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CCCCXCV.

Reception des deniers du mary pour retraits faits au nom de sa femme.

Le mary ou ses heritiers peuvent repeter la moitié des deniers qu’il a déboursez pour retirer l’hrritage au nom de sa femme.

La disposition de cet Article est fort raisonnable, le droit de retirer appartenant à la femme, il étoit juste que le mary luy fist part du profit ; le mary pouvant intenter l’action en réttait sans le consentement de sa femme et sans sa procuration, et même contre sa volonté, elle doit avoir au moins cette liberté et ses heritiers pareillement, de refuser ce qui est retiré par fon mary, car bien qu’elle ne doive rendre que la moitié des deniers deboursez, neanmoins comme elle est encore obligée de rendre la moitié des augmentations sur ce fonds, cette repetition pourroit devenir onereuse à la femme : et c’est pourquoy il doit estre en sa liberté de refuser ou d’accepter le retrait.

On ne revoque point en doute que le mary ou ses heritiers ne puissent repeter la moitié des deniers qu’il a deboursez pour retirer un héritage au nom de sa femme, quand elle n’étoit point separée de biens d’avec luy : Mais on a donné des Arrests differens sur cette question, si quand la femme étoit separée de biens, le mary ou ses heritiers pouvoient repeter tout ce qui voit esté deboursé, ou seulement la nioitié : Je rapporteray les Arrests donnez sur cette matiere, et en suite je remarqueray la distinction qu’il faut y apporter pour les concilier.

Gabriel Eudes, sieur de Beauregard, qui avoit épousé en seconde nopces Dame Jacqueline Hamon, et d’avec laquelle il étoit separé de biens, retira en son nom une terre : aprés la mort de cette femme sans enfans, simon de S. Germain, sieur Devoy, ayant pris possession de cette terre, le sieur de Beauregard leur demanda le prix entier qu’il avoit deboursé, alléguant que sa femme étant separée de biens d’avec luy et joüissant de ses droits, on ne pouvoit dire qu’elle eût contribué au bon ménage dont l’acquest avoit été fait : Les Resormateurs s’étant fondez sur cette raison, en faisant la disposition portée par cet Article, autrement ils auroient permis au mary de faire un avantage à sa femme, quoy que cela luy soit defendu par tant d’autres Articles ; il faut donc entendre cet Article des femmes qui ne sont point separées comme la fem-me qui a part aux acquests en est privée lors qu’elle est separée de biens d’avec luy, parce que la separation est une mort civile qui dissout et interrompt le cours des effets civils du maâage ; il en doit être de même dans l’espèce de cet Article : cette question ayant été partagée en la Chambre de l’Edit et en la Grand-Chambre, elle l’auroit encore été les Chambres assemblées, si les heritiers du mary n’avoient eu une voix davantage en la Chambre de l’Edit, et il passa à dire que le mary ne pouvoit repeter que la moitié des deniers qu’il avoit deboursez, par Arrest de l’11. de May 1632. le prix du rettait étoit de trois mille livres, les heri-iers furent condamnez de rembourser quinze cens livres.

On jugea le contraire entre de Bernieres, sieur d’Acqueville, et Fauvel, sieur de l’Ebisé, et les gritiers de la femme furent condamnez de rembourser le prix entier.

Auffe pareil Arrest du 13. de Mars 1655. au Rapport de Mr Cormier, entre Jeanne de la Perrelle femme de Claude Fervaques et d’avec luy civilement separée, et les creanciers dudit de Fervaques ; il avoit retiré des héritages au nom de sa femme qui étoit separée d’avec luy : sean du Hommey creancier du mary faisit réellement les biens du mary, et même il comit dans cette saisie ce que le mary avoit retiré au nom de sa femme : sur l’opposition de la art de la femme aux fins de distraire le Vicomte luy accorda sa demande, le Bailly au Siege. d’Otbec cassa la Sentence ; sur l’appel de la femme la Sentence fut confirmée, et la femme fut condamnée de rembourser le prix entier du retrait.

Pour concilier ces Arrests il faut faire une distinction entre les créanciers et les heritiers ; n à l’égard des créanciers comme la separation met la femme à couvert de toutes leurs demandes, et la rend exempte de toutes les dettes de son mary ne souffrant rien pour son mauvais ménage, et que d’ailleurs elle joüit de son bien et peut en faire son profit, il ne seroit pas uste qu’étant à couvert de toutes risques elle profitât du bien de son mary au prejudice de ses créanciers, et sa condition ne doit pas être meilleure que si elle avoit renoncé ; aussi cet Article ne parle que du mary et de ses heritiers, et comme si l’acquest étoit en bourgage elle auroit la moitié, à plus forte raison elle ne doit rendre que la moitié des deniers, puis que cessant son nom et sa qualité son mary n’auroit pû retirer, ny par consequent joüir du profit ui pouvoit revenir de cette action en rétrait.

