Si vous souhaitez signaler des coquilles dans ce passage, vous pouvez écrire à Morgane Pica (ingénieure d'étude du projet), en précisant l'URL et le titre du passage.


CCCCIII.

Pourvoy des enfans quand ledit tiers ne se trouve en essence.

Et où le pere auroit fait telle alienation de ses biens que ledit tiers ne se pourroit prendre en essence, ses enfans pourront revoquer les dernieres alienations, jusques à la concurrence dudit tiers, si mieux les acquereurs ne veulent payer l’estimation du fonds dudit tiers en roture au denier vingt, et en fief-noble au denier vingt-cinq : laquelle estimation sera partagée également entre lesdits enfans.

En consequence de cette faculté que cet Article donne aux acquereurs, de pouvoir payer l’estimation de leurs acquisitions, on a formé ces deux questions ; la première, de quel temps. on doit faire cette estimation ; et la seconde, si dans cette estimation on doit considerer seulement le revenu ou la valeur intrinseque de la chose qu’il faut estimer.

On a long-temps douté de quel temps il falloir faire cette estimation, ou du jour de la vente, ou du jour de la mort, ou du jour de l’action ; Les acquereurs soûtenoient, que l’estimation devoit être faite selon la valeur de la chose au temps de la vente, que le tiers étoit une grace et une liberalité de la Loy, et comme elle restreignoit cette liberté que tous les hommes ont naturellement de pouvoir disposer de leurs biens, on ne devoit point l’etendre au prejudice des acquereurs, que ce tiers Coûtumier n’avoit point plus de privilege que les biens dotaux de la femme, lesquels étant alienez elle n’en a recompense que sur le prix des Contrats, et que le remploy des propres si favorable en cette Province se fait de la même ma-niere : au contraire on répondoit que puisque le droit du tiers Coûtumier n’est pleinement acquis aux enfans que par la mort de leur pere, on ne peut en fixer le prix et l’estimation qu’au temps de son decez ; car auparavant le pere a pû vendre, et les alienations ne sont revoquées qu’en cas qu’il ne laisse pas assez de bien pour fournir la tiers.

Pour le temps de l’action les enfans y étoient mal fondez, car ils devoient s’imputer s’ils n’avoient pas poursuivi plûtost ; ainsi on s’est reduit à estimer le tiers du temps de la mort du pere, et ce fut un des points jugez par l’Arrest de Matthieu Bruchaut, donné en la Chambre des Enquêtes le 14. d’Avril 1644. dont il a été parlé sur l’Article CCCCI. qui fut donné au Rapport de Mr de Toufreville le Roux, entre Laurent Routier et Nicolas Bruchaut, appellant de Sentence renduë par le Bailly d’Estouteville, le 23. de Mars 1643. et Matthieu Bquisson, fils de Vincent, et de Marguerite Turin, intimé : Par cette Sentence on luy avoit ajugé le tiers des héritages vendus et alienez par son pere, et de ceux qui étoient encore en essence ; il avoit été dit, que l’estimation en seroit faite du jour de la mort du pere : par l’Arrest la Sentence fut confirmée. Autre Arrest en la Grand. Chambre du 18. de Juin 1663. au Rapport de Mr Secart, entre Gabriel Huet, ayant épousé en premieres nopces Marie Marion, appellant du Juge d’Orbec ; et Me Pierre le Doré Elû à Lisieux, appellant de sa part. Autre Arrest du 30. de Juin 1638. au Rapport de Mr de la Champagne, entre Agnes Aveaux, femme de Nicolas Boudery, d’avec luy separée de biens ; et Nicolas de la Motte, Tresotier de la Paroisse de Valleville.

