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CHAPITRE SECOND. DE HARO.

L E Haro est un moyen particulier à la Province de Normandie, par lequel les personnes privées empéchent qu’il ne soit passé outre à l’exécution de quelque entreprise faite, ou pour leur faire, soit injure, soit dommage, où pour les troubler en la possession de ce qu’ils prétendent leur appartenir. Ce qui se fait en invocant la protection de la Justice, & en contraignant l’aggrefseur de venir, à l’instant devant le Juge, pour y voir ordonner ou la repa-ration de l’injure & du dommage qu’il a fait, ou que défenses lui seront faites de passer outre à l’exécution de ce qu’il avoit entrepris contre l’intérét du demandeur en Haro.1 .


LIV.

Le Haro peut être interjetté non-seulement pour maléfice de corps ; & pour chose où il y auroit éminent péril : mais pour toute introduction de Procès possessoire, encore que ce soit en Matiere béné-ficiale ou concernant le bien de l’Eglise.

Par l’ancienne Coutume, l’usage du Haro n’étoit que pour les Causes criminelles, comme pour feu, pour larcin & pour homicide, ou pour autre péril évident ; comme si quelqu’un court sus à im autre le couteau trait, suivant l’expression du Chapitre du Haro : Mais depuis on en a étendu la pratique, pour retenir & conserver la possession, tant des immeubles que des meubles. On ne s’en doit pas servir pour acquérir de nouveau, ou pour reprendre une possession, & encore moins pour l’introduction d’une action touchant la propriété d’un héritage : car, en tous ces cas, n’y ayant rien qui demande de l’accé-lération, il ne faut pas avoir recours à un remede violent, tel qu’est le Haro par lequel le demandeur excite les assistans à lui donner secours & confortermain, pour mener sa Partie devant le Juge, ce que la Coûtume fait entendre par ce mot, interjetter employé en cet Article ; mais il faut prendre la voie ordinaire des actions, qui s’introduisent par un Mandement de Justice, & par une Assignation donnée avec les délais preserits par la Coutume ou par l’Ordonnance, pour y défendre. On peut interjetter le Haro sans le ministere d’au-cun Officier de Justice ; & il suffit, quand il ne se présente point de Sergent, que celui qui se prétend offensé ou troublé en sa possession, le reclame en présence de témoins, & qu’il fomme la Partie de venir devant le Juge, pour y être réglé. Mais quoiqu’il n’y ait que le Juge Lay qui puisse connoître du Haro on s’en fert néanmoins pour le possessoire de tous les Droits appartenans aux Ecclesiastiques en vertu de leurs Bénéfices, & pour les Droits de Patronnage soit utiles, soit honoraires, quand même le trouble seroit fait dans l’Eglise ; & la raison est, que ces Droits dépendans des Bénéfices sont choses temporelles, à l’égard desquelles le Roi ne reconnoit aucun Superieur le Juge Ecclesiastique n ayant aucun térritoire parce que tout ce qui est dans l’étenduë du Royaume appartient au Roi absolument & indépendamment, pleno jure,2


LV.

Clameur de Haro se peut intenter, tant pour Meubles que pour Héritages.

Le Haro étant une voie injurieuse, parce qu’il ne se fait point sans causer quelque rumeur ou tumulte, on ne s’en doit pas servir en toutes rencontres pour le recouvrement d’un meuble, car si le meuble est trouvé chez une personne connuë, & qui a un domicile certain, de sorte qu’il n’y ait pas sujet de craindre sa suite, ou son impuissance de payer ; la simple action pour faire représenter le meuble, ou un arrêt fait du meuble, seroient des moyens plus convenables.


LVI.

Les Parties sont tenues bailler respectivement Plege & Caution, l’un de poursuivre, l’autre de défendre le Haro.

