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CCCCCXLII.

Hypotheques du remplacement des biens de la femme autres que les dotaux.

Et quant à tous autres biens immeubles appartenans aux femmes, autres que leur dot, soit à droit de succession, donation, acquisition ou autrement, s’ils sont alienez par la femme et le mary ensemble, ou par la femme du consentement et autorité de son mary, et que l’argent provenant de la vente n’ait été converty au profit de la femme, comme dessus est dit, elle doit avoir sa recompense sur les biens de son mary, mais l’hypotheque prend seulement pied du jour de l’alienation : et où le mary seroit non solvable, subsidiairement contre les detenteurs desdits biens, lesquels en seront quittes en payant le juste prix d’iceux, eu égard à ce qu’ils valoient lors du Contrat.

Cet Article est tiré mot pour mot de la l. Fin. 8. fin. C. qui potior. in pign. hab. La dot avoit de grands privileges, hec autem, dit la l. tantùm ad dotem sancimus non ad ante nuptias donationem, quam suo tempore servire disponimus & habere inter creditores sui temporis ordinem.

Mr d’Argentré dit que par les Coûtumes de France il n’y a plus de difference entre les biens de la femme : Nôtre Coûtume toutefois y en met une fort importante lors qu’il est question de leur hypotheque ; car pour la dot lors qu’elle a été alienée par le mary du consentement de sa femme, elle en a le remploy sur les biens de son mary du jour de son Contrat de mariage, et pour ses autres biens qui lui sont venus par succession, donation, acquisition ou autrement, l’hypotheque ne lui en est donnée que du jour de l’alienation, et en cela la femme n’en souffre aucun prejudice ; car quoy que la disposition de cet Article soit avantageuse pour ceux qui ont contracté avec le mary depuis le mari ge, neanmoins la femme ne court aucune risque pour ses biens non dotaux quoy qu’elle n’en ait recompense que du jour de la vente, parce que si son mary se trouve insolvable elle retourne sur les dérenteurs de ses biens alienez.

Cette distinction de biens est fort équitable et fort necessaire, et sans doute nos Reformateurs firent reflexion que la disposition de l’Article CCCCCXXXIX. causeroit trop de trou-bles, et seroit trop favorable au mary qui voudroit tromper ceux qui auroient contracté avec luy sur l’asseurance des biens qu’il possedoit et qui n’étoient point encore chargez de dettes, si on luy donnoit une plus grande étenduë ; car l’on ne peut pas dire que cette hypotheque qu’ils donnoient par cet Article 530. fût en faveur des femmes, et pour empescher ue le consentement qu’elles donnoient à la vente de leurs biens ne leur fût prejudiciable, uis que par l’Article suivant elles avoient droit de reprendre la possession de ces biens quand leurs maris étoient insolvables : ainsi cette hypotheque à qui son donnoit un effet retroactif au jour du mariage ne profitoit qu’aux acquereurs des biens dotaux en les preférant à tous les creanciers posterieurs du mariage ; or l’on ne peut pas dire qu’ils méritassent plus de grace en acquerant d’une femme qui n’étoit point maîtresse de ses actions, et qui ne pouvoit venre que sous une condition indispensable de ne perdre rien, que des creanciers et des acque-reurs qui contractoient avec un mary qui étoit le maître absolu de ce qu’il vendoit, et sans être tenu d’en faire aucune recompense à qui que ce soit : On jugea donc qu’il étoit juste de n’accorder cette prerogative qu’à la véritable dot, et non aux autres biens de la femme pour ne tomber pas dans les abus, et les inconveniens que l’on voit arriver ailleurs en consequence des maximes que l’on y fuit et que j’ay remarquées sur l’Article 539. qui rendent la condition de ceux qui traitent avec un homme fort incertaine et fort mal asseurée ; mais par le moyen de cette distinction d’hypotheques ils n’ont qu’à s’asseurer contre l’alienation que le mary peut faire de la dot et comme elle est presque toujours certaine, les femmes ne succedant point en Normandie, et par consequent n’ayant ordinairement d’autres biens dotaux que ce qui leur ut donné par leur Contrat de mariage, la precaution des creanciers ou des acquereurs du mary n’est pas mal-’aisée à prendre.

