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CCCCXLV.

Comment s’entend donner et retenir.

Donner et retenir est quand le donateur s’est reservé la puissance de disposer librement de la chose par luy donnée entre vifs, ou qu’il demeure en la pofsession d’icelle.

Plusieurs Coûtumes sont conformes à la nôtre ; Paris, Articles 174. et 175. Orléans, Articles 283. et 284.

Ce seroit donner imaginairement que de retenir la libre disposition de la chose donnée On rendroit ce Contrat fort commun si l’on pouvoit donner et en même temps faire dépendre de sa pure volonté l’effet de la donation, et il ne resteroit aucune différence entre la do-nation entre vifs et la testamentaire : Il faut donc pour donner entre vifs que le donateur se dessaisisse actuellement de la proprieté, et sans en pouvoir retenir la disposition ; Est enim verentio prasertim diuturna testis non tam ponitentiae post actum, quim simulati actâs initio ipfius, Argentré Argent. Art. 226. gl. 1. La nécessité que l’on impose au donateur de se dessaisir modere ses emportemens et le fait donner avec plus de circonspection.

C’est un usage general que la tradition naturelle ou civile est necessaire, Moribus Galliae placitum donationis citra traditionem veram aut fictam nullius est momenti, Baro in posteriori parte Comment. Ad Tit. de rer. Divis. instit. Et Me Charles du Moulin en son Conseil 60. est de ce sentiment, que c’est même donner et retenir si le donateur retient par devers luy et demeure saisi du Contrat de donation, parce que demeurant saisi de l’acte qui en fait la preuve il fait assez paroître son intention que l’execution de la donation dépende de sa volonté : si donator omnes schedas, etiam protocola penes se trahat in sua potestate, tunc apparet quod donatio non est conclusa : Mr d’Argentré n’estime l’opinion de du Moulin véritable que quand la donation a été faite à un absent, ou qu’elle n’a point été acceptée, mais qu’aprés l’acceptation il ne dépend plus du donateur de ruiner la donation si la possession a été transferée, Art. 226. gl. 1. Pour concllier les sentimens de ces deux Auteurs, l’on peut dire que l’opinion de du Moulin est veritable lors que le donateur demeure saisi de l’original de la donation, et que le donataire n’est point entré en possession quoy que la donation ait été acceptée ; mais lors que la donation a été acceptée et que le donataire a pris actuellement la possession de la chose donnée, elle ne deviendroit pas aulle encore que le donateur eût retenu l’original de la donation, car cette retention peut être faite par d’autres motifs que celuy de vouloir demeurer le maître de la chose données que s’il paroissoit au contraire que le donateur eût retenu le Contrat, par ce seul motif de pouvoir revoquer ou annuller la donation, ce seroit proprement donner et retenir. Par l’Atrest du Cerf que j’ay rapporté sur l’Article CCCCXXXI. un des motifs de l’Arrest fut que l donateur étoit toûjours demeuré saisi des Contrats, et qu’ils avoient été trouvez parmy ses écritures. La Loy 1. C. de donat. désire pour la perfection d’une donation que l’instrument en soit expedié, et qu’il soit mis entre les mains d’une personne publique ; et dans le Paragraphe dernier de la Loy finale, de donat. D. le Jurisconsulte refoud que la donation d’une somme d’argent faite par une ayeule à son petit-fls absent étoit parfaite bien qu’elle en eût toûjours reçù les interests, et qu’elle fût demeurée saisie de l’acte : Respondi cum debitor Labeoni nepoti obligatus esset perfectam esse donationem ; de sorte que la decision de cette question, si c’est donner et retenir lors que le donateur retient par devers soy l’original de la donation, dépend le plus souvent des circonstances du fait

