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P Lutarque dit que du tems de Themistocles ce qu’on appelloit sagesse n’estoit autre chofe qu’une prudence à bien manier les affaires, qu’vn bon sens et iugement en ce qui concernoit l’estat et le gouuernement : et que du tems de Solon la plus pait des sages recherchoyent principalement la philosophie qu’on nomme Politique, qui par l’autorité du magistrat establit les loix et fait les ordonnances pour le gouuernement des royaumes, prouinces, villes et communautez, afin qu’vn chacun eu égard à sa qualité et au rang qu’il tient se cont ienne en son deuoir et conserue le repos d’une vie honneste et ciuile. Elle a pour compagne la iurisprudence et la iustice, qui tendans aux mesmes fins assignent et distribuent équitablement à chacun ce qui luy appartient. Elle se regle comme sur vne iuste esquierre sur le droit diuin et canonique extrait en la plus part de la Theologie et doctrine des anciens peres : et ceux qui sont esclairez et suiuent la lumière de ces sciences conformans leur vie aux preceptes qui s’en tirent paruiennent facilement à la beatitude de l’un et l’autre monde. Car le vray but et la fin prinmpale ou tend le droit ciuil est la seule felicité de la société humaine, a comme le dioit diuin et canonie ne se proposent autre chose que le iouyr du contentement incomparable de la vie celeste ou tout de mesine s’abourit la iustice. Et certes aussi c’est le plus serieux et le plus important estude auquel on puisse vaquer, c’est di-je la plus belle et la plus fructueuse philosophie à laquelle l’homme arrière bien loing toutes autres affaires se puisse addonner, qu’Ulpian en suite de ce definit bien à mon gré E veram non simulatam philosophiam, et qualifie fort proprement les iurisconsultes de cet honorable titre et beau nom de presties. Theodoric en Cassiodore appelle la iudicature facerdoce, absit, inquit, à iudiciariis mentibus aliquid profanum : pio princiti sub quodam sacerdotio seruiatur. Et à vraydire s’il est sans dotte que les loix et les canons soyent sacrez, cil ne conuient pas a toutes sortes de personnes indistinctement les manier, interpreter : et auoir l’administration de la iustice : il est tres-necessaire qu’elles soyent par vne singuliere election triées et distinguées du commun peuple, et qu’appellées à vn sidiuin ministere elles ayent les intentions candides, les actions pures et saintes, non polluées d’aucune peruerse affectionrentre lesquels neanmoins il s’en peut rencontrer qui ne sçachans parfaitement comme il faut les diuins secrets ne les peuuent pas aussi reueler aux Mystes, ny communiquer aux nouices qui par vn loüable desir demandent etre receus en leur ordre et se pousser plus auant, rauis qu’ils sont de l’excellente beauté et maiesté incomparable de cette science : ce qu’ils pourroient mieux faire par le moyen de ceux qui ont l’heur et l’honneur d’entrer auec admiration iournellement dans les lieux plus reclus du temple de Themis, duquel il remportent auec eux la sapience qu’Afranius en A. Gelle appelle fille de l’ysage et de la memoire. Cette considerationdeuoit peut etre me dissuader d’entreprendre cet oeuure et le laisser aux plus auancez en ces facrez mysteres. Mais comme il arriue souuent que ceux qui par vne particulière faueur duciel ont la parfaite connoissance des choses s arrestent à leur seul contentement, sans vouloir prendre la peine de les escrire et mettre au iour, et domeurent cachées iusqu’à ce que par quelque familier qui aura recueilly des fruits de leur couersation le public en soit fait participant : ainsi ay-je à tous hazards d’vne pieuse affection osé donner à mon pays les apprentissages que l’ay faits en la communication des plusversez aux loix de cette prouince, comme autresfois Cn. Flauius donna au peuple Romain le liure des secrets des Pontifes encor qu’Appius Claudius en fust l’auteur, duquel il estoit le scribe et qu’il ne vouloit le rendre commun. Ce n’est pas icy un Cuure trouué fait, mais ce sont en la diuersité du suiet diuerses pieces assemblées en vn cors, auquel les arrests des compagnies souueraines, qui sont les vrays patrons des iugemens desquels la certitude est vn pole fixe sur lequel roule nostre iurisprudence, tiennent le principallieu et font leplus haut prix. a quoy faire l’ay d’autant plus esté excité que l’ay remarqué un chacun désireux au possible des arrets prononcez aux autres Parlemens faute de rechercher ceux de la Cour souueraine de nostre prouince, sur laquelle pourtant Astrée n’est pas moins prodigue de faire couler son influence que sur les autres. Solon voulut autresfois qu’il ne fust loisible à personne d’aller puiser de l’eau au puits de son voiin qu’au prealable il n’en eust cherché par tout dans les entrailles de son fond, aussi est il indecent et ridicule emprunter d’autruy ce que l’on a chez soy.

