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CCLIX.
La Mere aussi aprés le décès de son Mari, peut en mariant sa fille, la réserver à sa succession ; mais elle, ni pareillement le Tuteur, ne peuvent bailler part à ladite Fille, ni la réserver à la succession de feu son Pere, ains seulement lui peuvent bailler Mariage avenant par l’avis des Parens, à prendre sur ladite succession.
Quelques-uns ayant prétendu que la réservation faite par le pere ou la mere, à leur succession, en faveur de leurs filles, n’a pas le même effet que la réservation à partage ; il est à propos de faire voir, pour expliquer ces deux Articles & le suivant CLX, que la Coutume n’a point fait cette distinction, & que par la réservation à la succession, elle a entenduë la réservation à partage. Ce qui paroit évidemment prouvé par un de ces trois Articles CCLIx, qui contiendroit une fausse maxime, si la réservation d’une fille à une succession ne se devoit entendre que de la réservation au droit de prendre un ma-riage avenant, comme le supposent ceux qui veulent autoriser ce problême.
Dar il est décidé par cet Article CCLD, qu’une mere en mariant sa fille, ne la peut réserver à la succession de son pere prédécédé. Or il est manifestement faux, qu’une mere ne peut pas réserver sa fille au mariage avenant qui lui appartient sur les biens de son pere : mais on ne peut douter que la réservation à la succession ou au partage ne signifie la même chose, quand on entend ce que signifie le mot de succession, à l’égard des biens d’un défuntOn ne le peut expliquer, sinon en disant que c’est le droit de succeder à ses biens ; ce que les enfans ne peuvent avoir, sans avoir en même-temps le droit de les partager entr’eux. Une fille réservée au mariage avenant qui est sa légitime, ne succede point à son pere qui l’a réservée, elle n’en est point héritière ; car elle n’est point obligée au payement des dettes, ni des charges de la succession. On ne peut donc pas dire sans absurdité, qu’une fille ainsi réservée ait été réservée à la succession sur laquelle son mariage avenant doit être arbitré : Il faut donc conclure, que quand la Coûtume a déclaré dans lesdits Articles, CCLVIII & CCIIX, que le pere & la mere pouvoient reser-ver leurs filles à leur succession, elle n’a pas entendu que les filles fussent seulement réservées à une légitime, mais à succéder comme héritieres, & par-tant à partager avec les frères les biens de la succession. Ajoutez à cela, qu’en Normandie les filles qui ont des freres, n’étant point héritières par le Droit commun, & d’ailleurs l’institution d’héritier n’étant point recue dans le Pays eoutumier ; il a été nécessaire qu’il y ait eu une Décision formelle dans la Coutume de Normandie, qui autorisat les peres & les meres à pouvoir donner à leurs filles le droit d’être héritières, & de partager avec leurs freres. Or cette Décision ne se trouve que dans lesdits Articles CCLVIII & CCLIx, oi ne se rencontrent point les termes de reservation à partage, mais précisément ceux de réservation à la succession.1
C’est par cette raison, que ces deux Articles & le CGLx contiennent les cas ausquels les filles sont héritieres en vertu des réservations faites par leurs pere ou mere. Sur quoi il faut d’abord remarquer, que le gérondif dont la Coûtume s’est servie en les mariunt, n’est que démonstratif de l’occasion pius ordinaire en laquelle ces réservations se font, qui est le mariage des filles ; mais il n’est pas limitatif, ni exclusif des autres cas ou moyens que les peres & nieres peuvent choisir ; parce que les peres & les meres peuvent en tout temps & par toutes sortes d’actes, réserver leurs filles au partage de lours suecesions, pourvu que leurs filles n’ayent pas été mariées, car si elles ont été mariées, on peut bien leur donner par augmentation ou supplément de dot, comme il a été remarqué sur les Articles CCLII & CCIIII ; mais on ne les peut plus réserver à partage, à cause de l’inconvénient qui s’en pourroit suivre, si une fille qu’on doit réputer excluse par son mariage, de la succession de les pere & mere, pouvoit troubler ses frères, en leur demandant partage : ce qui a été jugé par un Arrêt donné en l’Audience de la Grand Cham-bre, le 28 de Janvier 16ss, rapporté parBasnage .
