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CHAPITRE TROISIEME. DE LOI APPAROISSANT.

L’ACTION de Loi Apparoissant, est ce qu’on appelle dans le Droit Romain, res Lindicatio, par laquelle on conclut à être déclaré propriétaire d’une chose possédée par un autre, à qui on en demande la restitution. On a donné à cette Action le nom de Loi Apparoissant dans l’ancienne Coûtume, parce qu’il falloit que le demandeur fit apparoître au Juge, au moins par la déposition d’up Témoin, du droit qu’il avoit en la chose, pour obtenir un Mandement pour faire appeller le possesseur.1


LX.

Chacun est reçu dans les quarante ans à demander par Action de Loi Apparoissant, être déclaré Propriétaire d’Héritage qui lui appartient, ou qui a appartenu à ses Prédécesseurs, ou autres desquels il a le droit, & dont lui & ses Prédécesseurs ont perdu la possession depuis lesdits quarante ans.

Il paroit par les dernieres paroles de cet Article, qu’il ne suffit pas d’avoir uB titre translatif de propriété, comme de vente, de permutation ou de donation, mais qu’il est de plus nécessaire d’avoir eu une possession en vertu de ce titre ce qui a été jugé par un Arrêt du 2 de Mars 1645, rapporté parBasnage . Oi ce titre peut être établi non-seulement par un Contrat, mais par une possession de quarante ans, laquelle vaut de titre en toute Justice, suivant l’expression de l’Article DxxI de la Coutume : Mais quoiqu’il soit nécessaire en cette action. que le demandeur justifie une possession perduë depuis quarante ans, il peutrSil a obtenu un Jugement à son profit, le mettre à exécution dans les trente Sans, encore que pendai-t ce temps il n’ait fait aucunes poursuites, pour se mettre en possession de la chose dont la propriété lui avoit été adjugée : ce qui a até jugé par un Arrêt du 12 de Juillet 16tx, rapporté parBérault .2


LXI.

La connoissance de Loi Apparoissant appartient au Bailli Royal & Haut-Justicier.

Le Bailli Royal ou Haute Justicier qui doit connoître de l’action de Loi Apparoissant, est celui dans le térritoire duquel l’héritage demandé est fitué, parce que dans les actions réelles, la demande doit être faite devant le Juge du lieu, suivant la Loi 1. & 3. C. Ubi in rem actio exerceri debeat, in locis in quibus res propter quas contenditur, conslitule sunt. C’est pourquoi, quand le possesseur n’est pas domicilié dans ce même lieu, il suffit de donner l’Assignation au Fermier ou autre détenteur qui est in possessione custodie causu comme enseigne Barthole sur la Loi 9. ff. de rei vindicatione, à quoi est conforme l’Article CCCCLxxXV de la Coutume. Voyez l’Article DLXXXVIII.

Ce nonobstant, il est plus sur de donner cette Assignation au domicile du possesseur, suivant la regle générale des Assignations, qui doivent être faites a personne ou au domicile, à laquelle regle la Coutume n’a fait que deux exceptions ; sçavoir, pour les actions en retrait, par ledit Article CCCCLXXXV, & à l’égard des défendeurs en action réelle, lorsqu’ils sont domiciliés hors de Normandie, par ledit Article DLixXXVIII, les exceptions faites au droit commun, ne recevant point d’extenfion hors des cas qui y sont spécifiés. Cette action, à cause de son importance, ne fe pouvoit poursuivre qu’aux jours d’Assises, de forte que quand on la vouloit poursuivre hors de ces jours, on prenoit des Lettres : de briefs intervalles,, dont l’usage est aboli, parce que la Jurisdiction du Bailli est devenue ordinare & de tous les jours. C’est par cette même raison, que le Vicomte est exclus de la connoissance de cette action ; mais le Baut-Iusticier., ayant la, même compétence-dans son district que le Bailli, E l’exception des Cas Royaux, est compétent de l’Action qui s’intente en vertu des Lettres de Loi Apparente, comme il est déclaré par cet Article. Ce qui partant fait connoître que les Juges Royaux ne peuvent pas s’attribuer la compétence de toutes les actions qui s’introduisent en vertu des Lettres de la Chan-cellerie, comme il a ête remarqué sur l’Article XIII. a ce propos on doit se souvenir, que par une Déclaration de Loüis XIII, duI1 de Juillet 1ézâ, il a été fait défenses aux Juges de cette Province, d’accorder aux Parties aucunes Lettres dépendantes du Sceau de la Chancellerie, & aux Sergens de les mettre à exécution ; & qu’en cas de contravention, tant les Juges que les Sergens, pourront être assignés directement devant le Chancelier ou Garde. des Sceaux de France, pour être condamnés aux peines portées par ladite Déclaration.


