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DCVII.

Droiture de servitude de vûës égouts de maisons, et autres choses semblables, par la Coûtume generale de Normandie, ne peut être acquise par posses-sion ou joüissance, fût-elle de cent ans sans titre : mais la liberté se peut raquerir par la possession de quarante ans continuels contre le ttre de servitude.

Cet Article contient deux dispositions remarquables ; la premiere, que lon ne peut acquerir une Servitude sans titre, et que la possession que l’on en auroit euë pour longue qu’elle fût, et même immemoriale et de cent années seroit inutile, si elle n’est fondée sur un titre : la seconde, que la liberté se peut reacquerir par quarante années contre le titre de Servitude.

Les Servitudes semblent être imprescriptibles de leur nature, l. Sequitur, s, ult. D. de usucap.

Servitutes, de Servit. D. la raison est que ce sont droits incorporels qui ne peuvent être possedez, l. Seraus. S. Incorporales de adquir. rer. dom. Or sans possession il ne peut y avoir de prescription, sine possessione eaque continuata nulla est prescriptio. l. sine possessione. D. de usucap.

Et c’est la véritable cause pour laquelle la Loy Scribonia rejettoit la prescription ; car les Romains. n’estimoient pas que la prescription fût contraire à l’utilité publique, et ce n’étoit pas leur dessein de favoriser la liberté des héritages, ce qui a été le motif de nos Coûtumes ; mais ils ne pouvoient se persuader que suivant les principes de leur droit, la prescription se pût acquerir sans possession, usucapionem sine possessione induci ;Connan . l. 4. c. 12.

Par l’ancien Droit Romain la prescription fut admise pour les Servitudes Urbaines ; car encore qu’il n’y eût point de possession l’on estimoit qu’il y avoit toûjours une quasi possession : mais par la Loy Scribonia et par la jurisprudence du moyen âge cette prescription fut rétranchée, Vinnius quest. jur. l. 1. quest. 3.

Pour les Servitudes Rustiques l’on ne les pouvoit acquerir par ces deox raisons : la première, que c’étoient des droits incorporels, quoy qu’ils fussent artachez à des choses corpo-relles, l. Servitutes, 14. D. de Servit. La seconde raison qui est tirée de cette même Loy, est que l’usage de ces Servitudes Rustiques n’est pas continu, et qu’il est interrompu : par exemple, l’on ne passe pas incessamment par un chemin, et l’on ne puise de l’eau à une fontaine ou à un puits que lors que l’on en a besoin : De sorte que les Servitudes Rustiques ne peuvent avoir une possession continuë et certaine, nemo tam perpetub, et tam continenter ire potest, ut possessio servitutis nullo modo interpellari videatur : Or pour acquerir par la voye de la prescription, la possession doit être continuë et sans aucune interruption ; au contraire dans les Servitudes Urbaines la possession est toûjours continuë Il faut neanmoins remarquer que cette maxime que les Servitudes ne se pouvoient prescrire ne s’entendoit que de la prescription de deux années, laquelle autrefois avoir lieu pour les immeubles ; car elle se pouvoit acquerir par une possession de dix années entre presens, et de vingt années entre absens, diuturno & longo usu acquiruntur, l. Si quis diuturno. D. Si Servit. vindic. et en la l. 1. C. de Servit. et adquir. longi temporis consuetudinem vicem servitutis obtinere ciendum est, modo si is qui pulsatur nec vi, nec clam, nec precariâ possidet, ce qui a lieu pour toutes sortes de Servitudes, tamque quarum usus aliquando interrumpitur, ut itineris & viae quam aliis quibuscumque, l. 1. 5. ult. de aqua plu. arcend. l. Apparet de itin. act. priv. mais ce n’étoit pas tant jure prescriptionis quam diuturni remporis, qui faisoit le titre et la constitution de la servitude. Et Ulpian en ladite l. Si quis diuturno, ajoûte que non est necesse de jure suo docere.

Accurse Les Interpretes du Droit ne s’accordent pas fut lexplication de ces mots, de jure suo : Accurse et plusieurs autres l’ont entendu en cette maniere, de jure, idest, titulo, & sic fpeciale est in servitutibus, ut sine titulo prascribantur. Duaren ne peut approuver cette explication, lib. 1. disput. c. 24. et il estime que cette possession de dix ans entre presens, et de vingt ans entre absens, ne peut servir pour prescrire, si ces deux choses ne s’y rencontrent, le titre et la ponne foy, l. Nullo, C. de rei vindic.

