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CCCCXXIX.

Donation de meubles comment permise au profit de la femme.

Le mary n’ayant enfans, ne peut donner de ses meubles à sa femme sinon jusques à la concurrence de la moitié de la valeur des héritages et biens immeubles qu’il possede lors de son decez : et s’il a enfans, il ne luy en peut donner qu’à l’avenant du tiers de ses immeubles.

Cet Article se pratique à la rigueur : Par Arrest, au Rapport de M Buquet, du 20. de Novembre 1669. entre Riquier Jourdain, une donation à cause de mort de deux bâteaux faite par un mary au gendre de sa femme et son presomptif heritier fut declarée nulle, parce qu’il n’avoit point d’immeubles, et que par un Contrat precedent il avoit tenté de les donner à sa femme, à laquelle il en avoit donné la joüissance par son Contrat de mariage ; mais cessant ces considerations cette donation de meubles n’eût pas été nulle pour être faite par le mary aux parens de sa femme. Jay remarqué cet Arrest sur l’Article CCCeXXII.

On a souvent agité cette question, si cet Article doit être gardé pour les donations entre vifs : Un Vivandier d’armée par fon Contrat de mariage avec la nommée de Sens passé à Abbeville luy avoit donné tous ses meubles, reconnoissant qu’elle les luy avoit apportez ; cet homme qui n’avoit point de domicile certain ayant été tué en cette Province, ses heritiers collateraux contesterent à sa femme la delivrance de ses meubles par ces raisons, que ce Contrat avoit été fait depuis la celebration du mariage, et qu’il n’avoit aucus immeubles, et que par consequent suivant cet Article la donation devoit être reduite à la moitié : il fut dit pour la veuve que le mary auroit pû luy donner tous ses meubles par testament, que ce Vivandier n’ayant point de domicile certain cette donation devoit être reglée par la Coûtume du lieu où elle avoit été passée : Par Arrest du premier de Juillet 1659. la donation fut confirmée, plaidan de Sets, et de Cahaignes.

On ne peut pas asseurer que la question generale ait été deoidée par cet Arrest, à cause que le Contrat de mariage n’avoit point été passé en Normandie, et que les conjoints n’en étoient point originaires.

Mais pour montrer que l’on ne doutoit point que cet Article ne devoit être gardé que pour des dispositions testamentaires, il fut jugé en la Grand. Chambre le 16. de May 1653. que pour donner effet à la donation de meubles faite par le mary à la femme par leur Contrat de mariage, il n’étoit pas necessaire qu’il eût été reconnu, et que c’étoit assez que la volonté du mary fût certaine

Cependant cette même question, si la donation faite par le mary à sa femme de tous ses sieubles par leur Contrat de mariage pouvoit valoir, ayant été plaidée en l’Audience de la Grand-Chambre le 14. de Decembre 1677. entre Cecile Langlois heritière de Langlois son frère, et Anne Bouquet veuve dudit Langlois, on cassa la Sentence du Bailly qui avoit confirmé la donation, et en reformant on ajugea la moitié des meubles à la femme et le tiers de l’autre moitié ; mais il me semble que l’on ne devoit pas considerer cette paction du mariage comme une donation, c’étoit une clause sans laquelle le mariage n’eûr peut-être pas été fait, et l’intention de la Coûtume n’a pas été d’empescher les avantages que le mary pourroit faire par une pure liberalité et sans aucun engagement ny obligation, et sur tout par un tetament, parce que nous donnons beaucoup plus volontairement les choses que nous pre-voyons devoir bien-tost abandonner ; néanmoins on a si peu de disposition en Normandie à voriser la condition des femmes, que l’on n’étend jamais la Coûtume à leur avantage.

Mais le mary poutroit par donation entre vifs donner à sa femme telle part de ses meubles qu’il pourroit luy laisser par testament, ce qui a été jugé par Arrest en la Chambre des Enquêtes, au Rapport de Mr de Montaigu, le 23. de Decembre 1644. Une donation faite par un mary qui n’avoit point d’enfans de tous ses meubles à sa femme fut declarée valable fuivant cet Article, qui permet au mary de donner à sa femme jusqu’à la concurrence de la valeur de la moitié de ses immeubles, ce qui est d’autant plus juste que la donation entre vifs est moins suspecte de suggestion que la testamentaire.

