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Article CCCCXXXIII.

Heritiers ne peuvent être avantagez.

Et s’il y a plusieurs Heritiers, il leur peut donner à tous ensemble : mais-ne peut avantager. d’un plus que l’autre, comme il a été dit cy. dessus.

Pour donner lieu à cette disposition, &c.

Pour donner lieu à cette disposition de ne faire aucun avantage à un heritier plus qu’à l’autre, il faut que ce soient des heritiers d’une même ligne, ejusdem stemmatis, comme je viens de le remarquer ; car autrement on peut donner du paternel à lhéritier au maternel, et è contra, on peut donner des propres à l’heritier aux acquests, et des acquests à l’heritier au propre.

Naturellement l’homme se porte à la liberté, et il tache de se dégager de ce qui le retient dans la contrainte ; la prohibition de donner à l’heritier immediat et aux descendans du donateur êtoit generale, on a tâché toutefois d’éluder cette Loy par des raisons et des considera-tions qui ont été réçûës favorablement, parce que l’on remettoit les choses dans le droit commun ; cette prohibition avoit pour son motif principal l’égalité entre coheritiers, et par ce même principe la Coûtume a ordonné le rapport de ce que chaque coheritier a eu plus que l’autre : or cette égalité et ce rapport ne peuvent se pratiquer qu’entre ceux qui partagent les mêmes biens et la même succession. On a donc estimé que quand il y avoit diversité de sucressions et de biens, la disposition de la Coûtume devoit cessen Cette diversité procede ou de la situation des biens lors qu’ils sont situez en diverses Coûtumes, en l’une desquelles le donataire est exclus de la succession du donateur encore qu’il puisse luy succeder en l’autre, ou de la difference des patrimoines, comme sont les biens paternels et maternels qui ne peuvent passer d’une ligne à l’autre, ou de la qualité des biens dont les uns ont été acquis par le donateur, les autres luy tiennent lieu de propre luy étant échûs par successions les uns sont nobles, les autres roturiers ; les uns ont été pris par preciput par l’aîné, les autres ont été laissez aux puisnez comme des échetes ausquelles l’ainé ny ses descendans ne peuvent succeder en ce regard. Toutes ces considerations differentes se peuvent rencontrer en la Coûtume de cette Province

L’Article S3. du Reglement de 1666. ne parle que de la diversité qui se rencontre entre les propres et les acquests, qui fait que l’on a jugé que celuy qui est heritier en l’un d’iceux peut être donataire en l’autre, contre cette regle que j’expliqueray plus amplement dans la suite, qu’on ne peut être heritier et donataire tout ensemble.

Cette question fut ainsi jugée par les Arrests rapportez par Berault sur cet Art. CCCCXXXIII entre Boüillon, la veuve Roland et autres, du 5. de Février 16o8. et 4. de Mars 1613. Ce qui fut aussi jugé par l’Arrest remarqué par le même Auteur sur l’Article CCCCXXV. entre le Cat et lsoré, sa femme et ses seurs se portant heritieres aux meubles et acquests de Jean Iforé leur frere ainé, et Jean lsoré le jeune neveu se disant legataire universel aux meubles, et donataire du tiers des acquests dudit défunt lsoré : ledit lsoré le jeune étoit heritier aux propres dudit Jean Isoré l’ainé, et ses soeurs comme plus proches heritieres aux meubles et acquests, la representation au premier degré n’étant point reçûë avant la Coûtume Reformée aux meubles et acquests, comme on peut voir par l’Article CCCIV. qui est employé pour Coûtume nouvelle, ce que Berault n’a pas remarqué ayant allégué cet Arrest pour prouver que l’on peut donner ses meubles à son heritier en ligne collaterale, comme je l’ay remarqué sur l’Article CCCexXXI. au lieu qu’il fut jugé que Jean lsoré étant heritier de son oncle au propre et non aux meubles et acquests, les meubles luy appartenoient en vertu du testament fait en sa faveur, et le tiers des acquests en consequence de la donation qui luy en avoit été faite : Cet Arrest fut rendu le 22. de Decembre 1536. et se trouve aux Registres de la Cour, dans lesquels on trouve la Sentence et les raisons des parties. La même chose a été jugée par le Parlement de Paris pour une Cause de Normandie entre le Févre et Blanbâton, Fresne de 23. d’Avril 1625. par un Arrest rapporté par du Fresne, l. c. 47. de l’impression de 1652. dont ie parleray dans la suite, et une donation entre vifs faite par le sieur de Blanbâton à un nommé le Févre son frere uterin, qui étoit de ses propres paternels, a été déclarée bonne et valable, encore que le sieur de Blanbâton frère consanguin et heritier aux propres paternels fût heritier aux meubles et acquests de son frere, et qu’il ne soit permis par la Coûtume de Nor-mandie de donner à son heritier immediat, c’est à dire que l’on ne pouvoit être heritier et donataire ; l’Arrest fondé, dit cet Auteur, sur ce que les Coûtumes qui prohibent d’être heritier et donataire s’entendent d’une même espèce de bien, comme heritier des propres et do-nataire de partie d’iceux, ou heritier des meubles et acquests et donataire de quelques acquests particuliers au prejudice des coheritiers qui ont droit d’y succeder ; mais qu’il nr’étoit pas prohibe de donner à son heritier des biens pour le rogard desquels il est comme étranger, et ausquels il ne pourroit succeder par la Coûtume n’étant pas de la ligne, comme au fait present : le Févre frere uterin donataire étoit inhabile à succeder à son frere pour la terre qui luy avoit été donnée qui étoit un propre paternel, et encore que suivant le Droit Civil unins hominis non sint diversâ patrimonia, l. Jurisperitos, ff. de excusat. tutor. néanmoins en païs Coûtumier nons avons d’autres Maximes.

