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CCXXXVII.

L’aîné est tuteur naturel et legitime des puisnez, et comment joüit de la succession.

Le fils ainé, soit noble ou roturier, est saisi de la succession du pere et de la mere aprés leur decez, pour en faire part à ses puisnez, et fait les fruits siens jusques à ce que partage soit demandé par ses freres, s’ils sont majeurs lors de la succession échûë et s’ils sont mineurs fainé est tenu leur rendre compte des fruits depuis le jour de la succession échûë, encore que partage ne luy ait été demande, parce que par la Coûtume il est tuteur naturel et legitime de ses freres et soeurs.

Nous avons vû quelles personnes sont capables de succeder. Cet Article nous apprend qu’encore que l’on soit le plus proche et le plus habile à succeder, il y a neanmoins de la difference entre mêmes heritiers, et ils ne sont pas tous de pareille condition. La Coûtume n’a pas plûtost commencé à parler de successions qu’elle se déclare avantageusement en faveur des ainez.

Cet Article leur donne deux prerogatives, la saisine dé la succession paternelle et maternelle, et la joüissance des biens hereditaires, jusqu’à ce que partage leur soit demandé par leurs freres, s’ils sont majeurs, car quand ils sont mineurs ils doivent leur tenit compte des fruits, parce que la Coûtume les établit tuteurs naturels et legitimes de leurs freres et soeurs.

La Coûtume de Bretagne, Article 512. de l’ancienne Coûtume, ne donne cette saisine qu’à l’heritier noble. Mr d’Argentré, sur cet Art. gl. 2. dit que contra juris communis regulas constitutum est, ut apud primogenitum de Nobilibus possessio effet, cum judicium familiae erciscund. exerceret, quia aliter magnae de possessione rixae futurae érant inter Nobiles et periculum ne vi aut : armis transigi contingeret. La Coûtume n’a point fait de distinction entre les conditions ; le fils iné roturier comme le fils ainé noble joüit du benefice de cet Article, primogenitus ipfo jure est saisitus mortuo patre,Molin . de feud. 5. 13. gl. 2. Il né peut pas toutefois chasser ses freres hors la maison, ni leur refuser les alimens aux dépens des biens heréditaires, tant que les thoses sont indivises, ou qu’il n’a fait aucune option de préciput.

On peut douter si cet Article a lieu pour les successions collaterales comme pour les diretes : Par un ancien Arrest de l’an 1503. on accorda cet avantage à l’ainé dans une succession collaterale. La Coûtume de Bretagne dit que l’ainé a la saisine et non pas le fils ainé : Et Mr d’Argentré , penè fatendum est, dR-il, de hereditate dumtaxat ascendentium his verbis disponi, sed tamen placuit prudentibus & usus recepit, de Collateribus idem dicendùm.

Les paroles de cet Article sont si expresses qu’on ne peut douter que l’ainé n’a cette prerogative que dans la succession directe ; non seulement il est parlé du fils ainé, il est ajoûté en quite qu’il est saisi de la succession du pere et de la mere aprés leur decez : Ce n’est donc qu’en la succession du pere et de la mere qu’il est saisi et qu’il fait les fruits siens ; et d’ailleurs cet Article étant rigoureux il ne doit point être étendu, et Godefroy s’est trompé quand il a crù le contraire. puisque la Coûtume faisit l’ainé de toute la succession, il a pouvoir d’en exercer toutes les actions, et par cette même raison on peut agir contre luy, et tout ce qui se fait avec luy est valable. Un debiteur de la succession paternelle avoit payé entre les mains du frere ainé comme saisi de la succession, et comme étant le tuteur naturel et legitime de ses frères ; aprés leur majorité il fut inquiété par eux, comme ayant mal payé leurs portions à l’ainé, prétendant que la Coûtume ne donne à l’ainé la qualité de tuteur naturel et legitime qu’à l’effer seulement d’empescher qu’il ne fasse les fruits siens : cette qualité luy est donnée sans aucune restriction, ainsi tout ce qui se fait avec luy est valable pourvû que ce foit sans fraude, de sorte que l’on peut payer en ses mains avec sûreté ; sur ces raisons le debiteur fut déchargé.