LXII.

Durant la suite de Loi Apparoissant, le Défendeur demeure saisi, sauf la question des Fruits, si en fin de Cause il déchet.

Déclaration.

Le-défendeur dans cette action étant reconnu possesseur, doit pendant le Proces jouir des effets de la possession, qui consistent principalement dans la perception des fruits, sauf la question sur la restitution de ceux perçus depuis ou même avaut la contestation, si en fin de Cause il déchet, comme il estdéclaré par cet Article.

L’Ordonnance de 1539, par les Articles XCIV XCy & XCVI, avoit tresbien décidé, suivant les maximes du Droit Romain, quelle restitution de fruits étoit dûë, comment le condamné à quitter la possession d’un héritage devoit exécuter ce Jugement, & quelles peines il encouroit s’il n’obéissoit pas, ou s’il se rendoit témérairement opposant ou appellant. Voyez le Commentaire de Bourdin sur ces Articles, les Loix 3. De condictione ex lege, & 22. De rei vindicutio-ne, C. L’Ordonnance de 168y a apporté quelque changement dans le Titre de l’Exéculion des Jugemens, Articles I, Il, III & IV, par les délais qu’elle donne aux condamnés, par la manière qu’il faut signifier les Jugemens, & par les peines qu’elle décerne contre ceux qui n’obéiront pas aux commandemens qui leur auront été faits d’exécuter les Jugemens rendus contr’eux. Mais elle s’est expliquée d’une manière différente à l’égard des Jugemens, en requérant qu’ils soient passés en force de chose jugée ; au-lieu que lOrdonnance de 1539. requiert seulement, qu’ils soient donnés en forme de chose jugée : en quoi il y a une grande différence ; car les Jugemens donnés en forme de chose jugée sont ceux qui sont définitifs, encore qu’on en puisse empécher l’execution par la voie d’appel. Mais les Jugemens qui ont force de chose jugée, sont ceux qui sont rendus en dernier ressort ou dont il n’y a point d’appel, ou dont l’appel n’est pas recevable, soit que les Parties y ayent formellement acquiescé, ou qu’elles n’en ayent interietté appel dans le temps, ou que l’appel ait été déclaré péri, comme il est bien spécifié dans l’Article V dudit Titre de l’Ordonnance de 1667. De sorte que cette Ordonnance ne statue aucune peine aux cas des appellations téméraires, ou des oppositions frivoles des condamnés à quitter la possession d’un héritage Sétant contentée de disposer par l’Article VII du même Titre que le Proces sera extraordinairement fait & parfait à ceux qui par violence ou voie de fait, auront empéché directement où indirectement l’exécution des Arrêts ou Jugemens. Mais, l’Ordonnance de r539, par l’Article XCVI, a statué généralement, que tous ceux qui empécheront indûment même par appellations où oppositions frivoles, l’exécution des Jugemens touchant la restitution de quelqu’héritages, soient condamnés à soixante & quinze livres d’amende envers le Roi, & en grossé répara-tion envers la partie, à la diserétion des Juges ; & qu’en outre, celut qui aura fait les empéchemens sera condamné à faire exécuter le Jugement à ses propres coûts & dépens, dans un certain bref délai squi lui fera préfix, sur grosses peines qui lui seront dénoncées ; & en défaut de ce faire dans ledit délai, sera de plus contraint par l’emprisonnement de sa personne. La Loi qui restituere SS, ff. De Rei vendicanione, donne un autre moyen contre ceux qui ne veulent point quitter la posses-sion, nonobstant les condamnations ou commandemens qui leur en ont été signifiés ; car elle dit, qu’il leur faut ôter de force cette possession : Manu militari offi-cio Judicis, possessio transferenda est. Toüchant la liquidation des fruits, & les méliorations dont le possesseur doit être remboursé, voyez ladite Ordonnance de syy, Artiele XCVII & les quatre suivans, & l’Ordonnance de ré8y, Article I & du Titre de l’Executiondes Iugemens, & toutle Titrede la liquidaton des Fruits.3



