Si vous souhaitez signaler des coquilles dans ce passage, vous pouvez écrire à Morgane Pica (ingénieure d'étude du projet), en précisant l'URL et le titre du passage.


CCCCXXXVII.

Donation d’héritage au batard quand peut être revoquée.

Nul ne peut donner à son fils naturel partie de son héritage, ne le faire tomber en ses mains directement ou indirectement, que les heritiers ne le puissent revoquer dans l’an et jour du decez du donateur.

En consequence de ces paroles, nul ne peut donner à son fils naturel on a douté si la fille y est comprise ; Là-dessus les Docteurs ont agité la question, an masculinum concipiat femininum ? Du Moulin a fait distinction entre les Coûtumes et les Contrats, de feud. 8. 19. gl. 1. n. 1. et sequent. Bartole et Alciat ont aussi traité cette matière sur la Loy premiere, et sur la Loy Pronunciatio de verb. signif. D’autres ont fait différence inter filios et liberos ; les uns veulent que sous ce terme de fils les filles ne soient point comprises, mais que le mot d’enfans comprend l’un et l’autre sexe. Du Moulin a rejetté cette opinion, et veut sub nomine iliorum filias etiam contineri, quia regulariter masculinum concipit femininum, et on le pratique de la sorte. On a aussi douté si sub nomine filiorum nepotes continentur. La Loy Quid si nepotes, D. de testament. tutela y est formelle : Quid si filios dixerit nepotes non continentur ; et l’addition à la Glose sur la Loy Lucius Titius de leg. 3. contient ces noms, si testator ita prohibuerit ne filit falienent, nepotes non continebuntur. Il est vray que par la l. 84. de verb. signif. filii appellatioue iberos omnes intelligimus.

Pour concilier ces Antinomies apparentes, Alciat en ses Paradoxes, l. 3. c. 14. dit qu’in legis difpositione tam in favorabilibus quam in odiosis filiorum appellatione nepotes continentur, sed in hominum dispositionibus, comme les Testamens et les Contrats non intelliguntur, quia in hujusmodi actibus non fit extensio. Du Moulin est de ce sentiment, qu’in benigna legis interpregatione filiorum appellatione nepotes continentur, ce qui est plus equitable.

Cet Article termine cette question si célèbre au Parlement de Paris, si les bâtards sont capables de donations universelles, 2. part. du Jour. des Aud. l. 4. c. 46. Nôtre Coûtume les mprouve absolument, et elle ne permet pas même à un pere de donner à son fils naturel une partie de son héritage directement ou indirectement, toutefois elle favorise ces lonations en ce point, que les heritiers sont tenus de les revoquer dans l’an et jour du decez du donateur ; et bien que cet Article soit placé sous le Titre des Donations entre vifs, la même prohibition a lieu pour les donations testamentaires.

Cette défense de donner s’étend indistinctement à toutes sortes de bâtards : Bien qu’ils ne soient pas tous également defavorables à cause de l’état different de leurs peres et meres, ceux qui sont issus d’une conjonction incestueuse ou adulterine étant beaucoup plus odieux que ceux dont les peres n’étoient point engagez dans le mariage, toutefois tous bâtards de quelque condition qu’ils soient sont incapables de toutes donations d’héritages de leurs peres et meres : leur condition est égale, et l’on doit leur fournit indistinctement les alimens quelque odieuse et detestable que soit la conjonction qui leur a donné l’être ; ces alimens se reglent selon la Jualité des peres et les biens qu’ils possedent, on les accorde un peu plus largement contre des heritiers collateraux que contre les enfans legitimes.

Puis que la Coûtume ne permet pas au pere de donner à son fils naturel aucune partie de ses immeubles, il est obligé neanmoins de le mettre en état de gagner sa vie. On a jugé au Parlement de Paris que ce n’étoit pas assez à un pere d’avoir fait apprendre métier à une fille naturelle, et qu’elle peut encore demander des alimens ou une somme par forme de doti 2. partie du Journal des Audiences, l. 1. c. 24. On a même jugé qu’il y avoit une obligation naturelle du pere de nourrir ses filles adulterines ; mais comme une fille étant en âge d’être mariée n’a plus besoin d’alimens, l’opinion des Docteurs a été que celuy qui devoit les alimens devoit la dot, parce qu’autrement une fille seroit reduite à se prostituer, ibid. Voyez les Arrests de ce Parlement que j’ay remarquez sur l’Article CCLXXV.

La Jurisprudence Romaine a extrémement varié sur cette matière, ce qui a donné lieu à Mr d’Argentré de faire une forte déclamation contre l’inconstance de ces Loix, Art. CCCCI.

En cette Province quoy que la donation d’héritages en faveur des bâtards soit défenduë, on favorise néanmoins autant qu’il fe peut les dons qui n’excedent point ce qui est necessaire pour seur subsistance, et sur tout ce qui est donné pour le mariage des filles.

Un pere en mariant sa fille naturelle luy donna six cens livres, dont il en paya quatre cens comptant, et pour les deux cens livres restans il les constitua sur luy en vingt livres de rentes ses heritiers se défendirent du payement de cette rente, pretendant que sous le mot d’heritares les immeubles tels que les rentes constituées étoient comprises, et que ce cas tomboit sous le terme indirectement ; un homme donnera beaucoup d’argent pour le payement duquel il se constituëra en rente, et celuy qui se constituë en rente vend à prendre sur tous ses biens, ce seroit eluder ouvertement la disposition de cet Article ; au contraire il fut remontré que cette comme ayant été promise pour le mariage d’une fille elle étoit favorable, et que d’ailleurs les deux cens livres auroient pû être aisément prises sur les meubles ; cette affaire néanmoins pour la consequence demeura partagée.

