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CCCLXVII.

Doüaire quand se gagne, et en quoy consiste.

La femme gagne son doüaire au coucher : et consiste le doüaire en l’usufruit du tiers des choses immeubles dont le mary est saisi lors de leurs épousailles, et de ce qui luy est depuis échû constant le mariage en ligne directe, encore que lesdits biens fussent échûs à ses pere et mere ou autre ascendant par succession collaterale, donation, acquests ou autrement.

Cet Article continent trois notables decisions : Par la premiere, la Coûtume dispose quand et comment la femme gagne son doüaire. On apprend par la deuxiéme, en quoy il consiste. Et par la troisiéme, sur quels biens elle peut le demander.

Ces paroles, la femme gagne son doüaire au coucher, signifient simplement que la femme ne gagne entierement son doüaire, et ne luy est pleinement acquis qu’aprés avoir entré dans le lit nuptial. La benediction nuptiale, son entrée et sa reception dans la maison de son mary, n’achevent point la perfection de l’acte ; il faut qu’elle couche avec son mary pour acquerir son doüaire : c’est ce qui donne la derniere perfection à ce droit.

Plusieurs Coûtumes sont conformes à la nôtre. Chartres Art. 52. Clermont en Beauvoisis Art. 259. Et c’étopit l’ancien usage de la France, suivant ce proverbe rapporté par Loiset en ses Inst. Coût. l. 5. 1. 3. art. 51. Au coucher la femme gagne son doüaire.

Ce seroit icy le lieu de traiter ces celebres questions, si le doüaire doit commencer du jour du Contrat de mariage, ou de la celebration d’iceluy, quelle est son hypotheque, et s’il doit être preferé à la dot ; mais je reserve ces matieres sur l’Art. CCCCCLXXXXIII.

Quand la Coûtume déclare que la femme gagne son doüaire au coucher, elle n’accorde ce benefice qu’à la femme legitime, et dont le mariage a été valablement contracté : Mais on peut douter si toutes les femmes legitimes peuvent avoir doüaire coûtumier sur les biens de leurs maris, comme les femmes des Aubeins, des Bâtards, de ceux qui meurent sans heritiers, et de ceux dont les biens ont été confisquez.

Pour les maris dont les biens ont été confisquez, puisque la Coûtume en l’Art. CCCXXXIII. ne prive pas leurs femmes de prendre part à leurs meubles et acquests, il est sans doute qu’elles ne peuvent être privées de leur doüaire par la faute du mary ; et il ne peut y avoir de difficulté pour les veuves de ceux qui meurent sans hetritiers, ny pour les bâtards, car puisqu’il est permis à ces sortes de personnes de contracter mariage, il s’ensuit que leurs femmes legitimes peuvent joüir de toutes les prerogatives et droits que la Coûtume donne aux autres femmes.

Par l’Article 312. de la Coûtume d’Orleans, les veuves des Bâtards et des Aubeins, et de ceux qui n’ont point d’heritiers, ne perdent pas leurs doüaires et communautez de biens, et autres conventions de mariage.

Cela neanmoins reçoit de la difficulté à l’égard des Aubeins. Pour l’éclaircir, ces distinctions sont necessaires.

Lorsque les Etrangers se ssont mariez avant leur établissement en France, et que les pactions ont été faites selon les loix de leur païs, où il n’est point parlé du droit de doüaire ou de communauté. Ils ne participent point à nôtre Droit Coûtumier quelque longue que soit leur demeure et leur habitation, parce qu’il n’y a point raison de dire qu’il faille suppléer à des COntrats de cette qualité, et de les interpreter par la Coûtume du lieu de leur domicile, à laquelle les contractans ne penserent jamais, parce que l’on n’admet point d’interpretation n’y d’extension pour les Contrats. Il faut s’attacher ponctuellement aux termes convenus par les parties ; sur tout étant manifeste que les contractans n’ont point eu d’égard à nos droits coûtumiers, et que c’étoit au contraire une chose fort éloignée de leurs moeurs et de leurs intentions, aussi bien que des loix du païs de leur origine.

Et bien que ces Etrangezs aprés leur mariage ayent obtenu des Lettres de naturalité, elles n’ont pas un effet retroactif, pour rendre les impetrans capables des effets civils qui appartiennent aux personnes mariées suivant les Coûtumes de France : car le benefice de naturalité rend bien les Etrangers capables de tous les droits de Cité et de Bourgeoisie, et de ce qui dépend de la maniere de l’executer ; mais pour les affaires passées, et les droits qui naissent d’un Contrat et de la convention des parties ; il n’y a pas d’apprence, non plus que si quelqu’un avoit contracté mariage au païs de droit écrit, où il n’y a point de communauté, et venoit par aprés demeurer en un païs où la communauté auroit lieu, le nou-veau domicile ne changeroit rien à son Contrat.

Mais si les Etrangers suivant les loix de leur païs avoient stipulé des droits de doüaire et de communauté, les conventions matrimoniales devroient être gardées, parce que les Contrats de mariage sont du droit des gens, qui doit avoir lieu par tout, puis que le mariage dont le Contrat n’est qu’un accessoire a son institution de ce droit des gens commun à tous les hommes ; et par cette raison les veuves des Aubeins doivent joüir de l’effet de leurs conventions matrimoniales, au préjudice du fisc, soit que le Contrat de mariage ait été fait en France, soit au païs des conjoints, pourvû que la veuve se soit retirée en France devant ou aprés la mort de son mary, et qu’elle y reside ; et telle est, dit de la Lande sur l’Art. 312. de la Coûtume d’Orleans, la pratique de la CHambre du Tresor. Ces conventions neanmoins pour le doüaire et la communauté ne seroient executées que suivant la Coûtume de Normandie, si le mariage y étoit dissous.

Que si les Etrangers se marient en France sans Contrat, seront-ils capables des droits de Doüaire, de communauté, et de tous les autres droits qui naissent des Contrats ? Par les Maximes du Droit François l’Etranger est capable de tous Contrats, pour s’obliger et pour obliger un autre, et neanmoins il n’est pas capable d’aucune succession, ny par Testament, ny ab intestat ; soit pour y succeder, soit pour faire qu’on luy succede : Tellement que si un Etranger qui a pû contracter mariage, et faire telles pactions qu’il luy a plû, n’en a point fait, et s’est marié sans Contrat ; il est vray de dire qu’en ce cas, la Coûtume luy fait un Contrat, et qu’elle le supplée, parce qu’il ne s’agit pas d’un Testament ou d’une succession, mais d’un Contrat, duquel étant capable, il semble avoir tacitement consenty à toutes les suites et effets en se mariant, et demeurant en un lieu où il y a Coûtume expresse pour cela.

Cela est si raisonnable, qu’autrement ce seroit interdire l’usage du mariage, ôtant les moyens donner et de recevoir les choses qui font subsister les personnes en cet état.

Que si l’Etranger naturalisé va prendre femme en son païs, et dans l’an la ramener en France, au lieu de son domicile, quoy qu’en plusieurs lieux on regarde precisément le lieu où le mariage se contracte et se celebre ; neanmoins suivant l’opinion la plus commune des Docteurs, sur la Loy exigere D. de Judic. les conventions matrimoniales se doivent plûtost regler selon la Loy du domicile du mary, qu’il a eu auparavant et depuis le mariage ; et en consequence la femme acquiert tous les droits qui appartiennent à gens mariés, selon la Coûtume du lieu, parce que ce mariage a cet effet et cette vertu de communiquer à la femme toutes les prerogatives de son mary, et de la faire participer aux avantages de la Fresne Coûtume. Sur cette matiere on peut voir les Arrests rapportez par du Fresne, l. 2. c. 83. col. 3. et c. 26. de l’impression de l’an 1662.

Les Contrats de mariage contiennent presque toûjours ces deux obligations reciproques : l’une du Doüaire de la part du mary, l’autre de la Dot de la part de la femme : cela a fait naître quelquefois cette difficulté, si lorsque le mary n’a pû être payé de la dot, il est recevable à contredire le doüaire, en cas que sa femme se fist separer, ou si ses heritiers seroient reçûs à opposer cette exception. Par l’Article 190. de la Coûtume de Blois, le doüaire est dû, quoy que la femme n’ait rien apporté avec son mary : Et du Moulin en ses Apostilles sur cet Article, y apporter cette restriction, nisi dotem promiserit, & fefellerit ; à moins qu’elle n’ait promis dot, et n’ait trompé ; et pour soûtenir son avis il cite l’Auth. sed quae nihil. Cod. de pactis conv. Et plusieurs Auteurs tiennent, que si le pere de la fille ne paye point au mary la dot qu’il luy a promise, il ne sera point tenu de la nourrir, quia deceptis, non decipientibus jura subveniunt. Et c’est aussi le sentiment de GuyPapé , Dec. 274. quod si dos non fuerit soluta, mulier non debet habere augmentum dotis. Decius Cons. 644. n. 10 Et Mr Cambolas rapporté un Arrest du Parlement de Tolose, par lequel on ajugé que l’agument de dot n’étoit dû à la femme qu’à proportion de la dot qui avoit été payée, l. 3. c. 2. suivant la Nov. 2. C. ult. bien que fides habita esset de dote. Voyez Chopin sur la Coûtume de Paris, l. 2. t. 2. n. 4.