Accurse quoy que l’opinion d’Accurse soit la plus suivie, celle de Duaren n’a pas laissé d’être approuvée par nôtre Coûtume, et par la pluspart des autres Coûtumes de France qui n’admet-tent aucune prescription de Servitudes Urbaines et Rustiques par la possession, quelque longue qu’elle soit, sans faire différence entre les Servitudes Urbaines et Rustiques : Car quoy que la Coûtume semble n’avoir exclus la prescription que pour les Servitudes de vûës et d’égouts, et autres choses semblables, qui sont des Servitudes Urbaines ; néanmoins son inten-tion est, et l’usage general l’a confirmé, que toutes sortes de Servitudes ne peuvent être acquises par une possession sans titre : Cette difficulté s’étant presentée en la Chambre des En-quêtes, la Cour procedant au Jugement du procez d’entre Jean Chufles et de Guillaume Longuer, à cause d’un droit de Servitude pretenduë par ledit Longuet sur une pièce de Pré appartenant audit Chofles, pour y faire passer ses bêtes de harnois ; la matière mise en deliberation, tout considéré, la Cour déclara que le premier Article du Titre de Servitudes se doit entendre de toutes sortes de Servitudes Uibaines et Rustiques, et que les unes et les autres ne se peuvent acquerir sans titre par possession de quelque temps que ce soit, par Arrest du 13. Juin 1611.

La longue possession non seulement ne suffit point, mais même elle ne fait point ptelumet e titre, et parce que quelques Docteurs ont été de ce sentiment, que quelque generale quesoit la dispolition qui exclut la prescription, néanmoins la centenaire n’y est point comprise. parce que vim habet constituti, & ideo non solum est prascriptio, sed etiam titulus, & hujusmodi exceptio temporis immemorialis nunquam censetur exclusa, etiam per legem prohibitivam per quecumque verba universam quamcumque prascriptionem excludentia ;Molin . Cons. 26. n. 24. La Coû-tume en cet Article conformément à celle de Paris, Article 186. pour faire cesser cette difficulté a prudemment ajoûté ces paroles, fût-elle de cent ans : Et c’est pourquoy bien qu’on al-légue une possession immemoriale, on n’est pas admis à la prouver pour établir une Servitude : ainsi jugé pour le sieur de Houteville pour les manans et habitans de Platemare, qui pretendoient avoir droit d’envoyer paturer leurs bestiaux dans les prez dudit sieur de Houteville aprés la premiere herbe coupée, et qu’ils en étoient en une possession immemoriale.

Toutes choses étant naturellement libres, et le retour de chaque chose à son premier état étant si facile, les Loix ont introduit des moyens pour tecouvrer la liberté que l’on avoit perduë. En cet Article la Coûtume admet la prescription de la liberté contre la Servitude aprés quarante ans de non joüissance ; de sorte que si durant ce temps l’on n’a point exercé le droit de Servitude sur le fonds lequel y étoit sujet, il en demeure entièrement affranchi, Casius, sur le Titre de Servit. Vrban. Prad. n. 15. dit que libertas servitutis nihil aliud est quâm gladius per quem servitutis jus interficitur.

Suivant le Droit Romain une Servitude se perdoit par deux principaux moyens, confusione, et non utendo, sive usucapione libertatis, qui est celuy que la Coûtume approuve en cet Article : Elles se perdent aussi presque par autant de moyens que l’usufruit excepté par la mort naturelle on civile : jura pradiorum morte vel capitis diminutione non perire vulab traditum est. l. Jura, quemadm. serv. amitt.

La Servitude s’éteint par la confusion lors que le fonds servant et le fonds dominant viennent entièrement en la main d’une même petsonne, l. 1. quemadm. serv. amitt. ce qui est fondé sur cette regle que res sua nemini seroit. Mais pour donner lieu à cette confusion, il faut que le fonds servant soit entièrement retourné au Seigneur dominant ; car si l’on ne possedoit qu’une partie du fonds servant, la servitude subsisteroit sur l’autre partie, l. Vt pomum, 8. 8. 1. de servit. nam cum per partes retineatur servitus, non confunditur ;Connan . l. 4. c. 12.