Mais quel remede pourroit-on trouver contre ce torrent auquel on se laisse emporter sans raison, comme ils l’avoüent eux-mêmes, si la femme ou ses creanciers qui pretendroient exercer ses droits étoient preférables pour des dettes qu’elle pourroit contracter pour son mary, à des créanciers ou des acquereurs legitimes qui auroient contracté cinquante ou soixante ans auparavant ; C’est donc avec beaucoup de prudence que cet Artide ne donne l’hypotheque à la femme pour ses biens autres que la dot que du jour de l’alienation.

Il est vray que cet Article étoit de nul usage à l’égard des dettes que la femme domiciliée en Normandie pourroit contracter avec son mary, parce qu’elles seroient nulles et de nul effeti mais il étoit fort important et fort necessaire lors que les conjoints vivoient sous des Coûtumes où la femme a qualité de s’obliger et que le mary avoit des biens en Normandie, car en ce cas quelque indemnité que la femme stipule par son Contrat de mariage l’hypotheque n’a point d’effet retroactif, elle n’en peut être recompensée sur les biens de son maty que du jour des Contrats où elle a souserit ; la raison est que les Coûtumes sont réelles, et que pour les choses qui sont dans leur détroit il faut suivre leur disposition, de sotte que l’hypotheque Legale ou Coûtumière ne peut être détruite par la conventionnelle, les particuliers ne pouvant renverser le droit public, ny faire par leurs pactions qu’il n’ait point lieu, mais sur tout l’égard de ceux qui n y sont point appellez : ainsi ceux qui achetent des biens situez en Normandie ne doivent regarder pour leur asseurance que la Loy de la Province, c’est le se ul oracle qu’ils doivent consulter sans se mettre en peine des autres Coûtumes qui n’ont ny orce ny autorité hors leur térritoire : Or étant incontestable que l’indemnité stipulée par la femme, quoy qu’elle soit portée par son Contrat de mariage n’est point un bien dotal, parce ue la dot ne consiste qu’en ce que la femme apporte à son mary, ou qui luy vient en ligne directe, et la Coûtume ne donnant l’hypotheque pour les biens non dotaux, il est d’une consequence neceffaire que jamais la femme ne peut être recompensée de la vente de ses biens ou des dettes qu’elle a contractées pour son mary que du jour de l’alienation, autrement cet Article ne serviroit que de piege à ceux qui acheteroient des biens assis en Normandie ; car quoy qu’ils n’eussent qu’à se mettre à couvert de l’hypotheque de la véritable dot, sans se mettre en peine des alienations que le mary pourroit faire des autres biens de sa femme, ny des autres Contrats qu’elle pourroit souscrire pour luy ou avec luy, puis que l’hypotheque en seroit posterieure sur les biens qui se trouveroient en Normandie, neanmoins la Coûtume de Normandie demeureroit sans effet si les conjoints par mariage n’étoient pas dans son tesritoire, quoy que la chose hypothequée y fut située, l’on convient que s’il s’agissoit de la va-lidité des actes faits par la femme il ne faudroit considerer que la Loy de son domicile : mais en est autrement lors qu’il s’agit de leur execution sur des biens situez en des Coûtumes qui ont contraires, car alors ce qu’il y a de réel ne peut avoir effet que conformément à leurs dispositions : aussi tant s’en faut que la femme ou ses creanciers qui voudroient exercer ses droits pour avoir recompense ou de la vente de ses biens non dotaux ou des dettes qu’elle a contractées avec son mary du jour de son Contrat de mariage, que suivaut l’Arrest que j’ay remarqué sur l’Article 530. il a été jugé que l’acquereur des biens du mary lors qu’il est dépossedé pour le remploy de la véritable dot est subrogé aux droits de la femme pour en avoir recompense hypotbecaire sur les biens de la femme au prejudice de l’acquereur d’iceux : D’oû il resulte que les creanciers exerçant les droits de la femme, bien loin d’avoir hypotheque du jour du Contrat de mariage en vertu de l’indemnité que l’on auroit stipulée, que même acquereur des biens du mary autoit sa recompense sur les biens de la femme au prejudice de ses créanciers posterieurs.