en consequence de cette Loy qui désire que le donateur se dessaisisse et qu’il ne puisse retenir ce qu’il donne, on a demandé si la donation des biens-meubles ou immeubles que le lonateur possede maintenant et qu’il delaissera ou qui se trouveront lors de son decez et à la charge d’acquiter ses dettes est bonne et valable : Car n’est-ce pas véritablement donner et retenir lors que le donateur ne se lie point les mains, et qu’au contraire il peut disposer librement des choses données, qu’il peut les diminuer ou les augmenter, et même rendre la do-nation entierement inutile et illusoire par les dettes qu’il peut contracter, et ausquelles les thoses données demeurent affectées : Et c’est pourquoy par la disposition expresse de plusieurs Goûtumes ces donations sont nulles : Nevers, des Donat. Art. 3. Auvergne, c. 14. Art. 19. et 20. Bourbonnois, 212. sur tout les donations de cette nature ne peuvent valoir à l’égard les propres : Car pour les meubles et le tiers des acquests puis qu’il est permis d’en disposer par testament, l’on pourroit les faire valoir comme donations à cause de mort et testamentaires ; mais n’étant permis de donner de ses propres qu’entre vifs, il faut que, celuy qui en veut disposer en cette manière se lie entierement les mains, sans que l’execution de la dona tion ait trait au jour du decez, autrement c’est donner et retenir, la donation ne pouvant valoir comme testamentaire.

Pour la resolution de ces difficultez il faut premierement établir ce principe que la regle donner et retenir ne vaut, n’a lied que quand il s’agit de la donation d’une chosé particuliere, vertae rei, et qu’il faut faire difference entre la donation d’une chose singulière et la donation Masuer enerale de tous les biens ou de partie d’iceux, inter donationes omnium bonorum, vel partis eorum, & donationem rei singularis ; Masuer, Tit. de legat. n. 2. et 3. En second lieu il faut faire distinction des choses données et de la maniere qu’elles ont été données : lors que la donation est faite des immeubles et des meubles que le donateur aura lors de son decez elle est valable, parce que c’est une donation universelle où il n’est requis aucune tradition, et laquelle n’a son effet que pour les biens que le donateur laisse lors de son decez, et l’on presume que le donateur n’a entendu donner que cela, et que durant sa vie il se constitué possesseur au nom du donataire, et il suffit que le donataire ait l’esperance de pouvoir profiter de ce qui restera ors du décez du donateur : On fonde cette decision sur la Loy Ex hac scriptura 1i6. de donat.

D. sciant lieredes mei me vestem meam universam et res cateras quascunqué in diem mortis mea mecum habui, illi et libertis meis vivum donasse : Le Jurisconsulte Ulpian resoud dominium ad li-bertos benigna interpretatione pertinere, quoy qu’il n’y ait aucune tradition réelle, ny chose equipoliente, ny retention d’usufruit, ny clause de constitution ou precaire ; mais l’on feint qu’inest tacite et juris intellectu clausula constituti, quamvis non exprimatur.

La question a été plus grande pour la donation des propres entre vifs, dautant qu’on ne pourroit le faire valoir comme testamentaire, comme je viens de le dire : Et le Commentareur de MrLoüet , l. D. n. 10. dit qu’à l’égard de la donation des meubles et acquests elle fut confirmée par Arrest du Parlement de Paris, et qu’à l’égard de la donation des propres elle fut appointée au Conseil ; mais presupposant que ces donations universelles sont valables pour ce qui reste de biens au donateur lors de son decez, et parce que l’on feint et l’on fupplée par une favorable interpretation une clause de constitut ou precaire, il y a lieu et pareille raison de faire valoir la donation pour le tiers des propres qui resteront au donateur, comme pour les acquests et les meubles.

Mais il semble que c’est faire une illusion manifeste à cette regle, donner et retenir ne vaut que d’approuver les donations de biens que le donateur a et aura en mourant, à la charge que ce que le donateur se trouvera devoir alors sera payé par le donataire, puis que le donateur peut créer tant de dettes qu’il rendra le don inutile : Cependant ces espèces de donations ont été confirmées par les Arrests rapportez par Mr Loüet et son Commentateur, I. D. n. 10. par cette raison que la donation étoit parfaite dés son commencement, et que l’execution seule et la consommation d’icelle étoit differée C’est une jurisprudence generale que la regle donner et retenir n’a point lieu pour les donations faites en faveur de mariage, non seulement à l’égard de celles que les conjoints se font l’un à l’autre, parce qu’en ce cas ils semblent posseder l’un et l’autre, mais aussi pour celles qui sont faites par un étranger ; tous les soupçons de fraude qui naissent de la retention que le donateur fait dé la chose donnée cessent en cette rencontre, et c’est pourquoy du Moulin sur l’Article 160. de l’ancienne Coûtume de Paris a dit que la regle donner et retenir ne vaut, étant contre les fraudes elle n’a lieu en Contrat de mariage : De laLande , Att. 183. de la Coûtume d’Orléans : Brodeau sur MLoüet , 1. D. n. 10.