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CCCLXVIII.

De quel jour est dû.

Doüaire n’est dû sinon du jour qu’il est demandé, s’il n’est autrement convenu par le traité de mariage.

Le doüaire n’est dû que quand il est demandé. On pourroit pareillement conclure que le doüaire ne seroit point dû s’il n’avoit été stipulée par le Contrat de mariage, et qu’il ne seroit pas necessaire que la femme y eût renoncé par une convention expresse.

Le contraire est veritable, le doüaire étant acquis à la femme par la disposition du droit commun, elle n’a pas besoin de le stipuler pour se l’acquerir, il est toûjours dû ; bien qu’il n’en soit pas fait mention dans le Contrat de mariage, et elle n’en peut être excluse que par une dérogation expresse à la Coûtume. La Coûtume de Paris en l’Article 247. y est formelle : la femme est düée du doüaire Coûtumier, posé que par exprés dans le Contrat de mariage il ne luy eût pas été constitué n’y octroyé aucun doüaire ; on peut sur cette question user de ce Dileme, aut cogitatum aut non cogitatum. Si c’est le premier, il faloit que la dérogation à la Coûtume fût expresse, et les heritiers qui s’en voudroient prevaloir auroient dû s’en expliquer clairement : Si au contraire on n’y a point pensé, il est sans difficulté que la Coûtume que l’on peut appeller le Contrat de mariage public, doit servir de regle.

Il faut donc que la renonciation soit exprimée en des termes si formels, qu’elle n’ait besoin d’explication : Jusques-là même que par Arrest du Parlement de Paris du 2. de Mars 1648. remarqué par Ricard sur cet Article 247. de la Coûtume de Paris ; il a été jugé qu’une femme qui n’avoit aucuns biens, ayant épousé un homme fort riche, et par le Contrat de mariage ayant été stipulé qu’elle ne pourroit rien pretendre sur les biens de son mary, tant acquis qu’à acquerir, et en consequence qu’elle prendroit quatre cens livres de rente pendant la vie de son mary, trois mille livres la derniere année, et ne laisseroit pas de prendre son doüaire aux termes de la Coûtume.

Or puisque le doüaire appartient à la femme par la disposition de la Loy seule, qu’il est dû encore bien qu’il n’ait point été stipulé, et qu’il n’y ait pas même de Contrat de mariage, il semble que la demande n’en étoit pas necessaire ; c’est par cette raison qu’on l’appelle doüaire Coûtumier. Par les Loix d’Ecosse qui ont été composées apparemment sur nôtre ancienne Coûtume, comme on le peut remarquer par certains mots, qui sont de l’ancien langage Normand, il est porté que si rationabilis dos, c’est à dire doüaire, sine nominatione certa pertatur ; cela veut aussi dire sans stipulation, certi juris est quod heres tenebitur assignare tertiam partem totius liberi tenementi quod antecessor suûs habuit in domanio tempori quo ipsam desponsavit. Leg. Scot. l. 2. c. 16. Art. 60.

La Coûtume de Paris, Article 256. est contraire à la nôtre. Doüaire Coûtumier ou Prefix saisit sans qu’il soit besoin d’en faire aucune demande en jugement, le coucher étant la seule condition que la Coûtume impose à la femme pour gagner pleinement son doüaire ; il est dû dés le moment que cette condition a été executée. Par plusieurs autres Coûtumes de la France le doüaire est dû à la femme, et elle en est saisie dés le decez de son mary sans aucune demande ny sommation precedente : Nivernois tître de Doüaire, Art. 24. Bourbonnois, Art. 250. Troyes, Art. 86.

Neanmoins nôtre Coûtume n’est pas la seule qui en ait disposé de la sorte, celle de Blois est conforme, Art. 190. et celle d’Orleans, Art. 219. Mais on demande si cet Article doit être étendu au doüaire prefix, et si les arrerages n’en seront dûs à la femme que du jour de la demande ; car regulierement les fruits et les interests ne sont dûs que du jour de la demande et de la cessation de payement. Plusieurs estiment que le doüaire prefix est une espece de constitution que le mary fait sur ses biens, et qui commence à courir de plein droit et sans interpellation dés le moment qu’il y a ouverture au doüaire.

Et de laLande , sur l’Article 219. de la Coûtume d’Orleans, témoigne qu’il l’a vû juger plus de deux fois de la sorte. Cependant cet Article étant general, il semble que l’on ne doit point faire de distinction entre le doüaire Coûtumier et le doüaire Prefix.