L’alné peut se prévaloir de cet Article contre ses puisnez absens, sans distinction si l’absence est volontaire ou nécessaire, si ce n’est pour le service de la Republique ; ce que l’on peut induire de ces paroles de l’ancien Coûtumier, l. 2. c. 4. les parties aux puisnez qui ne sont pre-sents demeurent à l’ainé jusqu’à tant qu’ils le requierent on que leur mort soit sçûè ou prouvée.

La foiblesse d’esprit de l’un des puisnez n’empescheroit point que l’ainé ne fût saisi de sa part, et ne fi les fruits siens, si les autres freres negligeoient de luy faire donner un cutateur, en luy foumissant neanmoins ses alimens. Nicolas le Hule laissa trois fils et plusieurs filles, un des fils avoit l’esprit imbecille. Aprés la mort du pere arrivée en l’an 1645. ces ttois freres laisserent à leur méte la conduite de tout leur bien, et la mere étant morte comme il ne restoit plus que Jean le Hule qui étoit l’ainé, et cet autre frere qui étoit imbecille. d’esprit, cet ainé joüit de tout le bien ; mais étant mort, Guy du Four, qui avoit épousé l’une de ses soeurs, se réveilla sur cette espètance que cet imbecille pouvant mourir avant ses soeurs, elles succederoient avec leurs neveux, sortis de leur frere ainé, aux meubles et acquests, et ur cette imagination il fit nommer pour curateur à cet imbecille le fils du frere ainé, et on l’établit curateur actionnaire, et aussi-tost en cette qualité il poursuivit le fils du frere ainé pour rendre compte des meubles et de la joüifsance que son pere avoit euë de la part de cet mbecille, depuis la mort de leur pere arrivée en l’an 1645. Le sieur le Hule et Jeanne Clemence sa mere, veuve de Jean le Hule, son pere, se défendirent de cette action comme in-juste et prématurée, n’étant pas obligez de rendre compte des meubles ni des joüissances, que du Four n’y avoit aucun interest quant à present, parce que sa femme ne pouvoit avoir aucune part aux meubles et aux acquests de cet imbecille, qu’en cas qu’elle le survécût, et cette soeur êtant plus âgée on devoit présumer selon lordre naturel qu’elle mouroit la premere : Le Vicomte de Casn avoit donné Acte aux parties de leurs déclarations, sauf à y faire droit lors du compte de la curatelle. Du Four en ayant appelé le Bailly avoit cassé la Sentence, et ordonné que le Hule et sa mere rendroient compte des joüissances échûës depuis la mort du pere, et qu’ils avanceroient cent livres à du Four pour la poursuite de ce compte : Sur l’appel du sieur le Hule et de sa mere, je difois pour eux que toute action pour être réguliere préuppose une obligation, et que pour la demander il faut avoir qualité : Toutes ces conditions. manquoient en la personne de du Four ; Jean le Hule pere et mary des appelans n’avoit jamais été tuteur ni curateur de Nicolas le Hule, son frere : Suivant cet Article le frere ainé est le tuteur naturel et legitime de ses frères ; mais jusqu’à present on n’a point entendu parler de curateur naturel et legitime d’un majeur, les loix ont défini un certain âge durant lequel elles présument que les hommes sont incapables de la conduite de leurs affaires, et c’est pourquoy elles leur établissent des tuteurs ; mais quand ce terme est expiré elles brisent leurs chaines et leur permettent la liberté de leurs actions, présumant que les années leur ont acquis la connoissance et l’experience nécessaire : de sorte que ce qui se fait avec un majeur est reputé fait avec une personne capable et prudente, si la liberté d’agir ne luy a été ôtée par une augorité publique ; puis donc que le frere ainé fait les fruits siens, hors le seul cas de la mino-rité, parce qu’il est le tuteur naturel et legitime de ses freres, il est manifeste que quand ses freres ne sont point mineurs, les fruits luy appartiennent. Si les presomptifs heritiers de cet mbecille prétendoient à sa succession ils devoient prendre le soin de luy établir un curateuri la Coûtume n’impose point cette charge au frère ainé, il n’étoit point obligé d’agir contre luymême et contre son propre interest. L’intimé n’a eu cette pensée que quand par la mort du frère ainé sa femme s’étoit approchée d’un degré, aussi-tost il a concù l’esperance de pouvoir succeder aux meubles et acquests, en cas que cet imbecille la prédecedât, ce qui rend sa prétention odieuse, inducebat enim votum captandae mortis alienae ; et enfin il avoit porté sa passion et son injustice jusqu’à cet excez, qu’il avoit fait condamner les appelans à luy fournir des leniers pour les chicaner. Everard, pour du Four ; répondoit que le frère ainé n’avoit pû faire les fruits siens vù la foiblesse d’esprit de son puisné, que par cette consideration il etoit au moins obligé de luy faire établir un curateur : Par Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre du 21 de Mars 1673. la Sentence du Bailly fut cassée, et ordonné que celle du Vicomte seroit executée, à la charge neanmoins que le sieur le Hule appelant ne seroit tenu de compter que du jour de la curatelle, et du Four condamné de restituer les cent livres qu’il avoit touchées.

