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CCCCCX.

Deniers de fermages et arrerages de rentes foncieres et hypotheques.

Les deniers des fermages sont censez meubles du jour que les fruits sont perçûs, encore que le jour du payement ne soit échû. Et pour les rentes foncieres et hypothecaires, les arrerages qui sont dûs jusques au jour du decez, sont reputez meubles.

Cet Article a deux parties : dans la première, la Coûtume déclare meubles les deniers des fermages du jour que les fruits sont perçus, encore que le jour du payement ne soit point encore échû ; et dans la seconde, les arrérages des rentes foncitres et constituées qui sont dus jusqu’au jour du docez sont reputez meubles

Les fruits étant ameoblis aprés la S. Jean, par l’Article CCCCCV. il semble que les deniers des fermages devoient être pareillement censez meubles aprés ce temps-là, et nonobstant la disposition si expresse de cet Article, on ne laissa pas de le juger de la sorte en la Chambre. des Vacations le 18. de Septembre 1632. entre Abraham du Tot et Georges Noel sur ce fait Un mineur étant décedé deux jours aprés la S. Jean de l’année 1631. son trere uterin luy succeda aux meubles, et un sien oncle au propre qui étoit baillé à ferme, et les deniers du fer-mage étoient payables à la S. Jean et à Noel 1631. cet heritier aux meubles demanda le terme de Noel, se fondant sur l’Art. 505. par lequel les fruits sont reputez meubles aprés la S. Jean, or le fermage étant au lieu des fruits il devoit tenir la même nature ; l’heritier au propre reprefentoit qu’il seroit étrange qu’un heritier aux meubles joüit du propre six mois aprés la mort du défunt, que cette pretention étoit fort opposée à l’esprit de la Coûtume : car elle a fait distinction entre les fruits et les fermages, quand un proprietaire joüit par ses mains, et qu’il décede aprés la S. Jean, les levées qui luy appartiennent sont censées meubles ; et c’est l’espece de l’Article 505. et la Coûtume en a disposé de la sorte pour faire cesser la difficulté qui pouvoit naître de la I. Fructus pendentes, D. de usufr. mais lors que l’héritage est donné à ferme, les evées appartiennent au fermier et les fermages au proprietaire ; et suivant cet Article les fermages ne sont reputez meubles que du jour que les fruits sont perçûs : or les levées n’ayant été recueillies qu’aprés le décez de celuy de la succession duquel il s’agit, elles ne peuvent appartenir à l’heritier aux meubles. Si la Coûtume avoit reputé meubles les fermages aprés le jour de S. Jean, cet Article non seulement seroit inutile, mais même il ne pourroit être veritable, car l’Article 505. suffisoit seul, si les fermages étoient meubles aprés le jour de la S. Jean. Entre les héritages qui se baillent à ferme, il y a des enclos et des jardins dont les fruits consistent en pommes, en poires et en raisins, et neanmoins ces sortes de fruits ne deviennent meubles qu’aprés le premier jour de Septembre ; il n’y a donc pas d’apparence de reputer des fermages meubles aprés la S. Jean, puis qu’ils consistent en diverses sortes de fruits dont une partie ne devant et n’est censée meuble que long-temps aprés, et comme dit la Loy Defuncta 5S. de usufr. D. defuncta, usufructuaria mense octobri collectis per colonos fructibu mense Decembri pensiones que Calendis Martiis debentur ad beredes fructuarii pertinent, quia fructus collecti érant ; de même les fermages n’appartiennent point à l’heritier si le fermier n’a point recueilli les fruits ; nonobstant ces raisons par l’Arrest l’on ajugea le terme de Noel à l’heritier aux meubles, sur ce déduit la valeur des pommes et des poires.