Pour prevenir ces difficultez, et parce qu’il pourroit arriver qu’une veuve toute occupée de la douleur oublieroit ses interests, et ne se souviendroit pas de demander son doüaire, il ne se fait gueres de Contrats de mariage où cette clause ne se trouve employée, que la femme aura son doüaire sans être obligée d’en faire aucune demande. Il n’est pas requis que cette demande soit judiciaire, il suffit d’une simple sommation ; ce qui se garde aussi à Paris, suivant un Arrest rapporté dans la Bibliotheque du Droit François, in verbo Doüaire.

Mais ne suffit-il pas que la veuve s’adresse aux heritiers, sans être obligée de faire la demande de son doüaire auxc acquereurs des biens de son mary, s’il ne reste pas assez de bien non aliené pour le remplir ? L’Arrest remarqué parTerrien , l. 2. c. 7. ne jugea pas comme Godefroy l’a écrit, qu’il ne suffit pas de s’adresser aux heritiers pour les heritages vendus durant le mariage, mais qu’il est necessaire de se pourvoir contre les acquereurs. Il fut seule-ment dit que la veuve qui demandoit son doüaire au fils de son mary, s’adresseroit à ceux qui étoient tenans des heritages et rentes, qui avoient été vendus durant le mariage ; mais cette question a été décidée, au Rapport de Mr du Val, le 13. de Decembre 1655. entre le Sieur de Poitrincour et la Dame de Poix, et il fut dit que la diligence faite contre l’heritier operoit contre l’acquereur, parce que par la Coûtume c’est assez que la femme en fasse la demande, que c’est une charge qui suit le fonds, et que l’acquereur n’a pû ignorer. Ce qui me paroîtroit rigoureux et contre la maxime de Droit, que possessor bonae fidei fructur suos fecit etiam ex alienâ re perceptos. Il n’est tenu de la restitution des fruits que du jour qu’il a été troublé, et que par consequent il a cessé d’être en bonne foy ; c’est le sentiment de du Fresne Fresne sur l’Article 110. tître du Doüaire de la Coûtume d’Amiens, que la veuve demandant le doüaire Coûtumier à l’acquereur de bonne foy des heritages de son mary, ne doit les fruits que du jour de la contestation en cause ; mais la diligence faite contre l’heritier luy donne lieu de demander personnellement à l’acquereur tous les arrerages s’il n’abandonne point le fonds, parce que c’est un droit réel, et c’est comme il faut entendre l’Arrest ; car s’il deguerpissoit, il ne seroit pas tenu de rapporter les fruits, sauf la recompense de la veuve sur les autres biens et sur les heritages de son mary.

Ce même Auteur fait difference entre le Doüaire Coûtumier, qui consiste en la joüissance d’un fonds, et le doüaire Prefix comme une rente ; car, dit-il, pour le prefix il y a l’action personnelle et hypothecaire contre les tiers detenteur, et les deux actions concurrentes ensemble sont qu’il est tenu de payer et continuer personnellement la rente, et hypothecairement tous les arrerages, ce qui n’est pas de même du doüaire Coûtumier ; comme il n’y a que l’action petitoire contre le detenteur, il n’est tenu de la restitution des fruits, que du jour de la demande ; mais en Normandie la veuve pour son doüaire Coûtumier ou Prefix, peut saisir sur le tiers detenteur, les fruits des heritages qui y sont affectez.

On a pareillement agité cette question, si la demande que la veuve a faite de son doüaire aux heritiers du mary, peut valoir de diligence pour la succession du beaupere, échûë longtemps depuis. un fils qui s’étoit marié du consentement de son pere, mourut le premier, sa veuve ayant renoncé à sa succession, demanda son doüaire, dont acte judiciaire luy fut accordé : Le pere vécut encore dix ans depuis, et l’heritier joüit pendant vingt années sans être interpellé par la veuve de luy payer son doüaire : Lorsqu’elle en forma la demande, elle representa que c’étoit assez qu’elle l’eût demandé aprés la mort de son mary, pour luy être acquis sur la succession du fils et du pere, qu’elle n’avoit qu’un seul doüaire sur l’une et l’autre succession, que la possession en étoit seulement differée aprés la mort du pere, et qu’alors il n’avoit point été necessaire de faire une nouvelle diligence, parce qu’elle ne le prenoit que sur la part qui fût échûë à son mary s’il eût été vivant au temps du decez de son pere, que son doüaire n’avoit qu’une seule cause, qui étoit son mariage, et qu’elle ne le prenoit que sur une seule succession, à sçavoir sur celle de son mary, qui fût venuë à ses enfans si elle en avoit eu.