Mais cette opinion ne seroit pas suivie en cette Province, l’Authent. sed quae nihil, et la Nov. 91. ne parlant que de la donation à cause de nopces et de l’augment de dot, l’on ne peut en faire d’application à nôtre doüaire, parce que ces donations n’étoient approuvées qu’à cette condition, que la dot fut effectivement payée, et qu’elle fust d’une valeur égale à la donation à cause de nopces : aequalitas omnino servanda est in dote et in donatione ante nuptias, non tantùm in lutris exinde proventuris, sed etiam aen praestatione, & utriusque constitutione : Or le doüaire n’est pas acquis à la femme par la consideration de la dot qu’elle apporte à son mary, et il ne luy appartiendroit pas moins encore qu’elle ne fust point dotée ; car pour les filles, c’est propremaent praemium delibata pudicitiae, et il ne seroit pas raisonnable de leur faire porter l’impuissance ou la tromperie de leurs parens : la raison de du Moulin pourroit valoir contre la femme libre, laquelle auroit promis ce qu’elle ne pouvoit donner, et que son mary n’auroit pû recevoir nonobstant toutes ses diligences ; il semble que sa tromperie la rendroit indique du doüaire ; mais puisque la dot n’est point la cause impulsive et finale du doüaire, le defaut de payement n’emporte point la privation du doüaire ; si neanmoins par une paction expresse le mary n’avoit gagé doüaire à la femme, qu’à cette condition qu’il seroit payé de la dot qui luy a été promise, cette convention comme civile devroit être gardée.

La seconde partie de cet Article contient, que le Doüaire consiste en l’usufruit du tiers des choses immeubles.

Les Coûtumes de France reglent diversement la quantité du doüaire ; celle de Paris le limite à la moitié, Article 248. celle de Bourgongne, Tit. des Droits app. à gens mariez, 86. contient une pareille disposition. Par l’Article 455. de la nouvelle Coûtume de Bretagne, le doüaire est limité au tiers, en quoy elle est conforme à la nôtre ; mais elle differe en ce point, que ce tiers ne se regle point selon les biens dont le mary étoit saisi lorsqu’il épousa sa femme, mais au tiers de ce dont il a pû avoir saisine ou droiture durant le mariage ; et par nôtre Coûtume elle n’a doüaire que sur les biens dont il étoit saisi lors des épousailles, ou qui luy sont échûs en ligne directe.

Tous les Legislateurs doivent prendre garde de ne se ervir par dans leurs loix de termes ambigus. Quelques Coûtumes en reglant le doüaire des femmes, ayant usé du terme d’heritage au lieu de celuy d’immeubles, ont fait tomber plusieurs praticiens dans cette erreur, que les rentes constituées ne sont point sujettes au doüaire de la femme, et que ce mot heritage devoit se prendre en sa naturelle signification. Nôtre Coûtume a sagement prévû cette difficulté en se servant du mot d’immeubles, sous lequel nous comprenons non seulement les rentes constituées, mais aussi les Offices comme on le verra dans la suite.

Ce n’est pas une chose douteuse que quand le mariage est Contracté en Normandie entre personnes qui y sont domiciliées, le doüaire ne peut consister qu’au tiers des biens du mary ; mais si un Normand épouse uyne femme qui ait son domicile sous une Coûtume, où le doüaire Coûtumier soit de la moitié des biens du mary, ou qu’elle stipule un doüaire prefix à la moitié ; cette stipulation ne sera pas valable pour les biens en Normandie. C’est une question celebre si les conventions matrimoniales doivent être reglées par la Coûtume du lieu où le COntrat de mariage a été passé, ou par la Loy du domicile du mary ? Mais comme je parleray ailleurs de cette matiere, je me contenteray de dire qu’à l’égard du doüaire, il doit toûjours être reglé par la Coûtume du lieu, où les biens sujets au doüaire sont situés, parce que c’est un droit réel et foncier, et que les Coûtumes étant réelles, les particuliers n’y peuvent déroger par leurs parctions ; cela même a été jugé au Parlement de Paris, comme je le remarqueray sur l’Article CCCLXXXIX.

Quoy que suivant cet Article le doüaire de la femme consiste au tiers de l’usufruit des biens du mary ; il n’est pas toûjours necessaire qu’elle ait le tiers du revenu ; il suffit qu’elle joüisse du tiers des heritages suivant leur valeur : de sorte qu’il peut arriver que son lot à doüaire produira moins que le tiers du revenu, parce qu’il ne sera pas si bien bâty ou planté, mais la joüissance pleine et entiere des choses contenuës en son lot luy appartient, tant des droits utiles que profitables, comme de la presentation aux Offices et Benefices, et autres droits honorifiques.

Et pour entrer en la joüissance de ce tiers, elle est tenuë de faire les lots à ses frais ; c’est l’usage certain de cette Province, quoy que du Moulin estime que cela n’ait lieu que quand la femme agit pour la delivrance de son doüaire contre l’heritier qui la laissoit joüir par indivis, en sa Note en l’Art. 124. de la Coûtume d’Artois : Mais cet usage est si certain, que quand même il y a divers heritiers, les uns aux biens paternels, les autres aux maternels ; la veuve est obligée de faire des lots distincts et separez, comme il fut jugé en l’Au-dience de la Grand-Chambre le 27. de May l’an 1637. plaidans Eustache et Lyout.

Or comme il ne doit rester entre les biens d’un homme que ce qui luy reste aprés ses dettes acquittées, la femme ne peut joüir de ce tiers qu’aux charges de droit, en payant pour sa contribution le tiers des charges et des dettes.

Les charges sont ordinaires ou extraordinaires, et j’appelle charges ordinaires les rentes foncieres, droits et redevances, qui sont, onera rei, et qui se doivent payer par ceux qui joüissent du fonds ; si bien que la femme sera tenuë d’acquitter toutes sortes de charges qui seront duës à cause du fonds, et qui écherront durant la joüissance : Usufructus legato fructuarius alia onera agnoscit ut puta stipendium, tributum vel salarium, ou solarium comme en la l. 15. ff. qui potiores in pign. Il est juste que la doüairiere acquitte les charges réelles, ordinaires et certaines, parce qu’en cette consideration on luy baille un doüaire plus fort à cause que ces charges ordinaires et certaines diminuent les fruits,Molin . de feudis 833. gl. 1. num. 157.

Par ces même raison la veuve doit entretenir les chemins et le pavé des ruës dans les Villes, et autres charges semblables, si quid cloacarij nomine debeatur, vel si quid ad formam aqua daectus quae per agrum transit, pendatur, ad onus fructurarij pertinebit, sed et si quid ad collationem via puto hoc quoque fructuarium subiturum : car parmy les Romains tous les heritages étoient obligés à ces sujettions, solemnia erant hac patrimoniporum anera, dit Me Denis Godefroy sur cette Loy. Pontanus sur l’Art. 189. de la Coûtume de Blois, est aussi d’avis que la veuve est tenuë à toutes ces charges ; elle ne doit neanmoins à cause de son doüaire aucun relief au Seigneur feodal, ny aveu, ny foy, ny hommage.

Pour les arrerages échus avant la joüissance, ils sont du nombre des dettes mobiliaires, dont il sera parlé dans la suite ; et ils doivent être acquittés par l’heritier, l. 39. apud Julianum 9. haeres ff. de leg. 1. Et si la doüairiere est forcée de les avancer comme possedant le fonds obligé, elle en a recompense sur le proprietaire, leg. cùm poss. §. ult. de censib.

Les charges extraordinaires sont ces impositions, et ces taxes qui sont demandées par le Prince, que si elles ont precedé la joüissance du doüaire, elles seront acquittées de la même sorte que les dettes mobiliaires, et pour les autres qui surviennent durant la joüissance, je toucheray la question sur l’Article CCCLXXV.

Quant aux dettes elles sont mobiliaires ou immobiliaires : Pour les dettes mobiliaires anterieures du mariage, la femme n’y contribuë point à cause de son doüaire, et elle n’y est point obligée, en cas qu’elle renonce à la succession de son mary. Il est bien vray que les creanciers peuvent arrêter les fruits de son doüaire, parce qu’il est affecté à leurs creances, mais les heritiers sont obligés de l’en décharger, et de les acquitter sur les deux autres tiers qui leur restent : il fut ainsi jugé le 9. de Novembre 1660. en la Chambre des Vacations, entre Robert de Brevedent, sieur d’Oissel, ayant épousé Demoiselle de Biville, auparavant veuve de Jaques Parent, sieur de Boscauliévre, appellant de Sentence renduë aux Requêtes du Palais, anticipé et demander suivant le Mandement de la Cour du 9. de Juillet : et Me Jaques Hatel, ayant épousé Madelaine Vereul, Tutrice de Marguerite Jens sa fille ; la Chambre mit l’Appellation et ce dont, et en reformant déchargea ledit Brevedent de la contribution et payement des dettes mobiliaires, duës avant le mariage de la-dite de Viville avec ledit Parent, sauf en cas que lesdits deux tiers ne fussent suffisans à y faire contribuer ledit Brevedent pour le surplus, et non seulement la doüairiere ne contribuë point aux dettes mobiliaires qui ont été creées avant son mariage ; elle est même exempte des arrerages des rentes qui sont échus constant son mariage, bien que l’obligation et l’hypotheque en soient anterieures : La raison est qu’il seroit au pouvoir d’un mary Chopin mauvais ménager de priver sa femme de son doüaire, en ne payant aucuns arrerages ou cachant ses dettes, Alioquin, dit Chopiae, aeris alieni reticaentia futurae uxori insidiaretur, l. 3. t. 1. c. 3. de la Proprieté des biens d’Anjou. Cette question fut décidée par Arrest rendu au Rapport de Me Sallet le 10. de Janvier 1662. en la Grand-Chambre, entre Rasse et Glatigny, conformément à un Arrest précedent du 18. de Juillet 1630. Il est vray que si les deux tiers ne suffisoient pas pour le payement des arrerages, elle seroit tenuë de les acquitter ou de renoncer à son doüaire, car les creanciers ne peuvent rien perdre.