L’absence volontaire d’un puisné ne le garantit point de la rigueur de cet Article : Cependant pour peu que l’absence paroisse necessaire ou forcée, on adoucit volontiers la dureté de la loy.

Beatrix, Procureur en la Cour des Aydes, laissa deux enfans ; le plus jeune nommé JeanJacques, au temps de la mort de son pere étoit allé aux Isles, et on prétendoit qu’il y étoit allé pour le service du Roy, et qu’il s’étoit enrollé dans le Regiment de Vermandois. En son absence Pierre Beatrix l’ainé se faisit de toute la succession, sans donner avis à son frère de la mort de leur pere en l’an 1672. Deleau, porteur de la Procuration de ce puisné, demanda partage : L’ainé soûtint que son frere êtoit mort, et par Sentence il fut ordonné que la Procuration seroit verifiée : Durant ces poursuites le puisné étant revenu son partage luy fut accordé, et son frere fut condamné à luy tenir compte des fruits, et par une seconde Sentence renduë presidialement on luy ajugea une provision de soixante et dix livres. L’affaire ayant été portée à la Cour, Bigot, pour l’ainé, concluoit qu’il avoit été mal-jugé, la premiere Sentence étant donnée contre la Coûtume, et que la seconde avoit été renduë par des Juges incompetens, l’affaire n’étant point de la competence du Presidial, que son frere n’étoit point party pour le service du Roy, et qu’en effet il n’en apportoit aucunes preuves, que rien ne l’avoit empesché de demander part à la succession, que son sejour en l’Amerique avoit été volontaire, comme son voyage qu’il n’avoit fait que par débauche. De l’Epiney répondoit que cet ainé êtoit peu favorable, ayant fait tous ses efforts pour ne luy donner pas son partnge, que cet Article étoit contre le droit commun, par lequel se mort saisit le vif sans aucun ministere de fait, et il étoit singulier, ne se trouvant établi par ucune autre Coûtume que par celle du Grand-Perche, qu’il ne devoit avoir lieu que quand le puisné négligeoit de demander partage, ce qu’on ne pouvoit imputer à ce puisné, il étoit party pour le service du Roy, qu’il n’étoit pas en son pouvoir de retourner êtant dans un païs d’ou l’on ne peut sortir qu’aprés s’être marié, et il faut y laisser sa femme et ses enfans pour assurance de son rétour, comme il étoit justifié par le congé du Gouverneur de l’Amerique ; par Arrest du de Mars 1676. on mit l’appellation, et ce entant que l’on avoit jugé presidialement, le surplus confirmé.