L’heritier répondoit qu’il y avoit deux successions differentes, qu’elle avoit renoncé à l’une et accepté l’autre, que la demande faite pour l’une ne suffisoit point pour l’autre, puisque le doüaire n’est dû qu’en vertu d’une demande formelle, elle a dû faire cette interpellation à l’heritier du pere, qui étoit la partie competente, qu’il a perçû les fruits sans contredit, et qu’il en a usé comme de son bien, et cependant la restitution d’un si grand nombre d’arrerages le reduiroit à l’aumône ; qu’aprés tout elle ne pouvoit imputer cette perte qu’à sa ne-gligence : Par Arrest du 8. de Février 1628. qui est aussi rapporté parBerault , le doüaire fut ajugé avec les arrerages échûs depuis le decez du beaupere.

La Coûtume en cet Article ne fait point mention du temps auquel il y a ouverture à la demande du doüaire : Il est certain que regulierement il est dû aprés le decez du mary ; mais comme les Jurisconsultes font de deux especes de mort, l’une naturelle, l’autre civile, l’on a douté s’il y a ouverture au doüaire par la seule mort civile du mary.

En quelques cas la mort civile équipole à la mort naturelle, en quelques autres elle n’a pas tant d’étenduë et ne produit pas les mêmes effets : Dans les Contrats ce terme de mort ne s’entend ordinairement que de la mort naturelle, quand il est employé par la Loy il comprend le plus souvent l’une et l’autre ; et lorsque par la mort civile le mary souffre la perte de ses biens et qu’il devient incapable de les posseder, comme il arrive par le bannissement perpetuel, ou par la condamnation aux Galeres à perpetuité, ou par la Profession Monastique, il y a ouverture au doüaire comme par la mort naturelle ; mais si la condamnation qui emporte confiscation n’étoit jugée que par contumace, l’absent est reputé vivant, la femme n’a point d’action pour ses conventions matrimoniales, suivant les Arrests rapportez par MrLoüet , L. D. n. 36. La même maxime est gardée au Parlement de Tolose, et la dot ne fait point de retour à la femme, et la substitution n’est point ouverte quand le mary est condamné à mort par defauts, parce qu’il peut être restitué contre la contumace, et rentrer en la possession de ses biens ; Mr deCambolas , l. 1. c. 41.Mainard , l. 4. c. 56.

Par la jurisprudence du Parlement de Paris, cette espece de mort civile qui procede du mauvais ménage du mary, et qui n’est fondé que sur la separation de biens, n’équipole point à la mort naturelle, et la femme en ce cas ne peut du vivant d’iceluy pretendre doüaire, mais seulement une pension. Il est vray que Brodeau ajoûte que cela est particulier pour le doüaire ; mais pour les autres conventions matrimoniales ; quand il s’agit de la repetition d’icelles, la separation de biens qui rend le mary mort civilement, équipole à la mort naturelle ; Brodeau sur MrLoüet , L. C. n. 26. et L. D. n. 36. De la Lande sur l’Article 23. de la Coûtume d’Orleans est d’avis que le doüaire n’est acquis que par la seule mort naturelle du mary, parce que les contractans lors de la constitution du doüaire n’ont eu en vûë que ce genre de mort, nam nec humanum nec civile est tam tristem casum & adversam fortunam spectare.

Bacquet des Droits de Justice, c. 15. n. 61.

En Normandie par la separation en vertu de Lettres du Prince, ou par le decret de tous les biens du mary, ou de la meilleure partie d’iceux, il y a ouverture au doüaire, ce qui est expressément décidé par la Coûtume d’Anjou, Article 319. en cas de dissipation ou de mauvais ménage, ou que les biens du mary soient decretez, la femme peut s’opposer pour son doüaire : Celle du Mayne dit la même chose, Art. 33. Celle de Nivernois, tître de Doûaire, Art. 6. exprime plusieurs cas où le doüaire peut être demandé si le mary tombe en pauvreté par son mauvais ménage, s’il est banny, ou absent par un trop long espace de temps, ou s’il tombe en quelque inconvenient, par lequel vray-semblablement les biens soient en état de perir.

On peut alleguer pour raison de la difference de nôtre Usage avec celuy de Paris, que par la Coûtume de Paris la femme a la moitié des biens de son mary pour son doüaire, et que par consequent il n’est pas juste de luy accorder le doüaire qu’au seul cas de la mort naturelle.

Par nôtre Coûtume la femme n’ayant que le tiers, sa pension alimentaire ne pouvant être gueres moindre, on attribuë plus aisément le même effet à la mort civile qu’à la mort naturelle.