Faute par les Parties de bailler caution, comme-la Coûtume le requiert en cet Article, le Juge les doit envoyer en prison, ou les mettre en arrêt entre les mains d’un Sergent ou Huissier. Cette caution, en matière criminelle, que doit celui qui est arrété par la voie du Haro, n’est que pour être représenté en Justice toutes fois & quantes ; mais dans tous les autres cas, la caution du Haro est de payer ce qui sera jugé ; ce qui ne se doit pas entendre seulement de ce qui sera jugé en première Instance, mais même ce qui pourra être jugé en cas d’appel, par le Juge souverain ; ce qui comprend non-seulement le principal, mais l’amende & les dépens : ce qui a été jugé par plusieurs Arréts con-tre les cautions judiciaires. Mais par un Arrêt du 15 de Janvier 1548, rapporté parBérault , une caution judiciaire fut déchargée des dépens jugés sur une Intance criminelle incidente au Proces, pour lequel la caution avoit été baillée.3

On demande si le Plege peut se pourvoir contre la condamnation jugée contre celui qu’il a cautionné, & on fait différence entre les Cautions contrac-tuelles & les judiciaires : car à l’égard des Pleges d’un Contrat, on dit que n’étant obligés qu’en vertu de ce contrat, ils ne sont pas exclus d’alléguer-les défenses qu’ils peuvent avoir contre l’obligation, à laquelle on les veut assujiettir en vertu de la condamnation jugée contre le principal obligé, parce ou elle peut n’être pas conforme à celle de leur Contrat : c’est pourquoi quand il y a Proces à raison du Contrat, les Pleges y doivent être appellés ; autrement l’exception de chose jugée ne leur pourroit nuire, aprés la condamnation du principal obligé. Il semble qu’il n’en est pas ainsi des Cautions judioiaires, parce que s’étant obligées expressément au payement de la chose jugée, elles ne peuvent pas fe pourvoir contre la condamnation, qu’elles ne contreviennent manifestement à leur obligation. La Loi 5. f. De Appellutionibus, n’est pas contraire à cette décision, parce que cette Loi parle évidemment des Cautions coutractuelles. VoyezLouet , F. 23, où il fait cette distinction, pour montrer que l’Authentique Presente, C. De Tidejussoribus, n’a pas lieu aux Cautions judicraires, qui peuvent être exécutées sans qu’on ait discuté eclui qui a été con-damné, comme il a été remarqué sur l’Article XXIx.4.


LVII.

Aprés la Caution baillée, la chose contentieuse est sequestrée par la nature du Haro, jusqu’à ce que par la Justice en ait été ordonné de la provision.


LVIII.

Le Sergent après la Clameur interjettée, doit mettre le Sequestre en main sûre, autre que les deux Parties.

Le Haro rendant la possession contentieuse il étoit juste de statuer que la chose demeure sequestrée pendant le Procés, pour empécher les violences que les Parties pourroient attenter pous percevoir les fruits ; & d’ailleurs, afin que les fiuits soient assurés au profit de celui qui aura bon droit. C’est pourquoi les Parties ne peuvent être établies sequestres, & si quelqu’une d’elles trouble le sequestre par violence, & s’ingere à percevoir les fruits de la chose sequestrée, il perdra le droit qu’il pouvoit prétendre aux fruits par lui percus & enlevés, & outre, sa Partie sera mise en possession de la chose contentieuse, & de plus, il sera condamné en trois cens livres d’amende envers le Roi, sans que cela préjudicie aux poursuites criminelles qui pourront être faites contre lui ; par l’Article XVI, du Titre des Sequesires, de l’Ordonnance de 1667. Voyez ledit Titre, & principalement ledit Article & le XVIII.5


LIX.

Le Juge ne peut vuider la Clameur de Haro, sans amende.

L’amende du Haro est arbitraire, & néanmoins nécessaire, parce qu’il y a une faute de l’une ou de l’autre des Parties, ou du demandeur, pour s’être servi sans nécessité d’un remede extraordinaire, en invocant témérairement le secours du Prince & de sa Justice : ou du défendeur, par son crime ou son entreprise injuste.

C’est pourquoi les Parties ne peuvent transiger il faut qu’ils subissent la peine, à raison de quoi l’Article LVTordonne, qu’ils baillent respectivement caution, l’une de poursinvre, & l’autre de défendre le Haro.



