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CCCLXXXIII.

Au prejudice de quelle personne.

Le droit de viduité appartient au mary non seulement au prejudice des enfans de sa femme de quelque mariage qu’ils soient sortis, mais aussi des Sei-gneurs feodaux ausquels pourront appartenir les héritages de la femme, soit à droit de confiscation, ligne exteinte et reversion, ou droit de garde des enfans on heritiers mineurs d’ans de la femme.

Ces Article étoit absolument necessaire oomme il paroitra dans la suite, et il a été employé comme s’il étoit de l’ancienne Coûtume, et neanmoins il pe ay en trouve rien ; il a été ajoûté pour éclaircir le precedent. L’anciene Coûtume disoit que si un homme avoit eu une femme dont il eût eu un enfant ne vif, jaroit qu’il ne vos, mais toute la terre qu’il tenoit de par sa femme uu temps qu’ellt mourut luy remaindra, tant ooma il se tiendra de marier ; mais cette difficulté restoit toûjours, si ce droit luy appartenoit au prejudice des enfans sortis du même mariage, et du Roy et des Seigneurs feodaux : Et en effet on apprend par le Procez verbal de la Reformation de la Coûtume, que cet Article qui refoud toutes ces difficultez fut contredit par Mr Vauquelin Avocat General du Roy : et l’on trouve dans les Plaidoyers de Mr Servin une célèbre contestation entre Mr le Prince de Condé, d’une part, et Mr le

Duc de Guise, d’autre, pour sçavoir si la joüissance par usufruit des Baronnies dépendantes du Comté d’Eu, échûë en partage à défunte Marie de Cleves Princesse de Condé, avoit appartenu à feu Mr le Prince de Condé par le droit pretendu de veuveté d’homme en la Coûtume ancienne de Normandie, ayant survécu à Madame la Princesse son épouse, et ayant eu une fille vivante de leur mariage :

Lors que ce droit de veuveté d’homme étoit échû à Mr le Prince, la Coûtume n’étoit point encore reformée ; mais elle l’avoit été lors que le procez avoit été commencé et plaidé au Parlement de Paris, et l’on traita ces deux questions : La première, si ce droit de viduité avoit appartenu à M le Prince : La seconde, si en Normandie, et specialement dans le Comté d’Eu, le droit de viduité étoit exclus par la garde Seigneuriale, Pour la premiere question, le droit que l’ancienne Coûtume appelloit droit de veuvers d’homme, étoit si bien étably qu’il ne pouvoit être contredit ; mais l’Avocat de Mr de Guise soûtenoit que par le Chapitre 33. de l’ancienne Coûtume de Normandie, la garde des orphelins appartenoit au Seigneur ou au Roy, et que ce droit étoit fondé sur la Loy des Fiefs, quorum causa autiquaor, les Seigneurs n’ayant donné leurs Fiefs qu’à condition que les miseurs tomberoient en leur garde, et que ce même droit de Garde-Noble étoit utile au public, farce qu’il finissoit à vingt ans, et que celuy de droit de viduité pouvoit durer beaucoup davantage. On répondoit que le droit des Seigneurs ne pouvoit ôter celuy des maris, et des veres, qui étoit fondé sur le droit naturel, quod ubique et ab omnibus gentibus servatum est que ce droit de viduité étoit pramium liberorum, la recompense la plus favorable du monde, ue par l’Article CCXVIII. au Titre des Gardes, la garde n’appartenoit au Seigneur qu’à la charge d’acquiter les dettes hypothecaires, et que le droit de viduité est une hypotheque egale qui s’acquiert sans convention, et que les Fiefs sont devenus tellement parrimoniaux qu’ils ne retournent aux Seigneurs qu’à condition d’acquiter les rentes, Article CCI. ce que même le Seigneur feodal qui profite de la confiscation est tenu de faire, Article CXLIII.

Et quoy que ce droit de viduité puisse durer plus long-temps que la garde Seigneuriale, les mineurs y trouvent leur avantage, parce que la succession de leur pere en est renduë plus riche. Cette question ne peut plus recevoit de problême en consequence de cet Article, qui passa sans aucun contredit des Seigneurs. Sur la seconde question l’Avocat de Mr de Guise retendoit que le droit de viduité n’avoit point lleu dans le Comté d’Eu, et demanda à être reçû appellant de cet Article et du precedent : Mr Servin conclud pour Mr le Prince, et que Mr de Guise n’étoit pas recevable à appeller de ces Articles, puis qu’ils avoient été arrêtez sans aucune opposition de la part des Seigneurs ; mais il protesta que cela ne pourroit faire prejudice, à la garde Royale appartenant au Roy, suivant les protestations employées au Procez verbal de la Reformation de la Coûtume ; le Parlement de Paris reçût Mr de Guise appellant, et appointa la Cause au Conseil.

