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E que la Coûtume appelle Varech, on l’appelle ailleurs Droit de Bris, et Naufrage. Il est plus mal-aisé de découvrir l’origine de ce mot de Vatech que d’expliquer la chose qu’il signifie.

Me Guillaume Roüillé en son Commentaire Latin sur l’ancienne Coûtume a crû que Varech est un mot Danois, ce qui est vraysemblable : Il y a longtemps qu’il est en usage en Normandie ; les Normans le porterent en An-gleterre comme on l’apprend deStanfort , de Prerogat. Regis Angliae, c. 11. Godefroy où il dit que le Roy d’Angleterre a droit de Varech par tout son Royaume, Rex haber Varechum per totum regnum. Me Jacques Godeftoy dans sa Dissertation sur la l. abiovic, ad l. Rhod. stime qu’au lieu de Varech quelques-uns prononcent Farrecht, qui signifie le droit de ramasser ses marchandises, jus colligendarum mercium : Mais Rheinoldus Roriestius Secrétaite de la ville de Dansic, dans son Traité De jure maritimo Hansiatico, qu’il a donné au public depuis quelques années, parlant du droit de Varech, qu’il dit appartenir au Roy de France à cause de son Duché de Normandie, estime qu’il ne faut pas dire Varech, mais Jabrrecht, qui signifie n droit ordinaire, parce qu’autrefois dans le Nort les Princes prenoient tous les debris à eur profit et en faisoient un revenu ordinaire : ce que l’on peut dire de plus certain est que garech est un ancien mot Normand, et que le temps a fait perdre la connoissance de sa veritable signification.

Il nous importe peu de sçavoir l’origine du nom, pourvû que la chose nous soit connuë Les Usages et les Loix de tous les peuples ont été differens sur cette matiere, elles ont été baibares et inhumaines en plusieurs lieux et durant plusieurs siecles : Celles qui s’observent aujourd’huy sont plus civiles et plus equitables, et il n’est plus permis de profiter du malheur d’autruy : Si quelque spectacle funeste étoit capable d’exciter de la commiseration, il ne s’en pourroit presenter aucun plus luctueux ny plus touchant que celuy d’un naufrage, et il faudroit être plus impitoyable que la Mer même, ce terrible element, pour n’être pas touché de l’infortune de ces malheureux qui sont échapez à la fureur des vents et des ondes Cependant dans toutes les parties du monde et dans tous les siecles passez l’on trouve des Coûtumes et des exemples de gens qui par une barbatie detestable ont voulu profiter des naufrages, et qui ont arraché à ces malheureux ces tristes debris que la Mer plus pitoyable qu’eux leur avoit rendus. Les anciens Gaulois sont accusez de cette barbarie, et suivant le rapport d’un Historien, Hercule ce genereux liberateur des oppressez leur fit changer cette detestable Coûtume ; Diodorus Sicul. Hist. l. 5. c. 2 Les peuples du Nort n’avoient pas de commiseration pour ceux que la Mer avoit épargnez : Les Princes ne se faisissoient pas seulement des marchandises et des biens que la Mer faisoit échoüer sur leurs terres, les personnes aussi étoient reduites en captivité ; on en lit des exemples dans la Chronique d’Albertus Stadensis sur l’année 1112. et dans l’Histoire des Archeve ques de Breme, dont l’Auteur est incertain, il est fait mention d’un Navire venant d’Angleterre, lequel ayant fait naufrage sur les côtes de la Comté de Staden, toutes les person-nes, et même la mere et l’ayeule d’un certain Archeveque nommé Fréderic, furent retenus caprifs, et tous les biens ajugez au Prince : et par le privilege de l’incorporation de la Prusse l’ordre Teutonique, tous les debris des naufrages furent déclarez appartenir au grand maitre, et comme tous ces Princes en faisoient un revenu annuel ils appellerent ce droit jabrrech, comme je viens de le remarquer. Mi d’Argentré s’étonne comment un droit si odieux peut avoir été établi en tant de lieux : Cum ferale et pene crudele genus sit compendii, mirum est gamen pene consensu totius orbis, Provinciarum & regnorum obtinuisse ut tam latè regnet inclementia Argentré animi ; Argent. Art. 56, n. 44.