Or il y a cette différence entre le pere & la mere, quant au pouvoir de réserver leurs filles à leurs successions, que la mere ne les peut réserver qu’à sa succession, & non à la succession de leur pere, par l’Atticle CCLIz, ce qu’elle ne peut pas même faire pour sa propre succession, du vivant du pere son mari ; mai, le pere peut réserver ses filles, tant à sa succession qu’à celle de la mère, soit qu’elle soit décédée, soit qu’elle soit vivante. Le cas de la mere prédécédée a été jugé par deux Arrêts rapportés parBérault , l’un du S de Fevrier 1513 & l’autre du 29 de Juin 1603 ; & quant au cas de la mere vitante, on peut douter que le mari puisse réserver ses filles à la succession de leur mère, sans l’intervention & le consentement de la mère ; parce que le mari ne peut pas disposer valablement des biens de sa femme, sans qu’elle intervienne & y consente : Maritus de bonis uxoris su & invile dotem dandi nul-lum habet facultatem, l. 2 4. C. De jure dotium. C’est pourquoi il semble que la femme survivante poutroit contester la réservation à sa succession faite sans son consentement : de forte qu’on pourroit dire, que quoique cette réservation faite par le pere, ne soit pas absolument nulle, elle le peut devenir, est retro nullu, conquérente matre superstite.2
Il faut remarquer qu’il a été jugé, que les filles pouvoient contester l’arbitration faite de leur mariage avenant, par le testament du pere, ou par un au-tre acte équivalent ; & partant, que les pere & mere n’ont le pouvoir d’exclure leurs filles de ce qui leur appartient pour leur mariage avenant, qu’en les ayant mariées, solo adtu maritationis, par lequel acte ils sont presumés avoir brocuré à leurs filles des avantages qui leur tiennent lieu de leur légitime, sçavoir, un doüaire, & la part qu’elles ont à la fortune de leurs maris : les Arrêts en sont rapportés parBasnage . Ce qui est contraire à quelques Arrêts donnés précédemment, qui peuvent paroître plus conformes à l’intention de la Coûtume, tant à l’égard de l’autorité qu’elle avoit artribuée aux peres & meres, de disposer, suivant ce qu’ils jugeroient à propos, de la legitime des filles, qu’à l’égard de la conservation des biens des familles en la personne des mâles.3
Cette réserve à partage est bien exprimée dans une formule deMarculfe , liv. 2, chap. 12, que les Auteurs etrangers appliquent mal à propos au rappel à partage des filles qui ont renoncé par Contrat de mariage : diuturna sed impia consuetudo inter nos tenetur ut de terra paternd sorores cum fratribus portionem nun habeant, sed ego perpendens hanc impietatem, sieut mihi à Domino equaliter donati estis ita S sitis â me qqualiter diligendi é de rebus meis post discessum meum gratulemini, ideoque per hanc epistolam meamt, dulcissima filia, contra germanos tuos, filios meos illos, in omni hereditate meû aequalent ( legitimam esse heredem meam ut tam de Alode paterno quam comparato, vel mancipiis, vel prasidio nostro, vel quodcumque ntorientes reliquerinuis gqui lance cum filiis meis dividere queas, Sc. Notre Coûtume exclusive de partage des filles, de même que la Loi Salique, dont parle, sans doute, ce bon pere dansMarculfe , ne permet pas que le pere réserve ses filles à partager. également les biens de Coutume générale, & c’est en cela qu’elle en differe. Puyey M. Af. flicti, liv. 3, Rub. 22, n. 163 duMoulin , sur l’Art. CXxxix de la Coutume de Blois, & à la fin de son Conseil, 55-
La réserve pure & simple à la succession du pere ou de la mère, renferme disertement une réserve à partage ; on a cependant soutenu avec beaucoup de chaleur, dans ces derniers temps, P’opinion contraire ; on tiroit des conséquences les moins vraisemblables des Articles CCLVII, CCCLVIII & CeeLXII de la Coutume, pour établir une différence entre deux termes, dont l’un pourroit être tout au plus considéré comme la cause, & l’autre comme l’effet : Comment a-t’on pu imaginer que la réserve à succession est une simple réserve à exercer des droits légitimaires ; La lecture de l’Article CeLI & de la Coûtume suffit pour démontrer la fausseté de ce lystême : cet Article porte, Que la mere, aprés le déces de son mari, peut, en mariant sa fille, la réserver à sa succession ; mais elle, ni pareillement le Tuteur ne peuvent bailler part à ladite fille, ni la réserver à la succession de feu son pere ains seulement lui peuvent bailler mariage avenant par l’avis des parens, à prendre sur ladite succession. Cet Article renferme trois dispositions relatives à la question : 16. La mere ni le tuteur ne peuvent, en mariant la fille, lui donner partage sur les fonds paternels, & cela est répété dans l’Article CCLXVI. 20. Ils ne peuvent pas la réserver à la succession paternelle. 30 Ils ont la liberté de lui donner sur cette méme succession un mariage avenant ; la réserve à succession & la réserve à exercer des droits legitimaires n’ont donc point une identité de force & de signification. La réserve à succession donne donc droit au partage, & le partage est la consommation de la réserve ; aussi cette nouveauté a été proserite par Arrét du 1S Décembre 1755.