Nous nous appuyons encore sur cette consideration, que le doüaire tenant lieu de recompense à la femme à cause de la diminution qu’elle a pû souffrir en sa dot par le don mobil qu’elle a fait à son mary, étant d’ailleurs destiné pour la subsistance d’elle et de sa famille, elle est tres-favorable à le demander, pour se défendre contre la necessité et le malheur où lar la profusion et la débauche de son mary elle tomberoit ; et dans un cas si pitoyable on peut dire avec raison, que la mort civile du mary a le même effet que la naturelle, puisque par sa mauvaise conduite sa famille se trouve privée de son secours et de ses soins, de la même maniere que s’il étoit mort naturellement.

Aussi quoy que l’esprit de nôtre Coûtume ne soit pas de rendre la condition des femmes fort avantageuse, au moins elle leur conserve ce qu’elle leur accorde avec toute l’exactitude et la précaution possible, et l’on ne permet point qu’elles souffrent de dommage par la mauvaise conduite de leurs maris ; jusques-là même qu’une femme s’étant separée pour les grandes rigueurs de son mary, on ne luy accorda pas seulement son doüaire, mais aussi part aux meubles et aux acquests, comme si le mary eût été mort, si mieux n’aimoit le mary luy payer cinq cens livres annuellement, la somme de douze cens livres qui luy avoit été ajugée pour avoir des meubles, six cens cinquante livres qu’elle auroit reçûës par provision, et ce fut par cette consideration que le mary étoit un Marchand, dont la pluspart des biens consistoient en meubles : l’Arrest fut donné pour Marguerite de Caux, femme de Pierre de Rouves, au Rapport de Mr de Vigneral, le 29. de Novembre 1660. il est vray que c’est un Arrest extraordinaire ; mais on usa de cette rigueur contre le mary à cause des mauvais traitemens dont il avoit usé, et que si dés lors l’on n’avoit conservé les interests et les droits de la femme, le mary n’auroit pas manqué de l’en frustrer. Cette jurisprudence que nous observons recompense les femmes du peu d’avantage que la Coûtume leur fait dans les autres rencontres. La Coûtume de Paris paroit fort avantageuse aux femmes à cause de la communauté, mais leur condition est plus assurée dans cette Province, où leur complaisance et leur amour pour leurs maris ne leur est jamais prejudiciable. Nôtre Coûtume ne leur est pas liberale, mais elle assure et conserve leurs droits avec beaucoup de prudence et de soin ; et quelques actes qu’elles puissent faire constant leur mariage, leurs droits n’en souffrent aucune diminution, et au contraire la liberté qu’elles ont ailleurs de s’engager avec leurs maris, rend souvent inutiles tous les avantages qui leur sont accordez.

Suivant l’Art. CCCXXXIII. avenant que le mary confisque, la femme ne laisse pas d’avoir la part aux meubles et conquests que la Coûtume luy donne, et bien que la Coûtume ne se soit point expliquée pour le doüaire, il est sans difficulté que la femme n’en est point privée par la confiscation du mary. Chopin en ses Commentaires sur la Coûtume de Paris, L. 2. T. 2. n. 18. a rapporté un ancien Arrest de l’Echiquier, par lequel il fut jugé que la femme de Thomas de Gorges n’auroit point de doüaire sur les biens de son mary, quod relicta Thomae de Gorges non haberet dotem de terrae dicti Thomae. la diction dotem signifie doüaire, suivant l’ancien langage ; mais depuis que la severité des siecles passez a été moderée, l’on a fait ceder la rigueur à l’equité naturelle et civile.

Aprés avoir donné cette liberté à la femme de pouvoir demander son doüaire aprés la mort naturelle ou civile de son mary, on en conteste souvent la delivrance en plusieurs rencontres, sur tout lorsque les biens du mary sont saisis réellement et vendus par decret, sur quoy l’on agite ordinairement ces deux questions : La premiere, si elle peut avoir son doüaire en essence, ou si elle est tenuë de le prendre en deniers : Et la seconde, si elle doit contribuer au frais du decret ?