Elle n’est donc tenuë de contribuer qu’aux dettes immobiliaires et hypothecaires anteretieures du mariage, et controllées suivant un Arrest donné au Rapport de Mr Ferrare en la Chambre de l’Edit ; au mois de Juillet 1657. conformément à un Arrest precedent donné en la Chambre des Enquêtes. Il sembloit que ce defaut de Controlle ne devoit point priver les creanciers de leur hypotheque ; le Controlle n’étant necessaire qu’entre ceux dont les Contrats sont sujets à cette formalité : Or comme les Contrats de mariage en sont exempts, et que pour acquerir l’hypotheque ils n’ont besoin d’autre solemnité que d’être passés ou reconnus devant Notaires ; un creancier dont le Contrat est parfait en cette sorte, ne devoit pas avoir moins de force, la formalité ne luy étant necessaire que contre ceux dont les Contrats doivent être Controllés : et les creanciers étoient d’autant plus favorables qu’il ne s’agissoit pas d’hypotheque, mais de regler la contribution aux dettes entre une veuve et des heritiers ; et comme ces heritiers ne pouvoient pas être déchargés de la rente par le defaut de Controlle ; la veuve ne pouvoit non plus objkecter ce defaut, puisque la charge retomboit sur les heritiers ; et que par consequent à leur égard elle avoit plus que le tiers. Il fut jugé neanmoins que le Contrat de la femme étant solemnel et parfait, autant qu’il devoit l’être ; et au contraire celuy du creancier manquant en la forme par le defaut du Controlle, il ne pouvoit prévaloir sur celuy de la femme. C’est pour cette même raison qu’un Contrat passé dans le ressort du Parlement de Paris où le Controlle n’est point necessaire seroit préferable en hypotheque à un Contrat passé en cette Province qui ne seroit point Controllé, parce que le premier seroit solemnel et parfait selon les loix du lieu où il auroit été passé, Article 135. du Reglement de l’an 1666.

La femme n’auroit pas le même avantage contre celuy qui auroit acquis du mary avant son mariage, quoy que son Contrat ne fût pas Controllé, parce qu’elle n’a doüaire que sur les biens dont elle a trouvé son mary saisi : et il n’est pas de l’acquereur comme du creancier : l’acquereur ne demande rien, mais le creancier pour être payé, est forcé d’agir sur les biens du mary, et pour avoir la preference il a besoin que son Contrat soit Controllé ; ce qui se pratique aussi contre les creanciers qui ne peuvent troubler celuy qui a acquis avant qu’ils fussent creanciers, quoy que leurs Contrats soient Controllés et que celuy de l’acquereur ne le soit pas.

On fait aussi cette question, si l’on peut obliger la doüairiere de consigner le principal des rentes où elle contribuë ? On répond que les heritiers ny les creanciers ne l’y peuvent forcer, lors que les biens du mary ne sont point saisis réellement : mais quand il y a saisie, en ce cas comme toutes les dettes sont liquides, et que les deniers doivent être distribuez aux creanciers, il ne seroit pas raisonnable d’imposer cette necessité aux creanciers d’entreprendre un second decret pour être payés du tiers de la veuve : Cela fut jugé en la Cham-bre des Enquêtes le 13. de Decembre 1651. au Rapport de Mr du Val, entre le sieur de Poitrincour et la Dame de Poix.

Tout ce que j’ay dit de la contribution aux dettes de la part de la doüairiere n’est point problematique en Normandie, mais cela n’a pas laissé de partager les opinions dans les Coûtumes mêmes, qui sont entierement conformes à la nôtre.

Par l’Art. 319. de la Coûtume d’Anjou, la femme qui survit son mary a droit d’avoir pour doüaire et par usufruit sa vie durant la tierce partie des heritages et choses immeubles, dont son mary étoit Seigneur au temps de son mariage et durant iceluy. Chopin l. 3. t. 1. de mulier. dotal. n. 25. a tenu que, Annuo quidem vectigali fructuaria cogitur satisfacere seu praediario jure, seu nummis comparato ante initas nuptias, et pour les dettes mobiliaires, qu’elle est exempte d’y contribuer.

Au contraire, Dupineau dernier Commentateur de la Coûtume d’Anjou sur l’Art. 299. a combaty l’opinion de Chopin ; son raisonnement est que suivant l’opinion des Docteurs, les usufruictiers ne sont point tenus au payement des dettes des proprietaires, et qu’il faut faire distinction entre l’usufruit de tous les biens ou d’une certaine portion par quotité, et l’usufruit de quelques-uns des biens par quantité, quand même elle seroit par quotité sur aucune espece d’iceux. Quant à l’heritier universel de tous les biens, que les dettes diminuent son usufruit, parce qu’aprés avoir épuisé tous les meubles, il faut venir à la distra-ction des immeubles : Mais si l’usufruit est de certaines choses particulieres ou de la quotité d’icelles, non seulement l’usufruictier n’est point contribuable aux dettes, mais encore elles ne diminuent point son usufruit, sauf au proprietaire heritier ou autre à payer les dettes, et que c’est le veritable sens de la Loy derniere, ff. de usuf. leg. l. 8. §. ult. l. 9. de leg. 2. comme il est amplement traitté parBenedicti , l. Rainut. Veaebo, caetera bona, n. 42. et par Covarr Covart. Variar. resol. l. 2. c. 2. n. 13. Or quoy que par la Coûtume d’Anjou, la doüairiere ait son doüaire par quotité, neanmoins puisque cet usufruit n’est pas du tiers de tous les biens, le doüaire ne se prenant pas sur les meubles et sur les acquests, la doüairiere n’est point contribuable aux dettes réelles et foncieres ; neanmoins cet Auteur avouë que l’autorité de Chopin l’a emporté, ce qui me paroît raisonnable, car la Coûtume s’étant nette-ment expliquée que l’heritier ne doit être chargé du doüaire au delà du tiers des biens du mary, ce tiers ne doit consister qu’en ce qui reste aprés les charges levées, bona enim non sunt, nisi deducto are alieno.

On a pareillement revoqué en doute, si la doüairiere est obligée de contribuer au mariage des filles. Godefroy a proposé cette difficulté, et il resout que suivant l’opinion la plus commune, la doüairiere n’est point sujette à cette contribution, parce que les filles n’ont rien aux biens du pere de son vivant, et qu’avant son decez le doüaire est acquis à la femme.

On doit faire distinction entre les filles, car leurs droits peuvent être de differente qulité : ou elles sont issuës d’un premier mariage du mary de la doüairiere, ou elles sont ses filles. a l’égard des filles sorties d’un autre mariage, ou elles ont été mariées avant les secondes nopces de leur pere, et en ce cas si le pere a promis une dot à sa fille, c’est une dette qu’il a contractée, et à laquelle par consequent la seconde femme est tenuë de contribuer, comme étant anterieure de son mariage : Et en ce point le raisonnement de Godefroy ne peut valoir en faveur de la doüairiere, car quand il seroit vray que les filles n’auroient rien aux biens de leur pere de son vivant, et qu’avant son decez le doüaire seroit acquis à la seconde femme, cela ne pourroit avoir lieu que quand le pere a promis et s’est obligé depuis son second mariage ; mais lorsqu’il a promis et qu’il s’est obligé auparavant, cette seconde femme ne peut pas dire que son doüaire est auparavant, et que les filles n’ont rien aux biens de leur pere, cela ne peut être allegué que quand le pere n’a rien promis ; mais lorsqu’il s’est engagé, comme cette promesse est legitime et qu’elle ne peut dire qu’elle ait été faite en fraude de ses droits, elle ne peut se défendre de la contribution, comme si le pere avoit payé durant son second mariage les promesses faites à ses filles en les mariant, en ce cas la femme auroit son doüaire exempt de cette contribution, comme d’une charge éteinte, comme il a été jugé par Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre, le 13. de Mars 1665.