Cet Arrest de la Chambre des Vacations renverse si formellement cet Article, qu’il ne peut être soûtenu fi les deniers des fermages sont ameublis aprés le jour de la S. Jean ; cet Article ne peut être vray en ce qu’il contient, que les deniers des fermages sont reputez meubles du jour que les fruits sont perçûs. Si la Coûtume ne s’étoit pas expliquée on auroit pû induire avec apparence que les fermages devoient être censez meubles aprés la S. Jran, puis que la Coûtume ameublit les fruits aprés ce jour là, et que les fruits étant la cause de l’ebligation elle devoit suivre leur condition. La Coûtume n’ayant point fuivi le Droit Romain. ny la jurisprudence presque universelle dans tous les païs Coûtumiers qui ne reputent les fruits meubles qu’aprés qu’ils sont separez du sol, on pouvoit presumer qu’elle n’avoit point eu aussi aucun égard à cette jurisprudence pour les fermages, et qui’elle avoit eu cette intention de les ameublir dans le même temps et de la même maniere que les fruits, et ce fut sans doute le fondement de l’Arrest, mais son intention est trop claire par cet Article : Aussi Mr d’Argentré raisonnant sur cette même espèce dit que qui ratione pradii centum conductionis. nomine promifit anno inchoato in natali Domini 1567. dimidio pensionis soluto in natali Loannis 158S. si mense Junio moriatur fimito usufructu morte ejus, & quod solutum est proprietarius ab heredibus Argentré vejus repetet, & reliquum pensionis exigot, quia fructus naturales mense Augusto et Septembri intidunt ; Argent. Art. 76. glos. 5. n. 5.

Cet Article en toute son étenduë est conforme au Droit Romain et au sentiment de tous les Docteurs qui font deux sortes de fruits, naturels et civils : Ils comprennent sous les fruits naturels non seulement tout ce que la terre produit, mais aussi tout ce qui en provient par le travail et par l’industrie des hommes, ce qu’ils appellent aussi fruits industriels, fructus paturales dicuntur, quod ex re ipsa et corpore nascantur, l. Vsura 121. D. de verb. signif. et l’on met en ce rang tous les grains, les foins, et les fruits des arbres. On appelle fruits civils ceux qui ne proviennent pas de la chose, mais qui sont dûs ou produits en vertu de la Loy ou de la convention des contractans, que ex civili causa, & obligatione nascuntur, et c’est pourquoy sunt obventiones potius quam fructus, quia non ex ipfo corpore, sed ex alia causa proveniunt.

On comprend dans les fruits civils les arrerages des rentes foncieres et constituées, les deniers de fermages, et les arrerages de cens et rentes Seignouriales, les profits de fief, lods et ventes, amendes, confiscations, desherances, et semblables droits de Jurisdiction, l. Si navis,. de rei vindic. l. Mercedes de petit. hered.

Comme les fruits sont de diverse nature, aussi-la manière de les gagner et de les acquerir est fort differente, les fruits naturels appartiennent à celuy qui a droit de joüir du fonds lors u’ils sont separez du sol, avant cette separation ils font partie du fonds, et par consequent ls demeurent à celuy auquel il retourne, si l’usufruitier décede avant qu’ils soient siez et coupez, fructus naturales pendentes judicantur ut fundus, & sunt ejus pars et quid immobile, si jure sint separati statim sunt quid mobile ;Bald . C. unico, S. Sciendum de feud. cognit.

Il faut neanmoins que cette perception se fasse sans fraude, et que les fruits soient cueillis lors qu’ils sont en maturité ; car si l’usufruitier pour en profiter avoit anticipé le temps de leur maturité, ses heritiers seroient tenus de les rendre. Nôtre Coûtume pour faire cesser outes ces difficultez a sagement limité un temps certain, aprés lequel les fruits naturels étoient censez meubles, qui est le lendemain de la S. Jéan

Les fermages étant dûs à cause des fruits, on regle leur nature de meuble et d’immeuble par la même Loy, de sorte qu’avant la perception des fruits ils sont reputez immeubles ; mais aussi-tost aprés la recolte des fruits ils deviennent meubles, bien qu’ils ne se payent que longtemps aprés, la raison est que les fermages sont acquis au propriétaire ou à celuy qui joüit du sonds du jour que les fruits sont perçûs, et le payement n’en est retardé que pour la commodité du fermier : ainsi l’on ne doit pas considèrer l’écheance du terme de payement, mais la cause de l’obligation qui est la perception des fruits, qui doit par consequent suivre la condition des fruits puis qu’ils luy donnent l’être, comme il est décidé dans la Loy Defuncta, D. de usufr. dont j’ay déja rapporté les termes. Nos Reformateurs ont suivi en ce chef le Droit Romain, quoy qu’ils eussent établi une autre maxime pour l’acquisition des fruits et pour les rendre meubles ou immeubles.