Mais comme elle ne pourroit avoir part aux acquests qu’en se declarant héritière de son mary et en devenant sujette à ses dettes, il faut aussi à l’égard des creanciers que si elle veut user de l’avantage que son mary luy a procuré elle contribuë aussi aux dettes qui peuvent même avoir été contractées pour parvenir à ce rettait, bien que le Contrat n’en fasse aucune ention, et c’est l’espèce de l’Arrest de l’Ebisé, car le sieur de Bernieres étoit un creancier, et c’est aussi l’espèce de l’Arrest contre Jeanne de la Perrelle.

Les heritiers du mary sont d’une autre condition, cet Article dispose en termes generaux ue le mary ou ses heritiers, &c. or bien que la femme soit separée cela ne change point la disposition de cet Article, car la separation est un benefice de droit accordé à la femme qui ne luy doit point être prejudiciable ny luy ôter ses droits, quand son mary se trouve en meilleure fortune, et c’est l’espèce de l’Arrest du sieur Devoy qui étoit heritier de sa mere, et le sieur Eudes Beauregard pretendoit luy faire rapporter le tout.

Cela neanmoins pourroit recevoir aujourd’huy plus de difficulté en consequence de l’Art. 80. du Reglement de 1666. suivant lequel la femme separée ne peut demander part aux acquests que son mary a faits depuis sa separation ; car la Cour n’ayant pas trouvé juste que la femme qui joüit separément de ses droits prenne part aux meubles et aux acquests qui ont été faits depuis sa separation, parce que l’on presuppose qu’elle n’y contribue ny de son bieft ny de sa collaboration, cette raison n’a pas moins de force pour l’obliger ou ses heritiers à restituer le prix entier pour retirer l’héritage qui luy demeure entièrement, c’est en ce cas une donation de la part du maty bien moins favorable quand la femme est separée que si elle ne l’étoit pas, car quand elle n’est point deparée les deniers que son mary employe pour retirer en son nom proviennent en partie et de son bien et de sa collaboration ; ainsi ce n’est pas une pure liberalité, mais une juste retribution pour ses peines : Toutes ces considerarions cessent quand elle est separée, la femme ne contribuant plus tien à l’augmentation de la fortune de son mary, et ne songeant plus qu’à son interest particulier. On peut alléguer en fa-veur de la femme que la separation est à son benefice, qu’il la faut imputer au mauvais mépage de son maty, et qu’elle en souffre la peine : qu’aprés tout c’est une illusion de dire qu’elle n’a point contribué de son bien et de ses soins pour amasser l’argent que son mary a déboursé pour elle, la separation ne s’étend pas si loin, sa fin et son effet principal n’est que pour prevenir les saisies des créanciers, mais nonobstant cela tout le bien de la femme ne laisse pas de se consumer dans la maison du mary, et la femme separée n’a pas moins de vigilance et d’attachement pour la conservation et l’augmentation des biens de son mary que celle qui ne l’est pas ; aussi la Cour a jugé en sa faveur Cette repetition de la moitié des deniers de la part du mary et de ses heritiers fut jugée en un cas peu favorable : Un mary qui avoit des enfans de sa femme retita des héritages au nom d’ireux ; cette femme étant mone il passa en un second mariage, durant lequel il ne pensa point à repeter de ses enfans la moitié des deniers qu’il avoit déboursez pour retirer au nom de leur mère ; mais aprés sa mort cette seconde femme en demanda la restitution, pretendant avoit sa part en ces deniers que son mary pouvoit repeter pour ce iettait comme étant un meuble : Par Arrest du 15. de Decembre 1655. au Rapport de Mr de Montenay, quoy que plusieurs fussent d’avis qu’elle n’étoit pas recevable à les demander aux enfans le pere étant presumé les leur avoir temis, et il passa toutefois à dire que ces deniers que le mary ou ses heritiers peuvent repeter ne sont pas un propre ny un acquest immeuble, et que c’est un pur meuble, parce qu’on n’a qu’une action pour demander des deniers, et que le bien rétiré étant un propre maternel, il ne pouvoit devenir un propre paternel, entre Cresigny et autres : Il est si vray que ces deniers que le mary ou ses heritiers peuvent repeter sont un pur meuble, que si la femme a divers heritiers ausquels on fasse cette demande, c’est à l’hetitier aux meubles à les payer, quia nihil aliud est in prastatione quam pecunia.

Berault cite un Arrest par lequel il a été jugé que lors que le mary est tenu d’employer en héritage les deniers dotaux de sa femme, s’il les employe à retlrer un héritage au nom de a femme il ne pourra les déduire sur ce qu’il étoit tenu d’employer : mais Godefroy estime que cela n’est pas juste, parce que le mary s’étant obligé à faire ce remploy, et n’étant pas tenu de retirer au nom de sa femme s’il ne luy plaist, il a pû faire un remploy de cette nature neanmoins l’Arrest peut être soûtenu par cette raison, que le droit de retrait appartenant à la femme elle en doit profiter, ce qui n’arriveroit pas si le mary pouvoit déduire tout ce qu’il auroit payé