Si vous souhaitez signaler des coquilles dans ce passage, vous pouvez écrire à Morgane Pica (ingénieure d'étude du projet), en précisant l'URL et le titre du passage.


ARTICLE CCCLVI.

S’Il n’y a qu’un Manoir roturier aux champs, anciennement appellé herbegement & chef d’héritage, en toute la succession, l’ainé peut avant que faire lots & partages, déclarer en Justice qu’il le retient avec la cour, clos & jardin, en baillant récompense à ses puînez, des héritages de la même succession ; en quoi faisant le surplus sera partagé entr’eux également ; & où ils ne pourroient s’accorder, l’estimation dudit Manoir, cour & jardin, sera faite sur la valeur du revenu de la Terre & loüage des maisons.

Manoir, est la principale maison que l’on habite à la campagne ; il y a Manoir féodal, & Manoir roturier ; le Manoir féodal est le principal lieu du Fief ; Manoir roturier est la maison ou le pere de famille roturier fait sa demeure or-dinaire pour exploiter ses terres ; on dit encore hébergement, ménage ou chef de ménage : Or c’est la demeure & habitation du pere de samille & la commodité les lieux, qui caracterisent le Manoir, mais quant à sa consistance, c’est la destination du pere de famille, qui fait & forme cette consistance, & non point les granges, étables & pressoirs, ainsi cette consistance est plus de fait que de droit.

C’est du Manoir roturier dont parle cet article, & que l’aîné peut choisir & prendre par préciput, tant dans la succession du pere, que dans la succession de la mere, avant que les lots soient faits, & avant partage ; il déclarera pour cela judiciairement qu’il retient le Manoir avec la cour, clos & jardin par choix & préciput, non pas par forme n’avant part, mais à condition de faire récompense, & indemniser ses puînez de la juste valeur du Manoir, cour, clos & jardin, en héritages & immeubles de la succession ; & cela n’a lieu qu’en succession directe, tant paternelle que maternelle, & non en succession collaterale ; & même il faut que les successions directes soient distinctes & non confonduës l’une dans l’autre.

L’aîné qui veut prendre un Manoir roturier par préciput, est tellement obligé de faire sa déclaration en Jugement avant que les lots & le partage des biens de la succession foient faits, que s’il attendoit à se déclarer aprés le partage fait, il seroit non-recevable en sa demande ; jusques-là, que si un Tuteur avoit fait cette obmission, son mineur devenu majeur ne seroit pas restituable contre cette obmission, il n’auroit que son recours pour ses dommages & interêts contre son Tuteur ; cette scrupuleuse formalité n’est pas moins requise en succession roturière qu’en succession noble.

Cette espèce de préciput, ou pour mieux dire cette prérogative, n’a lieu que lorsque dans toute la succession il n’y a qu’un seul principal Manoir, ou principale maison & habitation aux champs, commode pour exploiter & faire valoir la Ferme & héritages en dépendans, & où le pere de famille faisoit sa demeure ordinaire, lorsqu’il faisoit valoir ses héritages roturiers par ses mains ou son Fermier ; car si en une même succession il y a plusieurs principaux Manoirs roturiers, l’aîné n’en prendra aucun, ils seront tous mis en partage, & chaque cohéritier y aura sa part égale en essence, avec choix des lots suivant le rang & l’ordre de primogeniture ; & le frere aîné n’aura que la prérogative du choix des lots ; Arrests du Parlement de Roüen, des 23 Juin 1614 & 3 Août 1656.

L’aîné n’a point de préciput roturier dans les héritages & maisons situez en Bourgage, Villes ou Bourgs ; Arrest du même Parlement, du 20 Juin 1622.

Cette prérogative n’a lieu que pour les héritages de campagne.

Cette prérogative est incessible, comme elle l’est dans le préciput noble.

Pour former la récompense & indemnité que l’aîné doit pour le principal Manoir qu’il prend par préciput dans une succession, il faut estimer le Manoir, cour, clos & jardin, sur le pied du revenu annuel que le Manoir, cour, clos & jardin pourroient rapporter, mais non sur le pied de leur valeur extrinseque ; aprés quoi l’aîné donnera des héritages à ses puînez sur le pied de l’estimation, s’il y a assez d’héritages, si non il leur donnera des rentes ou autres immeubles, même de l’argent comptant, chacun par égales portions, parce qu’en par-tage roturier, toutes les portions afférantes de chaque cohéritier sont égales, & chaque cohéritier aura sa part dans la valeur que le Manoir aura été estimé pour le revenu ; Arrest du même Parlement, du 14 fevrier 1626.

Le préciput roturier n’appartient point à la soeur aînée contre ses soeurs, toutes héritieres dans la succession à défaut de mâles ; on a fait la même décision à cet égard, que pour le préciput noble, qui n’a point lieu entre filles.

Si l’aîné avoit pris son lot dans le partage, sans avoir fait sa déclaration au sujet du préciput roturier ou Manoir principal, cour, clos & jardin, il ne seroit pas recevable à en demander un dans la suite, quand ce seroit incontinent aprés avoir choisi & pris son lot ; dès qu’il n’a point fait cette déclaration, il est déchû de son droit ipso facto.

La Déclaration que le frere aîné doit faire au sujet du préciput roturier, doit être faite ainsi & de la maniere qu’elle doit être faite pour raison du préciput noble.

S’il n’y avoit point de principal Manoir sur les héritages & Terres de campagne, le frère ainé non seulement n’en pourroit prétendre, mais encore n’en pourroit demander aucune indemnité dans la succession.