Quoy que la prescription de la liberté contre la Servitude soit si favorable, et que suivant et Article elle puisse se tacquerir par quarante années, cela ne laisse pas de recevoir de la dificulté dans l’usage et dans la pratique : Premierement, l’on objecte comment une Servitude peut se perdre par le defaut de possession, puis qu’elle ne se peut acquerir par la possession, car par la raison des contraires, ce que le non usage opere pour la perte d’une Servitude, i le doit operer pour la possession et pour l’usage ; mais on répond que continua mea negligentia sse potest ut non utar : Diligentia mea ut semper utar fieri non potest, justè igitur amisit servitutem qui continuo bienno non atitur :Connan . l. 4. c. 12. En second lieu, ces deux questions peu-vent naître souvent : La premiere, comment le droit de Servitude se perd, et comment la liberté se peut acquerir ; et la seconde, si l’on peut s’affranchir de toutes sortes de Servitudes par Je moyen de la prescription.

L’on peut perdre une Servitude comme les autres biens par le defaut de possession, et par non usage pendant dix années entre presens, et vingt années entre absens suivant le Droit Romain, et par quarante années suivant cet Article : L’on ne doit punir neanmoins que la faute et la negligence du propriétaire, car si par quelque force majeure ou par quelque empeschement insurmontable il n’avoit pû user de son droit, on ne luy pourroit imputer de l’avoit abandonné, si par exemple le chemin par où il devoit aller avoit été inondé par la riviere, ou que les sources de la fontaine où il pouvoit prendre de l’eau avoient été assechées et taries durant plusieurs années, il ne seroit pas privé de son droit, si par aprés la riviere retournoit en son lit naturel, ou que la fontaine recommençast à courir, l. Et Atilicinus 35. de Servit. Rust.

Prad.

Il suffit aussi de retenit la Servitude en partie, parce qu’elle est individuë, pro parte retineri, pro altera parte amitti non potest, c’est assez de passer par un endroit d’un chemin ou de le faire couler l’eau sur une partie de l’héritage pour conserver ces Servitudes, l. stillicidii, 5. UIt. quemadm. Servit. amitt. parce que je m’en peux servir selon ma commodité, et comme je le trouve à propos

Si j’ay droit de passage sur deux héritages qui appartiennent à une même personne, je conserve ma possession, quoy que je n’aille que par dessus un seul, si nullo usus sum tota amittitura uno tota servatur, mais si ces deux héritages étoient possedez par deux differentes personnes, la liberté seroit acquise à l’égard du fonds sur lequel je n’aurois point passé ; que si la Ser-Celsus itude étoit dûë à deux personnes conjointement sur un même lieu, la possession de l’un serviroit à l’autre, l. Celsus, eod-

Mais si deux voisins avoient droit de prendre de l’eau d’une même source en la conduisant d’abord par les mêmes canaux, et que la faisant couler separément aprés qu’elle seroit décenduë. sur leurs héritages, la possession que l’un auroit euë ne profiteroit point à l’autre.

Si celuy qui a droit de chemin à pied, à cheval, à charue et charette y passe seulement à sed durant le temps prefix pour la prescription de la liberté, sera-l’il censé avoir conservé le droit d’y passer à cheval et avec charette ; L’on fait cette distinction, que si ces droits ont été donnez par Titres separez, le droit de l’un ne se conserve point par la possession de l’au tre ; mais s’ils sont compris sous un même Titre, il suffit d’y avoit passé à pied pour conserver le droit d’y passer à cheval et avec charettes,Connan . l. 4. c. 12. ainsi celuy qui a roit de prendre de l’eau à une fontaine ne le conserve pas s’il n’en a point usé quoy qu’il ait ét é souvent à cette fontaine, et si is qui haustum habet per tempus quo Servitus amittitur, ad fontem erit, nec aquam hauserit iter quoque amisit, l. 17. eod. La raison est que n’ayant ce passage que pour prendre de l’eau, lors qu’il n’y va point pour cela, il y va sans aucun droit ; et par consequent cela ne luy peut servir pour retenir un droit dont il ne veut point user, nam oportet aut tota Servitute, aut parte ejus uti, ut ipsa retineatur. At aditus ad fontem non est pars aquae haustus, sed quiddam extrinsecum, sine quo tamen subsistere non potest,Connan . ibid. Celuy qui passe par un autre chemin que celuy qui luy a été marqué et designé conserve son droit, quia non aliud, sed plusquam est constitutum facit : Si toutefois je ne vous avois permis de passer que par un certain fonds, bien que vous fussiez allé par un autre, cette posses-sion vous seroit inutile. Il en est de même de celuy qui ne pouvoit prendre de l’eau qu’à une certaine fontaine, et qui auroit été puiser à une autre, non fert hujus Servitutis natura, ut ex alia qua quam cui impositum id juris est haurias, aut ducas.Connan . ibid. En un mot c’est une maxime en Droit, que qui non it, vehit, aquam haurit, aut ducit cum id ipsum et liceat, haud dubium est uin non utatur Servitute, et par consequent l’on ne se puisse affranchir, d’une Servitude.

