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CXLVIII.

Les Héritages & Biens, tant meubles qu’immeubles des Aubains & Etrangers, appartiennent au Roi après leur mort, aux charges. de droit, comme dit est, encore qu’ils soient tenus d’autres Seigneurs, s’ils n’ont été naturalisés, & qu’ils ayent des Héritiers légitimes régnicoles.

Le droit d’Aubaine appartient au Roi, & nullement aux Seigneurs : il n’a pas lieu quand l’Etranger laisse des Enfans legitimes & régnicoles, encore qu’il n’ait pas été naturalisé, en quoi il est semblable au droit de Bâtardise, qui est Louet exclus par les Enfans légitimes du Bâtard, Loüet, a. 16. Mais il y a grande différence entre les Aubains & les Bâtards, & ceux qui n’ont point de parens ; car les Etrangers ne peuvent ni disposer par testament d’aucune partie de leurs biens, ni être héritiers testamentaires ; parce que Peregrini Iuris Civilis participes non sunt. Or la puissance de tester, & la faculté d’hériter par testament, sont des dépendances du Droit civil, unius cujusque Civitatis, sive Rei-publicae. Ce qu’on ne peut pas dire des Bâtards ni de ceux qui ne laissent point de parens qui leur puissent succéder. Les Etrangers acquierent ce droit de Bourgeoisie par les Lettres de naturalité, qui les font réputer nés dans le Pays, mais qui néanmoins n’excluent pas absolument le droit d’Aubaine : car il faut de plus, que l’Aubain ait des héritiers régnicoles, comme il est déclaré à la fin de cet Article ; car s’il n’en a point, le Roi lui succede par le droit d’Aubaine, de sorte que les Seigneurs de Fief ne peuvent prétendre aucune part aux biens de sa succession, en vertu du droit de deshérence, parce que les Lettres de naturalité ne sont pas censées accordées au préjudice du Roi qui les donne, & n’attribuent aucun droit sur les biens de l’Etranger à l’exclusion du Roi, sinon lorsqu’il se trouve des parens capables d’en hériter. Mais quoique les Etrangers non naturalisés ne puissent tester, ni acquérir par le testa-ment d’autrui, il ne s’enfuit pas qu’ils ne puissent donner ni être donataires entre-vifs, parce que les Contrats de donation sont autorisés par le droit des gens, auquel les Etrangers participent, & auquel cas on ne peut déroger, sans violer la correspondance & la société qui doit être entre toutes les nations.1

Mais comme les Etrangers peuvent acquérir le droit des régnicoles par les Lettres du Prince, ainsi ceux qui sont nés & élevés dans le Royaume, peuvent perdre ce droit par une longue absence, à raison de quoi on fait diffé-rence entre ces deux mots de Peregrini & Peregrinantes. Les premiers sont ceux qui se sont absentés du Royaume, pour s’établir en un Pays étranger perpetue moroe causa, pour y passer le reste de leur vie. Peregrinantes sont ceux qui étant partis de leur Pays, ont toujours eu dessein d’y retourner : Hi jura civitatis nunquam amiserunt, ideoque quantocumque tempore abfuerint, semper censentur numero civium, & partant capables de succéder à leurs parens. Mais. quand on a douté qu’ils ne se présentoient aprés un long-temps d’absence que pour recueillir une succession, on leur a interdit l’aliénation des biens dépendans de cette succession, ou l’on les a obligés à bailler caution, qu’ils ne trans-féreroient pas leurs biens ni leur domicile hors du Royaume. Quant à ceux qu’on appelle Peregrini on a dit que jura civitatis & nomen civium amiserunt, & on les a comparés aux Bannis & aux Transfuges, qui sont incapa-bles de tous droits de succéder, tant ab intestato que jure tesiamenti. Semblablement les Enfans Peregrinorum, nés depuis que le Pere s’est retiré hors du Royaume, n’ont point été réputés Citoyens, & par conséquent on les a jugés Loüet incapables de tous droits de succéder, ianquam silii deporiatorum, post deporlationem nati. Voyez Loüct, S. 14, & les autorités que lui & son Com-mentateur alléguent, pour confirmer cette doctrine. Il a néanmoins été jugé, que les Enfans d’un Etranger & d’une Françoise mariée en France, quoique nés & élevés hors du Royaume, pouvoient succéder à leurs parens en venant demeurer en France, à condition qu’ils ne pourroient aliéner les biens de la succession pendant un certain temps, par un Arrêt du 19 de Juin. 1652, rapporté parBasnage . Conférez ce qui est dit à ce propos sur l’Article CCxxxV pour montrer d’abondant qu’on n’a pas suivi en Normandie ladite doctrine deLouet .2


