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CCCLXXXVIII.

Contre-lettres et preuves outre le traité.

Et si les accords de mariage sont portez par écrit, nul ne sera reçû à faire preuve outre le contenu en iceux, et toutes contre-lettres qui se sont faites au déçû des parens presens audit mariage et qui l’ont signé sont nulles, et n’y aura-t’on aucun égard.

On peut induire de cet Article que les deux precedens n’ont lieu que quand les pactions. du mariage n’ont été arrêtées et concluës que verbalement, cet Article défendant toutes preuves lors que les accords sont portez par écrit : on n’est plus recevable à les contester, ny l’en empescher l’execution, quoy qu’on puisse alléguer au contraire.

La Coûtume de Paris en l’Article 258. s’est exprimée en ces mêmes termes : La faveur des Contrats de mariage a été le motif de ces dispositions, les pactions en doivent être inviolables, sans pouvoir être éludées par des contre-lettres, les enfans ne peuvent être frustrez des avantages sous l’esperance desquels ils sont nez. On a particulierement prévû que la passion aveugle des jeunes gens ne leur seroit tout promettre, ce seroit en vain que leurs parens conserveroient leurs interests, si l’on pouvoit rendre leurs précautions inutiles par des con-tre-lettres qu’on obtiendroit aisément d’eux, expers est judicii amor, non rationem habet, non anitatem : etQuintil . magni affectus jura non spectant.

Pour comprendre le sens de cet Article, il faut définir ce que la Coûtume entend par une contre-lettre. On appelle une contre-lettre tout ce qui va contre la substance ou la teneur du Contrat de mariage, qui en détruit les clauses, qui les altere, les diminuë, ou y déroge ; en un mot c’est contre-lettre, quando clandestinis ac domesticis fraudibus aliquid confingitur, vel id qued jure gestum est aboletur. l. 27. c. de Donat. Et en quelque temps que les contre-lettres de cette qualité soient faites elles sont nulles, soit avant ou depuis le mariage.

Cette définition est véritable, et neanmoins il se rencontre beaucoup de difficultez dans l’usage et dans l’execution de cet Article ; car quoy que la Coûtume ait declaré generalement nulles toutes les contre-lettres qui sont faites au déçû des parens, on pretend qu’elles sont valables en plusieurs rencontres.

Premièrement la Coûtume ne reprouvant les contre-lettres que quand elles sont faites au déçû des parens, suffit-il pas pour les rendre valables que les parens de celuy qui fait quelque don ou avantage par cette contre-lettre y soient presens quoy que les parens de celuy qui en profite n’y soient point : Il semble que c’est satisfaire à l’intention de la Coûtume que d’appeller les parens qui auroient interest de s’y opposer, car ils n’ont pas sujet de se plaindre que la donation soit clandestine, étant faite en leur presence et de leur consentement, et les parens de celuy qui reçoit la donation n’ont pas droit de soûtenir que leur presence fût necessaire, puis qu’il ne se passe rien au prejudice de leur parent. Aussi Brodeau surLoüet , l. C. n. 218. etRicard , Coûume de Paris, Article 258. citent un Arrest qui a déclaré cette contre-lettre valable.

En second lieu, on a formé la question si la contre-lettre pouvoit servir contre celuy qui l’a baillée ; Car pour : la femme et les enfans, c’est une maxime incontestable que toute contre-lettre qui altere ou diminue leurs droits, et qui déroge au Contrat de mariage, est mtierement nulle.