Cela est sans doute pour les Servitudes Rustiques, mais la grande difficulté consiste à sçavoir si la liberté se peut acquerir, per non usum, pour les Servitudes Urbaines dont la nature consiste presque toûjours ; non pas que celuy à qui la Servitude Urbaine est duë fasse quelque chose, mais plûtost que celuy qui la doit ne fasse et n’entreprenne rien contre la constitution de la Servitude : Par exemple, celuy qui a droit d’empescher son voisin d’élever sa maison ou qu le peut obliger de boucher ses vûës, ne peut jamais perdre son droit, per non usum, et par prescrition, parce que durant tout le temps que celuy qui ne peut hausser sa maison, ny ôter les vûës à on voisin ne fait rien de contraire, le Seigneur du fonds dominant ne peut former d’action, et l’on ne peut encore luy reprocher qu’il neglige son droit, ou qu’il le laisse prescrire ; au contraire il possede toûjours, comme Ulpian le décide fort bien en la l. Et si forte, S. Sciendum. i servit. vend. Sciendum est in his servitutibus possessorem effe juris eundem & petitorem : Et si forte non habeam adificatum altius in meo, adversarius meus possessor est : Nam quum nihil sit innovatum ille possidet, et aedificantem me prohibere potest. Il est donc impossible que la liberté se puisse cquerir ou prescrire par la raison que celuy à qui elle est dûë n’a rien fait, puis que non seulement il n’avoit pas besoin de faire quelque chose, mais qu’il doit être censé avoir toûjouts possedé lors que l’on n’a rien entrepris qui luy fasse perdre le droit qu’il avoit. Ea servitus amitti non potest, cujus aut nullum exercitium est, aut meo est ut nonnihil faciat vicinus.Connan . bid. Il est donc necessaire pour se décharger d’une Servitude Urbaine, que celuy qui la doit entreprenne et fasse quelque acte contraire, qu’il ôte de dessus sa muraille le sommier qu’il étoit tenu de porter, ou qu’il éleve sa maison ; car s’il n’est point troublé dans les quarante ans, la servitude est éteinte par la prescription.

Ces differences sont fort nettement exprimées dans la l. Hac autem jura. 6. de servit. urb. rad. Hac autem jura Urbanorum scilicet pradiorum, et rusticorum certo tempore non utendo pereunt, nisi quod hac dissimilitudo est, quod non omnino non pereunt non utendo, sed ita si vicinus si-mul libertatem usucapiat, veluti si ades mez adibus meis serviant ne altius tollantur, ne luminibus edium earum officiat, et ego per statutum tempus fenestras meas prefixas habuero, ita, demum jus meum amitto, si tu per hoc tempus ades tuas altius sublatas habueris : Alioqui si tu nihil novi fece ris retineo servitutem. La Loy si quis alia, S. Fin. quemad. servit. amitt. en rend cette raison que non potest videri vicinus tuus usucepisse libertatem adium suarum, qui jus tuum non interpellavit : Et la Glose sur cette Loy hec autem jura, que je viens de citer, dit que in prescribenda ibertate necessarium est factum utentis, natura enim harum servitutum Urbanarum est, non ut quid agat is cui servitus debetur, sed ut nihil agit is qui servitutem debet.

