mineur ne pourroit pas obtenir de lettres de benefice d’âge pour faire cesser la GardeSeigneuriale,

Ces lettres de benefice d’âge ne s’obtiennent gueres qu’à l’âge de dix-huit ans, et neanmoins par Arrest du 23 d’Avril 1660. on confirma le benefice d’âge obtenu par Eudes, Commis au Greffe des Requêtes du Palais, quoy qu’il ne fût âgé que de quinze ans six mois. L’Arrest fondé sur ce que Messieurs des Requêtes du Palais l’avoient reçû à l’exercice de leur Greffe ; je plaidois pour Mr Guenet, Conseiller au Presidial de Roüen, appelant de la Sentence d’enterinement du benefice d’âge, et Theroulde pour Eudes.


CCXXVIII.

Mariage de la fille.

La fille aussi doit être mariée par le consentement de ses parens et amis, selon ce que la noblesse de son lignage et valeur de son fief le requiert, et au mariage luy doit être rendu le fief qui a êté en garde.

La garde d’une fille finit avant l’age de vingt ans accomplis, pourvû qu’elle soit mariée par la licence et le consentement de son seigneur. En Angleterre celuy qui a la Garde-Noble ne choifit pas seulement un mary à la fille, il a encore le pouvoir de choisir une femme au mineurs minor uxorem à Domino oblatam non tuto recusat, nam hoc casu solvit et valorem maritagii. Couvell Instit. Instit. jur. Angl. l. 1. t. 10. 8. 4. et t. 21. 8. 1. Domini feudales plenam dispositionem habent in e mulieribus maritandis.


CCXXIX.

Fille étant âgée de vingt ans, encore qu’elle ne soit mariée sort hors de garde.

CCXXX.

Cas auquel la fille sortant de garde, son fief peut tomber en garde.

Si fille êtant hors de garde, se marie à un qui ne soit âgé de vingt ans, son fief tombe en garde tant que l’homme soit âgé.

La raison de cet Article est que la femme fuit la condition du mary ; maritus est caput uxoris.


CCXXXI.

Pourvoy contre le Seigneur qui empesche le mariage Si le Seigneur êtant requis contredit le muriage ou refuse de donner son conseil et licence il peut être appelé en Justice pour en dire les causes, et aprés la permission de Justice la fille aura delivrance de son fief : et si le seigneur n’est present, il suffira de demander le congé à son Senéchal ou Bailly.

Par les Loix d’Angleterre les filles, quoy que majeures, demeurent en la garde du Seigneur feodal, jusques à ce qu’elles soieut mariées par le conseil et le consentement de leur Seigneur, et elles ne peuvent contracter mariage sans son autorité, si toutefois on luy demande leur congé, I ne peut le refuser sans en dire les causes, autrement elles se peuvent marier sans encourir de peine ;Glanville , 1. 7. c. 12.


CCXXXII.

Veuve ne retombe en garde.

Femme mariée ne retombe en garde, encore que son mary meure avant qu’elle ait atteint lage de vingt ans, parce toutefois qu’elle ne peut contracter de son immeuble sans decret de Justice, et consentement de ses parens

La femme mariée ne retombe en garde ni en tutelle, ce qu’on peut induire de cet Article, où la Coûtume sans la faire rentrer fous la puissance d’un tuteur, luy défend seulement de contracter de son immeuble sans decret de Justice, et consentement de ses parens, ainsi elle peut disposer de ses meubles.

Pour le mariage elle ne peut le contracter sans l’avis de ses parens ; cet acte, comme le plus important, ne luy est permis que par le consentement de ses proches : Arrest en l’Audience de la Grand. Chambre du 13 de Decembre 1613. une fille mariée à quatorze ans et devenue veuve à dix-huit, étant poursuivie devant l’Official en promesses de mariage, sur l’opposition des parens défenses luy furent faites de contracter mariage que par le consentement de la mère et de ses parens.


CCXXXIII.

Quand fille peut être mariée sans le consentement du Seigneur.

La fille n’étant en garde peut être mariée par ses tuteurs et parens, sans qu’ils soient tenus de demander congé ou licence du Seigneur, duquel ses héritages sont tenus.

Il y a grande apparence que par cet Article on a modéré lancienne Coûtume, telle qu’elle s’est conservée en Angleterre, comme je l’ay remarqué sur l’Article precedent, où les filles bien que majeures ne peuvent se marier sans le consentement et le conseil de leur Seigneurs uutrement cet Article eût été superslu, étant certain qu’aprés la garde finie le consentement du Seigneur n’est plus necessaire pour le mariage des filles.


CCXXXIV.

Fille sortie de garde ne tire ses puisnées de garde.

La fille ainée mariée, ou ayant accompli lage de vingt ans, ne tire pas ses seurs puisnées hors de garde, jusques à ce qu’elles soient mariées ou pourvûes à lage de vingt ans : sauf toutesfois à la fille ainée à demander son partage aux tuteurs de ses seurs, qui luy sera baillé par favis des parens : et en ce cas elle aura delivrance du fief et héritages êtans en son lot.

La fille ainée n’a pas la même prerogative que le fils ainé, sa majorité ne profite qu’à elles et non point à ses seurs mineures