Que si elles ont été mariées depuis, la veuve pourroit objecter que son mary n’auroit pû diminuer son doüaire par une obligation volontaire, et qu’il ne doit pas être en sa liberté de luy faire prejudice par des promesses excessives, ou en tout cas purement vo-lontaires : Il est certain neanmoins qu’elle doit contribuer au mariage des filles, quoy que son mary ne s’y soit obligé que depuis son second mariage, suivant un Arrest donné en la Chambre des Enquêtes, sur ce fait, le 23. d’Aoust 1656. Un homme qui avoit des filles d’un premier mariage, aprés en avoir contracté un second constitua une rente pour la dot de l’une de sesdites filles : aprés sa mort cette seconde femme prétendit que son doüaire luy devoit être ajugé en exemption de cette rente, parce qu’elle avoit été creée depuis son mariage. On répondoit que la rente donnée par le pere à sa fille luy tenoit lieu de legitime, qui prenoit hypotheque du jour du mariage du pere. Il est vray qu’il pouvoit la marier d’un Chapeau de Roses, et qu’il ne pouvoit être forcé de luy donner aucune chose ; d’où l’on pouvoit induire que c’étoit une pure liberalité ; mais tout ce raisonnement cesse quand il s’est obligé : car comme il y avoit toûjours une obligation naturelle, quoy que civilement il ne pûst être forcé de l’acquiter, elle devient necessaire par son fait. La Coûtume n’a point voulu forcer le pere à donner à ses filles, pour engager les filles à meriter cette grâce ; mais elle ne luy a pas défendu de s’acquiter d’une obligation si naturelle quand il le juge à propos ; au contraire la Coûtume ne luy a point imposé cette loy, parce qu’elle a presumé favorablement de sa pieté paternelle, qu’il se porteroit infailliblement à satisfaire à son devoir ; ainsi la donation faite par le pere à sa fille en la mariant devient une dette naturelle, qui prend son origine du moment qu’il s’est mis en état de devenir pere. La Coûtume a laissé en la liberté des peres de regler la portion qu’il leur plaist de donner à leurs filles ; mais quand ils l’ont arbitrée, elle leur tient lieu de legitime ; à l’exemple du tiers destiné pour la legitime des fils, qui prend hypotheque du jour du Contrat de mariage du pere, les sommes qu’il promet pour le mariage de ses filles ont le même privilege. Les Parties étoient Pinchon et de la Mort.

Quant aux filles de la doüairiere, son doüaire ne contribuë point à leur mariage quand elle n’en a point parlé : car en ce cas son doüaire étant plus ancien que la dot de sa fille, il ne peut être diminué pour une dette à laquelle elle n’a point consenti : mais lorsqu’elle a promis conjointement avec son mary, il ne semble pas juste de décharger son doüaire de cette contribution.

Pour le mariage des soeurs du mary, c’est une charge incontestable du doüaire, bien qu’elles soient devenuës heritieres de leur frere. Cousin, sieur de la Haye, étant mort sans enfans, Jeanne de Rimaçon sa veuve demanda son doüaire sur sa succession : Jean Haissant, mary de Marguerite Cousin, et Marie et Anne Cousin heritieres du sieur de la Haye, luy accorderent doüaire sur les deux tiers de la succession, prétendans que l’autre tiers leur appartenoit pour leurs legitimes. Le Vicomte l’ayant jugé de la sorte, le Bailly cassa la Sentence, les soeurs appellantes disoient que leur légitime étant une dette anterieure du mariage de l’intimée, elle étoit tenuë d’y contribuer : La veuve prétendoit que les soeurs étant devenuës heritieres de leur frere, elles avoient confondu leur action par l’adition de son heredité : Par Arrest du 13. de Mars 1665. le doüaire fut chargé de la contribution au mariage des soeurs, laquelle la Cour liquida par le même Arrest.

Bien que la Coûtume n’assigne le doüaire que sur les immeubles, et qu’il ne soit point dû regulierement sur les meubles, parce qu’ils ne produisent aucun fruit ; neanmoins au defaut d’immeubles le mary peut constituer un doüaire sur ses meubles, et stipuler que sa femme jouïra d’une certaine somme : et cette stipulation est si favorable, que quelques Coûtumes de France donnent à la veuve pour son doüaire une partie des meubles, lorsque le mary n’a point d’immeubles, ou qu’il n’a rien acquis, quoy qu’il n’en eust été rien convenu par le Contrat de mariage. Par l’Article 221. de la Coûtume d’Orleans, si le mary n’a point de propres, la femme a pour son doüaire le quart des acquests de la portion de l’heritier, et s’il n’y a point d’acquests le quart des meubles. Bourbon. t. des Gens Mariez, Article 257.

Une constitution de doüaire sur des meubles a été jugée valable, par Arrest donné en la Chambre de l’Edit du 26. de Juin 1619. Un mary qui n’avoit point d’immeubles avoit consenti qu’en cas de predecez, la somme de six cens livres fust prise sur ses meubles pour tenir lieu de doüaire à sa femme, et depuis la proprieté de ces six cens livres ayant été pretenduë par les enfans, elle leur fut ajugée nonobstant le contredit des creanciers, qui soûtenoient que le doüaire ne pouvoit être constitué sur des meubles ; car la femme y prenant part, il ne seroit pas juste qu’elle eust doüaire sur l’autre portion qui resteroit aux creanciers ou aux heritiers, et que ces pactions leur étant inconnuës elles ne pouvoient valoir à leur prejudice. Il fut representé pour les enfans qu’il n’étoit point défendu à celuy qui n’avoit point d’immeubles d’assurer un doüaire à sa femme sur des meubles, et ayant été destinez et appliquez à cet effet par le Contrat de mariage, cette paction devoit être executée.

On peut donc stipuler un doüaire sur des meubles, mais on peut même ajoûter que cette somme mobiliaire delaissée à la femme pour son doüaire appartiendra aprés sa mort aux enfans pour leur tenir lieu de legitime. Surquoy l’on peut former cette question, si ces enfans venans à mourir, et cette somme n’ayant point été remplacée, elle doit être encore considerée comme un immeuble, et comme un propre pour appartenir à l’heritier au propre : On peut dire que la fiction ne peut aller si loin, et que la destination ayant eu son effet, ces deniers en la personne des enfans ont repris leur premiere nature de meubles.

Et cela me paroist sans difficulté, lorsque les enfans sont morts aprés leur majorité ; mais parce que suivant l’Article CCCCCXII. les deniers donnez à des mineurs pour être empployez en achapt de rente ou d’heritage, sont reputez immeubles pendant leur minorité.

On peut induire de cette disposition, que les deniers destinez pour leur legitime doivent tenir nature d’immeuble et de propre ; mais on répond que n’ayant pas été stipulé, que les deniers destinez pour tenir lieu de doüaire et de tiers à la veuve et aux enfans, seroient employez en achapt de rente ou d’heritage, il suffit que la stipulation ait eu tout son effet, lorsque ces deniers ont servy pour tenir lieu de tiers et de doüaire ; mais que la destination n’ayant point passé plus avant, ces deniers demeurent necessairement en leur premiere nature, aprés que la stipulation portée par le Contrat a été pleinement consommée.

Au temps de la Reformation de la Coûtume l’on ne connoissoit que deux sortes d’immeubles, les heritages et les rentes constituées : Comme les rentes constituées n’ont pas une durée permanente, on peut douter si l’usufruit ou le doüaire est éteint par le rachapt qui en a été fait. il faut tenir certainement que les deniers procedans du rachapt, sont reputez à l’égard de la doüairiere de la même nature que les rentes rachetées, pour y avoir le même droit qu’elles y avoient auparavant ; car generalement la chose subrogée prend la nature de celle en la place de laquelle elle est subrogée. Cette espece de mutation n’éteint point l’usufruit, quoy que souvent l’usufruit s’éteint par la mutation de la chose. l. reperi. §. rei mutatione. D. quib. mod. usuf. Or bien loin que le rachapt éteigne le doüaire, que les heritiers sont tenus de prendre les deniers pour continuer la rente ou pour les remplacer, si la veuve ne s’en charge en baillant caution, comme il a été jugé entre la veuve de Robert Courant, et Jean Courant, fils dudit Robert.

La corruption du siecle et la venalité des charges ont produit une troisiéme espece d’immeubles ; le prix des Offices est devenu si immense, qu’il fait souvent la meilleure partie du bien des familles, et c’est pourquoy l’on n’a plus balancé à les reputer immeubles à l’égard des femmes : on les partage, et on en regle les droits de la même maniere que pour les autres immeubles, et c’est inutilement que l’on cherche la décision de ces matieres dans nos anciens Auteurs, parce que la jurisprudence en est nouvelle, et qu’elle s’est établie depuis que les Offices sont venus à un prix excessif.

Les femmes y ont eu les mêmes droits que sur les autres immeubles. On leur a donné doüaire sur les Offices lorsque leurs maris en étoient pourvûs au temps de leur mariage ; mais n’ayant point de suite par hypotheque, et la femme ne pouvant par consequent attaquer le resignataire de son mary pour luy fournir son doüaire sur l’Office, comme elle auroit pû faire contre l’acquereur de son heritage, on luy en a donné recompense sur les autres biens, ce qui a été jugé par plusieurs Arrests du Parlement de Paris : Brodeau sur Me Loüet L. D. n. 63. et de ce Parlement. Arrest du 7. de Decembre 1628. entre Mr Bouchart Conseiller en la Cour, et Tuvache ayant épousé Marie Lair, veuve de Thomas le Carpentier, Huissier en la Cour, sur le doüaire qu’elle pretendoit sur l’Office d’Huissier, vendu du vivant de son mary. Autre Arrest pour Dame Anne Sallet, veuve de Me Alorge, sieur d’Ardanville, contre les Sieurs et Demoiselle de Rassent, Heurtaut et autres creanciers dudit sieur Alorge ; la Cause fut plaidée le 8. de Juin 1652. par Coquerel pour la veuve et les enfans, qui soûtenoient que le doüaire ne pouvoit être disputé sur les Offices qui sont immeubles, que le remploy en cas d’alienation en étoit dû sur les autres biens ; car si lorsque le mary reçoit le rachapt des rentes qui appartiennent à sa femme, elle en a recompense sur ses autres biens, suivant l’Article CCCLXVI. elle la doit avoir pareillement sur l’Office qui n’est pas moins immeuble qu’une rente. Il fut répondu par Motlet et Heroüet, et par moy pour les creanciers, que le doüaire n’étoit point dû sur les Offices, parce que suivant la nouvelle Coûtume il ne peut être demandé que sur les immeubles, et par l’ancienne Coûtume sur les heritages. Suivant la Coûtume les Offices ne sont immeubles que quand ils sont saisis, et cela même n’a lieu que pour les Offices venaux, et non pour les Offices de Judicature, qui étoient attachez à la personne ; que par Arrest du Parlement de Paris rap-porté dans le Journal des Audiences, l. 1. c. 98. de l’impression de 1652. il avoit été jugé que la veuve d’un Conseiller de la Cour étoit non recevable à demander doüaire sur les deniers provenans de la vente d’un Office de Conseiller en la Cour ; qu’en cette Cause l’on étoit en termes beaucoup plus avantageux ; car l’on ne demandoit pas un doüaire sur les deniers d’un office, au contraire l’Office ayant été vendu, les deniers en avoient été dissipez ; mais l’on en pretendoit le remploy sur les autres biens ; que l’on ne devoit point étendre l’exemple des rentes aux Offices, puisque la Coûtume n’en avoit point parlé : la Cause ayant été appointée au Conseil, par Arrest au Rapport de Mr du Houley du 14. de Juin 1660. on ajugea à la veuve et aux enfans le remploy de l’Office sur les autres biens.