Pour un plus grand éclaircissement de cette matiere, il est necessaire d’expliquer quelques différences essentielles d’entre les Servitudes Rustiques et les Servitudes Urbaines. Toutes les Servitudes Rustiques consistent en action, et l’on ne peut s’en servir ny en tirer aucun profit et commodité qu’en agissant ou en faisant quelque ouvrage : Elles sont de deux especes ; il y en a qui n’ont point besoin de main d’homme, que nullum opus requirunt, ce que l’on peut posseder aussi-tost qu’on en a le droit, comme d’un droit de chemin, de puiser de l’eau de mener son bétail à un abreuvoir ; l’on peut joüir de ces Servitudes naturellement et sans faire aucun pouvrage dés le moment qu’elles sont acquises, et c’est pourquoy l’on peut prescrire la liberté contre celuy qui n’en use point, quoy qu’il en eût la faculté : Il y en a d’autres dont on ne e peut servir quoy qu’on en ait la faculié, qu’en faisant quelque chose : Par exemple, l’on de peut avoir un aqueduc qu’en travaillant auparavant à faire les conduits, et à poser les canaux pour faire couler l’eau où l’on s’en veut servir : Or en ces sortes de Servitudes la pre-scription ne commence à courir qu’aprés que l’ouvrage necessaire a été fait, parce que ce qui n’est point encore ne peut être prescrit, mais aprés l’achevement d’iceluy la prescription court contre celuy qui ne s’en sert point, si partem fundi vendendo lege caverimus, per eam partem in reliquum fundum meum aquam ducerem, & statutum tempus intercesserit antequam rivum meum face-tem, nullum jus amitto, quia nullum iter aquae fuerit, sed manet mihi jus integrum : quod si fecissem iter, nec usus essem amittam, l. 19. quemadm. servit. amiti La nature des Servitudes Urbaines est fort differente, elles sont aussi de deux especes : pour les premieres l’on n’a pas besoin d’agir ny de faire aucune chose pour en avoit l’usage, mais on les possede aussi-tost qu’elles sont consenties : par exemple, celle de ne pouvoir élever son batiment, de n’ôter point les vûës dés le moment qu’elle m’est acquise, je la possede et j’en joüis entierement tandis que vous ne m’y donnez aucun empeschement, et que vous n’entreprenez point de bûtir, et de m’ôter le jour et la lumiere, et il faut pour interrompre ma possession que vous baiissiez ou que vous bouchiez mes vûës, autrement je joüis toûjours de mon droit, et je ne le puis perdre quoy que je ne fasse tien, et que je demeure perpetuelsement en repos. Il y a d’autres Servitudes Urbaines qui véritablement desirent quelque acte et quelque fait de lhomme pour les établir et les faire subsister ; mais aprés qu’elles sont établies elles demeurent et durent en un même état, quoy que le possesseur d’icelles n’agisse et ne fasse tien sans se pouvoir perdre par le temps, Servitutes quae in superficie consistunt possestione retinentur : Nam si fortè ex adibus meis in ades tuas tignum immissum habuero, hoc ut im-missium habeam per causam rigni possideo habendi consuetudine. Idem eveniet, si menianum in tuum immissum habuero, aut stillicidium in tuum projecero, quia in tuo aliquo utor et quasi facto quodam possideo, l. Servit. 20. de Serait. Vrb. Prad

fais puis que pour les Servitudes Urbaines celuy à qui elles sont dûës les conserve par la seule souffrance de celuy qui les doit, comment la liberté se peut-elle acquerir : L’on s’en peut affranchir en faisant un acte contraire à la Servitude : par exemple, si mon voisin avoit droit de placer ses sommiers sur les murailles de ma maison, et qu’aprés les y avoir posez je les fisse ôter et bouchasse les trous, et qu’il n’en eût point formé de complainte dans les temps. fataux, ma maison demeureroit déchargée de cette Servitude ; Si rigni immissi edes tuae servitutem debent, et ego ejecero tignum, ita demum amitto jus meum, si foramen unde exemptum est tignum obturaveris, et per constitutum tempus ita habueris : alioquin si nihil novi feceris integrum jus suum permanet. l. Hec autem jura de Servit. Vrb. Pred. Suivant ces Maximes du Droit Romain, il a été donné Arrest sur ce fait