Pour la premiere, Tronçon sur l’Article 247. de la Coûtume de Paris fait cette distinction, que s’il y a des creanciers hypothecaires qui precedent le doüaire, l’opposition formée par la femme aux fins de distraire, n’empesche point l’ajudication par decret des biens du mary sujets au doüaire ; que si les creanciers sont posterieurs au Contrat de mariage, en ce cas l’ajudication se doit faire à la charge de son doüaire en essence. Brodeau sur MrLoüet , L. F. n. 24. rapporte les Arrests du Parlement de Paris qui l’ont jugé de la sorte. Voyez Loyseau Loyseau du Deguerpissement, l. 3. c. 9. n. 13. C’est encore un Usage à Paris, que quand une ajudication par decret d’un heritage sujet à doüaire Coûtumier a été faite à la requête d’un creancier precedent le Contrat de mariage, l’ajudicataire ne peut être poursuivi, supposé même que le prix entiers du decret n’ait point été consommé par les creanciers precedans le doüaire, parce qu’il n’y a rien de son fait, et que c’est la Justice qui a fait l’ordre et la disposition du prix de son ajudication par luy consignée, sauf à se pourvoir contre les creanciers posterieurs au Contrat de mariage. Brodeau sur MrLoüet , L. F. n. 24.

C’étoit autrefois un Usage, que quand les deux tiers des dettes étoient anterieures du mariage, la veuve ne prenoit son doüaire que sur les deniers pour éviter deux decrets : Nous pratiquons aujourd’huy, que quand la femme prend son doüaire en essence, elle doit payer le tiers des dettes anterieures, et bailler caution de faire payer les deux autres tiers en exemption des frais du decret, à faute dequoy elle est évincée, sauf à prendre son doüaire en ar-gent, comme il fut jugé en l’Audience de la Grand-Chambre le 12. de Decembre 1668. entre la femme de Talbot et le sieur de S. Laurens. Autre Arrest entre les nommez Potier, freres creanciers de Potier leur frere aîné, contre sa veuve, du 16. de Mars 1655. Autre Arrest du 31. de Juillet 1663. entre la Dame Desaleurs et Anne Lescaley, femme separée d’avec Bertelot son mary. Ce qui est raisonnable, autrement l’on seroit souvent obligé de faire deux decrets pour un, et de saisir tout de nouveau le doüaire de la femme pour les frais du decret, lorsqu’il est entrepris pour une dette anterieure, et que la femme en a souffert la continuation sans faire offre de payer le tiers de la datte, il semble juste qu’elle y contribuë ; que s’il est poursuivi pour une dette posterieure, et qu’il n’y ait point de creanciers anterieurs opposans, soit qu’elle choisisse son doüaire en essence, ou qu’elle le prenne en deniers, elle n’est point contribuable aux frais. Un decret étant fait pour une dette posterieure au mariage, et s’étant trouvé des creanciers opposans pour dettes anterieures, qui avoient soûtenu que faute par la femme de consigner le tiers de leurs dettes et de donner caution de faire payer les deux autres tiers, elle devoit être évincée de son doüaire en essence, et en consequence la femme ayant demandé son doüaire en deniers, on pretendoit la faire contribuer aux frais du decret, par cette raison qu’elle avoit donné lieu au decret de son doüaire, faute d’avoir consigné le tiers des dettes anterieures, et donné caution des deux autres tiers. On jugea neanmoins, au Rapport de Mr Busquet, le 14. de Juillet 1668. qu’elle n’étoit point tenuë à cette contribution, puisque le decret avoit été fait pour une dette posterieure ; quelques-uns estimoient qu’en la déchargeant de contribuer aux frais des diligences, il étoit juste au moins qu’elle payât son tiers des frais de la consignation et de la taxe des Juges. Les Arestographes du Parlement de Paris rapportent un Arrest donné sur cette question, si la femme qui s’oppose pour son doüaire aux criées de l’immeuble de son mary condamné en grosses amendes, peut l’avoir en essence ? Le Receveur des Amendes pretendoit, que speciali fisci pri-vilegio, lorsque le Fisc habet partem in fundo, il peut contraindre celuy qui a part à vendre pour la commodité du Fisc, afin que Minori pretio fundus distrahatur, suivant la Loy unique, de vendit. rer. Fiscal. cum privato comm. que la veuve étoit sans interest, puisqu’on luy offroit la juste valeur de son doüaire. La veuve contestoit cette pretention, par cette raison que partem habebat in fundo ante Fiscum, que la Loy unique n’avoit lieu que quando Fiscus partem in fundo sibi vendicabat, non idem si tantum hypothecam ; Il fut dit par l’Arrest que la terre seroit venduë à la charge du droit de doüaire, pour en joüir par la veuve tant que doüaire auroit lieu ;Loüet , L. F. n. 24. On donneroit en cette Province le même avantage à la veuve, car la confiscation du mary ne diminuë point les droits de la femme, suivant l’Article CCCXXXIII.

