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CLXXX.

Mais si le Seigneur achete Terres de Roture tenues de lui, il est tenu faire faire le service de Prévôté dû par ladite Terre, jusqu’à ce qu’elle soit réunie au Fief.

Dans ces quatre Articles & les quatre suivans, il est traité du Droit qu’a le Seigneur de retirer, en cas de vente, l’immeuble dépendant de son Fief, qui est un droit de préférence à l’acheteur. On peut joindre à ces Articles ce qui est ordonné dans le Titre des Retraits & Clameurs. Il est décidé premierement, que le Seigneur a ce droit, tant à l’égard de l’héritage noble que du roturier, par les Articles CLXXVII & CLXXVIII, avec cet avantage, que l’héritage ainsi acquis est réuni, par un effet du Retrait féodal, au Fief, pour faire le même composé tout noble1. De forte qu’étant pris par préciput, Il appartient entierement à celui qui l’a opté, sans en faire aucune part à ses Cohéritiers. C’est donc un des moyens de réunion, outre ceux de confiscation, bâtardise & deshérence, ausquels il faut ajouter celui de l’Article CC pour mieux faire remarquer la différence qu’il faut faire entre les acquisitions. faites par un Seigneur, par puissance & droit de son Fief, & celles qu’il fait en qualité d’acheteur. Car les acquisitions faites par le Seigneur, au moyen de la vente qui lui est faite par son Vassal, demeurent toujours en leur même nature, sont toujours acquets tant qu’il les possede, & sont de plus partagées. comme acquêts dans sa succession, parce qu’elles ne sont réunies au Fief que quand son successeur les a possédées conjointement avec le Fief, pendant quarante ans, comme il est declaré par ledit Article CC2. Il y a encore une au-tre différence expliquée dans les Articles CLXXIX & CLXXX, qui est que, quand le Seigneur achete des rotures mouvantes de son Fief, la servitude de faire le service de Prévôté, dont étoit chargé l’héritage vendu, n’est point éteinte, de sorte que le Seigneur acquereur & ses représentans, sont obligés de faire faire ce service à leur tour, jusqu’à ce que l’héritage acquis soit réuni au Fief. Mais quand le Seigneur retire par Retrait féodal une roture obligée à faire le service de Prévôté, cette servitude est éteinte à l’égard de l’héritage retiré, de sorte que les autres tenans, qui y sont coobligés, en demeurent d’autant plus chargés, parce qu’en ce cas la roture étant réunie au Fief, ne peut être sujette à cette servitude, qui ne peut subsister que sur les rotures, ce qui est spécial pour ledit service de Prévôté ; car pour toutes les autres charges communes, comme sont les rentes & corvées, les co-

tenans en demeurent déchargés, comme ils étoient à l’égard de ce qui en étoit dû pour la terre réunie, comme porte ledit Article CLXXIz, parce qu’au moyen de la réunion, les rentes & charges demeurent éteintes par l’Article CLXXVIII, & que d’ailleurs il y auroit de l’injustice, que les Vassaux qui n’ont point les fruits d’un héritage, fussent obligés d’en acquitter les redevances.3 Ce qui donne l’occasion de proposer & de réfoudre la question, sçavoir si lorsqu’un Seigneur a acquis des héritages relevans de son Fief, il se fait une extinction de toutes les charges & redevances ausquelles ils étoient obligés envers ledit Fief. On prouve cette extinction, qui est déclarée par l’Ar-tiele CLXXVIII au cas de Retrait, par deux Regles du Droit : La première, que res sua nemini servit, & la seconde, qu’idem non porest esse debiror & creditor. C’est sur ces deux maximes qu’est fondée la décision de la Loi 30. ff.