Nonobstant cette protestation de Mr Vauquelin Avocat du Roy, il est certain que ceux ausquels le Roy fait don de la Garde-Royale, ne pretendent point que leur droit l’emporte sur celuy de viduité ; car pour les Seigneurs feodaux, ils n’en auroient aucun pretexte.

Il est vray que Mr Vauquelin avant protesté contre cet Article et quelques autres, il luy fut enjoint par un Arrest du Conseil du 6. de Mars 1584. d’envoyer ses Conclussons ; ce qu’ayant fait, par un autre Arrest du Conseil du 7. d’Octobre 1585. le Roy déclata en omooguant, et approuvant la Coûtume nouvellement rédigée, que c’étoit sans approbation des-dits Articles en ce qu’ils apporteroient prejudice aux droits de sa Majesté, et conformément à cet Arrest les Lettres Patentes furent expediées avec ces reservations.

Mais quand un si long usage et une perpetuelle et inviolable observation de cet Article n’auroient pas prescrit contre cette protestation, il est aisé d’en établir la justice ; l’on peut objecter que ce droit de garde n’appartient pas simplement au Roy comme Seigneur feodal, mais aussi comme Souverain, ce qui se prouve par cette difference que la Coûtume met entre la garde Royale et la garde Seigneuriale, les prerogatives de la garde Royale étant in-comparablement plus grandes, et notamment en ce qu’il a la garde non seulement des Fiefs mouvans de luy, mais aussi des Fiefs qui relevent des autres Seigneurs, et de tous les autres biens des mineurs, ce qui montre que cette garde luy vient en sa qualité de Roy, et que par consequent il ne peut en être privé par ce droit de viduité ; mais cette difficulté se peut déeider par l’Article même qui attribué au Roy ce droit de garde, et contre lequel il n’y a point en de protestation ; car il faut remarquer que regulierement il ne doit y avoit d’ouverure à la garde Royale ou Seigneuriale que quand le mineur a besoin d’un gardien, et qu’il manque de conducteurs, et c’est à cassse de cette protection qui est demandée au Roy ou aux Seigneurs feodaux que la Garde-Noble a été introduite : or en Normandie le pere est le Gardien et le Tuteur naturel de ses enfans, et jamais on n’a pensé que par la mort de la mere il soit besoin de donner un tuteur à un mineur qui a son pere. C’est une regle de droit que tutorem habenti tutor non datur. Ce seroit agir contre l’ordre naturel que de chercher pour des mineurs d’autres gardiens que leurs propres peres, et nos Princes n’ont jamais songé à prendre la garde et la protection que des pauvres mineurs, qui sont destituez du secours et de la conduite dé leurs peres : que si l’on ne pourroit sans impieté arracher les enfans du sein de leurs peres, on ne pourroit aussi sans une extrême injustice leur ôter la joüissance des biens de leurs meres, puisque la Coûtume ne les donne aux peres qu’à condition de les nourrir et de les entretenir

Pour appuyer ce rassonnement j’ajoûteray que plusieurs estiment que ce droit de GardeNoble fut porté avec nos autres Loix en Angleterre par Guillaume le Conquérant ; et j’ay montré sur l’Article precedent que le droit de viduité y est observé de la même maniere que parmy nous. Thomas Smith en sa Rep. d’Angl. l. 3. c. 5. de Curia pupillorum, fait la description de la Garde-Noble en ces termes, Dominus ille à quo pupillus pradium habet, simul atque de obitu parentis certior factus est, manus illico in corpus pupilli injicit, predium occupat. Et au commencement de ce même Chap. Pupillum intelligimus impuberem, & post fata parentis uperstitem. On ne peut douter que par ce mot de parens au singulier, il ne faille entendre ar excellence le pere, et cela se confirme par ces mots suivans, que manum illico in corpus pupilli injicit ; car il n’est point de Loy si barbare qui permist à un seigneur d’enlever les enfans d’entre les bras de leur pere. Ainsi il faut conclure que les fruits n’appartenans au Roy que comme une recompense du soin qu’il prend de la protection et de leducation des pupilles, lors que le pers en demeure chargé comme leur véritable gardien, les fruits luy doivent demeurer en vertu de son droit de viduité ; en un mot c’est une regle certaine que depuis que les Fiefs ont été reduits ad instar patrimoniorum quoad jus succedendi et difponendi tam inter vivos quam in ultima voluntate, dés lors non seulement les enfans, mais aussi les parens ont été préfèrez comme plus favorables que les Seigneurs, quand il est question de suc-ceder : aussi par cette raison le retrait lignager rempotte sur le feodal ;Terr . l. 8. c. 26.

Coquille , Coûtume de Nivernois, Titre de Retrait lignager, l. 9. Art. 22.