Nos Normans apparemment en userent avec cette rigueur aprés qu’ils se furent rendus les maîtres de nôtre Ocean ; on leur rendoit aussi la pareille lors qu’ils tomboient entre les mains de leurs ennemis, et durant ces desordres chaque Prince ne manqua pas de s’appliquer tous les debris des naufrages ; quidquid evadebat ex naufragiis totum Fiscus lege Patria vindicabat, passosque naufragium miserabilius violentia Principis spoliabat, quam procella. Hildebernes Archiepi Turonensis, Epist. 32. et 85. Et comme les Sujets se portent aisément à imiter les mauvais exemples qui leur sont donnez par leurs Princes, les Pilotes et les Matelots ou pour se rendre agreables à leurs Seigneurs, ou pour en profiter eux-mêmes, faisoient souvent échoüer et briser les Navires, ce qui leur fut défendu sous de rigoureuses peines, par l’Article 25. des Ju-gemens d’Olonon.

Quoy que la Police et les Loix des Romains fussent si equitables, il semble neanmoins que ces barbares depredations n’étoient pas défenduës en plusieurs lieux de l’Empire Romain : Je ne m’atréteray pas à ce discours, que Juvenal en sa Satyre 4. v. 54. fait tenir à deux flateurs de Domitian,

Quidquid confpicuum pulchrumque est aquore tote

Res Fisci est.

Ny à ces Vers de Manilius, l. 5.

questus naufragio petitur, corpusque profundo Immersum pariter quam praeda exequitur ipsa Mais l’on peut en tirer des preuves de la l. aciooit, D. Ad leg. Rhod. où un Marchand de Nicomedie nommé Eudamon se plaint que son Vaisseau ayant fait naufrage, ses marchandises avoient été pillées ; la qualité des personnes qu’Eudaemon accuse de cette depredation, et la réponse de lEmpereur Antonin, ont fait croire à plusieurs que ce n’étoient pas des particuliers, mais des personnes publiques qui avoient commis ce pillage ; Spoliati direptique sumus à servis publicis : à quoy lEmpereur répond, Ego quidem mundi Dominus, lex autem maris, lege d Rhodiâ, quà de rebus nauticis scripta est disceptetur : D’où l’on induit qu’en ce temps-là sulvant la plus commune opinion des interpretes, les debris des naufrages étoient compris dans les revenus de la Republique, et appartenoient aux Traitans Publicanis, et même que la Loy Rhodia qui étoit d’ailleurs si equitable autorisoit en quelque façon ces depredations, Seldenus de Dominio maris, l. 1. c. 25. Jacobus Gothofredus in diatriba ad dictam legem acioeic de incendio, Vinnius in notis ad dict. leg.