Mais quoy que nous ayons dit qu’il n’étoit pas juste de faire cette estimation selon la valeur des choses au temps de l’action, on a néanmoins jugé que lors que l’acquereur avoit empesché par ses refuites que les enfans ne fissent proceder à la liquidation de leur tiers, et qu’ils n’en obtinssent la delivrance, il ne falloit pas en ce cas qu’il profitât de sa mauvaise foy, et qu’ainsi on devoit laisser aux enfans le choix de prendre leur tiers, eu égard au temps du decez ou de la condamnation que les enfans avoient obtenuë, suivant l’Arrest donné au Rapport de M. Deshommets l’an 1663. et plus solennellement encore au Rapport de Mr de Vigneral en la Grand-Chambre, le 14. d’Aoust 1663. entre Me Gilles Guerin, sieur d’Agons Lieutenant General Criminel à Coûtance, appellant de Sentence renduë le 21. de Janvier 1661. par le Juge de S. Lo, et de tout ce qui fait avoit été en consequence, tant en l’estimation des immeubles ayant appartenu à Charles du Burel, sieur d’Agon, qu’au partage d’iceux, que d’autre Sentence du 13. de Juillet 1661. Et Pierre David, sieur de Boisdavi, pour luy, et comme ayant les droits cedez de sa femme avancée en la succession de Gillette du Burel leur mere, fille dudit Charles, intimé, et de son chef appellant de Sentence du 3. de Juillet : Par la Sentence du 21. de Janvier on avoit ajugé audit David le tiers Coûtumier sur les biens de Charles du Burel, comme d’un mois aprés le 16. d’Aoust 1575. jour du Contrat de mariage, parce qu’on ne representoit point l’Extrait de la celebration du mariage dudit Charles du Burel avec Demoiselle Marie Cadot, avec restitution de fruits du jour de son action, à prendre sur les derniers acquereurs, et qu’à cette fin la liquidation du tiers Coûtumier seroit faite en deduction des dettes aînées, presumées avoir été contractées ledit mois aprés le Contrat de mariage et l’accomplissement des cérémonies de l’Eglise, et par ladite Sentence du 13. de Juillet ledit Guerin avoit été condamné de payer audit Boisdavi la somme de mille livres pour son tiers Coûtumier aprés l’estimation faite ; la Cour en infirmant les Sentences, entant qu’on auroit ajugé audit Boisdavi l’interest au denier vingt de l’estimation dudit tiers, et audit Guerin l’interest des augmentations par luy faites, le tout à commencer du jour de l’adjudication faite en 1628. condamna ledit Guerin à la restitution des interests du jour de l’adjudication par decret sur la vraye valeur du tiers, sur le prix des baux faits sans fraude : Il faut remarquer que l’adjudication avoit été faite par le Juge des lieux, eu égard au temps de la condamnation, ce qui fut confirmé : En second lieu, qu’encore que le temps de la celebration ne fût point constant, on presuma qu’elle avoit été faite peu de temps aprés le Contrat de mariage, et le Juge l’avoir reglé à un mois : En troifième lieu, l’adjudicataire fut condamné aux interests du jour de son adjudication : 4O. on luy ajugea l’interest des augmentations du jour qu’il les avoit faites : 5O. que le tiers est dû aux enfans du jour de l’ad-judication par decret des biens du pere aussi-bien que par sa mort, et qu’ainsi au cas du decret la valeur doit être considérée au temps de l’adjudication, parce que le tiers est acquis aux enfans de ce jour-là, le pere étant reputé mort civilement.

C’est suivant les Arrests cy-dessus remarquez, que la Cour a fait l’Article 90. du Reglement de 1666. par lequel l’estimation que l’acquereur peut payer au lieu du tiers en essence, sera faite eu égard au temps du decez du pere, et au cas que l’acquereur en ait tenu procez, il sera au choix des enfans de prendre ladite estimation, eu égard au temps du decez ou de la condamnation qu’ils auront obtenuë.

Aprés avoir expliqué de quel temps on fait cette estimation, il reste à sçavoir comment elle se doit faire. Il semble d’abord que cet Article y a pourvû suffisamment par ces termes, si mieux l’acquereur ne veut payer l’estimation du tiers en roture au denier vingt, et en fief au denier vingt. cinq, et qu’ainsi il suffit de considerer le revenu des héritages pour en donner s’estimation aux enfans suivant la difference des biens : Il est neanmoins véritable que l’estimation du tiers Coûtumier ne se fait pas seulement sur le revenu annuel des héritages, mais aussi sur leur valeur intrinseque, et que les bois de haute-fûtaye, les batimens, les dignitez, et les autres prerogatives d’une Terre doivent être mises en consideration, et que les acquereurs ont tenus de les rembourser aux enfans suivant leur estimation.

J’ay remarqué sur l’Article CCCXCIX. que les bois de haute-fûtaye font partie du bien, et que si le mary ou le pere les ont abbatus, on en fait une estimation pour augmenter le doüaire ou le tiers Coûtumier ; et on conclud par ces mêmes Arrests, que quand on procede à l’estimation on ne considere pas simplement le revenu, mais aussi la valeur intrinseque, autrement on ne feroit pas une estimation particulière des bois abbatus.

L’Arrest de Guichard et de la Cervelle, rapporté par Berault sur l’Article CCCXCIX. paroîtroit en quelque façon contraire, mais il est mal rapporté, et il n’y est parlé que des bâtimens ; et c’est une jurisprudence certaine au Palais, que l’estimation se fait selon la vaseur intrinseque ; et c’est encore un des points jugez par l’Arrest de Bruchaut, dont j’ay parlé cy-dessus, que l’estimation doit être faite selon la juste valeur du fonds : On n’accorde cette faculté aux acquereurs de payer l’estimation, que pour les desinteresser en quelque maniere de leur dépossession ; mais cette grace ne doit pas tourner à la perte des enfans, qui sont toûjours les plus favorables.