Fresne Du Fresne sur l’Article 112. de la Cûtume d’Amiens, Tître du Doüaire, dit qu’à Paris on fait difference entre le doüaire Coûtumier et le doüaire Prefix sur les Offices. En la Coûtume de Paris le doüaire Coûtumier est un droit de proprieté que la Coûtume transfere aux enfans dés le moment du mariage, ce qui n’est pas du doüaire prefix qui n’est qu’une dette hypothecaire de même qualité que le commun des rentes constituées, et comme une dette acquise par tout autre creancier, qui vient en contribution au sol la livre sur le prix des Offices comme sur les autres meubles. En Normandie l’on ne fait point cette distinction, le doüaire prefix est de la même qualité que le Coûtumier sur les Offices comme sur les immeubles, il ne vient point en contribution au sol la livre sur les meubles, cette action n’ayant point de lieu parmy nous, les creanciers sont payez sur les meubles comme sur les immeubles, selon l’ordre de leurs hypotheques.Ricard , sur l’Art. 95. de la Coûtume de Paris, pose pour une maxime certaine au Parlement de Paris, que la femme ne prend point de doüaire Coûtumier sur les Offices que in subsidium, et en cas qu’il n’y ait point d’autres biens sujets à doüaire.

Plusieurs sont de ce sentiment, que pour acquerir le doüaire à la femme, le mary est reputé saisi aussi-tost qu’il a levé les provisions au Sceau, quoy que l’on n’ait point procedé à sa reception ; que si le mary laisse perdre l’Office à faute d’avoir payé le droit Annuel, lorsqu’il est ouvert, on ne doute plus que la femme n’en puisse demander recompense sur les autres biens du mary, en consequence de l’Article CCCXXXIII. suivant lequel, quand le mary confisque, la femme ne laisse pas d’avoir ses droits. les opinions sont differentes seulement sur ce point, sçavoir si cette recompense luy est dûë indistinctement, soit qu’elle ait renoncé ou qu’elle soit heritier de son mary ? En cas de renon-ciation, l’on convient que cette recompense luy est dûë, mais on n’est pas d’accord qu’elle luy appartienne lorsqu’elle est heritiere. Cette question s’offrit en l’Audience de la Grand-Chambre le 12. de Mars 1671. Jouvin étoit prouvû d’un Office de Referendaire en la Chancellerie de Roüen, lorsqu’il épousa Marie Pesnelle : Il fit plusieurs acquisitions constant son mariage ; mais ayant été tué, et sa Charge ayant été perduë faute d’avoir payé le droit Annuel, un particulier la leva aux parties casuelles, et par accommodement il donna deux mille livres aux heritiers : Marie Pesnelle sa veuve demanda doüaire sur cette Charge, il ne luy fut ajugé que sur ces deux milles livres ; sur l’appel de la veuve le Bailly cassa la Sentence, et luy accorda doüaire sur le prix que l’Office avoit été acheté, qui étoit de sept mille livres. Il étoit constant qu’au temps de la mort de son mary, il valoit onze mille livres. Sur l’appel de Jouvin, frere du défunt, de Cahaignes son Avocat convenoit, que quand l’Office étoit perdu par la faute du mary, et que la femme renonçoit à sa succession, elle en avoit recompense sur les autres biens ; mais quand elle étoit heritiere, bien loin d’en avoir recompense, elle étoit obligée de contribuer au remploy de cette Charge, puisqu’il n’y avoit point de meubles ny d’acquests que le propre ne fust remplacé.

Le Page répondoit qu’il seroit injuste de luy faire porter la peine de la negligence de son mary, et de luy faire remplacer une Charge qu’il avoit perduë volontairement, que la raison et la cause du remploy des biens alienez durant le mariage, cessoit en cette rencontre, la Coûtume ayant presumé que les deniers provenans de la vente des propres étoient entrez dans les meubles, ou qu’ils avoient été employez en acquisitions, et que par consequent il étoit juste que la femme contribuât au remploy à proportion de ce qu’elle prenoit aux meubles et acquests ; mais cet Office ayant été perdu, il n’en étoit rien entré dans la masse des meubles et des acquests ; et comme elle pourroit demander aux heritiers du mary la recompense de son doüaire sur les heritages qu’il auroit alienez, nonobstant sa qualité d’heritiere de son mary, elle pouvoit demander la même chose, puisque c’étoit une alienation volontaire qu’il en avoit faite. Les Juges furent de differens avis, et on prononça seulement qu’elle auroit doüaire, sauf les contributions pour le remploy de ses propres, laissant par ce moyen la question indecise ; on cassa neanmoins la Sentence, en ce qu’elle regloit le doüaire sur le prix de l’achapt, et non sur le prix de la derniere venduë. Que si l’Office étoit supprimé par l’autorité du Prince sans aucun remboursement, la femme n’auroit pas de recompense, non plus que si un heritage avoit pery, si fundus chasmate periisset ; mais si le Roy don-noit quelque recompense, elle auroit le tiers en doüaire, et c’est en quoy le doüaire prefix a l’avantage sur le doüaire Coûtumier ; le premier ne souffrant point de diminution, quelque accident qui puisse arriver ; mais le Coûtumier peut diminuer quand la perte des biens arrive par une force majeure.

Ce n’est pas assez d’avoir expliqué la nature et la qualité des biens sur lesquels le doüaire peut être levé, car la Coûtume ne le donnant que sur les biens dont la femme a trouvé son mary saisi lors des épousailles, il peut naître plusieurs difficultez sur l’explication de ce terme saisi.

La femme ne pouvant avoir doüaire que sur les immeubles dont son mary étoit saisi lors des épousailles, il semble qu’elle ne doit pas le pretendre sur les heritages qu’il avoit vendus auparavant, bien qu’il les ait retirez depuis en vertu de la faculté de retrait qu’il avoit retenuë. Il se mût procez sur cette question devant le Juge d’Argenten : Pierre Troterel avoit aliené quelque fonds avant son mariage avec faculté de retrait, et l’ayant retiré, aprés sa mort Olivier Troterel son fils demanda sur ces mêmes biens son tiers Coûtumier : Soeur Marie de Roussel, Abbesse de Vignats, l’avoit fait debouter de sa pretention ; sur l’appel, par Arrest du 23. de Decembre 1658. au Rapport de Mr du Houley, on ordonna que sur les heritages vendus par Pierre Troterel avant son mariage, et retirez depuis en vertu de la faculté de retrait, ledit Olivier en auroit le tiers, en contribuant pour un tiers aux deniers déboursez pour parvenir au retrait, ce qui est raisonnable ; la faculté de retrait faisant partie de la chose, et appartenant au mary, la pretention de la femme et des enfans est dans les termes de cet Article, et cet Arrest est conforme à celuy de Caux, que j’ay remarqué sur l’Article CCCXXIX.

On peut aussi agiter cette question, si l’on doit compter entre les biens dont le mary étoit saissi,’laction récisoire qu’il pourroit exercer ? Chopin en propose l’exemple en un mineur qui auroit vendu avant son mariage, et depuis aprés avoir obtenu des Lettres de récision, en autoir transigé moyennant une somme d’argent ; il semble que l’acquereur est en seureté aprés la ratification faite par le majeur, qui s’est departy de ses moyens de récision, et comme le mary pouvoit laisser perir l’action récisoire, en ne se faisant pas restituer dans la trente-cinquiéme année de son âge, il a pû la remettre moyennant un supplément qui luy est fait, de sorte que la transaction doit avoir un effet retroactif au temps du Contrat : a quoy l’on répond pour la femme, que l’action récisoire fait partie des biens du mary, qu’elle est de même condition que l’heritage que l’on peut retirer ; car on n’est point reputé privé et dépoüillé d’un bien, lorsqu’on a droit d’en demander la restitution. l. nemo. ff. de in integ. rest. La restitution remet les choses en leur premier état, l. quod si minor §. restitutio, ff. de min. ce qui est si veritable, que la chose venduë retourne en la main du vendeur en la même qualité qu’elle étoit auparavant, comme Tiraqueau le prouve dans le §. 13. gl. 1. n. 70. du Retrait Lign. d’où il s’ensuit que cette action ayant augmenté le doüaire de la femme, le mary n’a pû la remettre ny en transiger à son prejudice, puisqu’elle auroit pû l’exercer de son chef, l. si cujus §. 1. de usufr. c’est le sentiment deChopin , l. 3. t. 1. n. 15. de la Proprieté des biens d’Anjou, à moins que le procez dont le mary a transigé ne fust douteux ; car en ce cas le mary n’est pas interdit de terminer un procez, dont l’evenement étoit incertain.

