Si vous souhaitez signaler des coquilles dans ce passage, vous pouvez écrire à Morgane Pica (ingénieure d'étude du projet), en précisant l'URL et le titre du passage.


CCCCI.

Ne peuvent accepter ledit tiers sans renoncer et rapporter.

Et ne pourront les enfans accepter ledit tiers si tous ensemble ne renoncent à la succession paternelle, et rapportent toutes donations, et autres avantages qu’ils pourroient avoir de luy.

Cette disposition nouvelle de la Coûtume Reformée, contenuë dans l’Article CCCXCIX., qui conserve aux enfans le tiers des biens dont leur pere étoit saisi lors de son mariage, étant trop generale, a fait naître plusieuts difficultez ; car ce n’étoit pas assez d’avoir dit en termes tenéraux que les enfans auroient le tiers, il pourroit arriver que la succession seroit acceptée par une partie des enfans, et repudiée par l’autre ; il pourroit encore arriver que ceux qui auroient été avancez par leurs peres ou meres pretendroient ne les rapporter point, et qu’ils dimeroient mieux se tenir à leur don, et renoncer à leur tiers Coûtumier ; en tous ces cas il étoit incertain ce que les enfans devoient avoir, et ce qui pouvoit leur être contredit par les créanciers.

Pour faire cesser cet embarras l’on ajoûte cet Article, suivant lequel les enfans ne peuvent accepter ce tiers Coûtumier si tous ne renoncent à la succession, et ne rapportent toutes donations et avantages qu’ils pourroient avoir eu de leurs peres : ainsi l’on impose aux enfans deux conditions pour avoir la delivrance de leur tiers ; la premiere, que tous les enfans renoncent à la succession ; et la seconde, qu’ils rapportent tout ce qui leur a été donné Mais cet Article de la maniere qu’il est conçû a produit de nouveaux inconveniens ; tant, à légard des enfans qu’à l’égard des creanciers. Pour les enfans, il paroissoit rigoureux qu’ils fussent privez de la grace qui leur étoit accordée par cette nouvelle Loy ; lors que quelquesuns d’entr’eux, ou par malice, ou par imprudence, se portoient heritiers de leur pere, ou lors que pour éviter le rapport de ce qui leur avoit été donné ils se tenoient à leurs avancemensi qu’en tous ces cas on ne pouvoit leur ôter ou diminuer leur tiers Coûtumier qui devoit demeurer tout entier à ceux qui consentoient de rapporter ce qu’ils avoient reçû : les créanciers soûtenoient que cette pretention étoit combatuë par la disposition expresse de cet Article, qui ne donne aux enfans ce tiers Coûtumier qu’à ces deux conditions ; que tous ensemble renoncent, et qu’ils rapportent tout ce qui leur a été donné.

Toutes ces difficultez ont été terminées par les Arrests et les Reglemens que la Cour à faits ; car à légard de la premiere partie de cet Article qui semble requerir une renonciation generale de tous les enfans, on luy a donné un sens equitable, comme il paroit par l’Arrest rapporté par Bérault ; car des enfans ayant demandé leur tiers entier au decret des biens de leur pere, et les créanciers les en ayant fait debouter à cause que l’un des freres s’étoit rendu heritier, sur l’appel de cette Sentence par les enfans elle fut cassée ; mais on leur ajugea seusement leurs portions au tiers Coûtumier, qu’ils auroient euë si tous les enfans avoient re-noncé : ainsi quoy que tous les enfans n’eussent pas renoncé, on ne laissa point de recevoit ceux qui avoient repudié la succession à demander leur legitime, mais on ne leur accorda que la part qui leur auroit appartenu si tous avoient renoncé : La même chose fut jugée par Arrest du mois de Decembre 1646. et conformément à ces Arrests, par l’Article 89. du Reglement de 1666. les enfans n’ont pas le tiers entier si tous n’ont renoncé, mais celuy qui jura renoncé aura la part audit tiers qu’il auroit eué si tous avoient renoncé, d’où il resulte qu’en ce cas le droit d’accroissement n’a point lieu pour le tiers Coûtumier, et que celuy qui renonce ne peut avoir que sa part, et que par consequent la portion de ceux qui se portent heritiers, ou qui renoncent au tiers Coûtumier pour ne rapporter pas les immeubles dont ils ont été avancez, demeurent en la masse de la succassion pour tourner au profit des créanciers cette jurisprudence n’est pas singulière en cette Province, elle est conforme au Droit Civil, à la Coûtume, et aux Arrests du Parlement de Paris : on en allégue cette raison, que le doüaire Coûtumier tenant lieu d’alimens, non est locus juri accrescendi, parce que les alimens finissent par la mort de l’alimentaire, ou par sa renonciation qui equipolle à la mort, et ceux qui restent ne doivent pas avoir de plus grands alimens qu’ils avoient auparavant, c’est la disposition de la Loy, Dominus 8. 1. ff. de usufructu. Fructu pradiorum ob alimenta relicto partium emolumentum ex personâ vitâ decedentium ad Dominum proprietatis revertitur : Sur quoy la Glose ajoûte ces mots, si non est locus juri accrescendi : C’est encore une maxime de Droit, que portiorepudiantis accrescit portioni non persona, l. si tota, 4. 2. ff. de acquirendâ hereditate : C’est à dire, comme l’expliquent les Interpretes, que la portion de celuy qui renonce demeure en la masse de la succession.