Mr Jean Ricard en son Traité des Donat. 1. part. sect. 15. a remarqué un Arrest du Parlement de Paris qui a jugé la question à l’égard des biens situez en diverses Coûtumes, ce qui n’a point été decidé par aucun Arrest en ce Parlement ; mais la defficulté s’étant presentée sur ce que la Dame du Boësse avoit fait don au sieur de Sullemont le Guerchois de partie de ses héritages situez en Caux ausquels il ne pouvoit succeder, mais bien Mr le Guerchois Avocat General son frère comme ainé en fuccession collaterale, suivant les Articles CCC. et CCCIII. la donation fut confirmée par Sentence arbitrale renduë par Messieurs de Vigneral et Buquet Conseillers en la Cour, encore que ledit fieur de Sullemont fût heritier en partie aux biens de la Dame du Boësse fituez hors la Coûtume de Caux Il n’y a en cette Province que la Coûtume generale et la Coûtume de Caux que l’on puisse considerer comme deux Coûtumes differentes, n’y ayant d’ailleurs que des usages locaux de peu de consideration, mais ces deux Coûtumes sont reputées entierement distinctes et sepaées en plusieurs choses.

a l’égard des biens paternels et matemels on a la même liberté d’en disposer en faveur de ceux qui ne peuvent succeder en l’un ny en l’autre d’iceux dans les Coûtumes conformes à la nôtre en laquelle les biens ne peuvent passer d’une ligne à l’autre, ce qui fut ainsi jugé en la Chambre des Enquêtes le 24. de May 1631. entre Paquet le Gros, sieur des Ruaux, et le Comte, sieur de la Richardiere, au Rapport de Mr du Candal, par lequel on confirma une donation du bien maternel faite à un frère de pere, le donateur n’ayant pas d’enfans, et il fut jugé qu’elle n’étoit point contraire à l’Article CCCCXXXI. qui défend de donner à ses heritiers.

On peut dire néanmoins que par le moyen de ces donations on peut faire passer aisément le héritages d’une ligne à l’autre ; mais la Coûtume n’ayant pas rétranché cette liberté de donner telle portion de son bien que lon veut choisir, on ne peut empescher ces donations quand la personne en est capable

Il en est de même des biens ausquels les puisnez ne peuvent succeder, comme il arrire lors que la succession du donateur consiste en un fief-noble que l’ainé peut choisir par preciput, alors il semble que le puisné peut être donataire de partie de ce fief aussi-bien quun étranger, ce qui fut jugé en l’Audience de la Grand-Chambre le 4. d’Aoust 1637. entre les sieurs de Boisdanemets, plaidans Coquerel et Giot.