Pour acquerir actuellement ce doüaire sur les biens du mary, il ne suffit pas qu’il en soit saisi par une simple joüissance, il faut que la proprieté luy en appartienne ; bien qu’il fust en possession d’une terre au temps de son mariage, si depuis il en étoit depossedé, faute de tître valable, la femme ne pourroit en demander recompense sur les autres biens, non enim videtur habere â quo res evinci potest. Si au contraire le mary se laissoit dépoüiller d’un heritage qui luy appartiendroit par un tître authentique, suivant le sentiment de Mr d’Argen -tré, elle y auroit doüaire, quod non habet, & habere debuit ad viduam pro tertia parte spectat, de la même sorte qu’on a jugé la recompense sur les autres biens du mary qui a negligé de conserver son Office, en payant le droit Annuel.

On a favorisé la femme en cette autre espece : on repute le mary saisi des biens qu’elle luy donne par son Contrat de mariage aux fins de luy donner doüaire sur iceux, pourvû neanmoins qu’au temps de la mort du mary, ou de la separation de biens, il en soit encore saisi, et qu’ils se trouvent en essence ; car autrement s’il les avoit alienez, elle ne pourroit troubler les acquereurs, comme il a été jugé par plusieurs Arrests, et la Cour l’a décidé par l’Article 71. du Reglement de l’an 1666. Et c’est aussi le sentiment de Mr d’Argentré, Article 433. gl. 2. n. 8. Suivant cet Article 71. du Reglement, la femme n’a point de doüaire sur l’heritage qu’elle a donné pour don mobil, quand il est aliené ; mais on demande si elle peut y avoir doüaire sans contribuer aux dettes qu’il a contractées depuis son mariage ? Cette question s’offrit en la Chambre de la Tournelle, au Rapport de Mr de la Basorge, entre Guerout et Bellezaize ; les opinions furent partagées. Le fait étoit qu’une femme trouvant encore son mary saisi des heritages donnez pour don mobil, y demandoit doüaire sans contribuer aux dettes qu’il avoit conractées depuis son mariage : Le procez ayant été départagé en la Grand-Chambre, par Arrest du 16. de Mars 1667. il fut dit qu’elle y contribuëroit. Le motif de l’Arrest fut que la femme n’a doüaire sur le don mobil, que lorsqu’il se trouve dans la succession du mary, et qu’elle n’en auroit point s’il l’avoit aliené ; et qu’ayant la liberté de le pouvoir vendre, sans que la femme y puisse rien pretendre, il peut pareillement l’hypothequer. Contre ces raisons on alleguait l’Article du Reglement qui donne doüaire sur le don mobil, lorsqu’il se trouve en essence ; ce qui est inutile s’il peut l’hypothequer, suivant cet Arrest l’Art. du Reglement ne regarde que les heritiers.

Nos Commentateurs se trouvent partagez sur cette question, si la femme peut avoir doüaire sur les heritages retirez à droit de sang par son mary ? Berault conclud indistinctement pour la negative : Godefroy fait cette distinction, que si les heritages étoient échûs au mary en ligne directe, sans vente, elle y doit avoir doüaire ; que si la succession est échuë en ligne collaterale, le doüaire ne luy est point dû. Il seroit juste de suivre l’opinion deGodefroy , s’il paroissoit que l’alienation eust été faite en fraude de la femme, et pour la frustrer du doüaire qui luy auroit appartenu ; mais quand la vente est veritable et sans suspicion de dol, sans distinguer si les biens seroient parvenus au mary en ligne directe ou collaterale, il semble que la femme n’a point droit de doüaire sur les heritages retirez à droit de lignage, ce qui a lieu pareillement pour ceux qu’il auroit eus par retrait feodal ; la raison est que le mary déboursant des deniers pour parvenir au retrait lignager ou feodal, les heritages retirez sont de veritables acquests ; mais la Coûtume en l’Article CCCCLXXXIII. les repu-tant propres, la femme n’y peut prendre part, comme aux acquests, et elle ne peut y demander doüaire son mary n’en étant point saisi lors de son mariage : Que si les biens re-tournoient au mary à droit de commise, de desherence, ou par quelqu’autre voye de reversion, ils seroient sujets au doüaire, parce qu’ils retournent au mary imemdiatement et sans aucun déboursement de deniers à cause du fief dont il étoit saisi, et tanquam jure accrescendi, auquel droit la femme doit participer, comme étant une augmentation naturelle, par la même raison que la diminution de la valeur des biens affoibliroit son doüaire.

Il se trouve des biens sur lesquels la femme ne peut avoir doüaire, encore que son mary en fust actuellement saisi et proprietaire au temps des épousailles : ce sont les rentes constituées qui ont été rachetées constant le mariage ; comme il est necessaire pour la vadlité de ces rentes que le debiteur ait une faculté perpetuelle et absolument libre de les racheter, il ne peut être troublé par la femme pour avoir usé d’une faculté qui luy appartient sans condition, comme il a été jugé par Arrest du 7. de Février 1623. entre la Vastine, Hurard, et autres ; par lequel une femme ayant demandé doüaire sur des rentes rachetées, elle en fut deboutée. Aussi la Cour l’a décidé par l’Art. 76. du Reglement de l’an 1666. Il est vray que la femme peut en demander recompense sur les autres biens du mary ; mais comme souvent il ne s’en trouve point, ce recours devient inutile.Chopin , de la Proprieté des biens d’Anjou, l. 3. c. 1. n. 13. son opinion est conforme à nôtre Usage.

Cette question fut fort agitée entre les nommez Alexandre et la veuve de de la Mare, pour sçavoir si une femme ayant épousé un mineur, durant la minorité duquel on avoit racheté quelques rentes constituées, qui n’avoient point été remployées par son tuteur lors du mariage, elle auroit doüaire sur les deniers provenans de ces rachapts ? Le procez ayant été jugé, au Rapport de Mr Deshommets, il étoit d’avis qu’elle ne pouvoit avoir de doüaire ; Mr de Fermanel Compartiteur, soûtenoit le contraire ; et par Arrest du premier d’Avril 1667. il passa à dire qu’elle auroit doüaire, et que l’Article CCCCCXIII. avoit aussi-bien lieu pour les doüairieres que pour les heritiers.

Outre les rentes, si le mary possedoit un heritage par fieffe ou bail à rente, et que pendant le mariage il en fust dépossedé faute d’avoir payé les arrerages, s’il tomboit en com-mise pour felonnie envers son Seigneur, s’il étoit confisqué pour crime, si son ingratitude envers son bienfaicteur avoit donné lieu à revoquer les donations de terres qu’on luy auroit faites, on demande si en tous ces cas le doüaire de la femme seroit conservé ? En consequence de cet Article qui le luy attribuë sur tous les biens dont son mary est saisi, et si elle en seroit privée suivant cette regle. Le droit du donateur étant resolu, le droit du donataire l’est pareillement.

Loyseau Toutes ces grandes difficultez se décident par la distinction rapportée parLoyseau , l. 6. c. 3. du Deguerpissement. Il faut examiner si la Commise procede d’une cause necessaire, ou d’une cause volontaire, ex causa necessaria, aut ex causa voluntaria. On estime la cause necessaire quand la chose arrive, ex necessitate pacti impressi in ipsa traditione rei, nous en avons un emple en la l. lex vectigali. D. de Pigni. Lex vectigali fundo dicta erat, ut si post certum tempus vectigal solutum non esset, fundus ad Dominum rediret. Il paroist que le preneur à rente ne possedoit l’heritage qu’à condition de la payer ; de sorte que n’y ayant pas satisfait, le bailleur a pû s’en remettre en possession en vertu de la condition employée par le Contrat, et on ne peut objecter que cette resolution du Contrat est volontaire, parce que le possesseur pouvoit payer les arrerages s’il avoit voulu, et qu’ainsi c’est une simple negligence et une simple omission ; en ce cas le mary étant dépossedé ex necessitate pacti in ipsa traditione rei impressi ; la femme souffre la perte de doüaire, bien que ce soit par la faute de son mary.

Il est vray que l’on ne peut imputer à la femme ce que cette loy objecte au creancier, qu’il pouvoit reparer la negligence du preteur, ce que n’ayant pas fait, la resolution du Contrat étoit necessaire, cum in exolutione vectigalis tam debitor quam creditor cessassent, et partant le creancier est puny justement de son peu de soin ; mais la femme étant en la puissance de son mary, et n’ayant point la liberté de ses actions, on ne peut luy imputer de negligence ; neanmoins on a refusé la femme de son doüaire, par Arrest du Parlement de Paris rapporté par Tronçon sur l’Article 117. de la Coûtume de Paris, quoy que le procez pour la resolution du Contrat ne fust point jugé, et que la femme aprés la mort de son mary offrist le payement de tous les arrerages ; mais comme les pactions commissoires ne sont point favorables, je n’estime pas qu’on en usast si rigoureusement parmy nous si la Commise n’étoit point jugée, et que la veuve offrist cederi satisfactione moram purgare ; que si la Commise avoit été jugée durant le mariage, alors le bailleur ayant usé de son droit, et la chose étant pleinement consommée, il ne resteroit à la femme qu’une action en recompense sur les autres biens du mary.