Nôtre Jurisprudence moderne est contraire à l’ancienne ; on tenoit autrefois que la Coûtume avoit condamné sans distinction toutes contre-lettres, et même que celle d’un fils en aveur de son pere étoit nulle, et ne luy faisoit aucun prejudice. Cette question s’offrit en l’Audience de la Grand-Chambre le 9. de Juillet 1637. pour Pierre Clairet Ecuyer, sieur de a Roque, pour lequel je plaidois ; contre Jacques Clairet Ecuyer, sieur de Fontaines son ils : Le sieur de la Roque avoit promis deux cens livres de rente à son fils en le mariant, et le jour precedent le fils avoit donné un écrit à son pere, par lequel il promettoit de ne luy derander point cet avancement : Il ne laissa pas toutefois d’y faire condamner son pere, lequel en ayant appellé, je difois pour luy qu’il est toûjours odieux de manquer à sa paroles mais qu’on ne peut sans impieté violer la promesse qu’on a faite à un pere. Cette espèce de contre-lettre n’est point contre l’intention de la Coûtume, elle a voulu prevenir les mauvais effets d’un amout fol et excessif ; mais il ne tombera dans la pensée de personne qu’elle ait interdit à un enfant de ne se prevaloir pas avec rigueur de l’amour et du soin extrême que son pere luy a fait paroître pour son avancement : Si pour trouver un party avantageux à lon ils un pere n’a point fait difficulté de promeître et de s’engager au de-là de ses forces, dans la confiance qu’il a euë de sa gratitude et de sa bonne foy, on ne doit pas autoriser la perfidie d’un ingrat qui abuse de la bonne volonté que son pere luy a témoignée ; et comme vray-semblablement le pere ne luy a fait un avancement considérable que pour épouer une femme riche, il est suffisamment recompensé de la remife qu’il fait à son pere par les avantages qui luy reviennent de ce mariage. Coquerel pour le fils répondoit que puis ue toute contre-lettre qui diminue ou qui déroge aux conventions du mariage sont absolument reprouvées, celle qu’un fils donne à son pere peche en ce point comme toutes les au-tres ; car bien qu’on renonce à s’en prevaloir contre la femme et les enfans, ils ne laissent as d’en recevoir du prejudice, quand elles subsistent contre le mary : s’il ne remettoit pas l’avancemenr qui luy est fait, cet usufruit accroitroit son bien, il en feroit des acquisitions, ainsi la condition de la femme et des enfans en deviendroit meilleure : et il est toûjours vray de dire que la femme est toûjours déçuë, et que cette espèce de contre-lettre ruine le vetitable motif de la Coûtume ; et bien que le mary soit le maître des fruits, et qu’il puisse renoncer à ses droits, cela ne peut avoir lieu lors qu’il le fait par la force d’une contre-lettre exigée contre la prohibition de la Coûtume, et sur ces considerations on confirma la Sentence, nonobstant l’allegation que faisoit le pere de son lmpuissance de payer ce qu’il avoit promis.