Il faut remarquer que cet Article n’a point lieu au profit du Fise, mais seulement pour les heritiers du mary. La donation d’un bâtard à sa femme de tous ses meubles portée par son Contrat de mariage et par son testament fut confirmée, quoy que les meubles excedassent la valeur de la moitié des immeubles, et que le donataire du Roy en demandât la redu-ction. La Coûtume vraysemblablement n’ayant considéré que l’interest des heritiers, en ce cas il n’eût pas été juste qu’une femme eût eu toute la dépoüille de son mary, quand il ne aissoit que des immeubles d’une valeur au dessous des meubles : Arrest, au Rapport de Mrde Caradas, du 23. d’Aoust 1632. entre Marguerite Angerville veuve d’Alexandre de Harcour, légataire universelle des meubles demeurez aprés son decez, prenant le fait de Henry, Pierte, et Alexandre, dits Angerville pere et fils, et Suzanne Bunel femme dudit Henry, appeldans de Sentence renduë par le Vicomte de Falaise au Siege de S. Pierre sur Dive, le 22. de Septembre 1631. Ordonnance de prise de corps, et de tout ce qui fait avoit été contre lesdits d’Angerville et Bunel par le Bailly de Caen au Siege de Falaise, d’une part, et Me Marin.

Samin Receveur du Domaine de Falaise, en la presence de Laurens Renard Foutrier de la Maison du Roy, intervenant en Cause en qualité de donataire du Roy des biens dudit de Harcour à luy échûs à droit de Bâtardise, et Mr le Procureur General prenant le fait de son Substitut à Falaise, d’autre part : Il étoit porté par le Contrat de mariage desdits Harcour et Angerville qu’en cas de predecez dudit de Harcour sans hoirs issus de leur mariage, ladite Angerville emporteroit generalement tous les meubles qui seroient laissez par ledit de Harcour, lequel par son testament avoit aussi fait sa femme legataire universelle de ses meubles : le Receveur du Domaine et le donataire des droits du Roy pretendoient que cette donation devoit être reduite aux termes de cet Article, les meubles excedant la moitié de la valeur les héritages que ce bâtard possedoit au temps de son decez : par la Sentence dont il y avoit appel il étoit ordonné qu’avant de faire droit sur la validité ou invalidité du Contrat de maiage et testament, le Repertoire fait par le Bailly des Lettres et Ecritures de la succession, ensemble les pieces mises par inventaire, et autres dont elle voudroit s’aider seroient representées et mises aux mains du Rapporteur pour être ordonné ce qu’il appartiendroit, et que pour la conservation des biens le Sergent en feroit inventaire, et permis au Substitut et Receveur du Domaine de faire informer de la soustraction et enlevement des meubles : Par l’Arrest en infirmant la Sentence et faisant droit au principal, on accorda main-levée à ladite d’Angerville de tous les meubles laissez par son mary, ensemble de toutes les cedules et obliga-tions ayant appartenu audit de Harcour : Le Fisc n’étoit pas si favorable que la femme qu reclamoit des meubles qui provenoient de la mutuelle collaboration de son mary et d’elle, ce qui la rendoit beaucoup plus favorable qu’aucun autre legataire : D’autre part on peut dire que les termes de cet Artide étant negatifs et prohibitifs, excludunt omnem potentiam juri et facti : On disoit pour le Fisc qu’encore que l’on ait permis au bâtard de tester, c’est à ondition de garder les Loix de la Province, il ne seroit pas raisonnable de frustrer le Roy des successions qui luy sont deférées par la Coûtume : Or la Coûtume défendant indistin. ctement à celuy qui a la meilleure partie de son bien en meubles de les donner que jusqu’à la concurrence de la valeur de la moitié de son immeuble, le bâtard ne doit pas faire fraude aux droits du Roy.

On peut dire au contraire que pour rencontrer le véritable sens de la Loy il faut découvrir et connoître le mal auquel elle a voulu apporter du remede ; par cet Article la Coûtume n’a eu d’autre but que de conserver le bien aux heritiers, et pour cette raison elle n’a point permis que celuy qui n’avoit que des immeubles les en pûst priver entièrement : Elle marque son intention en plusieurs endroits, s’il y a deae enfans elle ne permet d’en donner que le tiers, ae’il n’y en a point elle donne une plus grande liberté : en cet Article elle ménage l’interest des autres heritiers, mais elle n’a jamais pensé à borner la liberté des hommes en faveur du Fise : Par l’Article CCCCXXXV. les heritiers peuvent revoquer les donations, mais elle ne donne pas ce pouvoir au Fisc, et par le Droit Romain la complainte d’inofficiosité contre le testament qui appartient aux enfans, et la detraction de la legitime n’appartient point au Fisc, qui est un heritier anomal et itregulier : Aussi Bacquet et Chopin ont tenu que la reduction des legs et des donations n’appartient qu’aux heritiers, en al-déguant pour preuve un Arrest prononcé en Robes rouges le 8. de Juin 1576. entre l’Amitaut et la Reyne d’Ecosse, donatrice et usufruitière de la Touraine, par lequel il fut jugé que la Coûtume de Touraine qui reduit la liberté de tester à une certaine somme, n’a lieu qu’en faveur des heritiers et non pour le Fisc succedant au donateur ;Chopin , de Doman. l. 1. t. 8. in fine ;Bacquet , du Droit de Bâtardise, c. 6.

Il en iroit autrement de la donation de tous les immeobles, comme il sera dit sur l’Article CCcexxXi.