Un de nos Auteurs modernes, à sçavoirRicard , des Donat. p. 1. c. 3. sect. 15. n. 676. et suivans, a traité à fonds cette question, si celuy qui en termes generaux ne peut être heritier et légataire ou donataire peut avoir les deux qualitez sous divers respects ? Pour expliquer ces sentimens il propose quatre espèces : La première, si celuy qui est hetier d’une certaine espèce de biens comme des propres paternels, peut être légataire des siens d’une autre nature comme des propres maternels dans lesquels il ne peut rien pretendre en qualité d’heritier, et ce quoy que les biens soient situez sous une même Coûtume ? La seconde, si ne pouvant pas avoir les deux qualitez lors que les biens sont situez sous mêmes Coûtumes, sçavoir si la difference des Coûtumes y peut apporter quelque raison particulière pour dire qu’il peut être heritier des propres paternels étans en une Coûtume, et donataire des biens maternels situez sous une autre ? La troisiéme, si une personne étant habile à sucéeder en une Coûtume et étant exclus de la succession par un autre, comme au cas des ne-veux qui succedent avec leurs oncles sous la Coûtume de Paris en la succession de leurs oncles decedez, et ne sont pas admis par la Coûtume de Senlis, sçavoir si les neveux peuvent être heritiers sous Paris et legataires sous Senlis qui n’a point reçû la representation en ligne collaterale ? Et la quatrième, si celuy qui est habile en toutes les Coûtumes où le défunt avoit ses biens en plusieurs espèces peut valablement declarer qu’il renonce à l’espece de biens sur daquelle il a son legs à prendre, ou aux biens situez en une Coûtume sur lesquels son legs luy a été assigné, et avoir part en ce faisant en qualité d’heritier aux autres biens de la sucession ?

Cet Auteur pretend que cette matière n’a point été entenduë, qu’elle est fort incertaine en nôtre Jurisprudence, et que cette obscurité procede de ce que Me Charles du Moulin n’a pas recherché la decision de ces questions dans leurs principes, et qu’il s’est fondé pour les refoudre sur un Arrest communément appellé l’Arrest des Bureaux, et il conclud qu’il est necessaire que celuy qui veut avoir ces deux qualitez ne soit pas habile à succeder dans la Coû-tume en laquelle il veut prendre son avantage, et qu’ainsi il faut tenir sans distinction que ny en consequence de la difference des biens, ny par leurs differentes situations en differentes Coûtumes aucun n’est capable de conjoindre ces deux qualitez, ce qui satisfait aux pre-nière, seconde et quatrième questions qu’il a proposées.

Pour établir sa proposition il pose deux principes qu’il pretend indubitables ; le premier, que la qualité d’heritier est indivisible, et qu’il ne dépend pas de nous de la reduire en une espèce de biens non plus que dans une Province particuliere, unicum est hominis patrimonium.

Le deuxième principe resulte de ce que ce ne sont pas les biens qui nous font heritiers, mais l’habilité qui procede des Loix ou des Coûtumes avec la déclaration de nôtre volonté par l’adition d’heredité.

Et de-là il s’ensuit que la difference des Coûtumes et la diversité des biens ne font rien à l’effet qu’aucun puisse avoir ces deux qualitez d’heritier et de légataire ensemble, puis que celle d’heritier n’est point attachée aux biens de la succession, et qu’elle ne dépend que de l’habilité que la Coûtume luy donne et de l’adition qui procede de sa volonté, si bien que l’un et l’autre ayant une fois concouru ensemble et ayant prêté son consentement à la capacité que les Coûtumes luy donnent, il a cette qualité generale qui le rend inhabile à conserver celle de légataire : Nos Coûtumes sont conçûës en termes personnels, de sorte qu’interdisant en general à l’heritier de pouvoir être légataire, il suffit qu’il ait le titre d’heritier pour tomber dans la prohibition de la Loy.

S’il falloit decider ces difficultez par la disposition du Droit Romain, les principes que l’on a posez seroient indubitables, parce qu’on ne connoit point dans cette jurisprudence cette distinction de propres et d’acquests, et de biens paternels et maternels, et que d’ailleurs les Loix Romaines étoient également observées dans toute l’etenduë de l’Empire, de sorte qu’on n’y entendoit point parler de differens heritiers, dont les uns étoient habiles à succeder à certains biens et les autres en étoient exclus ; on n’y voit point de diversité de biens ny de différence de Coûtumes.

Toutes ces distinctions sont établies par les Coûtumes qui ont distingué les biens d’une même personne et la capacité d’y succeder, en telle maniere qu’il semble que ce soient les successions de differentes personnes : Ce sont les termes de du Moulin sur l’Article 121. de la Coûtume de Paris, h. 17. quia autoritate consuetudinis que distinguit patrimonia videntur duae quasi duorum hominum hereditates : Ainsi cette Maxime du Droit que unicum est patrimonium, ne peut avoir lieu qu’en la ligne directe, où nous n’avons ny différence de biens ny diversité, d’heritiers.