Nous auons les simples de nostre region conuenables a nos humeurs, et par negligence de les vouloir reconnoistre et cueillir bien souuent nous en allons chercher en vnautre climat peupropres à nostre naturel : comme de fait la diuersité de nos Coustumes et usages d’auec les autres de la France fait que rarement les arrests des autres Parlemens s’accommodent à nos differens et controuerses. l’ay tiré ces arrests des recueils anciens et modernes que des personnages d’entendement, les vns inges en ce Parlement, les autres bons et celebres aduocats, auoyent pris la peine de rediger par escrit. l’en ay pris aussi sur les registres du greffe de la Cour, autres sur les originaux et copies, autres que l’ay veu prononcer aux audiences, dont plusieurs ont esté donnez selon les conclusions prises par monsieur du Viquet premier aduocat general du Roy, lequel a seruy de queux pour affiler les esprits des aduocats de ce Parlement, et de modelle et patron sur lequel se sont faites tant de belles actios et plaidoyez.

Si en quelques vns se trouue de l’erreur au date ou ailleurs, comme il peut estre aduenu, cela procede de ceux qui les ont transerits deuant moy, dont neanmoins l’ay purgé le vice au mieux qu’il m’a esté possible par la verification que l’ayfaite de la plus part sur les registres. Car pour faire reueuë de tous estans en si grande quantité il eust fallu auoir vn libre maniment d’iceux registres que ie n’ay eu, et y employer plusieurs années : ceux qui y auront cette liberté et le loisir pourront satis faire à leur curiosité ou necessité, l’allegation que ie fais d’iceux arrests pour le moins leur seruira d’indice. le veux bien sur ce point vous aduertir, Lecteur, que quand i’apporte vn arrest sans particulière de signation. de Parlement, ie l’entens et le faut tenir auoir esté donné en cette prouince, ceux des autres Parlemens sont nommément specifiés : comme aussi lors que ie dyqu’vnarrest a esté arresté sur le registre vn tel iour, il le faut prendre du iour qu’il a esté arresté en la chambre et non du iour qu’il a esté prononcé qui aucunesfois est long tems apres qu’il a esté donné et neanmoins est le date sous lequel il est enregistré, comme il s’en trouuera aussi ou le date est mis du iour qu’il a esté donné en la chambre combien qu’il ne soit dit. On rencontrera quelques arrests ausquels manquent les noms des parties entre lesquelles ils se sont ensuiuis, qui pourtant ne sont pas supposez et ont esté reconnus véritables par ceux qui en ont fait estat dans leurs memoires ayans oublié le plus souuent les qualitez ou dates d’iceux, ressemblans par leur antiquité à la monnoye effacée en son titre et inscription qui ne laisse pour cela d’auoir cours et d’estre d’aussi bon pois et aloy que les autres. De