Les Commentateurs de la Coûtume de Patis, sur l’Article 254. et Brodeau sur Mr Loilet, 1. D. n. 44. disent la même chose ; que si unus sit heres, non accrescit non succedenti : De sorte que si de quatre enfans l’un se porte heritier, et les autres sont doüairiers, ou qu’ayant tous renoncé à la succession, lun renonce pareillement au doüaire Coûtumier, ou ne l’accepte soint, pour ne pas rapporter les avantages qu’il auroit reçûs de son pèré, la part de celuy qui renonce ou qui se tient à son don n’appartiendra pas aux trois autres, mais tourneta au profit de la succession du pere, ce qu’il confirme par les Arrests du Parlement de Paris : En effet, les enfans ne prennent pas le doüaire ou le tiers Coûtumier à titre successif et universel, mais par un titre particulier et en vertu d’un Contrat legal, et en ce cas il n’y a point lieu d’accroissement, parce que chacun ne peut demander que la part qui luy est assignée par la Loy ; de sorte que le reste demeure en la succession jure potius non decrescendi qudm jure accrescendi, ces portions n’ayant jamais été détachées de la succession du pere.

C’est donc une maxime certaine qu’il n’est pas necessaire que tous les enfans renoncent raffet d’avoir dalivrance du tiers Coûtumies, mais que lors que quelques-uns d’entr’eux se déclarent heritiers, leurs portions demeurent en la masse de la succession, et ceux qui ont renonté n’ont que la part qui leur auroit appartenu, si tous avoient repudié la successiont cela fut decidé par l’Arrest du Chevalier, et Boutevilain, rapporté par Berault sur cet Article, par lequel l’on ajugea aux freres qui avoient renoncé, leurs parts sur le tiers. On jugea le contraire à l’égard d’une fille, qui étoit morte sans être mariée. Michel des Mares n’ayant laissé qu’un fils et une fille, le fils aprés sa majorité renonça à la succession de son pere ; elle fut prise par la fille, et elle s’en fist rendre compte par son tuteur, qui luy paya soixante livres. et en suite elle vendit tous ses droits à de la Roque, qui acheta pareillement du fils tout le tiers Coûtumier, et par ce moyen il se rendit maître de toute cette succession. Jean Haley, creancier du pere, ayant saisi réellement les héritages, sur la distraction du tiers qui luy avoit été demandé par de la Roque, il soûtint qu’il en falloit lever la part de la seeur qui s’étoit renduë heritière, et qui par consequent avoit confondu sa part audit tiers. Le Vicomte de Bayeux avoit ordonné qu’il seroit fait trois lots de ce tiers, dont de la Roque en choisiroit deux, et l’autre tiers seroit decreté avec le surplus des héritages. De la Roque en ayant appellé, le Bailly cassa la Sentence, et jugea qu’il n’appartenoit point de part à la seur, si elle n’étoit reservée ou reçûë à partage par le frère. Il avoit été dit que le tiers entier demeureroit à de la Roque, sauf à Haley à se pourvoir pour le mariage avenant de ladite Judith des Mares sur le tiers Coûtumier. De la Roque ayant aussi appellé de cette Sentence, il disoit que la fille s’étant portée héritière de son pere, elle ne pouvoit demander aucune part sur le tiers, nul ne pouvant être heritier et doüairier en une succession ; qu’il n’est pas des filles comme des mâles, qui ont quelque part au tiers, mais les filles n’y ont qu’un droit en usufruit, jusqu’à ce qu’elles soient mariées : or cette fille étant morte sans être mariée, un créan-cier ne peut demander mariage avenant pour une fille morte et héritière de son pere. Haley répondoit que ce fait étoit tout à fait semblable à celuy rapporté par Bérault, entre le Chevalier et Boutevilain ; il n’y a que cette difference, que dans cet Arrest il s’agissoit d’un fils, et danncette espèce c’est d’une fille, Par Arrest donné en la Chambre de l’Edit le 26. de Juin 1636. au Rapport de Mr d’Amiens, la Sentence fut cassée, et ordonné que de la Roque auroit distraction du tiers entier. L’Arrest fondé sur ce que la soeur étoit motte sans avoir été nariée, et n’ayant qu’un simple usufruit, la proprieté étant toûjours demeurée au frere, on ne pouvoit demander de part à son droit.