Suivant cette distinction on répond à ce premier raisonnement que la qualité d’heritier est indivisible, qu’il ne s’enfuit pas de-là que l’on ne puisse être heritier et donataire ; car puis que l’on n’est pas toûjours capable de succeder à tous les biens d’un même homme, il s’ensuit que la qualité d’heritier n’est indivisible et ne peut être appliquée ny étenduë que pour les biens ausquels on a été habile à succeder : l’habilité de succeder ne procedant point de nous, mais des Loix et des Coûtumes ; suivant le second principe de l’Auteur, elle ne peut avoir effet que dans les personnes et pour les biens où elle autorise cette habilité, de sorte, par exemple, que la Coûtume ne permettant point que les parens paternels succedent aux piens maternels, ou que les parens les plus éloignez prennent part aux acquests avec les plus proches, ou que les neveux succedent avec leurs oncles dans les Coûtumes qui n’ont point admis la representation, on ne peut pas dire que la qualité d’heritier aux propres paternels soit indivisible, à l’effet que ces parens qui ne peuvent jamais rien avoir à droit hereditaire aux biens maternels soient incapables de la donation de ces mêmes biens.

Car suivant qu’il fut representé par MrBignon , lors qu’il conclud en l’Arrest dont je parleray dans la suite, par nos Coûtumes un homme meurt avec plusieurs patrimoines, et tout autant qu’il y a de Coûtumes où il a laissé des biens ce sont autant de differens patrimoines et de differens partages que chacune de ces Coûtumes regle comme il luy plaist, sans se mettre en peine de ce que l’autre ordonne aux regles de laquelle elle n’obeit point : par cette raison il n’y a point d’inconvenient qu’une même personne puisse être heritier d’un défunt en une Coûtume, et son legataire en même temps en une autre Une Coûtume disposant qu’on ne peut être heritier et légataire, elle ne parle et ne peut parler que pour elle, et que partant c’étoit assez que sous elle on n’eût qu’une de ces qualitez : Il est donc vray de dire, suivant l’opinion de duMoulin , que l’on peut être heritier et legataire en différentes Coûtumes, pourvû que l’on ne prenne rien en chacune qu’en l’une ou l’autre de ces deux qualitez : On peut encore être heritier d’une ligne et legataire des biens de l’autre, quoy que les biens de l’une et de l’autre ligne soient situez sous une même Coûtume, parce qu’il luffit qu’il y ait quelque difference pour faire que ces deux qualitez d’heritier et de legataire soient renduës compatibles :Molin . in Cons. par. Art. 12. n. 10 et sequent.

Si les resolutions de Mr Charles du Moulin n’avoient eu pour fondement que l’Arrest des Bureaux, il est certain qu’il ne pourroit valoir de décision pour les quatre questions ou especes proposées cy-devant, et cet Arrest auroit seulement decidé la troisiéme, qui est le seul cas où cet Auteur veut que l’on puisse être heritier et legataire, à sçavoir lors qu’une personne est habile à succeder en une Coûtume et qu’il est exclus de la succession par une autre, comme au cas des neveux qui succedent en collaterale avec les oncles sous la Coûtume de Paris. en la succession de leurs oncles, et qui ne sont pas admis par la Coûtume de Senlis.

Cependant suivant le principe que cet Auteur a posé que la qualité d’heritier est indivisible, la qualité d’heritier et de donataire n’est pas moins incompatible en cette espèce que dans les autres ; s’il ne dépend pas de nous de la reduire en une certaine espece de biens non plus que dans une Province particulière, c’est assez pour établir l’incompatibilité d’heritier et de legataire que l’on foit habile à succeder dans une Coûtume, quoy que l’on en soit exclus dans une autre, ainsi le neveu qui seroit habile à succeder avec son oncle en la Coûtume de Paris. nonobstant qu’il en fût exclus sous la Coûtume de Senlis ne pourroit être heritier et donafaire, parce qu’un homme n’ayant qu’un patrimoine il suffit que la qualité se rencontre une fois en la personne de quelqu’un pour ne pouvoir être legataire en la même succession, non pas même des biens qui seroient situez en une Coûtume où il ne pourroit prendre aucune chose en qualité d’heritier : aussi pour soûtenir l’opinion contraire on peut se servir de son raisonnement, que quand on ne prend rien en la succession en un lieu rien n’empesche qu’on ne puisse y être legataire quoy qu’on soit heritier dans les autres Coûtumes, parce que nos Coûtumes se renfermant dans leurs territoires elles ne peuvent pas donner la Loy l’une à l’autre.