De servitutibus urbanorum prodiorum : Si quis cdes, que cdibus suis servirent, cûm emisset, traditas sibi accepit, confusa sublataque servitus est, & si rur-Jus vendere vuli, nominatim imponenda servitus est, alioquin libere veneunt. Il semble qu’il est fort raisonnable de suivre les deux résolutions contenuës dans cette Loi, & à l’égard de l’extinction de la servitude, & quant à l’obligation qu’à l’acquereur, lorsqu’il veut mettre hors de ses mains le mêmé héritage, dont les servitudes & les charges avoient été éteintes & confonduës par son acquisition, d’imposer de nouveau ces servitudes & ces charges, autrement que-cet héritage demeure libre en la possession d’un nouvel acquereur. Conformement à ces principes, il a été jugé qu’une servitude de franche-moute im-posée sur un, avoit été éteinte, parce que le propriétaire de l’heritage auquel cette franche-moute étoit dûe, avoit acquis leMoulin Moulin , de sorte que ce même Moulin ayant été mis en partage entre les enfans héritiers de ce propriétaire acquereur, l’ainé de ces enfans qui avoit pris le Fief dont dépendoit le, ne pouvoit prétendre le droit de franche-moute contre son frere, qui avoit eu dans son partage le Moulin Moulin : l’Arrét fut donné en la Grand Chambre sur un partage, le 28 de Juin 1631, rapporté parBasnage . Quand donc un Seigneur met hors de ses mains ce qui avoit eté réunt en sa main, il doit déclarer quelles redevances & servitudes il veut se reserver, autrement l’héritage par lui aliéné, demeureroit franc & déchargé, par l’argument qui se tire de l’Article DexIX.4

Il est à propos de remarquer sur les Articles CLXXVII & CLXXVIII, deux Articles du Réglement de 1666. Le premier, qui est le XCVI de ce Réglement, atteste que les Gens de main-morte. & les Engagistes du Domaine du Roi, ne peuvent retirer à droit de Fief les héritages relevans de leurs Fiefs. Le second qui est le CVIII, porte que l’héritage réuni par Retrait féodal au Fief, qui étoit un propre, est censé propre.5 Basnage rapporte, de plus, un Arrét du 13 de Juillet 1628, par lequel un Seigneur ayant rétiré un héritage dépendant de son Fief, fut autorisé à faire le rachat des rentes foncieres constituées sur cet héritage quoiqu’elles fussent tirracquittables, par la raison de similitude prise de l’Article CCI de la Coutume.6


1

DuMoulin , §. 20, n. 2, dit que le Retrait féodal est une condition tacite de l’inféodation & de l’investiture qui est censée, convenue & arrêtée, suivant la Coutume du lieu & la nature de l’Acte : il ajoute : Retradus feudalis nullo modo exorbitat cum sit connaturalis ipsi feudo originaliter, illi existens à primis conslitutionibus feudorum. Voyez les Coutumes de la Réole de l’an 977 ; la Charte de la Commune de Beauvais de l’an 1182 ; Desmares, Décision 204 ; & concluez-en l’antiquité du Retrait féodal avecLaurière .

Nous nous sommes éloignés du plus grand nombre des Coutumes en admettant le Seigneur à retirer les Rotures situées dans son Fief, & les Auteurs ont bien remarqué qu’il faut une disposition expesse de la Coûtume pour autoriser le Retrait censuel.Iacquet , des Fiefs.

Le Retrait féodal a conservé parmi nous sa fin principale il est incessible suivant l’Art.

CXVI du Réglement de 1666. Nous nous sommes conformés à ce beau Texte de du Moulin : Jus redimendi vel prelationis non est mera facultas, sed jus formatum, non est jus evocandi feudum quacunque de causâ, sed folum causâ uniendi & conciliandi suo principio, §. 20, Gl. 1, n. 23, in princip. Quand un Seigneur a vendu une portion de son Domaine non fieffé, cet Héritage ne peut être clamé à droit féodal, ni par le Vendeur ni par ses Héritiers : Arrét du 30 Juin 1724.

La Clameur féodale appartient de droit à l’Usufruitier du Fief ; mais le Propriétaire peut clamer par le refus de l’Usufruitier, en lui payant le Treizieme. le crois même que l’Usufruitier ne peut préjudicier irrévocablement le Propriétaire par les Actes contraires au Retrait que cet Usufruitier pourroit faire.


2

Si un seigneur acquiert un Héritage avec une condition de rachat & que cette conditien soit venduë à un tiers, l’Héritage n’est point censé réuni au Fief, quand même le Seigneur auroit clamé féodalement la vente de la faculté. L’Auteur des Maximes du Palais dit que la question a été ainsi jugée, en faveur des freres puinés, contre l’Ainé qui vouloit envelopper l’Héritage ainsi acquis dans son préciput ; c’est qu’il n’y avoit eu que la condition retirée à droit séodal, continue l’Auteur, & que le titre de l’acquisition subsistoit toujours.