Il faut neanmoins remarquer, que lors que nous disons que le droit d’accroissement n’a point lieu en doüaire ou tiers Coûtumier, cette maxime ne s’entend que lors qu’il y a des enfans qui se portent heritiers, ou qui se tiennent aux avancemens d’immeubles qui leur ont été faits, et qui par ce moyen ne peuvent avoir part au tiers Coûtumier ; en ce cas étant partagez des biens de la succession, ceux qui renoncent ne peuvent avoir le tiers entier, parce que la Coûtume ne le donne qu’à tous les enfans ensemble. Il n’en est pas de même lors qu’aprés la mort du pere un des enfans vient à mourir, soit qu’il ait formé la demande du tiers, ou qu’il n’en ait point passé de déclaration, car encore que le droit de tiers Coûtumier ne soit point transmissible aux parens collateraux, quand il n’a point été demandé, tou-refois quand l’un des enfans decede lans avoir renoncé ny demandé sa legitime, sa part passe aux autres enfans à double droit, jure accrescendi comme si le défunt n’eût point été au monde lors du décez du pere, et jure hereditario, comme heritier de son frere ou de sa seurs ainsi jugé en la Grand. Chambre, au Rapport de Mr Fermanel, le 13. de Decembre 167o. entre Guillaume Osmont Ecuyer, sieur d’Aubry, et de la Mote, opposant au decret de la Terre de Belhôtel ; et Charles et Antoine du Bois, sieur de Belhôtel, et Dame Marie de Monmorency, femme dudit Charles de Belhôtel, l’on confirma la Sentence au chef, qui jugeoit que Loüis du Bois, l’un des fteres, étant mort sans avoir accepté ny repudié la succession du pere, il avoit transmis à ses autres frères sa part au tiers Coûtumier : La même chose avoit été jugée au profit d’une soeur, par Arrest du 9. d’Aoust 1658. que j’ay rapporté sur l’Article CCexCIX. en matière de successions ; le droit et la part de celuy qui s’abstient accroit aux autres heritiers, ubi enim noluit hereditatem adire, jam coepit ad alios pertinere.

La seconde partie de cet Article, par laquelle les enfans qui renoncent à la succession de leur pere sont tenus de rapporter les dons et les avancemens qui leur ont été faits, n’a pas produit moins d’embarras, touchant la qualité des personnes qui sont tenus de rapporter, la nature des choses sujettes à rapport, et pour sçavoir si les portions de ceux qui s’abstiennent our éviter le rapport doivent accroître aux legitimaires, ou tourner au profit des créanciers : Chacun convient que les enfans qui demandent leur tiers, ne peuvent s’exempter de rapporter les avancemens qui leur ont été faits par leurs peres et meres. On a douté long-temps si les perits enfans renonçant à la succession de leur pere, et venant de leur chef à celle de leur ayeul, étoient renus de rapporter ce qui avoit été donné à leur pere ; car il ne sembloit pas juste qu’ils fussent assujettis à ce rapport, puis qu’ils ne profitoient en aucune façon de la succession de leur pere, et u’ils venoient de leur chef à celle de leur ayeul ; mais cette difficulté a été terminée par l’Article 88. du Reglement de 1666. suivant lequel les petits enfans qui ont renoncé à la succession de leur pere, venant à la succession doivent rapporter ce qui a été donné à leur pere ou payé pour luy.