ces arrests icy rapportez aucuns tiennent forme de reglement general et ont esté publiez par les iurisdictions lesquels ont force de loy et s’obseruent estroitement : à autres ne sont d’vne telle autorité et n’ont telle efficace, ils seruent pourtant de preiugé et peuuent beaucoup pour decider les differens qui s’offrent en cas pareil. b Et tout ainsi qu’en pays suiet à l’Empire Romain on auoit beaucoup d’égard aux rescrits des Empereurs parce qu’ils se donnoient auec connoissance de cause et apres vne meure deliberation à laquelle ordinairement les plus subtils et habiles iurisconsultes estoient appellez, de mesme que pour les affaires canoniques les epistres decretales des Papes estoient religieusement gardées : ainsi deuons nous auec parcilleraison faire estime des arrests qui n’ont pas moindre autorité, pour estre les presidens, conseillers, iuges souuerains, qui vice regia iudicant, sont auoüez comme iugemens prononcez de la bouche du Roy et pour preuue de ce intitulez de son nom. Sous le nom des arrests du Parlement de Normandie i’entens aussi comprendre les arrests de l’Echiquier, le nom duquel fut changé en Parlement, par lettres du Roy dont lecture fut faite à la Cour le 13. Féutier 1514. Il est bien vray qu’il se pourra trouuer quelquesfois des contrarietez aux arrests, et n’ya Parlement ou ne s’en trouue, Papon dans son recueil et beaucoup d’auteurs de ce tems en remarquét plusieurs. Cela est bien aduenu à Rome, i’en ay Ciceron pour mon garand, a qui témoigne auoir esté iugé en vne chambre d’vne sorte, en vne autre chambre d’vne autre. Cette repugnance peut se rencontrer comme à la loy ou ordonnance quam aut vsus coarguit, aut status aliquis reipubl. inutilem fecit, ou de la diuersité des iugemens humains. BIl aduiendra qu’un arrest de prime face semblera auoir de la contrarieté auec vn autre : par apres bien examiné eu égard à l’imparité des personnes, à la distinction du tems, à la diuersité des faits dont vne petite circostance pourr a faire diuersifier le iugement, toutes ces choses conférées fongneusement ensemble feront qu’il se trouuera en fin conforme.

En quoy il est besoin apporter de la circospection et estre merueilleusement discret afin de nous contenir dans les bornes du respect que nous deuës aux arrests, lesquels il nous faut toufiours presumer auoir esté donnez scomme infailliblement ils le sont j auec viues raisons et iustes cosiderations. Ces oracles mesmes de la iurisprudence Romaine ont esté souuent de contraires et diuers aduis, nos digestes en sont plains, et nos docteurs se trauaillent fort pour les concilier : cette contrarieté se remarque plus en nostre estude de droit, qui consiste principale. ment en opinion où il y a beaucoup d’incertitude, qu’en toute autre science.