Ine semblable question s’offrit en l’Audience de la Grand. Chambre le 17. de Juillet 167r.

De Houderot avoit donné par son testament soixante livres de rente à son bâtard, et quarante livres de rente à sa bâtarde à prendre sur tous ses biens ; le sieur de Houdetot son heritier rollateral contredit la donation, et l’affaire avoit été portée au Bureau des Pauvres Valides de Roüen, dont le sieur de Houdetot ayant appellé comme d’incompetence, du Hamel soûtenoit que le Bureau ne pouvoit connoître de la validité d’un testament, au principal il con-eluoit suivant cet Article que le legs étoit nul, le pere n’ayant pû donner une rente non plus qu’un héritage par un testament qui d’ailleurs étoit nul n’ayant point été lû, que cette rente étant à prendre sur tous les biens et ne s’étant point trouvé de meubles c’étoit véritablement lonner un héritage, puis que les héritages du testateur en demeuroient chargez : Louvel pour ces bâtards répondoit qu’on ne pouvoit contester les dons qui n’excedoient point ce qui étoit necessaire pour les alimens, il alléguoit même que le testateur avoit laissé plus de meubles qu’il n’en falloit pour executer la donation, et l’heritier les ayant pris sans inventaire il l’étoit pas recevable à alléguer le contraire ; il s’aidoit aussi des Arrests rapportez par Bérault sur l’Article CexLVI. et sur cet Article, qui ont confirmé des donations d’immeubles faites aux filles naturelles pour les marier : Par l’Arrest il fut dit mal, nullement et incompetemment procedé par le Bureau, et faisant droit au principal la donation declarée nulle, et nean-noins on ajugea quarante livres de rente à la fille naturelle, pour laquelle il luy seroit payé quatre cens livres pour la matier, et on ajugea soixante livres de pension au bâtard jusqu’à ce que l’heritier luy eût fait apprendre un mêtier pour gagner sa vie ; et au surplus défenses leur furent faites de prendre le nom de Houderot.

Par autre Arrest du 12. de Juillet 1661. plaidans Renaut et Doublet, on ajugea à un bâtard adulterin cent livres de rente viagere sur la succession du pere, alimeaetorum prestatio pulsat verecundiam, quelque odieuse que soit la naissance, l. Pecuniae, S. De aliment. legat.

Le sieur de Soqueville, Major dans le Château de Dieppe, donna à sa bâtarde six cens livres de rente viagere, le tuteur de ses enfans contesta cette donation, il disoit même qu’elle excedoit la legitime : Je répondois pour cette fille que cette rente étant viagere et pour la ma-rier elle luy tenoit lieu d’alimens, qu’il y avoit une obligation naturelle du pere de la pourvoir, et qu’au surplus elle n’étoit point excessive : Par Arrest du 11. de Juillet 1653. on redui-it par provision la donation à quatre cens livres de rente en attendant l’estimation des biens du donateur ; Pilastre plaidoit pour le tuteur.

Ces donations quand elles ne sont point excessives sont si favorables, que pour peu que l’heritier les ait approuvées ou consenties il n’est plus recevable à les contester. Le Chevalier, sieur de Sainte Marie, donna tous ses meubles à son bâtard et à sa bâtarde ; depuis craignant qu’aprés sa mort le sieur de Sainte Marie son frère ne s’emparât de tous ses meubles, il leur donna par un autre Contrat un héritage de peu de valeur en la presence et du consentement de son frere son presomptif heritier, qu’il déclara saisir de tous ses autres immeubles : cette donation fut insinuée du consentement même de l’héritier ; le sieur de Sainte Marie aprés la mort de son frere fit prendre la succession par benefice d’inventaire à une certaine niéce, et sous son nom il fait casser la donation faite à ses bâtards avec un valet qu’il leur avoit fait nstituer pour tuteur, depuis il se porta heritier absolu, et mariant cette bâtarde il luy donna seulement deux cens livres ; le batard devenu majeur appella de cette Sentence, et remontroit par Noleval son Avocat que cette donation d’immeubles avoit été substituée à la dona-tion des meubles, n’ayant changé la donation de meubles qu’en consequence du consentement de lheritier, et ce consentement étoit d’autant plus fort qu’en faveur d’iceluy son frere favoit saisi de tous ses immeubles, ainsi il ne pouvoit alléguer qu’il n’y avoit consenti que par force et dans la crainte que son frere ne le privât du surplus de son bien. Lyout pour le sieur de Sainte Marie se fondoit sur la disposition expresse de cet Article, et maintenoit que le consentement donné par l’heritier presomptit du vivant de celuy dont il esperoit la succession n’é-roit pas valable, parce que l’on presumoit qu’il n’étoit point volontaire, de sorte qu’il n’étoit point privé de vouloir faire annuller ce qui avoit été fait contre la disposition de la Loy : Par Arrest du 29. d’Avril 1659. la Sentence fut cassée, et la donation confirmée avec restitution de fruits du jour de l’action, en rendant au sieur de Sainte Marie ce qu’il avoit payé pour le mariage de la fille ; les circonstances particulieres porterent la Cour à confirmer la donation.

Par ce même principe suivant l’Arrest rapporté par Bérault on confirma la donation de cinq cens livres de rente faite par un Prêtre à son bâtard, et le motif de l’Arrest fut que les heritiers avoient agréé la donation, et que les meubles leur étoient demeurez que le pere auroit pû donner à son bâtard ; les Parties étoient Hervé Brazard, heritier aux acquests de acques Marguerie, et Moulagni, fils naturel dudit Marguerie.