Il semble aussi que la Jurisprudence du Parlement de Paris soit contraire aux Maximes que cet Auteur a établies, quoy qu’il pretende qu’il y ait de la contrarieté entre les Arrests qui Fresne sont inserez dans le Journal des Audiences, et que du Fresne ait fort peu digeré cette matière, et que difficilement il a pû remarquer le véritable motif de ces Arrests : Celuy qui fut rendu en l’Audience de la Grand-Chambre le 21. d’Avril 1621. a jugé indistinctement que l’on pouvoit être heritier et légataire en differentes Coûtumes, encore que le legataire pût être heritier en toutes ces Coûtumes ; et il est certain que lors que la Cause fut plaidée les Avocats disputerent pleinement cette question, de sçavoir si la qualité d’heritier et de legafaire étoit compatible ; Et pour la negative on allégua les mêmes raisons, que la difference des Coûtumes n’étoit point capable de faire qu’une même personne pûst être héritière et legataire, mais qu’il falloir pour cela que celuy qui veut avoir ces deux qualitez ne soit pas habile à succeder en la Coûtume en laquelle il pretend recueillir l’avantage qui luy a été fait, et que c’étoit le seul cas auquel la qualité d’heritier et de legataire soit compatible.

Il est vray que pour répondre à cet Arrest l’on pretend que celuy qui a donné au Public le Plaidoyé de Mr Bignon Avocat General, a eu pour but de faire paroître que la Cour avoit jugé la question generale, et qu’il a omis la raison decisive sur laquelle il fonda ses Conclusions.

Et pour établir le véritable fondement de l’Arrest, comme il s’agissoit de sçavoir si la qualité d’heritier et de legataire pouvoit être soufferte en la Coûtume d’Anjou, ce même Auteur rapporte l’Article 337. de cette Coûtume, où aprés avoir dit que les donations permises par les precedens Articles doivent avoir effet pourvû qu’elles se trouvent faites à des personnes qui ne soient pas les heritiers presomptifs du donateur, il ajoûte que cela fit la raison de l’Arrest ; car personne Coûtumière à son fils ou fille, ou aux enfans de son fils ou fille, ou autre heritier prefomptif qu’il ait ne peut plus donner qu’à un autre ny faire la condition pire ou meil-seure que de l’autre ; D’où il conclud que par là il se voit que la Coûtume n’a pas eu intention de prohiber indistinctement la donation au profit de l’heritier presomptif, mais seule-ment de luy faire avantage plus qu’aux autres, ce qui n’empeschoit pas la liberté de luy laisser à titre de don ou de legs la portion qui luy étoit destinée par la Coûtume, ce qu’il con-firme par l’autorité de nôtre Coûtume en cet Article, où elle permet à celuy qui n’a qu’un heritier de luy donner tous ses biens.

Je n’entreprendray pas de donner le véritable sens de la Coûtume d’Anjou, mais j’ose bien asseurer que presupposant que l’on gardât cette regle en Normandie que l’on ne peut être heritier et donataire en diverses Coûtumes, que la donation faite à l’heritier presomptif de la portion qui luy étoit destinée par la Coûtume ne seroit pas un moyen suffisant pour faire subsister en sa personne la seule qualité de legataire et effacer celle d’heritier, pour eluder la regle qui ne souffriroit pas que même en diverses Coûtumes on fût heritier et donataire ; la raison est que quoy que la Coûtume permette en cet Article de donner à son presomptif heritier, toutefois elle déclare en l’Article suivant que toutes donations faites aux enfans sont reputées avancemens d’hoiries : ainsi ce qui seroit donné à l’heritier presomptif étant reputé un avancement d’hoirie, le donataire ne le possedant qu’à titre d’hoirie il ne pourroit être considéré que comme heritier, ce qui le rendroit incapable d’être legataire dans une autre Coûtume.

Mais sans rechercher davantage quelle est la véritable Maxime du Parlement de Paris sur cette matière, c’est une regle certaine en Normandie que l’on peut être heritier et légataire d’une même personne, non seulement en diverses Coûtumes, mals aussi dans une même Coûtume, ce qui n’est point contraire à la l. 1. et 2. C. de adquir. hered. qui portent que non orest quis scindere hereditatem, elles ne s’entendent que de celuy qui ne veut accepter cette succession qu’en partie, à laquelle toute entière il est capable de succeder.