Mais quant aux autres cas cy-dessus, si la resolution étoit arrivée par une action purement volontaire de la part du mary, sa faute et son crime ne seroient point de prejudice au droit de sa femme, et nôtre Coûtume est bien éloignée de cette rigueur, puisque nonobstant la confiscation du mary, elle conserve à la femme sa part aux meubles et aux acquests, ausquels elle n’a point de part qu’en qualité d’heritiere, Article CCCXXXIII.

Mais le doüaire luy étant acquis en vertu de son Contrat de mariage, encore qu’elle renonce, le mary ne peut l’en priver par sa mauvaise conduite ; comme au contraire le de-saveu fait par la femme, de son Seigneur, n’ôteroit pas au mary la joüissance qui luy appartient des biens de sa femme, pourvû qu’il ne l’eust point avoüée. Il est vray que par l’Article CCCCCXLIV. lorsque la femme est condamnée pour crime, la condamnation est portée non seulement sur les fruits, mais aussi sur tous les autres biens de quelque qualitée qu’ils soient, si les fruits n’y peuvent suffire, en quoy la condition du mary est pire que celle de la femme ; car celle-cy ne souffre aucune diminution de ses droits par la faute de son mary, suivant ledit Article CCCXXXIII. et au contraire si la femme commet quelque crime, les condamnations sont acquitées sur les fruits qui luy appartiennent ; mais l’on doit en quelque sorte imputer au mary la mauvaise conduite de sa femme.

Enfin voicy encore une autre cas où la femme ne peut demander son doüaire sur les biens dont elle trouve son mary saisi, et cette matiere se presente souvent. Un mary fait échange de ses heritages avec d’autres ; aprés sa mort, ou aprés la separation civile de la femme, elle demande doüaire aux detenteurs des heritages dont son mary étoit saisi lors de ses épousailles ; ils s’en défendent en offrant de la faire joüir du contr-échange, et de le faire valoir jussqu’à la concurrence de ce qui luy appartient pour son doüaire. La femme répond qu’il y a grande difference entre le doüaire et la legitime des enfans ; qu’à l’égard des enfans les acquereurs, lors qu’ils sont poursuivis par les enfans pour leur fournir leur tiers Coûtumier, peuvent bien se maintenir en payant l’estimation du fonds qu’ils ont acquis, sui-vant l’Article CCCCIII. Mais les acquereurs, ou ceux qui possedent par échange les biens du mary, n’ont pas le même avantage contre la femme, le doüaire de laquelle est expressément assigné sur les biens dont elle a trouvé son mary saisi : comme il s’agit d’un usu-fruit, la Cour l’a facilement accordé sur tous les heritages, sauf le recours sur le dernier acquereur. Le droit des enfans est de la nouvelle Coûtume et plus rigoureux, parce qu’il ôte la proprieté ; qu’on ne peut luy ôter son gage et son assurance pour la contraindre d’accepter un fonds moins commode, et qui peut être affecté à d’autres dettes qu’à celles de son mary, enfin qui peut être de moindre prix et plus difficile à faire valoir ; ou s’il en faloit venir à l’estimation, ce seroit engager une pauvre veuve en des procez et en des frais immenses, qui consumeroient son doüaire ; qu’en un mot elle n’est point obligée de prendre le change. Le permutant repliquoit que la femme n’ayant qu’un usufruit, elle étoit moins favorable que les enfans ; qu’on pouvoit dire qu’on luy gageoit doüaire sur les biens de son mary, puisque ceux qu’il avoit eus en contr-échange entroient en leur place, quia subrogatum sapiebat naturam subrogati ; que l’on offroit de convenir d’estimateurs pour justifier l’égalité des choses échangées ; que l’on s’obligeoit encore de la faire joüir sans aucun trouble ; que le refus d’offres si raisonnables ne pouvoit proceder que d’un caprice ou d’une opiniâtreté malicieuse, pour faire de la vexation sans aucun benefice ; par l’ancienne Jurisprudence l’on ne pouvoit obliger la femme de prendre son doüaire sur les heritages baillez en contr’échange à son mary, ny même sur ce qu’il avoit acquis constant le mariage ; mais on a changé cet usage, comme on l’apprend par un Arrest du 27. de J. 1670. entre Moyse Vereuïl, appellant du Bailly de Caux à Montivilliers, et Demoiselle Marie du Mouchel, femme civilement separée d’avec Pierre Corbiere, Lieutenant en l’Amirauté de Fescamp, intimée sur l’action formée par ladite du Mouchel contre ledit Vereüil, pour luy quitter la possession des heritages qu’il avoit acquis de son mary pour en joüir pour son tiers, et pour remplacement de sa dot ; par Sentence du Vicomte de Monsivilliers on avoit ajugé le doüaire et le remplacement de sa dot sur les biens dont ledit Corbiere étoit saisi lors de son mariage ; sur l’appel de cette Sentence le Bailly l’avoit reformée, et ordonné que pour ses droits de doüaire et de dot, liquidez à la somme de six mille six cens livres, elle étoit envoyée en la possession des heritages échangez par ledit Vereuïl contre ledit Corbiere, et ledit Vereüil renvoyé en son contr-échange. Sur l’appel de Vereuüil la Cour mit l’appellation et ce dont étoit appellé au neant ; et en reformant renvoya les Parties proceder à l’estimation de l’échange et du contr-échange, ensemble des autres biens dont ledit Corbiere étoit saisi, pour être procedé à la liquidation des droits de ladite du Mouchel.

Autre Arrest du premier d’Avril 1663. au Rapport de Mr Deshommets, entre Demoiselle Marie Alexandre, femme civilement separée d’avec Martin du Porquet son mary, appellant ; et Loüis de Roncherole Ecuyer, sieur de la Mare ; en la presence de Marin du Por-quet, fils aîné dudit Martin du Porquet ; et il fut jugé que ledit Alexandre prendroit son tiers à doüaire sur la terre de Breteville, qui avoit été baillée en échange à son mary par ledit sieur de Roncherole, et que si elle ne suffisoit pas, il luy seroit fourny sur la terre d’Ameronville, qui avoit appartenu à son mary.

Suivant ces Arrests la femme est tenuë de prendre son doüaire sur les biens baillez en contréchange à son mary ; mais on n’a pas encore décidé si les acquereurs se peuvent prevaloir contre la femme, de la faculté qui leur est accordée contre les enfans par l’Article CCCCIII. mais n’ayant qu’un usufruit il ne seroit pas juste de l’engager à fournir des remplacemens, et il n’y auroit pas même de seureté pour les acquereurs, qui pourroient encore être troubliez par les enfans, qui n’accepteroient pas ces remplacements.

La Coûtume ne donne pas seulement doüaire sur les biens dont le mary est saisi, mais aussi sur ceux qui luy sont échûs en ligne directe ; presque toutes les Coûtumes de France sont conformes à cet Article : en effet il est juste de donner doüaire sur les successions de cette qualité, à cause de cette esperance certaine et de ce droit naturel que les enfans ont sur les biens de leurs peres, l. cum ratio D. de bonis Dam.

Mais bien que les paroles, en ligne directe, puissent être entenduës également des Descendans comme des Asendans en cet endroit, neanmoins on ne peut les appliquer qu’aux ascendans, comme il fut jugé dans cette espece. Matthieu Queriel avoit un fils de son premier mariage ; ce fils mourut aprés avoir fait quelques acquisitions, ausquelles son pere succede : aprés la mort du pere la veuve demanda doüaire sur les acquisitions, soûtenant que cette succession du fils au pere étoit une succession directe, laquelle étant échûë à son mary constant son mariage, il luy appartenoit doüaire suivant cet Article. On répondoit que sans examiner si c’étoit une succession directe, il faloit s’attacher au veritable esprit de la Coûtume, laquelle donnoit doüaire à la femme sur les biens échüs à son mary en ligne directe, dans cette seule vûë que le plus souvent ceux qui se marient sont enfans de famille, qui n’ont que la seule esperance des biens de leur pere, et le doüaire des femmes n’est assignée que sur cette esperance : Pour cette cause il étoit raisonnable de leur promettre un doüaire non seulement sur les biens dont leurs maris étoient saisis, mais aussi sur ceux qui leur pouvoient échoir en ligne directe, et la Coûtume explique son intention en ajoûtant ces mots, encore que lesdits biens fussent échûs à pere et à mere ou autres ascendans par succession collaterale. Ces paroles marquent ouvertement qu’elle ne pensoit pas à ces funestes successions, qui n’appartiennent aux peres que turbato mortalitatis ordine, et au defaut d’autres descendans qui les auroient exclus. La Coûtume de Blois a prevenu cette difficulté, elle donne doüaire à la femme sur ce qui avient constant le mariage en ligne directe : mais elle ajoûte ce mot, en ligne de ses ascendans. Le Victomte de S. Lo avoit ajugé doüaire à la femme ; sur l’appel en la Cour on cassa la Sentence, et la femme fut deboutée de sa demande par Arrest au Rapport de Mr de Brinon, du 28. de Juillet 1653. entre Martin Queriel et Cardine le Brasseur.