1

L’opinion la plus suivie sur l’origine de la clameur de Haro, est que le terme de Haro est une invocation du nom de Raoul. ou Rollo, premier Duc de Normandie. qui se rendit respectable à son Peuple, tant par ses conquêtes que par l’amour qu’il avoit pour la Justice. Comme on invoquoit de son viyant sa protection par une clameur publique, en l’appellant & proférant son nom, & qu’aprés sa mort, sa mémoire fut en vénération à son peuple, on continua d’user de la smême clameur & du terme de Huro par corruption du Ha Raoul. On a donné plusieurs autres étymologies du terme de Haro, mais qui ne paroissent pas bien fondées. Dict. rais. des Sciences.

Il y a des cantons dans la Normandie où vous ne feriez pas un pas sans entendre le cri du Haro, comme un terme de ralliement, la pompe funebre d’un de nos Ducs & d’un Héros n’en a pas été à couvert. PoyesMonstrelet , chap. 20 ;Duchesne , liv. 7, chap. 12. On lit dans les Registres du Parlement, qu’en 183s un Maître de Postes de Rouen interjetta clameur de Haro sur le Frere du Landgrave de Hesse, & que le jeune Seigneur, qui n’avoit pas tort, porta lui-même la parole au Parlement.

Le Haro est d’un usage fort étendu, il a lieu dans les choses mobiliaires, de même que dans les entreprises inopinées sur les Fonds, dans les matieres benéficiales, comme dans les matieres profanes & seculieres, on s’en sert contre les Greffiers, les Sergens, les Huissiers & autres Officiers surpris en prévarication.

C’est un antidote prompt contre les recellés & soustractions des Titres ou autres effets.

Cette voie d’arrêter bien des inconvéniens mériteroit beaucoup plus d’éloges, si la Coûtume étoit littéralement observée ; mais le Haro est le plus souvent dans la Pratique une voie extraordinaire pour commencer une longue Instruction.

L’ancien Coutumier contient sur le Haro, une disposition tres-severe, mais en mêmetemps fort importante à la sureté publique. Quand. le Haro étoit crié pour cause crimi-nelle, c’est-à-dire, suivant le langage au temps, où le malfaiteur devoit perdre vie ou membre : tous ceux qui avoient entendu le cri du Haro. étoient obliges d’arrêter de malfaiteur ou de crier Haro apres lui, : à peine de l’amende, & s’ils étoient accuses d’avoir contrevenu à la Coutume, ils devoient prouver qu’ils n’avoient pas entendu le cri du Haro. Il y a dans les Ordonnances d’Orléans & de Blois des dispositions qui ont du rapport à cet usage. Il est encore certain qu’on en remarque aujourd’hui des traits sensibles chez plusieurs Puissances de l’Europe.


2

Il resulte de l’ancien Coutumier que l’Ecclésiastique sur lequel le Haro avoit été crié, ne pouvoit reclamer son Privilége Clérical ; aussi par Arrêt de l’Echiquier, tenu en 1388 il fut jugé que les Ecclesiastiques entrepris par cris de Haro, & qui auront suceombé, payeront l’amende au RoiLe Sergent qui reçoit le Haro doit conduire les Parties devant le Juge, sans pouvoir prendre aucune connoissance de Cause, il doit au contraire attendre sur leur explication son ordonnance, & la mettre à exécution : il lui est défendu, à peine de tous dommages & interets, & même sous plus grande peine si le cas y échet, de constituer, sur l’interjet du Haro quelqu’un en prison sans mandement ou décret.Bérault .


3

Lorsque la Couture assujettit les Parties de donner caution c’est afin que le Haro ne reste pas indécis, & qu’il puisse être poursuivi & défendu : mais s’il peut être jugé sur le champ, il n’est pas nécessaire de cautionner ou de pléger le Haro : Conclusions de M. l’Avocat-Général le Bailli.


4

Le Juge en examinant la nature de la contestation, doit juger sur, le fond du Haro comme sur une matiere ordinaire, & si la dette qui occasionne le Haro n’est point originairement une dette par cotps, le jugement ne doit pas, sur le prêtexte de la voic extraordinaire contenir une pareille contrainte. Arrêt du 22 Janvier 17Gt.


5

La main de Justice ne dessaisit aucune des Parties, & la présomption pendant le sequestre continue d’avoir son cours contre un tiers