1

Pesnelle auroit pû remonter plus loin, & il nous auroit donné la véritable origine de la Loi apparente. Dans les temps dont j’ai parlé sous le Chapître premier, on ne connoissoit point d’autre Jurisprudence, pour se maintenir daus le Droit de propriété, que le ga-gé de bataille, & pour ouvrir le ch-emp aux Combattans on vouloit que le Demandeur eût au moin, en sa faveur, la déposition d’un Témuin : depuis qu’il fut libre raux parties de se battre ou de plaider & même apres l’abolition du gagé de bataille, on conserva l’ancien usage de se faire accompagner d’un Témoin chez le Juge à qui l’on demandoit un Mandement. L’usage d’amener un Témoin n’a été abrogé que par un Arrét de 30 Mars 1519.Terrien ,


2

Bérault dit que le Demandeur en Loi apparente doit au défaut de Titre, justifier lune possession par & depuis d0 ans, antérieure à celle du Défendeur. L’opinion de Bérault Vété suivie dans un Arrêt du 8 Mars 1743, de simples Aveux présentés dans l’absence du Propriétaire, ne sont point des Titres translatifs des Fonds : Arrêt du 27 Juillet 1736.

Aussi l’Auteur des Maximes du Palais a remarqué que les Aveux ne font de foi, & ne porrent d’obligation que pour droit de féodalité entre le Vassal qui les rend & le Seigneur qui les reçoit

Un envoi, en possession pur & simple d’un Fonds, pour toute autre dette que le prix de l’Héritage où la Rente de fieffe & réputée foncière, sans estimation, n’est point pour le Créancier un titre de propriété, l’estimation feule peut former ce titre résultant de Pévaluation de l’objet donné en payement pour acquitter la detre ; & le Créancier cesfant cette formalité, n’est censé avoir joui que pour se remplir jusqu’à la coneurrence dé son du. On dit que par Arrêt du 14 Août 174y, on a recu dans cette ospèce la Glament de Loi apparente formée par le Débiteur ; il obéissoit de payer la dette au Gréancier, déduction faite de la perception des fruits

L’Héritier présomptif d’un absent fut déclaré recevable à prendre un Mandeme nt de Loi apparente au nom de l’absent, par Arrêt du a Décembre 1éoy, cité parBérault .

On jugea le 3o Avril 1618, qu’il n’étoit pas juste de conclure à la démolition d’un grand ûtiment pour un pied & demi de terre qui avoit été usurpé au temps de la construction.Basnage .

Comme nos Contrats sont translatifs de propriété & de possession, je crois que l’Arret du 2 Mars 164s, cité par Pesnelle, d’apresBasnage , n’a été ainsi rendu que parce que l’Acquereur n’avoit point payé le prix du Contrat & qu’il ne l’offroit pas, res non fit emptoris nisi soluto pretio. Le Vendeur se défendoripar cette exception : car il est vrai de dire qu’on n’a pas plutôt vendu la chose qu’on n’y a plus rien.


3

Cet Artiele est tiré de notre style de procéder : La Clameur de Loi apparente y estoit écrit, &, ost seulement Propriétaire, vendant la partie défendresse saisie de l’Héritage, dont le demandeur entend recouvrer la propriété,, Si la possession n’a point été usurpée par vioience, si elle n’est point fondée sur un Titre frauduleux le Défendeur contre les fins du Mandement, ne restitue les fruits que du jour de la signification des Lettres, d’où Basnage conclut qu’un Acquereur qui n’est point chargé d’une fente dotale ou fonciere, n’est tenu en déguerpifsant, de rapporter les fruits que du jour de l’Action : Arrêt du 25 Tanvier 168a. Mais lorsque toutes les circonstances concourent à déceler la fraude & le dol du Poisesseur, il allégueroit inutilement la bonne foi, ibi bona fides esse non potest ubi doli S fraudis probatio detegit improbitatem contrahentis.

On a jugé par plusieurs Arrêts récens que la fille ne peut user de Saisie pour le payement de sa Dot sur les Fermiers ou Fieffataires des Biens de son Frère, elle n’a que la voie d’arrêt on excepte le cas de collusion entre le Maître & le Fermier, le Fief-fant & le Fieffataire quand elle est bien justifiée : Arrêt du 3o Avril 1722.

On a encore jugé par Arrêt du S. Juillet 1731, que le Propriétaire ne pouvoit inquiêter un tiers Aquereur ni ses Fermiers, par la voie de Saisie mobiliaire, pour être. payé d’une provision obtenue contre celui qui avoit acquis ses Biens à non domino, & les avoit ensuite rerendus. l’ai cité ces Arrêts, parce qu’ils ont du rapport avec les matieres traitées par Pesnelle sous cet Article.