Les choses que l’on doit rapporter consisient en immeubles ou meubles ; pour les immeubles ils sont toûjours sujets à rapport, tant à l’égard des creanciers que des legitimaires, ou demandeurs en tiers Coûtumier. Les enfans et les petits enfans y sont également tenus, et c’est en cette maniere qu’il faut entendre l’Article S8. du Reglement que je viens de citer : Pour les meubles, les enfans ou les petits enfans qui demandent leur tiers Coûtumier, ne les rapportent point au profit des créanciers ; cela est fondé sur ces deux raisons, que le pere étoit le maître de ses meubles, et qu’ils n’ont point de suite par hypotheque ; de sorte que les créanciers doivent s’imputer la faute de ne les avoir pas saisis, et de n’avoir pas empesché que leur debiteur ne les dissipât : la raison est que si les enfans qui renoncent étoient obligez de rapporter les meubles au profit des créanciers, ce seroit une voye pour leur faire perdre leur tiers Coûtumier durant la vie de leur pere, ce qu’ils ne peuvent jamais faire Mais la question la plus difficile est de sçavoir si les portions des seurs mariées, ou de ceux qui se tiennent à leurs dons pour ne rapporter point, doivent céder au profit des créanciers, ou des demandeurs en tiers Coûtumier ; Il faut faire distinction entre les immeubles et les meubles. Si quelques-uns des enfans, fils ou filles, ont été avancez par leurs peres ou meres de quelques immeubles, s’ils ne veulent point rapporter, en ce cas leur portion n’actroit point aux demandeurs en tiers Coûtumier, mais elle est distraite du tiers pour tourne au profit des créanciers ; s’ils n’ont eu que des meubles, comme ils ne sont point sujets à rapport à l’égard des creanciers, ils ne diminuent point le tiers Coûtumier, mais la part de celuy qui n’y veut rien prendre accroit aux autres enfans.

La Cour a fait cette distinction par un Arrest donné sur ce fait, entre Matthieu Brachant et les acquereurs des héritages de Vincent Buisson ; ledit Buisson avoit eu deux filles d’un premier mariage, en les maniant il donna cinquante livres en argent à l’une, et deux vergées de terre à l’autre : De son second mariage, il eut un fils qui demanda son tiers Coûtumier aux acquereurs des biens de son pere : Une des questions jugée par l’Arrest, fut de sçavoir si sur ce tiers Coûtumier de Marthieu Buisson il falloit deduire le mariage des soeurs On tint cette maxime en jugeant le procez qu’il falloir distinguer, si le pere avoit donné de l’héritage à sa fille, ou s’il luy avoit donné des meubles seulement ; et suivant cette distinction, par Arrest donné en la Chambre des Enquêtes le 14. d’Avril 1644. au Rapport de Mr de Toufreville le Roux, on fit deduction sur le tiers des deux vergées de terre ; mais pour les meubles, ils ne furent point deduits

On donna un pareil Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre le S. de Janvier 1655.