Mais quand le pere ou la mère donne une somme à sa fille en la mariant, avec réserve à sa succession pour ce qui peut lui appartenir ces derniers termes fixent le sens de la clause au droit général de la Province ; c’est àdire, à une demande en légitime, par la raison que la Coutume n’accorde point d’autres droits aux filles : Arrêt du 19 lanvier 1735. Basnage rapporte un Arrêt du 1o Juillet 1680, dans une espèce à peu prés semblable.
La femme n’a pas lieu de se plaindre de la réserve à partage dans sa succession que le mari fait sans son consentement, parce que cet acte ne lui ôte point la disposition de ses biens pendant son veuvage : on écouteroit bien moins la reclamation des enfans qui opposeroient à leurs seurs le défaut d’intervention de la mére commune dans l’Acte de réserve. n beau-pere ne peut réserver sa fille à la succession de sa mere, au préjudice d’un fils qu’elle a eu d’un premier lit ; cette réserve ne paroit point desintéressée, mais il réservera bien une fille d’un premier lit au préjudice de son propre fils, pourvu qu’il ne fasse point un trafic odieux de l’établissement de celle à qui il paroit faire du bien.Basnage .
Quoiqu’apres un premier mariage on ne puisse plus réserver les filles ; cependant si la mere n’a point signé dans le premier Contrat, elle peut, apres le décés de son mari, réserver sa fille lors d’un second mariage, à sa succession.
Tai toujours considéré l’Acte de réserve à partage, hors le cas où la fille se marie comme un Acte ambulatoire, & qui n’est pas moins révocable qu’un Testament : Arrêt du 22 Décembre 173o ; mais la révocation doit être clairement établie, & on ne la suppose point par induction.
Au surplus, comme la réserve est susceptible de conditions & de clauses, de même que les autres Actes. Un pere peut, par exemple, réserver sa fille à partager sa succession, en cas qu’il décede sans héritiers mâles, & quoique, par l’Article CeXI. de la Coûtume, la fille de l’ainé ait, par la représentation de son père la prérogative d’ainesse dans les successions au propre, si le fils meurt avant son père, sa fille n’empéchera pas l’exécution de la réserve conditionnée faite au profit de sa tante. Ainsi jugé par Arrêt du 14 Mars 1504, rapporté parTerrien , liv. 6, chap. 3.
Un pere de famille peut encore prendre un autre tempérament que la réserve pour le bien de la paix ; il peut arbitrer la légitime de ses filles, & en cas de refus des freres de s’y arréter les admettre à partage.Basnage .
On réserve sans fondement une fille sur une succession collatérale à échoir car on ne dispose point de la succession d’un homme vivant ; mais si ce parent intervient dans l’Acte, cet avancement de succession, qui est toujours sujet à rapport entre cohéritiers Acte validera comme un arrangement de famille toujours favorablement interpreté
Ce n’est qu’avec circonspection que la Justice reçoit les plaintes des enfans contre les partages faits par leur pere ou les liquidations de dot ; on doit beaucoup de déférence à ce premier Légiflateur, à ce Magistrat domestique, quand il ne paroit point que les motifs de sa disposition ont été injustes, & le fruit des artifices insidieux de mauvais parens ou d’une belle-mere. Cette déférence ne doit pas fermer les yeux sur la lézion : car si elle est considerable, on doit en induire une prédilection que la Loi condamne.