Il fut encore jugé de la sorte pour Claude Guerin Ecuyer, sieur d’Arcambourg, contre Tenneguy Guerin, sieur de Tourville, son pere, au prejudice des promesses portées par son Contrat de mariage. Son pere l’avoit engagé à payer quelques rentes, ce qu’il fit pendant quelques années : enfin il obtint des Lettres de récision, et par Arrest en l’Audience de la Grand. Chambre du 16. de Novembre 1648. les Lettres furent entérinées, et le sieur d’Arcambourg déchargé du payement des rentes. Il se trouve encore un Arrest precedent du 14. d’Aoust 1631. entre Gautier et David, plaidans Baudry et Gyot ; les parens de la femme étoient intervenus en la Cause ; et cette maxime étoit si bien établie en Normandie, qu’une contre-lettre pour le don mobil fut declarée nulle par un ancien Arrest du 5. d’Aoust 1539. entre de Vieuxpont et le Roux ; car, dit l’ancienne Coûtume, ce qui est promis au mariage loit être fermement entretenu, et c’est proprement contre-lettre quand tout le contenu du Contrat de mariage n’a été payé, et quand le mary a baillé acquit sans en être payé,, soit avant on depuis se mariage ; cet Arrest neanmoins n’est pas juste, le don mobil étant promis souvent pour honorer le Traité de mariage ; quoy qu’il en soit le mary peut le remettre, et l’on n’en doute pas au Palais. Cependant contre cette Jurisprudence qui declaroit nulles les contreettres baillées par le fils à son pere, sur la simple proposition de la question en une Au-dience du 15. de Juillet 1659. on jugea que la contre-lettre baillée par un fils étoit bonne, et le frere qui gagna sa Cause la trouvoit si mauvaise que son Avocat refusoit de la plaider : les Parties étoient Floccel et Henry des Vaux, plaidans Dehors et Greard. On ajoûta que c’étoit sans prejudice des droits de la femme et des enfans. Autre Arrest du 21. de Mars 1666. en la Grand. Chambre, au Rapport de Mr du Houley, entre Michel Breant appellant du Bailly de Roüen, contre Michel Breant son fils, la Sentence du 30. de Juillet 1660. fut cassée et en reformant, et faisant droit sur les Lettres de récision obtenuës par le fils, on mit les Parties hors de Cour, et que la contre-lettre auroit lieu. On se fonda sur cette raison, que cet Article se doit entendre des contre-lettres qui se donnent au prejudice de la femme et des enfans, mais à l’égard des personnes contractantes elles ont la même force que tous les autres Contrats. Et par un Arrest remarqué parBrodeau , l. C. n. 28. une contre-lettre par. laquelle le gendre aupoit retrocedé à son beau-pere la joüissance sa vie durant des fruits d’un héritage par luy baillé en dot à sa fille, fut declarée bonne à son égard, et qu’elle tiendroit sa vie dutant, parce que le mary étoit maître et seigneur des fruits, et qu’il étoit loi-sibla à un majeur de renoncer à ses droits, et que toute personne doit maintenir sa parole ; nais ces raisons ne me semblent pas décisives, le mary pouvant bien disposer des fruits à sa volonté ; mais on ne presume pas qu’il ait agy librement lors qu’il a donné cette contre-lettre pour parvenir à son mariage, ce qui excuse le reproche d’ingratitude ou d’infidelité qui pourroit luy être fait : et d’ailleurs étant déclarée nulle par la Coûtume, elle ne peut produire d’effet, l. ubi lex, D. de fidej. Aussi dans le Journal des Audiences on trouve un Arrest par lequel ane remise faite par un fils par son Testament à ses pere et mère des interests de la somme qu’ils luy avoient promise en mariage, fut declarée nulle, et on considera cette disposition comme un témoignage d’une tacite contre-lettre entre les pere et mere et leur fils, qu’il ne leur demanderoit rien de son vivant de la somme par eux promise.

Autre Arrest sur ce fait en lannée 1639. Philippes Chedeville avoit marié son fils à Marie Dehors, et luy avoit donné cinq cens livres de rente à prendre fut le bien de sa mère ; mais par une contre-lettre le fils se contenta à une moindre qui leur appartenoit au bien de sa meres aprés la mort de ce fils Marie Chedeville sa fille fut mise en la tutelle de son ayeul, et aprés a majorité elle luy demanda les arrerages des cinq cens livres de rente, autant qu’il luy en appartenoit. Elle se fondoit sur cette raison, que son ayeul ne pouvant contester le droit de la mère, parce que la contre-lettre baillée par son mary ne luy pouvoit nuire, il ne pouvoit pareillement empescher leffet de ses conclusions ; qu’aprés tout sa défense étoit défavorable, puis qu’il avoit avancé ses autres enfans de six cens livres de rente, et qu’il n’avoit quitté audit Jean Chedeville son fils ainé que la moitié du bien de sa mère : layeul luy opposoit la contre-lettre qu’il avoit de son fils, et les Arrests qui ont déclaré ces contre-lettres valables, qu’elle étoit heritière de son pere, et par consequent obligée de garder ses faits Par Arrest, au Rapport de Mr Fermanel, du 23. Avril 1663. on jugea que la contre-lettre baillée par le fils à son pere n’étoit valable au prejudice de ses enfans, quoy qu’ils fussent hetitiers de leur pere. Sur la Requête Civile qui fut obtenuë contre cet Arrest par layeul, la Cour, au Rapport de Mr de Ronfeugere, mit les parties hors de Cour. L’Arrest donné pour de sieur Baron Medecin, sembloit donner quelque arteinte aux Arrests precedens. Le sieur Baron pere avoit fait des avancemens à tous ses enfans, et quelque temps aprés avoir fharié son fils ainé, il l’obligea de se contenter à quatre cens cinquante livres de rente, au lieu des cinq cens ivres qu’il luy avoit promis ; mais lors qu’on luy avoit payé les quatre cens cinquante livres de rente, il s’étoit reservé à demander les arrerages des cinquante livres restans des cinq cens livres : Par Sentence des Requêtes du Palais, vû sa contre-lettre, on favoit debouté de son ction ; Sur son appel, par Arrest du 5. de Février 1664. en l’Audience de la Grand. Champre, on luy ajugea cinq cens livres pour lesdits arrerages. Il paroissoit que ses freres avoient été avancez de-pareilles sommes, dont ils avoient été bien payez, ce qui rendoit sa Cause favorable, et la tiroit en quelque sorte de la question generale.