Huilard avoit six filles, trois sorties d’un premier mariage, et les trois autres d’un seeond les trois filles du premier lit avoient été mariées par le pere, les autres qui restoient à matier renoncerent à la succession, et demanderent leur tiers entier, parce que les autres soeurs mariées se tenoient à ce qui leur avoit été donné ; les créanciers pretendoient que les deman-dtesses en tiers ne pouvoient avoir que les trois sixièmes de ce tiers, si mieux elles n’aimoient rapporter les dons faits à leurs seurs mariées, ce qui leur fut accordé par le Juge de Giillefontaine : Sur l’appel des filles, Pilastre leur Avocat disoit que le rapport dont il est fait mention dans cet Article ne s’entendoit que des immeubles, et non des meubles, parce que les meubles donnez par un pere ne pouvoient remplir le tiers, autrement les enfans le pourroient dissiper durant la vie de leur pere ; que le tiers Coûtumier ne pouvoit être divisé qu’avec ceux qui le demandoient, ou qui avoient droit de le demander, et qu’il seroit étrange. que des creanciers fussent admis à partager le tiers avec les enfans. Maurry pour les creanciers répondoit, que suivant cet Article les enfans ne pouvoient avoir tous ensemble que le tiers des biens de leur pere, et que même ils ne l’avoient qu’à cette condition de rapporter tout ce qui leur avoit été donné, et que sous ces paroles generales, les meubles comme les immeubles, étoient compris ; par l’Arrest le tiers entier fut ajugé aux filles On jugea le contraire en la Grand.-Chambre, au Rapport de Mr du Houley, le 13. de Février 1662. sur ce fait. Le nommé le Prevost, Laboureur, n’avoit que deux filles, en matiant l’ainée à Pierre Farin il luy donna quinze cens livres avec plusieurs hardes : Le Prevost étant tombé dans le desordre de ses affaires, ses biens furent saisis réellement ; Loüise le Prevost, sa fille ainée, se contenta à ce qui luy avoit été donné ; mais la puisnée ayant demandé le tiers Coûtumier entier, les créanciers luy consentirent la distraction de la moitié d’iceluy, soûtenant que l’autre moitié leur devoit revenir, comme representant l’autre seur qui avoit été matiée des deniers du pere : Le Bailly de Roüen l’ayant jugé de la sorte, sur l’appel de la fille, elle remontroit que le tiers Coûtumier n’étoit dû que sur les immeubles, et que ceux de leur pere n’ayant point été diminuez par le mariage de sa seur il devoit luy rester. tout entier, sans être tenuë de rapporter les meubles qui luy avoient été donnez, le pere en ayant pû disposer à sa volonté, et les ayant donnez ou dissipez, les creanciers n’avoient rien à y demander ; que lors qu’ils avoient contracté avec luy ils n’ignoroient pas qu’il étoit marié, et que du jour de son mariage le tiers de ses immeubles étoit acquis à ses enfans, sans le pouvoir engager ny hypothequer en aucune manière, et que c’étoit ce tiers qu’elle demandoit, que cette question avoit déja été jugée en termes beaucoup plus forts en la Cause de Mité, lequel ayant renoncé à la succession de son pere on luy ajugea le tiers entitr, nonobestant le contredit des créanciers, fondé sur ce qu’il avoit un frere et plusieurs soeurs que le pere avoit avancez de plusieurs sommes de deniers, que les creanciers étoient mal fondez en leur pretontion, à moins que de justifier que leurs deniers eussent été employez au payement du mariage de sa seur. Il fut répondu par les créanciers, que ces deux soeurs n’ayant point de frère, la soeur mariée étoit capable de prendre part au tiers avec sa seur ; que si elle s’en ibstenoit pour éviter le rapport de ce qui luy avoit été donné, elle devoit être considerée comme heritière de son pere, parce que toutes donations faites par les pere et mere sont reputées avancement d’hoirie, quod fuit donatio fit hereditas, or l’on ne peut être heritier et soüairier ; de forte, que suivant cet Article et l’Article 89. du Reglement de 1666. la part de cette soeur, ne voulant point rapporter, demeuroit en la masse de la succession, et les creanciers pour en profiter n’avoient point besoin d’une hypotheque privilegiée, et de justiver que leurs deniers eussent été employez au mariage de la soeur, la presomption de droit étant que le pere qui avoit emprunté ces deniers avant le mariage de sa fille, les avoit employez à cet usage ; par Arrest la Sentence fut confirmée : L’Arrest fondé sur cette raison, que l’intention de la Coûtume n’étoit pas de donner à tous les enfans plus que le tiers du bien de leur pere, et quoy que le Prevost n’eût donné à sa fille que de l’argent et des meubles, néanmoins cela luy tenoir lieu de legitime, autrement que les peres s’engageroienturr lelâ de leur bien pour donner des mariages avantageux à leurs filles, qui ne laisseroient pas le demander le tiers des immeubles, quoy qu’elles eussent les mains pleines de l’argent des creanciers ; les Parties de l’Arrest étoient le Prevost, le sieur Baillard, et autres.