Ce n’est pas assez d’avoir mis la femme en possession de son doüaire pour en joüir durant sa vie, on fait encore cette question, si lorsqu’elle decede avant la recolte des fruits, fructibus nondum collectis, ses heritiers doivent gagner tous les fruits de l’année, ou s’ils en auront seulement à proportion du temps qu’elle a vécu durant l’année ? Suivant le droit Civil l’heritier de l’usufruitier n’y avoit rien, lorsque les fruits étoient encore pendans par les racines au temps du decez de l’usufruitier, L. si fructuarius D. quemadmodum usufructus amittitur ; si au contraire elle decedoit incontinent aprés la recolte, elle gagnoit les fruits de toute l’année, et même les fermages, quoy que les termes n’en fussent pas encore échûs, L. defuncta D. de usufr. Il est vray qu’en cas de divorce, les fruits étoient partagez, non ex die locationis, sed habiaea ratione praecedentis temporis, quo mulier in matrimonis fuerat ; non pas du jour du bail à loüage, mais à raison du temps precedent que la femme avoit été en mariage.

Nôtre Usage n’est pas conforme à celuy du Parlement de Paris, où l’on fait difference entre les heritiers du mary qui joüissoit des biens dotaux de sa femme, et les heritiers de la doüairiere. Les heritiers de la doüairiere, lorsqu’elle decede en la saison que les fruits sont pendans par les racines, encore qu’ils soient prests à recueillir n’y ont aucune part, ils appartiennent au proprietaire ; et non seulement les heritiers n’y ont rien du tout, mais même le proprietaire n’est point tenu de rembourser les labours et semences, et cette jurisprudence est fondée sur cette distinction de l’usufruit qui appartient à quelqu’un ; ratione juris ; comme la doüairiere qui n’a cet usufruit qu’en vertu de son Contrat de mariage, et pour une cause purement lucrative, et tout ce qu’elle a perçû durant sa vie luy appartient, quand même elle decederoit incontinent aprés la recolte des fruits ; que si elle meurt avant la recolte, quoy que les fruits soient prests à recueillir, les heritiers n’y ont rien ; suivant la Loy defuncta de usufr. MrLoüet , L. F. n. 10. et les Auteurs citez parBrodeau , et de la Lande sur l’Article 210. et pour les priver encore de la recompense des labours et semences, on leur oppose cette raison, que lorsque la doüairiere avoit commencé sa joüissance ; elle avoit profité des terres qui étoient ensemencées, sans faire aucun remboursement des labours et semences, et que par consequent il n’est pas juste de leur rendre ceux qui sont faits : mais il faut remarquer que Montelon et Brodeau rapportent differemment cet Arrest ; le premier dit que le proprietaire fut déchargé de restituer les labours et semences ; et Brodeau au contraire dit qu’il fut condamné de rendre les frais et les façons des vignes.

Il n’en est pas de même à l’égard des heritiers de celuy auquel l’usufruit appartient, rationè oneris, comme le mary ou le Beneficier, dont le premier supporte les charges du mariage, et l’autre doit service à son Eglise.

Mais suivant le sentiment de Coquille sur l’Article 9. tître du Doüaire de la Coûtume de Nivernois, le doüaire ne doit pas être consideré en toutes choses comme un simple usufruit : Le doüaire est donné à la femme pour luy tenir lieu d’une honnête provision, et pour soûtenir le rang et la dignité de son mary ; or les alimens étant dûs par chaque jour, les fruits doivent être acquis à la veuve à proportion de ce qu’elle a vécu.

La Coûtume de Bretagne n’est pas si rigoureuse contre les heritiers de la doüairiere : Par l’Article 600. s’il y a doüairiere ou autre usufruitier decedé, et que les terres soient ensemencées, le proprietaire prendra ce qui sera en terre en payant et remboursant les semences en grains et labours, à l’arbitrage des Laboureurs du païs ; surquoy Mr d’Argentré dit que sa Coûtume procul exulat divisiones legales fructuum inter vivum et uxorem, L. fructus, L. divortio, D. sol. marvim. L. defuncta, D. de usufr. et constituit hanc regulam, quoties scilicet lege vel consuetudine ususfructus consolidatur proprietati vel ex doarii causa, vel ex viagio vel dissolutione matrimonii fructus qui solo inhaerent proprietario ; id est Domino soli deferri, non aliter tamen Argentré quàm refusis impensis sementis & culturae : Argent. ad D. Artic. novae consuetudinis.

Nôtre Usage est conforme au sentiment deCoquille , et nous ne faisons point de difference entre les heritiers de la doüairiere, et les heritiers du mary, pour la joüissance du bien de la femme, et nous les reputons également favorables pour leur donner une portion des fruits quoy qu’ils ne soient pas perçûs selon la proportion qui sera declarée cy-après.