Neanmoins en la diuersité d’opinions ie m’attache et suy communement celles qui sont soustenuës par la plus part selon le conseil de la olose de la pragmatique sanction, e et qui se pratiquent le plus aux barreaux des Cours souueraines. lesquels il y a plus de vint. deux ans que ie frequente assiduëment pour les auoir reconus au vray les plus belles escolles et les plus sçauans precepteurs scomme Demades parloit du tribunal des Atheniens ; que l’on puisse hanter et desquels on puisse apprendre. l’auoüéré aussi ingenuëment que la communication des gens doctes, entr’autres de monsieur Sallet qui comme un fin diamant brille parmy les perles qui couronnent le barrean de ce parlement, m’a dissipé plusieurs nuages et obseuritez que ie trouuois dans la Coustume. Ce n’est pourtant que ie vueille garantir ce liure de toute erreur, l’esprit humain y est suiet, et si etiam prudentissimi peccant cuius non error bonam causamhabet : chacun pourra peser mes opinions à la balance de son iugement pour les prendre ou laisser à sa diberté. le diray comme saint Paul, d omniaprobate, quod bonumesl tenete. le remets le tout premierement sous l’equitable censure de la Cour, puis apres de toutes autres personnes d’ertendement ausquelles i’expose ce liure comme souloit faire Apelles ses tableaux et Polyclete ses images, le pinceau, et le ciseau à la main prest à reformer ce que les plus solides esprits y trouueront à rédire, lesquels ie supplie de supporter cette syncere liberté de mon intention scomme un de faut aisément tolérable y d’auoir apporté mon auis aux questions que l’ay meuës n’ayant arrest pour la resolution d’icelles, l’ayant plustost fait pour valoir de consultation d’un homme seul que pour seruir de loy. C’est donc, Lecteur, à ces arrests pour la certitude des iugemens que ie vous inuite, et non pas à ce qui est prouenu de mon creu. Ce me sera assez d’heur sice liure vous sert de semonce et d’un gracieux appel pour estudier sur la Coustume afin de la bien entendre par vne exacte lecture et profonde meditation. Car tout ainsi que au rapport de Plutarque en Themistocles, les arbres et circuit de colomnes de pierre qui estoient à l’entour du temple de Diane surnommé Orientale en l’isse d’Euboée quoient cette proprieté, que quand’on les froitoit auec la main ils rendoient la couleur et l’odeur de saffran : aussi les Cousiumes sont telles qu’en les maniant, examinant et conférant article auec article on en peut tirer non seulement une bonne odeur, mais aussi vn bon suc et vne bonne intelligence. Pour éuiter la prolixité ennuyeuse de soy l’ayomis à esciEtà discourir au long sur des pures questions de droit et à les approfondir les estimant d’ailleurs supeissiies en ce liuré, pour la connoissance desquelles ie renuoye aux docteurs qui en sont la profession et non pas un Coustumiste : aussi n’ay-je point voulu m amuser au stile de proceder que le plus sucemtenient que ilay peu sinon en tant que quelques articles de la Coustume le requeroyent et m’y obligcoyent sans me détourner d’vne simple interpretation : quim’a fait omettre grand nombre d’autrés beaux arrest s pour ne leur auoir peutrouuer place commode en ce liuré, lesquels toutesfois i’espère departir cy apres au publie sur quelque autre suiet.

Et afin que personne ne trouue estrange que l’aye escrit et misen lumière ce mien Commétaire en langage françois, ce que l’en ay fait a esté pour plus grande intelligence : autrement pour ce qu’il est difficile d’exposer en latinbeaucoup de teimes de nostre Coustume naifuement et en leur vraysens la glose eust esté plus obseure que le texte. Car puis qu’en ce royaume nos Roys François I. et Charles S. ont a bon droit abrogé parleurs Edits ce qui anciennement s’yvsitoit de rediger en termes latins les ordonnances et Coustumes, les arrests, sentences et autres actes de iustice, afin de les rendre intelligibles et notoires à vn chacun : et pour éuiter à l’incertitude et ambiguité qui en pourroit naistre, il seroit absurde que les interpretations des ordonnances et Coustumes fussent en latin pour en celer l’intelligence à la plus part du peuple ignorant cette langue.

Leges facratisimae que contringunt hominum vitas intelligi ab omnibus debent, disent les Empereurs Valés et Martian, à et pour estre entenduës elles doiuent de mesme façon estre escrites en langage connu, comme par consequent les Commentaites sur icelles : nostre langue est assez capable non pas seulement d’imiter mais. de surpasser sans comparaison lalatine et la grecque. Chacun neanmoins en peut user asa discretion et selon qu’il trouue bon : Pour moy ce ni’est assez si escriuant pour mon pays ie me suis seruy du langage vulgaire et commun. Siie voy que ce mien labeur puisse profiter à ma patrie et luy soit en quelque estie ie seray encouragé a poursuiuit la pointe de mes desseins totalement tendus au bien et vtilité d’icelle.