Il y a toutefois peu d’apparence que lEmpereur Antonin, qui fut un Prince si clement et si équitable, eût approuvé une Coûtume si contraire à son naturel, et tant s’en faut qu’il fait Augustinus Saumaise approuvée, qu’Antonius AugustinusGrotius ,Godefroy , Saumaise, et plusieurs autres, estiment qu’il est l’Auteur de cette belle Loy que nous avons dans le Titre du Code de Nau-Constantin frag. quoy qu’elle soit communément attribuée au grand Constantin, et que c’est la même dont Ulpian a fait mention dans la Loy dernière, D. de incend. rui. naufr. C’est la Loy première de ce Titre, dont les paroles sont dignes d’une loüange eternelle : Si quando naufra-tio navis expulsa fuerit ad littus, vel si quando aliquam terram atrigerit ad Dominos pertinean Fiscus meus sese non interponat : quod enim jus Fiscus habet in aliena calamitate, ut de re tam luctuosa compendium sectetur. Ce Prince eut en horteur ceux qui vouloient que son Fisc profit àt d’un si funeste accident, et il ne permit point qu’il s’accrût de linfortune et de la calamité de ceux qui perissoient par un naufrage : au contraire il ordonna que les choses sauvées fussent renduës à leurs premiers maîtres. Les Jurisconsultes Romains qui vécurent aprés l’Empereur Antonin, commePaul , Callistrate, etUlpian , furent tous de ce sentiment que les debris devoient être restituez et conservez à leurs premiers maîtres, l. 1. et 21. de adquir. vol amiti. oss. l. 44. de adquir. rer. dom. l. 1. 3. et ult. D. de incend. rui. et naufr. licere unicuique naufragium suum impune colligere constat, ce qui fut confirmé par une Constitution de lEmpereur Frideric inserée dans le Code t. de Furtis ; Res naufragorem auferri non possunt praetextis alicujus Statuti vel Constitutionis. Auth. navigia ; et par la l. 4. D. de incend. rui. naufr. L’on punit fort rigoureusement ceux qui sont convaincus de la depredation des debris : Enfin tous les Princes ont renoncé à cette injuste pretention, d’attribuer à leur Fisc les debris des naufrages, nulla enim causa pracedenti probabili Dominium alicui suum auferre mera’injuria est.Grot . de jure belll. l. 2. c. 7. n. 1. Henry III. Roy d’Angleterre en fit une Constitution expresse en l’année 1226. pour toutes les Provinces qu’il possedoit encôre en France ; car alors la Normandie n’étoit plus sous sa domination, quoy que par cette Constitution il en prenne encore le titre ; de forte que ce droit de bris est abrogé par tout, et il n’y a plus que les Espagnols qui le pratiquent rigoureusement au delâ de la Ligne, ne permettant qu’aux naturels Espagnols de passer en ces païs-là ;Covarr . in relect. C. peccatum, parte 3. 8. 1. n. 5.

Aprés cela il seroit malaisé de soûtenir la réponse que le Connestable de Monmorency fît aux Ambassadeurs de l’Empereur Charles. Quint, lors qu’ils se plaignirent à Henry Il. de deux Galeres qui s’étoient échoüées dans un Porr, et dont Jourdain des Ursins s’étoit emparé, car il dit à ces Ambassadeurs que le bris étoit confisqué au Seigneur souverain, et que c étoit la Coûtume generale, non seulement dans les païs de l’obeissance du Roy, mais aussi en toute la Mer du Levant et du Ponant ;Bodin , l. 1. de sa Rep. c. 11 La Constitution de Henry III. prouve que ce discours n’est pas véritable, mais j’en rapa porteray des témoignages plus anciens : Car cet usage étoit étably par nôtre ancienne Coûtume ui fut portée en Angleterre, comme on lapprend de Briton Evéque de Herford, qui vivoit sous les Rois d’Angleterre Henty III. et Edoüard Il. Dans les anciennes Loix d’Angleterre qu’il publia par lordre d’Edoüard, on y trouve un Chapître de Trouveures qui contient les mêmes dispositions que nous avons en ce Titre pour le droit de Varech, ce qui montre que ces anciennes Loix étoient l’ancienne Coûtume de Normandie ; et il paroit par ces mêmes Loix que tant s’en faut que le bris fût confisqué au Roy, il étoit confervé pendant une année avec beaucoup de soin et de fidelité pour le rendre aux proprietaires : etStanfort , de Prarogat. Regis Angliae, c. 11. ne donne au Roy le droit de Varech que de la même maniere qu’il étoit étably par l’ancienne Coûtume.

Comme il étoit injuste de retenir les biens qui étoient reclamez aprés le naufrage, il n’a jamais été défendu de retenir et de prendre à son profit ceux que l’on avoit sauvez, lors qu’ils l’étoient point abandonnez ny demandez par aucune personne : Et quoy que régulièrement les choses trouvés et abandonnées doivent appartenir à l’inventeur, et que le Droit Romain. l’ait ordonné de la sorte, l. 56. D. de adquirend. rer. domin. néanmoins en plusieurs lieux les rinces en ont fait un droit de leur Souveraineté et l’ont mis entre leurs Regales : Mais en cette Province le droit de Varech n’appartient pas au Roy seul, la Coûtume en fait part aux Seigneurs dont les teneures s’étendent sur le bord de la mer. J’en parleray plus amplement sur l’Article S597.