Depuis cet Arrest on avoit tenu au Palais, que les seurs mariées qui se tenoient à leurs avanremens pour ne rapporter point ce qui leur avoit été donné, faisoient part au profit des créanciers ; nais on a donné atreinte à cette maxime par un autre Arrest, donné au Rapport de Mr Giot le 13. de Février 1676. dont voicy le fait. Denis Petit avoit un fils et quatre filles, il avoit marié ses filles et payé leur dot avant que d’avoir contracté aucune dette : aprés sa mort son ils ayant renoncé à sa succession, sur la demande du tiers Coûtumier les créanciers s’opposerent pour avoir la distraction de la part de ce tiers, qui auroit appartenu à ses seurs pour leur mariage avenant ; mais ils furent deboutez de leur pretention, et le tiers entier fut ajugé au fils.

Cet Arrest a été donné dans une espèce en quelque sorte differente du precedent ; les filles avoient un frere, et par consequent elles n’étoient point héritières ; mais ce qui étoit de plus considérable, étoit que le pere les avoit mariées et payé leur dot avant qu’il eût contracté aucunes dettes ; de sorte que les creanciers ne pouvoient alléguer, que leurs deniers eussent été employez au mariage des soeurs.

Cependant l’opinion la plus commune et la plus suivie au Palais, est qu’à l’égard des créanciers les meubles donnez par le père à ses enfans ne sont point sujets à rapport, et que tant s’en faut que la part de ceux qui s’abstiennent tourne au profit des créanciers, que ceux même. qui prennent le tiers Coûtumier ne sont point obligez de rapporter les meubles qui leur ont été donnez, et que le tiers entier leur appartient sans aucune diminution ce qui est fondé sur les deux raisons que j’ay déja marquées cy-devant : La premiere, que les enfans ne peuvent engager ny hypothequer leur tiers Coûtumier du vivant de leur pere, ce qui arriveroit neanmoins fort souvent si les ieubles qui leur seroient donnez diminuoient la portion qui leur appartiendroit sur les immeubles : La seconde, que le pere est le maître des meubles, et qu’il n’ont point de suite par hypotheque, et c’est pourquoy celuy qui contracte avec un homme arié ne doit considerer pour l’asseurance de sa dette que les immeubles que son debiteur possede, ou en tout cas il doit user de precaution et stipuler que ses deniers seront employes u mariage des filles, pour avoir une subrogation à leurs droits ; cela a été jugé par les Arrests de Brunehaut, et d’Huilard, que j’ay remarquez, et par celuy de Miré, que je rap-porteray cy-aprés.

L’Article S8. du Reglement disant en termes generaux, que les petits enfans venant la succession de leur ayeul sont tenus de rapporter ce qui a été donné à leur pere, quoy qu’ils renoncent à sa succession, a pû rendre cette matière douteuse ; il eût été nécessaire d’exprimer particulierement que ce rapport n’avoit lieu qu’entre coheritiers, pour éviter l’inégalité entre les enfans, et ç’a été sans doute l’intention de la Coûtume Suivant l’Article 334. de la Coûtume d’Anjou, si le pere ou autre rotutier donne à aucur de ses enfans ou autre heritier presomptif, soit en avancement successif ou autrement, et aprés sa mort un autre heritier vueille renoncer, il y sera reçû en rendant à l’ordonnance de Justice tout ce que son pere ou autre luy a donné. Dans cette Coûtume qui est conforme à la nôtre on a pareillement agité cette question, si le rapport doit s’étendre au profit des reanciers : Chopin sur la Coûtume d’Anjou, l. 3. c. Tit. 3. n. 4. estime que cet Article 334. dé la Coûtume d’Anjou n’a point lieu au profit des créanciers, Censeo, inquit, patriae legis contextum, que tuendae aequalitatis gratiâ inter suos heredes speque presumptos jusserit donata in commune redigi, exteris applicari non debet, emergentibus putâ defuncti creditoribus, et suivant son opinion il intervint Ar-rest au Parlement de Paris, rapporté dans la troisième partie du Journal des Audiences du Palais.