Nôtre Jurisprudence peut être fondée sur cette raison, qu’en cette Province il ne se fait presque point de mariage où le mary n’ait un don mobil, qui se monte ordinairement au tiers des biens de la femme ; c’est pourquoy le doüaire n’étant pas absolument gratuit et lucratif, mais tenans lieu de recompense à la femme, il est juste que les heritiers gagnent les fruits à proportion de la joüissance de l’année. Cette question n’a pas été seulement jugée par l’Arrest du Manissier, rapporté par Berault sur l’Article 382. mais aussi par un autre Arrest donné en la Chambre de l’Edit le 2. de Juillet 1662. entre Jean Paul des Fontaines, fils d’un premier mariage, appellant, et Anne François des Fontaines intimé : l’on confirma une Sentence qui ordonnoit que les heritiers de la doüairiere auroient par provision le prorata des rentes Seigneuriales à elle baillées pour partir de son doüaire, et par l’Arrest la provision fut convertie en definitive.

Pour regler cette portion qui appartient aux heritiers de la doüairiere, nous ne suivons pas aussi la disinction établie par le Droit en Loy defuncta de usufr, Mat. D. des fruits pendans par les racines, et des fruits qui ont été perçûs au temps de la mort. Nôtre Coûtume a étably une autre regle en l’Article CCCCCV. à sçavoir qu’aprés le jour de S. Jean, les fruits, grains, et foins, sont reputez meubles ; et les pommes et raisins aprés le premier jour de Septembre : Suivant cette regle, lors que la doüairiere décede aprés la saint Jean, les heritiers ont les fruits, grains, et foin ; si elle meurt aprés le premier jour de Septembre, ils ont aussi les pommes et raisins, ce qui ne se pratique pas seulement lors que la veuve joüit par ses mains des heritages affectez à son doüaire ; mais aussi lors qu’elle les a baillez à ferme, nonobstant l’Article CCCCCX, par lequel les deniers des fermages sont censez meubles, du jour que les fruits sont perçûs ; car cet Article n’a lieu qu’entre divers heritiers, et non point pour la doüairiere, laquelle lors que son fermier joüit, est reputée joüir elle même par ses mains.

Que si la doüairiere meurt avant la S. Jean, ses heritiers n’ont part aux fruits qu’à proportion du temps que la joüissance a duré, et parce qu’il y auroit de la difficulté à regler cette proportion du temps dans l’incertitude du jour que l’on feroit commencer l’année de la joüissance, pour éviter cet embarras, et cette confusion où les interpretes du droit sont tombez en expliquant la Loy Divortio solut, mavr. on a fait commencer le temps de la joüissance au premier jour de l’année, suivant l’Arrest donné entre les heritiers du sieur Bigtas et sa veuve, que je rapporteray sur l’Article CCCLXXXII.

Lors qu’il y a ouverture au doüaire par la mort naturelle, il reste encore cette difficulté ; sçavoir quelle part la femme peut avoir aux fruits, lors que le mary meurt avant la S. Jean ? Il a été jugé en l’Audience de la Grand-Chambre l’an 1667. entre Michel de ROncherolles, Marquis de Maineville, Claude de Bigars et Demoiselle Catherine de Launey, veuve du sieur de Bigars, que le doüaire courroit de die in diem, et que la veuve autoir le prorata des levées et du revenu de son défunt mary ; et pour regler ce prorata, l’on fait commencer l’année au premier de Janvier, suivant l’Arrest donné entre les mêmes parties le 17. de Juillet 1664. que je remarqueray sur l’Article CCCLXXXII. par lequel il fût jugé que l’heritier du mary mort avant la S. Jean, auroit part aux fruits et aux revenus de la femme, à proportion de l’année que l’on feroit commencer au premier de Janvier ; et quand le mary décederoit aprés la saint Jean, quoy que les fruits soient ameublis, suivant l’Article CCCCCV. la femme ne laisseroit pas d’avoir son doüaire à proportion de l’année.