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Le Droit d’Aubaine est tellement attaché à la Couronne, qu’il est incommunieable aux Seigneurs particuliers par aucune convention, il y a dans la Chambre du trésor de Paris des monumens tres-anciens du Droit d’Aubaine. Voyer l’Ordonnance de Philippe de Valois de l’an 1311. In generali concessione vel donatione a principe facta non intelligantur, y est-il dit, comprehensu jura peregrinalia quoe vulgo appellantur Foragia DuMoulin , sur l’Art. XLI d’Anjou, de moyenne Just. Part. prem. dit qu’il a vu d’anciennes Chartes qui justifioient, suivant l’ancien usage de France, que les Seigneurs Hauts-Justiciers, & même de simples Châtelains, jouissoient du Droit d’Aubaine. Voici ses termes Albinatus non est mera incapacitas nec mera indignitas, sed potius impedintentum & octupatio que fit per Regem deficientibus heredibus in Regno suo, quod est intelligendum ubi Rez habet solus Jurisdictionem. : quia secundum antiquum usum Francorum ut vidi in antiquis Chartis, :.. Domini locorum habentes merunt imperium, quod altam justitiam vocant etiam alioquin simplices Castellani habent jus occupandi bona vacantia sive eorum qui non possunt habere heredes ut Spurii,, : : vel si habeant, tamen sunt exteri nec habiles ad succedendum in hoc Regno. Bacquet combat ces Chartes dans tout le Traité du Droit d’Aubaine. Laurière se rapproche de l’opinion de duMoulin , il cite l’ancienne Coûtume de Champagne, Art. LIII : celle de Vitrv, Art. LXXII, &Beaumanoir , Chap. 45, pour prouver que quand un Etranger venoit s’habituer dans la Terre d’un Seigneur, il devenoit son Serf & s’il ne le prenoit dans l’an & jour, & par le défaut de reclamation dans le temps, il étoit dévolu au RoiGlossaire du Droit François.

L’Etranger demandeur contre un François, doit donner caution du Jugé, il ne peut posséder d’Office ni de Bénéfice en France, & quand il en obtient la permission, cette grace à bien moins d’étenduë que les Lettres de naturalité. Bérault Le principal effet des Lettres de naturalité est d’appeller à la Succession de l’Etranger ses parens régnicoles ; car la vocation à une Succession est un appanage important du Droit civilLe Roi succede à l’Aubain décédé sans Heritiers ; mais le Seigneur succede par deshérence à ses enfans dans leurs Immeubles.Basnage .

Le Roi ne succede point à l’Etranger qui laisse des enfans nés dans le Royaume, ces enfans font même concourir dans la Succession de leur pere, leurs freres ou seurs nés hors le Royaume, & qui viennent y fixer leur domicile.

Bien des personnes s’élevent contre le Droit d’Aubaine, il paroit effectivement contraire au commerce & à la bonne foi des Nations : on le met au rang des intérêts de la France mal entendus ; mais chaque Pays traite-til les Etrangers de même que les Nationaux Basnage rapporte les formalités qu’on observe à cet égard en Angleterre. Refusons-nous d’ailleurs des Lettres de naturalité à un Etranger qui en est digne Plusieurs Edits & Déclarations en faveur du Commeree, du travail aux Mines, du progrés de l’Agrieulture, modifient le Droit d’Aubaine ; & nos Rois ont fait en differens temps des conventions entre les puissances Etrangeres, pour l’exemption réciproque du Droit d’Aubaine dont la Ratification est enrégistrée dans les Parlemens. Diction. de Bosquet ; Mém. sur les Mat. Doman. par le Fevre de la Planche, tome 2 Los Lettres de naturalité sont recues favorablement sur-tout quand les Parens plus éloignés veulent exclure de succcéder au Parent naturalisé plus proche : aussi par Arrét du r2 Avril 178â, sur les Conclusions de M. de Grécour, il a été jugé au Parlement de Roüen qu’on ne pouvoit opposer contre des Lettres de naturalité enrégistrées au Parlement, le defaut d’enregistrement en la Chambre des Comptes. On avoit jugé au Parlement de Paris, sur les Conclusions de M. le Bret, le 18 Mars 1747, que le défaut d’insinuation des Lettres de naturalité, avant l’Arrét d’enregistrement, n’étoit pas contre l’Arrét une cause légitime d’opposition, VoyesLoysel , Liv. 1, Tit. 1 ;Bacquet , du Droit d’Aubaine : Chopin du Domaine, Liv. 1, Tit. 11 ; Plaidover de Gillet ; leBret , de la Souveraineté, Liv. 2, Chap. 115Mornac , sur la Loi, Exquib. Caus. manum.


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La Postérité de ces François infortunés, que des affaires orageuses de la Religion forcerent il y a presqu’un siecle à s’expatrier, ne doit pas être mise dans la classe des Aubains quand elle rentre dans le Royaume ; elle doit, au contraire, à son retour jouir de tous les Droits de Citoyen, quasi jure posiliminii.