On ne doute point que les puisnez ne fassent cesser la rigueur de cet Article par la demande du partage, mais il faut sçavoir de quelle maniere cette demande doit être faite pour être valable, s’il est necessaire qu’elle soit faite en jugement, ou si elle est suffisante par une simple sommation à Godefroy a suivi l’autorité d’un Arrest rapporté parTerrien Terrien , l. 6. c. 3. par lequel il fut dit que l’ainé joüiroit de la totale succession, jusqu’à ce que les puisnez luy eussent baillé lots pour proceder à la choisie ; mais l’opinion de Berault est plus véritable, sçavoir que la simple demande du partage suffit, comme il fe pratique pour le doüaire ; aprés cela l’ainé n’est plus en bonne foy, la Coûtume ne luy donnant les fruits que jusqu’à ce que le partage luy f soit demandé : Il suffit donc que cela soit fait pour le priver de cette joüissance. La Coûtume d’impose point d’autre condition aux puisnez pour conserver les fruits de leur partage que de le demander, et non point de faire ni de presenter les lots. Dans l’Article suivant le fils du fils ainé ne fait les fruits siens que jusqu’à ce que ses oncles luy demandent partage, et cette disposition est distincte et separée de celle qui concerne la confection des lots. Si le pere meurt aprés la S. Jean, l’ainé doit-il avoir les fruits, si les puisnez negligent de luy demander partage avant a récolte d’iceux : Bérault a traité cette question, et il est de ce sentiment, que si la successionE est échûë aprés la S. Jean, et que les puisnez demandent partage avant la recolte, l’ainé est tenu de leur en faire part, non point par ce que les fruits sont ameublis aprés la S. Jean, suivant l’Article 505. mais en vertu de la demande qu’ils en ont faite suivant cet Article ; que s’ils avoient souffert que l’ainé les eût recueillis, sans luy avoir demandé leur part, ils ne seroient point mis en partage comme les autres meubles.

On ne peut pas douter que le pere étant mort aprés la S. Jean la demande des puisnez avant a récolte ne soit suffisante pour émpescher. l’ainé de se prévaloir de cet Article, mais il ne mé paroit pas équitable de donner une si grande étenduë à la disposition de cet Article, en attribuant à l’ainé les fruits qui sont ameublis ; car puisque la Coûtume déclare meubles aprés la S. Jean les grains et foins, et qu’en consequence ils appartiennent toûjours aux heritiers aux meubles, sur quel pretexte ôteroit : on aux puisnez cette portion des meubles de leur pere, puisqu’elle leur est acquise de plein droit sans être obligez d’en faire aucune demande Il est vray que ces fruits pour être ameublis ne laissent pas d’être fruits ; mais ces fruits que l’ainé gagne en vertu de cet Article ne sont pas ceux qui ont changé de nature, et qui en vertu de ce changement appartiennent aux puisnez ; les fruits que l’ainé peut gagner sont ceux qui n’étoient pas acquis aux puisnez au temps de la mort de leur pere, autrement on donneroit ouverture à la fraude et à la surprise. Un pere pourroit mourir si peu de temps avant la recolte des fruits, que pour peu que les puisnez se trouvassent éloignez ils n’auroient pas le temps de venir demander partage et de prévenir la moisson qu’un ainé même poutroit impunément et sans reproche avancer de quelques jours. Pour empescher cet inconvenient et la trop grande rigueur de cet Article, il est plus à propos de ne donner à l’ainé que les fruits qui ne sont point ameublis au temps du decez du pere.

Quand il n’y a que des filles lainée ne joüit pas de la prerogative que la Coûtume donne au fils diné, et en ce cas il est certain que masculinum non concipit femininum.

Cette tutelle legitime et naturelle que la Coûtume établit en la personne de lainé est imitée du Tit. de leg. agnat. tutor. videCujac . Ad l. tutor. 3. 1. Ad Sc. vellet : et ad l. c. 3. c. de except.

Il étoit raisonnable de charger lainé de la tutelle et curatelle de ses freres mineurs ; nam quis Salust amicitior quam frater fratri, aut quem alienum fidum invenies, si tuis hoctis fueris ; Saluct. in Jugurth.