3

Bérault rapporte un Arrêt sans date, qui dans l’espèce suivante, charge le Seigneur du service de Prevôte ; le Seigneur ayant acquis une vergée de terre sujette à ce service, la Fieffe au vendeur par trente sols de rente Seigneuriale, le jour de Paques un sol, pour aller à l’Offrande, & à charge d’autres Droits & Devoirs Seigneuriaux : le preneur à Fieffe est elu Prévôt ; il appelle au Bailliage de la Sentence du Senéchal, & elle est confirmée : sur l’appel il soutient que par l’acquisition du Seigneur, la droiture de Prevôté a été éteinte, que n’ayant point pris la Terre à cette charge, il n’y est point sujet ; les Cotenans opposent que sous cette expression, Droits & Devoirs Seigneuriaux, étoit compris le service de Prévôté que tous les hommes devoient, que P’héritage n’avoit point été réuni, & concluoient subsidiairement contre le Seigneur intimé sur l’appel : le Seigneur exposoit que le Fieffataire n’avoit pu ignorer que le fonds étoit sujet au service de Prévôté puisque lui-même, auparavant la vente, l’avoit fait, & qu’ainsi on devoit penser que de droit il étoit annexé à la Fieffe : les Gens du Roi conclurent contre le seigneur, qui debuisser legem apertius dicere : leurs Conclusions furent suivies.


4

De quelque manière que le Seigneur acquière dans sa mouvance, les charges sont tellement éteintes, qu’elles ne peuvent revivre sans une nouvelle stipulation, soit lors d’une seconde vente ou d’un partage : Arrêt du 12 Mai 162S, cité par Berault : Arrêt du 31 Mai RO88.

Quand le Seigneur devient propriétaire du Cheflieu d’une ainesse à quelques titres que ce soit, il semble que le Seigneur n’a plus au résidu l’indivis de ses rentes & devoirs sur ies puinés : Arrêt du 19 Décembre 1625.Basnage .


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Les Acquereurs des Domaines du Roi, des Justices & autres Fiefs démembrés des grandes terres, ne peuvent compter sur un seul instant de propriété incommutable, le Roi peut toujours y rentrer quand l’état de ses Finances le permet. Ainsi un Acquereur d’un Fief domnuial, quoiqu’à titre de perpétuité, ne peut clamer au Droit de ce Fief ; il est regardé comme Engagiste.

Bacquet , des Droits de Justice, Chap. 12, conseille à cet Acquereur d’obtenir des Lettres-Patentes du Roi qui l’autorisent à user du Retrait : de pareilles Lettres, si elles étoient présentées au Parlement de Normandie, n’y seroient point vérifiées, parce qu’elles donnent atteinte aux principes du Droit, sous lequel nous vivons.

On excepte le Possesseur d’un Fief domanial, à titre d’échange, parce que, par la force de ce Contrat, le fonds donné en contr’échange devient domanial, & le fonds domanial cesse de l’être.

L’Edit du mois d’Août 1749 a fait, dans l’Article XXV, une Loi générale du Royanme de l’Art. XCVI de notre Réglement de 1686, en défendant aux Gens de main-morte aucun Retrait seigneurial ou féodal, à peine de nullité, avec dérogation à toutes Loix, Coutumes & usages contraires.


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Auparavant le Réglement du 4 Juillet 17s3, il étoit difficile de s’assurer une rente foncière ; le Seigneur traitoit avec le Preneur à fieffe, on introduisoit un fantome d’Acquereur de l’Héritage cédé en fieffe : aussi-tût action en Retrait féodal & amortissement de la rente, rétrocession fouvent du Seigneur au Bénéfice du Vendeur : voila la scene jouée sous le masque. Le Réglement de 1753 a réprimé cet abus, en interdisant aux Seigneurs retrayans la li-berté de s’affranchir des rentes foncieres. Le motif de cet Arrét paroit avoir encore été le défaut d’un retour véritable à la Seigneurie ; car quelque faveur que l’on donne au retrait féodal, quoiqu’il soit une voie de réunion & réincorporation au Fief, on ne peut pas se déeider par les principes contenus dans l’Art. COl de la Coutume, lorsqu’il y a du fait du Seigneur qu’il va chercher le Fief, & qu’il ne retourne pas naturellement à lui ; d’ailleurs l’objet essentiel du retrait est de mettre le Retrayant en la place de l’Acquereur : ainsi toutes les charges & servitudes imposées par le Vendeur ou ceux qu’il représente sur le Fief vendu, passent avec le retrait, de même que ses avantages. C’étoit donc faire violence au commerce des fonds en introduisant une exception bizarre en faveur du Seigneur.