En consequence de cet Arrest qui ne donne le doüaire que quand il a été demandé, on a revoqué en doute si les interests des deniers dotaux étoient dûs lors qu’ils n’étoient point stipulez, et qu’ils n’avoient point été demandez. Par l’ancien Droit on faisoit difference entre la demande des interests faite par le mary, et la demande faite par la femme : Nec enim ut actio ex stipulaty de dote ex parte mulieriae, est bonae fides, ita ex parte viri, quinimo ex parte ejus stricta est : ut in striaetis judiciis usurae non veniunt, nisi sint in stipulationem deductae, l. 3. c. de usur, et même pour la dot, jure veteri non debentur usurae marito sine stipulatione, l. 2. c. de dot. Justinien promis.Cujac . Consule. 16. Mais enfin, Justinien abolit cette ridicule subtilité du Droit ancien, car puis que le mary supporte les frais du mariage, et qu’il fournit les alimens à la femme, cette demande d’interest des deniers dotaux est beaucoup plus favorable de sa part que de celle de la femme ; et c’est pourquoy par le §. praeterea l. ult. C. de jure dot. etiàm marito dotis promissae usurae debentur ipso jure post biennium. Autrefois en cette Province on avoit de la peine à juger cette condamnation d’interests, quoy que dûs legitimement, par la faveur, la nature et la qualité de la dette, du jour de la celebration du mariage, quia sustinet onera matrimonii l. si quis pro uxor. §. 1. de donat. inter vir. & uxor. Cela fût premierement jugé pour le sieur Desmeres d’Auvers, quoy qu’il y eût une clause fort défavorable dans le COntrat de mariage ; et depuis on a jugé la même chose sur l’appel d’une Sentence qui en avoit refusé le Gendre, la Sentence, fût cassée, et le pere de la femme condamnée aux interests du jour du terme Justinien échû ; car on ne donne point le biennium accordé par Justinien, plaidans Heusé et Heroüet, le 28. de Septembre 1652. en la Chambre des Vacations ; et le 23. de Juin 1632. en la Chambre de l’Edit on avoit jugé le contraire. Henry le Roux sieur de la Haye, contesta à Jacob de Guilbert, sieur de la Riviere Séqueville, l’interest de la Dot, qui ne fût jugé que du jour de la demande ; en se fondoit sur la l. 22. D. de donat. Mais cette Loy ne parle pas de la Dot, et à l’égard du mary, ce n’est pas une donation ; car la Dot luy étant promise pour supporter les frais du mariage, les interests en doivent courir de ce jour là, et l’on ne doute plus de cette maxime.

Que si les interests de la Dot promise au mary luy sont dûs naturellemment et sans interpellation, ils ne sont pas moins legitimement acquis à la femme, et même à ses heritiers, quand ils ont été reçûs par le mary, quoy qu’il n’y en eût pas de consignation actuelle ou de remploy suivant les Loix que j’ay rapportées cy-dessus, la demande de la femme étoit encore plus favorable que celle du mary, et c’est une maxime certaine à Paris ; et pour montrer Saumaise combien cette demande d’interests de la part de la femme est legitime, Saumaise a remarqué que les Acheriens donnoient le nom d’aliment à cet interest, que les maris étoient tenus de payer à leurs femmes tandis qu’ils retenoient leur dot en leurs mains, MOTGREC vocabant illam usuram quae dimissis uxoribus ex dote quam non redderet maritus ad earum alimentum praestabat de modo usur. c. 4. ce qui n’a pas lieu seulement pour la femme, mais aussi pour les heritiers, comme il fût jugé en cette espece. Zacharie le Blanc joüissoit à droit de viduité de quarante livres de rente, le debiteur étant décedé, il s’opposa pour les arrerages : Et Dalençon, sieur de Mireville pour le principal : Le Blanc en vertu de la procuration du sieur de Mireville reçût le principal, qui demeura en ses mains ; aprés sa mort ses heritiers furent poursuivis pour les arrerages : ils s’en défendirent, et remontrerent que l’on ne peut considerer cette rente comme dotale, que le Blanc n’en avoit pas reçû le rachat comme mary, mais comme Procureur du proprietaire ; que la faveur de la Dot cessoit en la personne des heritiers qui avoient dû former leur action pour repeter le principal de cette vente, dont on n’avoit point fait de constitution depuis ledit rachat, qu’il est bien vray que quand le mary reçoit constant le mariage le rachat des rentes appartenantes à sa femme, elles sont reputées consignées, mais ce rachat avoit été fait aprés la mort de la femme, et par consequent c’estoit une somme mobiliaire et non dotale, qui ne pouvoit produire d’interest sans stipulation : Par Sentence les heritiers du mary furent condamnez, et sur l’appel elle fut confirmée par Arrest en la Cour de l’Edit le 11. de Decembre 1641. plaidans Aleaume, Laloüel et Moy.

Par cet Article la femme n’a doüaire que du jour qu’il est demandé, que si par son Contrat de mariage elle avoit renoncé à prendre doüaire, cette renonciation seroit valable, ce qui a été jugé par Arrest du 8. de Decembre 1656. plaidans Hurard et Maunourry.