Pour les fruits civils il y en a de deux sortes, les uns sont dûs et s’acquierent en un monent, comme les Treiziémes, les Lots et Ventes, les Amendes, les Confiscations, et autres droits semblables : Pour acquerir ces sortes de fruits on considere seulement le moment auquel Argentré ils commencent à être dûs, protinus arque ullum horum inciderit debentur et usufructuario queruntur, etiam si postridie ejus diei quo inciderunt ususfructus finiatur ; Argent. Art. 76. glos. 5.

Il n’en est pas de même des revenus et des dettes successives et coutantes, que tempus successivum requirunt ad acquisitionem, comme sont les loyers des maisons, les gages, les rentes foncieres et constituées, et autres fruits qui ne s’acquierent que par succession de temps : car ils se partagent à proportion du temps ; in his rata temporis fpectatur, et l’usufruictier prend part à ces sortes de fruits pour autant de temps que sa joüissance a duré, et ce qui reste à Argentré choir demeure au proprieteire ; Argent. ibid. Hinc est, dit duMoulin , quod in pensionibus domorum, mercedibus operarum quia tempus successivum habent & quotidie deberi incipiunt, inspicitur remporis rata ad acquisitionem,Molin . de feud. 5. 1. glos. 1. n. 50. et sequent.

Pontanus sur l’Article 78. fait trois espèces de fruits civils. La premiere pour les fermages les terres, et comme ces fermages sont subrogez au lieu des fruits pour sçavoir à qui ils doisent appartenir, il faut considèrer le temps auquel les fruits se perçoivent. La seconde espèce de fruits consiste en ces loyers, rentes et redevances courantes et successives, quorum fructus quotidie renascuntur et quotidie deberi incipiunt, encore qu’elles soient payables à certam temps. elles se divisent neanmoins à proportion du temps et pro rata temporis : et la troisième espèce est de ces fruits qui tombent et s’acquierent tout d’un coup momento temporis, et ils sont acquis aussi-tost qui sont dûs ; et Mr Cujas estimoit que pour prevenir toutes ces difficultez, il étoit plus à propos de suivre l’exemple des usufruitiers du mary qui partagent entr’eux les fruits pendans par les racines, et qui ne sont point encore perçûs pro rata anni. Suivant la Loy Papinien Divortio, S. Papinianus, D. solut. matr. Mais nôtre Coûtume en cet Article a suivy la doctrine que de la I. Defuncta, et des Auteurs que j’ay citez On fait neanmoins quelque difference pour les rentes qui sont dûës par le Roy : la, sur l’Article 207. 1. des Success. Lande la Coûtume d’Orléans, remarque que pour les rentes duës par la Maison de Ville de Paris, ou par le Roy, le terme de l’échéance est l’ouverture du Bureau, et le payement que le Roy en fait faire, et qu’auparavant elles ne sont censées ameublies, bien que le terme soit échû, parce qu’ils dépendent de la volonté du Prince qui en regle et recule les payemens selon les nécessitez de son Etat, et Brodeau sur l’Article 91. de a Coûtume de Paris, dit que c’est une Maxime autorisée par plusieurs Arrests.

On a pareillement suivy cette Maxime en ce Parlement, et par Arrest du 17. de May 1668. donné en l’Audience de la Grand. Chambre, il fut jugé que les arrerages des rentes sur les Aydes de Paris, appartenoient à celuy qui en avoit la joüissance lors de l’ouverture du Bureau pour en faire le payement, quoy que les arrerages fussent échûs du temps d’un autre ufu-truitier : Entre M. Lozier Avocat du Roy à Caudebec, appellant d’une Sentence arbitrale renduë par trois Avocats de la Cour ; la Sentence fut cassée, et l’on tint pour Maxime que les ar-rerages n’étoient point ameublis du jour de l’écheance ; mais du jour que le Bureau avoit été ouvert pour en faire le payement. On se fonda sur cette raison que ces arrerages n’étoient point exigibles à l’écheance de chaque année, à cause de l’autorité du Prince, et que l’on ne ses devoit censer meubles que du jour que le payement pouvoit en être exigé, et que chacun doit joüir de ce qui se paye durant son usufruit : On peut neanmoins dire au contraire que le reculement du payement ne change point la nature de la chose qui est dûé par la même raison, que les deniers des fermages ne laissent pas d’être meubles aprés la perception des frusts, bien que les termes des payemens ne soient point encore échûs ; mais on replique que les deniers des fermages sont exigibles aprés le terme échû, et que les arrerages des rentes dûës par e Roy ne le sont qu’à sa volonté.