On peut mettre au nombre des contre-lettres tout ce qui se fait depuis le Contrat de mariage jusques aux épousailles. Avoye Potier qui avoit quatre enfans d’un premier lit, dans s’intervale de la signature du Contrat de mariage avec le sieur Forestier, et des épousailies, avoit fait une donation de cent cinquante écus de rente foncière à Jean le Forestier son fancés par Arrest en l’Audience du 16. de Janvier 1626. cette donation fut cassée : on la reputa comme une contre-lettre ou promesse hors le Contrat, parce que si la femme avoit eu dessein de donner elle avoit dû le faire en la presence de ses parens et amis, ces sortes de pactions. ne pouvans valoir si elles ne sont faites in continenti l. quoties solut. matr. La même chose fut encore jugée depuis entre le sieur de Mathan Pierrefite, ayant épousé Loüise de Moges, veuve de Mr de Rassent Conseiller en la Cour, et Mi le President du Tronc, le 9. de Septembre 1627.

Pour confirmer que l’on ne reçoit point de preuves quand les accords sont portez par écrit, voicy un Arrest qui l’a jugé de la sorte. En l’année 1644. Everard Concierge des Beuvetes du Palais épousa une veuve nommée Heurtemate ; par le Contrat de mariage cette veuve luy apportoit seize mille sept cens livres, dont il y en avoit six mille livres pour la dot, et ce Contrat sous signature privée fut depuis reconnu en la Vicomté de Roüen : cette femme aprés la mort de son mary pretendit qu’il y avoit un autre Contrat de mariage, qui contenoit que la dot étoit de huit mille livres, et pour le justifier elle representoit des copies qu’elle avoit fait collationner par des Secretaires et des Tabellions, et des protestations qu’elle avoir faites contre les mauvais traitemens de son mary pour l’obliger à rendre ce Contrat, et luy en signer un autre qui contenoit seulement six mille livres pour la dot ; elle vouloit aussi trouver que ce Contrat avoit été tenu, vù et lû, et pour cet effet elle avoit fait enteriner les Lettres d’examen à futur devant le Vicomte de Roüen ; sur l’appel des heritiers devant le Bailly, il avoit été dit que faute par elle d’inscrire en faux elle étoit évincée de son action :.

Sut son appel elle obtint incidemment des Lettres de restitution contre sa signature, et pretendit que vû sa protestation et les copies qu’elle representoit elle étoit recevable à la preuve de ses faits : Les heritiers soûtenoient qu’elle n’y pouvoit être admife que par l’inscription en faux, qu’il étoit inutile de se relever, parce que tant qu’elle n’inscriroit point contre la signature d’un Officier l’acte passeroit pour véritable, et par cette raison il n’y auroit aucun preterte à la recevoir en preuve contre la vérité d’un Contrat, que ces copies n’étoient pas considerables, ceux qui les avoient collationnées ne connoissans pas si c’étoit le fait du mary, et il seroit d’une perilleuse consequence de recevoir des preuves de cette nature, une femme ardificieuse ne manqueroit pas de pareilles pieces et de protestations pour pretendre en suite qu’il y auroit un autre Contrat : Sur l’appel, Lettres de relevement, et principal, la Cour mit les parties hors de Cour, par Arrest en la Grand-Chambre du 6. de May 1661. plaidans Theroulde pour la veuve, Greard et le Bourgeois pour les heritiers.