Ce privilege a été refusé à celuy qui avoit pris un héritage à fieffe, suivant l’Arrest de Bigor, du 15. de Janvier 1666. Par cet Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre, ces deux questions furent décidées ; la premiere, que le pere avoit pû faire un bail à rente, pu une fieffe de son bien, et que le fils étoit tenu de prendre son tiers Coûtumier sur la sente de la fieffe ; et la seconde, qu’en cas qu’elle ne remplit pas le tiers, il ne pouvoit être forcé de prendre de l’argent, et qu’il falloir luy bailler du fonds par estimation.

Les acquereurs ne seroient pas aussi reçûs à bailler à la veuve lon doüaire en argent, car il luy doit être fourny en essence, suivant l’Arrest de Braques rapporté par Berault sur l’Article CCCLXXIX.

Il a été pareillement jugé par Arrest, au Rapport de Mr du Moucel, en la Chambre des Enquêtes, le 16. de May 1637. que les adjudicataires par decret ne peuvent joüit de la faculté accordée par cet Article aux acquereurs, et qu’ils sont tenus de fournir le tiers Coûtumier en essence.

Cette faveur est faite aux acquereurs à cause de la perte qu’ils souffrent, étant dépossedez le plus souvent aprés avoir beaucoup dépensé pour meliorer le fonds qu’ils avoient acquis ; et c’est pourquoy la Coûtume ne leur donne pas seulement le privilege dont il est fait mention par cet Article, elle leur accorde aussi une action pour retirer à droit de lettre-luë l’heritage. dont il a été dépossedé par une saisie réelle, et par la vente judiciaire ; il suffit à l’égard des acquereurs, que les enfans ayent la vraye valeur de leur fonds. Or toutes ces considerations ne se rencontrent pas en la personne d’un adjudicataire par decret, et l’on ne peut faire consequence des Arrests par lesquels il a été jugé que le fief seroit decreté en son integrité, et que les enfans prendroient leur tiers Coûtumier en deniers, cette jurisprudence est fondée sur des raisons particulières que j’ay remarquées sur l’Article CCCXClX.

Bien que le tiers doive être pris sur les dernieres alienations, il ne laisse pas de naître souvent des difficultez entre les acquereurs ; par exemple, si les derniers acquereurs ont fait contrôller leurs Contrats, seront-ils preferables aux premiers acquereurs qui n’ont point gardé cette solennité : Les enfans de Deshayes ayant demandé leur tiers Coûtumier aux acquereurs des biens de leur pere, le Juge de Gournay avoit jugé que le Contrôlle donnant l’hypotheque, les premiers acquereurs dont les Contrats n’étoient point contrôllez fourniroient le tiers Coûtumier aux enfans : Sur leur appel, le Page disoit que le vendeur ayant aliené son bien et n’y ayant plus rien, les demiers acquereurs n’avoient pû par le moyen du Contrôlle s’acquerir une hypotheque sur des biens qui n’appartenoient plus à leur vendeur, ils ne pouvoient le pretendre que sur les biens dont il étoit encore en possession lors qu’ils avoient contracté avec luy, que cela avoit été jugé de cette manière en 1633. Martin avoit vendu les héritages à de Caux, et depuis il se constitua en rente envers Morin, qui fist contrôller son Contrat, et depuis en vertu d’iceluy ayant saisi réellement ses héritages, et compris dans cette saisie ceux acquis par de Caux, pretendant que son contrôlle luy donnoit hypotheque sur iceux : De Caux allegua pour défense, que le bien n’appartenoit plus à Martin lors que Morin avoit contracté avec luy, et par Arrest de Caux eut la distraction de son acquest.

Autre Arrest en la Chambre de l’Edit pour le sieur d’Alençon pour lequel je plaiclois, ayant remontré qu’il falloit faire difference entre les acquereurs et les creanciers ; pour ceux-cy l’on considere le contrôlle, parce que le debiteur qui demeure toûjours possesseur de ses heritages peut donner une hypotheque, et en ce cas c’est le contrôlle qui regle la preference ; mais pour les acquereurs, ce qui est une fois sorty des mains du vendeur, ne luy appartenant plus, il ne peut être hypothequé par luy ; par Arrest du 18. de Janvier 1654. la Sentence fut cassée, et la distraction ajugée au premier acquereur. Il en seroit autrement si ce premier acquereur demandoit une garantie contre son vendeur, car en ce cas il n’auroit hypotheque que du jour du contrôlle,

Il arrive souvent que le prix de la derniere acquisition est employé au payement des dettes anciennes du vendeur. On demande s’il sera preferable aux anciens acquereurs dont les deniers n’ont point servi à l’acquit des dettes de leur vendeur, et si ce dernier acquereur sera tenu d’agir par la voye hypothecaire : Il est juste en ce cas de faire une estimation de tout le bien, pour en donner au dernier acquereur jusqu’à la concurrence des dettes anterieures qu’il a acquitées.