Un particulier avoit acquis une maison sujette à plusieurs Servitudes, comme de ne pouvoir batir d’écuries, de ne pouvoir garder de fumier, et autres Servitudes de pareille qualité Cet acquereur vendit depuis cette maison sans déclarer ses sujettions à l’acquereur qui disposa ensuite de cette maison à un autre : Cent années s’écoulerent depuis la premiere vente qui voit été faite sans expression des Servitudes : Mais lors que le dernier acquereur voulut barir ne écurie, le possesseur de la maison pour laquelle on avoit stipulé toutes ces droitures, s’y opposa en vertu du Contrat qui contenoit toutes les clauses susdites : Le dernier acquereur ayant appellé son vendeur, tous les acquereurs retournerent de garand en garand ; et enfin l’on donna Sentence au profit du dernier acquereur dont le Contrat fut dissous, et son vendeur condamné au remboursement du prix de la vente, et à l’égard des autres acquereurs qu’ils seroient remboursez sur le prix de leurs Contrats ; car par les uns la maison avoit été venduë mille livres, et par les autres deux mille livres : Sur l’appel de cette Sentence l’on discuta ces deux points ; le premier, s’il pouvoit y avoir prescription vâ le long temps qui s’étoit écoulé depuis le premier Contrat, et que dans ceux qui avoient été faits depuis l’on n’avoit fait aucune mention de ces Servitudes, et que par consequent l’on avoit pû en reaquerir la liberté par quarante années suivant cet Article : Mais ces raisons ne paroissoient pas fort considérables contre celuy ui n’avoit point eu de part dans tous ces Contrats, et l’on ne pouvoit pas dire que l’on eût prescrit son droit, puis qu’au contraire la stipulation de son Contrat avoit été perpétuellement executée ; le proprietaire du fonds sujet n’ayant jamais attenté au contraire, de sorte que dans tous les momens où l’on n’avoit rien entrepris contre son Contrat, il étoit vray de dire qu’il avoit paisiblement jouy de sa Setvitude, n’ayant point eu besoin de faire aucune interpellation lors que lon n’entreprenoit rien qui pût détruire son droit. Cela est expressément décidé dans la l. Et si fortè 6. 8. Si servit. vend. Sciendum in his servitutibus possessorem eum juris & petitorem, et si fortè non habeam altius edificatum in meo, adversarius meus possessor est, nam cum nihil sit innovatum ille possidet, et edificantem me prohibere potest Le second point que l’on agita, fut de sçavoir si l’on jugeroit également le recours des gatans : L’on disoit que la vente ayant été faite par differens prix, le recours devoit avoir lieu à proportion ; l’on répondoit au contraire qu’il étoit juste de juger également le recours et les inte-

rests contre les garans, parce que l’argent pouvoit être plus rare au temps de la premiere vence, ou à cause des meliorations qui pouvoient avoir été faites : Par Arrest du premier Juin 1680. au Rapport de Mi des Alleurs Puchot, la Sentence fut cassée, entant que pour les garanties. et en consequence de la resolution du Contrat, l’on jugea un recours égal qui fut de cinq mille livres, prix du dernier Contrat.

Il reste encore à éclaircir cette difficulté, si l’on fe peut affranchir par le temps d’une Servitude dont l’usage n’est pas certain et continu ; Car encore qu’il soit vray que les Servitudes doivent avoir des causes continuës et perpétuelles, l. Foramen, de serit. urb. prad. neanmoins la possession et l’usage n’en est pas toûjours continu et perpetuel, et principalement pour les Servitudes Rustiques, l. Servitutes, 14. de Servit. Or ne pouvant la possoder et m’en servir coninuellement, mais seulement lors qu’il m’est commode ou nécefsaire, l’on ne doit pas m’impu-ter de negligence pour avoir usé de ces Servitudes selon leur condition naturelle : Comme il l’auroit pas été raisonnable que ces Servitudes se perdissent par un même temps que celles dont l’usage est perpetuel et continu, on ne pouvoit acquerir la liberté que par un temps qui excedât toute mémoire d’homme ; mais la disposition de cet Article étant generale, et la Coûtume n’ayant fait aucune distinction entre les Servitudes, l’on peut douter si les Servitudes discontinuës peuvent être exceptées : Mais il me semble que quoy que ma diligence ne doive pas être assez grande pour m’en servir continuellement, au moins ma negligence ne doit pas aller jusqu’à ce point de ne m’en servir point durant l’espace de quarante années ; et comme par le Droit Romain lors que par le Titre de la Servitude l’on ne s’en pouvoit servir qu’en certains temps ou en certaines saisons, l’on doubloit le temps requis pour prescrite la liberté contre les Servitudes continuës, l. Vlt. C. de Servit. et aqu. c est assez donner de loisir d’empescher la prescription pour les Servitudes discontinuës que de prolonger le temps jusqu’à qua-tante années.

L’on ne perd point la liberté de passer par un chemin public pour n’y avoir point passé par quelque temps que ce soit, l. Viam, D. de via publica ; et par la l. lter, 4. quemadm. seruit. amirt. la liberté de passer par un chemin qui conduit à un lieu destiné pour un cimetiere ne peut être empeschée, quoy que l’on ait été tres-long-temps sans y passer.