Par la disposition de la Coûtume, le frere aîné n’est pas seulement saisi de la succession, il en fait même les fruits siens, jusqu’à ce que partage luy soit demandé par ses freres, et dans la Coûtume de Caux il joüit encore de cette prerogative, qu’il peut rembourser le tiers de ses puisnez.

En consequence de ces dispositions l’on a formé ces questions, si la femme avoit doüaire sur la succession du frere lorsqu’il decede depuis son mariage, sans avoir demandé partage à son frere aîné ? Par un Arrest donné en la Chambre des Enquêtes 1618. entre N. le Maignen, veuve de Jean Martin, et Jean Martel acquereur des heritages de Jean Martin, on ajugea doüaire à la femme sur les heritages venus de la succession des freres : L’acquereur soûtenoit que la femme ne peut avoir doüaire sur les biens échûs d’une succession collaterale, mais seulement sur ceux qui viennent en ligne directe ; or on ne doute point que la succession du frere ne soit en ligne collaterale : On répondoit en faveur de la veuve que l’aîné étoit saisi de l’ancienne succession du pere, qu’il en fait les fruits siens jusqu’à ce que partage luy soit demandé par ses freres, que s’ils ne luy demandent rien, il demeure seul seigneur et proprietaire de la succession paternelle ou maternelle, et que d’ailleurs les biens étant en Caux il avoit la faculté de retenir le tiers ; de sorte qu’il est vray de dire, que l’aîné a toûjours été saisi de la succession sans en avoir jamais perdu la possession : il n’acquiert rien de nouveau par la mort de ses freres, mais seulement l’action en partage qu’ils pouvoient avoir contre luy cesse, et est éteinte par leur mort. Or puis donc que le mary étoit non seulement saisi, mais qu’il en étoit encore le proprietaire, on ne peut contester le doüaire à la femme, et cette succession doit être considerée comme procendante directement du pere ; mais le raisonnement paroist plus subtil que solide, ce que la Coûtume donne à l’aîné ne luy attribuë aucun droit propeitaire, il profite de la negligence de ses freres, entant que pour la joüissance ; mais ils demeurent toûjours les maî-tres, et les veritables seigneurs de leurs partages, sur lesquels par consequent la veuve n’a rien à prétendre.

Aussi le contraire a été jugé depuis en cette espece, où la pretention de la femme avoit beaucoup plus d’apparence ; et par Arrest du premier de Juillet 1656. au Rapport de Mr de sainte Heleine, il fut dit qu’une veuve ne pouvoit avoir doüaire sur le bien échû à son mary par le decez de son frere, bien que le défunt l’eût reconnu pour son heritier, et qu’en faveur de son mariage il eût promis de luy garder sa succession.

La liquidation du doüaire étant faite, et le doüaire n’étant qu’un usufruit, il semble que la femme ne puisse prendre possession de cet usufruit qu’aux charges ordinaires, ausquelles tous les usufruitiers sont sujets, et notamment de bailler caution ; l. si cujus ff. de usuf. et cette caution doit contenir deux choses suivant la Loy 1. ff. de usuf. quemadm. caut. La premiere, qu’un usufruitier en usera comme un bon pere de famille, arbitrio boni viri re utetur salvâ ejus substantiâ, l. usuf. C. de usuf. La seconde, que l’usufruitier ou ses heritiers restitueront les choses dont ils auront eu la joüissance, aprés l’usufruit fini, l. illud. Cod. de leg. La pluspart de nos Auteurs sont de ce sentiment, que la veuve n’est point exempte de bailler cette caution, GuidoPapé , dec. 248.Pontanus , Art. 189. l. 2. t. 2.Chopin , sur la Coûtume de Paris. Par l’Article 3. t. du Doüaire, de la Coûtume de Nivernois, la doüairiere avant que de pouvoir joüir de son doüaire, est tenuë pour les immeubles, de bailler telle caution qu’elle pourra. La Coûtume de Paris, Article 264. et celle d’Orleans, Article 218. obligent la veuve qui se remarie, de bailler bonne et suffisante caution, ce qui est fondé sur la l. cum lex Cod. de admin. et peric. tut. Mais quand la veuve ne peut donner caution, on établit un sequestre des fruits que la veuve perçoit par les mains de ce sequestre.

Le doüaire étant acquis à la femme, et par l’autorité de la Loy, et en vertu de la stipulation portée par son Contrat de mariage, elle n’est point obligée de bailler caution pour entrer en la joüissance de son doüaire ; c’est un droit réel qui fait partie des conventions matrimoniales, et qui luy tient lieu de recompense pour la dot qu’elle a apportée à son mary, cessant laquelle clause le mariage n’eût pas été contracté. On peut ajoûter que le doüaire luy tient lieu d’alimens, qui ne peuvent être refusez faute de caution ; et quand l’usufruit est acquis par la disposition de la Loy, la caution n’est point dûë, l. ult. §. si autem Cod. de aeon. quae liber.

On peut encore revoquer en douter, si le doüaire peut être demandé sur les biens donnez au mary par son Contrat de mariage, par un parent autre qu’un ascendant, ou par un étranger ? On peut dire qu’en donnant l’hypotheque au doüaire du jour du Contrat, le mary n’est point encore saisi des choses données, puisque la donation et le doüaire ont un même principe, et qu’ils commencent dans un même moment : Il faut tenir neanmoins que les biens sont sujets au doüaire ; car bien qu’à l’égard de l’hypotheque on considere le temps du Contrat, toutesfois la Coûtume étendant le droit de doüaire sur tous les biens dont le mary est saisi lors des épousailles, on ne peut refuser le doüaire puisque dés le moment que le Contrat a été signé, le mary donataire a été fait proprietaire des choses don-nées ; aussi la Cour l’a jugé de la sorte, pour le don mobil fait au mary par la femme même. Il est vray qu’on y apporte cette condition, pourvû qu’il soit encore la possession du mary ; mais cela est fondé sur cette raison particuliere, que le don mobiol étant fait pour les frais de nopces, on presume qu’il n’en a fait l’alienation que pour l’employer à cette dépense là.

Comme le doüaire est un usufruit qui finit par la mort naturelle, il peut aussi cesser et s’éteindre par la mort civile. Dans le Journal des Audiences du Parlement de Paris, l’on rapporte un Arrest par lequel une veuve s’étant renduë Religieuse, il luy fut permis de joüir de son doüaire par forme de pension viagere. L’Auteur ajoûte que s’il eût été excessif, au lieu qu’il n’étoit que de trente écus, la Cour l’eût moderé, et qu’il semble ( comme L’Auth. ingressi n’est point gardée en France ) que le Monastere ne peut non plus profiter des doüaires appartenans aux femmes, que participer à leurs successions. Du Moulin en ses Notes sur les Cons. d’Alex. tom. 1. estome qu’un doüaire et un usufruit est éteint par l’entrée en Religion. On disoit au contraire, que le doüaire n’est éteint que par la mort naturelle : c’est le sentiment de Févrer, qui cite un Arrest du Parlement de Dijon, par lequel l’on a jugé que le doüaire et l’usufruit se conservent nonobsyant la Profession de Religion, parce que le Monachisme non inducit capitis diminutionem. Voyez les Auteurs qu’il cite, l. 2. c. 4. n. 38.

Cette question fut décidée par un Arrest remarqué par Berault sur l’Article 273. Les heritiers soûtenoient que le Monachisme étoit une mort civile, capitis diminutio vel adoptio in aliam familiam, que capitis diminution perit ususfructus, t. quib. mod. usuf. amitt. Les Carmelites pretendoient que le doüaire ne pouvoit s’éteindre que la mort naturelle, qu’il tenoit lieu d’aliaeens, quae damnato in metallum relinqui possent, et que partant elle étoit capable de conserver son doüaire : Par l’Arrest les heritiers furent déchargez du doüaire.

Cette décision paroît raisonnable, bien qu’en d’autres cas la mort civile n’emporte pas l’extinction du doüaire ; mais c’est par cette raison qu’elle n’empesche pas que les alimens ne soient necessaires au condamné. Quand une veuve entre en Religioln, outre que l’entrée des Monasteres doit être gratuite, il importe à l’Etat que les biens ne soient pas portez dans les Monasteres ; ainsi cette incapacité de posseder des biens étant jointe à l’interest public éteint le doüaire. Aussi l’Arrest du Parlement de Paris n’eût pour motif que la modicité du doüaire.

Lorsque les lots ont été choisis, si dans les lots de la femme il se trouve quelques rentes sur un debiteur insolvable, avant qu’elle en puisse demander recompense sur les autres biens de la succession, sera-t’elle tenuë de discuter les biens de l’obligé, ou pourra-t’elle agir contre les heritiers de son mary pour luy fournir une autre rente, en y contribuant deduction faite de son tiers ? Cette question fut jugée au Rapport de Mr Puchot l’11. de Juillet 1674. entre Robert le Bel, appellant de Sentence qui le condamnoit à fournir une autre rente à Demoiselle Catherine le Roux, veuve de Jacques le Bel, et en secondes nopces femme du sieur de Livraye, et ledit de Livraye et sa femme intimez. Cette femme avoit quinze cens livres de doüaire, et ne pouvant être payée de cent-cinquante livres de rente, elle forma action contre les heritiers de son premier mary pour luy bailler une autre rente ; l’appellant soûtenoit qu’elle étoit obligée de decretter les biens de l’obligé : par Arrest la Sentence fut confirmée, et en ce faisant les heritiers condamnez de fournir une autre rente.