Et pour refoudre les quatre questions qui ont été proposées cu-devant : La première, si celuy qui est heritier d’une certaine espèce de biens, comme des propres paternels, peut être legataire

Manque l’Article CCCXXXIII

Et S’il y à plusieurs heritiers, il leur peut donner à tous ensemble : mais ne peut avantager l’un plus que l’autre, comme à êté dit cy-dessus.. placiter 93.

gratification des peres, l’égalité entre les enfans juy a paru si favorable qu’il est tres-difficile de l’empescher à l’égard des biens qu’elle ordonne être partagez entr’eux également ; et quoy qu’on ait tenté et que l’on tente encore tous les jours de trouver des moyens pour eluder sa disposition, ils ne servent souvent qu’à exciter la jalousie des freres.

Entre toutes les Coûtumes qui ont eu pour but de garder légalité entre les enfans, celle

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potest quis scindere hereditatem, elles ne s’entendent que de celuy qui ne veut accepter cette succession qu’en partie, à laquelle toute entière il est capable de succeder.

Et pour refoudre les quatre questions qui ont été proposées cy-devant : La première, si celuy qui est heritier d’une certaine espèce de biens, comme des propres paternels, peut être legataire des biens d’une autre hature, comme des propres maternels dans lesquels il ne peut rien pretendre en qualité d’heritier nonobstant que les biens soient situez en une même Coûtume ? On en peut prendre la décision dans l’Article 93. du Reglement de 1666. suivant lequel on peut donner partie des acquests à celuy qui est seulement heritier au propre, et partie des propres à celuy qui est seulement heritier aux acquests. Puis donc que dans une même Coûtume l’heritier au propre et qui ne l’est point aux acquests est capable de la donation aux ac-quests, parce qu’il est étranger en cette succession, l’heritier au propre paternel est encore plus capable de la donation du propre maternel, parce qu’il n’est point heritier et n’a jamais eu aucune habilité pour y succeder, et les Seigneurs feodaux y succederoient plûtost ; mais pour les acquests l’heritier au propre n’en est pas incapable de droit, au contraire il pourroit y prendre part s’il n’en étoit exclus par un parent plus proche du défunt.

La resolution de la seconde question fe fait par les mêmes principes, et pour rendre un parent heritier des propres paternels capable de la donation des propres maternels il n’est pas necessaire que ces biens soient situez en differentes Coûtumes, et c’est pourquoy l’Arrest du Fresne 23. d’Avril 1625. remarqué par du Fresne, et qui fut donné pour un procez évoqué de Normandie, est entièrement conforme à nos Maximes.

Pour la troisième espece, si une personne étant habile à succeder en une Coûtume et qui est exclus par une autre, peut être heritier en l’une et legataire en l’autre : L’affirmative en est soûtenue generalement par tous les Auteurs ; car suivant que je l’ay déja remarqué, la difference que les Coûtumes ont établie entre les biens d’une même personne fait que celuy qui succede à une certaine espèce de biens est comme étranger en la succession des autres biens dont il est exclus par la Coûtume, et bien que la qualité d’heritier soit personnelle et comme telle inseparable de la personne de l’heritier qu’elle suit par tout, en sorte qu’il suffit qu’elle subsiste et qu’in aliquo sit heres, néanmoins comme ce sont les Coûtumes qui donnent la capacité de succeder ou qui excluent de la succession, il n’y a point d’inconvenient que celuy qui n’est point ou qui ne peut être heritier en une Coûtume et en certains biens soit donataire de ces biens, la qualité d’heritier et de donataire regardant plûtost ce qui est réel que ce qui est personnel, et la prohibition de la Coûtume ne régarde pas tant la personne que les biens : VoyezLoüet , l. ff. n. 16. et 17. et Brodeau en cet endroit.

Pour la quatrième question, si celuy qui est capable de succeder en toutes les Coûtumes où le défunt avoit ses biens en diverses espèces peut valablement declarer qu’il renonce à succeder à l’espece de biens sur lesquels il a son legs à prendre : On ne peut former cette difficulté en Normandie, parce que la Coûtume défend la donation d’immeubles à l’un de ses heritiers au prejudice des autres, ce qui empescheroit le donataire de se prevaloir de son avantage quand même il renonceroit à la succession.