Quand il s’agit de rapport entre coheritiers, non seulement les enfans, mais aussi les petits enfans sont tenus de rapporter, comme Bérault l’a fort bien remarqué, suivant l’Arrest de Btice qu’il a remarqué sur l’Article CCCLXII. ce qui est expressément decidé par l’Ar-ticle 308. de la Coûtume de Paris ; et Ricard sur cet Article, ajoûte que l’enfant, quoy qu’il ait renoncé à la succession de ses pere et mere, est obligé à ce rapport, et que maintenant on juge au Parlement de Paris, que si l’ayeul donne à l’un des enfans de son fils, lequel l’abstient, les freres et soeurs de ce donataire rapporteront le don fait à leur frere Cet usage est fort ancien en cette Province, comme on lapprend d’un Arrest du 8. de évrier 1526. entre M. Jean Faiseu, Curateur de Claude de Ligni et Antoine de CleriChevalier ; et par un autre Arrest donné en la Grand-Chambre, du 13. de Mars 1622. entre la veuve de Traboüillet, et Thomas Bourgeois de Roüen, il fut jugé que le petit-fils venant à la succession de l’ayeul par la renonciation ou par le decez de son pere, devoit rapporter tout ce que l’ayeul avoit donné à son pere, encore qu’il l’eûr dissipé, et que le petit : fils eût renonté à la succession de son pere, quoy que le partage de la succession de l’ayeul eût été fait, et que les coheritiers n’eussent point demandé ce rapport au petit-fils, à quoy il fut neanmoins condamné avec restitution de fruits du jour de la succession échûë ; et ce rapport a paru si favorable pour conserver l’égalité entre les freres, que l’Article S8. du Reglement de 1666. n’oblige pas seulement les petits enfans à rapporter ce qui a été donné à eur pere, mais aussi ce qui a été payé pour luy, comme il fut jugé par l’Arrest de Brice, rapporté par Bérault, sur l’Article CCCLXII. et par un autre Arrest du 16. de Mars 1658 Mais il n’en est pas de même, lors que ce rapport est demandé aux petits enfans par les creanciers ; car alors ils en sont dispensez, comme il fut jugé par l’Arrest de Miré : Nicolas Miré avoit deux fils, André, et Antoine ; en mariant André il luy donna trois mille livres, André dissipa son bien, et mourut avant son pere, lequel étant mort par aprés, Antoine et les sans d’André renoncerent à sa succession, et lesdits enfans renoncerent aussi à la succession de leur pere, et à sa representation ils demanderent leur part au tiers Coûtumier ; les créanciers, suivant cet Article, soûtenoient qu’ils devoient rapporter les trois mille livres que leur pere avoit eus : les enfans s’en défendirent, vâ leur renonciation à la succession de leur pere, et que venant directement à celle de leur ayeul, ils n’étoient tenus à aucun rapport s’ils n’étoient point heritiers de leur pere, et ne profitoient point de sa succession : Le Baillv avoit debouté les creanciers de leur demande ; par Arrest en la Grand-Chambre du 10. de septembre 1642. la Sentence fut confirmée.

Non seulement les petits enfans renonçant à la succession de leur pere, et succedant à leur yeul, sont déchargez de ce rapport de meubles, mais les enfans mêmes succedant à leur pere qui leur avoit donné n’y sont pas sujets, comme il fut tenu pour une maxime certaine lors de l’Arrest de Miré ; et on le jugea encore de la sorte en l’Audience de la Grand. Chambre, par Arrest du 9. de Janvier 1660. plaidant Heroüet pour Busquet, appellant de ce qu’on l’avoit condamné à rapporter cent livres au lieu des meubles promis par son Contrat de mariage : Morlet pour Mar-tin, intimé, Baudri pour Mr le Duc de Longueville, creancier, qui vouloit faire diminuer le tiers.

En un mot, il est si véritable que les enfans ne peuvent engager leur tiers du vivant de leur pere, que s’il avoit donné non seulement des meubles, mais aussi des rentes dont il eût reçû le rachapr, et qu’il en eût dissipé les deniers, on ne pourroit luy en faire deduction sur son tiers, ce qui auroit beaucoup plûtost lieu, si les enfans de celuy qui auroit consumé ces rentes demandoient leur tiers en la succession de l’ayeul. on n’a pas besoin d’avertir le lecteur, que quand cet Article oblige les enfans à rapporter, il ne s’entend que des choses qui sont sujettes à rapport ; et je réserve à expliquer les choses sujettes à rapport sur l’Article CCCexXXIV.