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CCLXXV.

Bâtard ne peut succéder à Pere, Mere ou aucun, s’il n’est légitimé par Lettres du Prince, appellés ceux qui pour ce seront à appeller.

Les Bâtards sont ceux qui ont été engendrés, sans qu’il y ait eu un legitime mariage entre leur pere & leur mere. Quand donc un mariage est dé-claré nul, les enfans qui en sont nés, sont véritablement bâtards : mais quelquefois la bonne foi du pere ou de la mere, qui ont ignoré les empèche-mens qui causent la nullité de leur prétendu mariage, est cause que les enfans procrées pendant cette bonne foi, sont réputés legitimes, & jouissent des mêmes droits des personnes nées en légitime mariage.1

La Coutume ne propose qu’un moyen de légitimation, qui est celui des Lettres du Prince, & a omis celui du mariage subséquent ; quoique ce dernier ait le même effet que le premier, & qu’il soit plus considérable ; parce qu’il s’accomplit par la seule volonté du pere & de la mere, qui se peuvent marier sans le consentemont ou l’intervention de leurs parens.

Mais la légitimation qui se fait par les Lettres du Prince, requiert des formalités ; c’est-à-sçavoir, qu’il faut que ces Lettres soient homologuées & en-registrées du vivant du pere, ou apres sa mort du consentement de ses héritiers, appellés ceux qui pour ce sont à appeller, aux termes de cet Article c’est-à-dire, les plus proches parens. De manière que les Lettres de légitimation homologuées sans le consentement des parens, ne profitent aux Bâtards. que pour les rendre capables des Offices, Benéfices & Dignités, quantum ad honores, mais non pour les rendre capables de succéder à leurs parens, qui n’ont point consenti à leur légitimation, non quantum ad successiones,Bacquet , au Traité de Bâtardise, chap. 11 & 14. VoyezLouet , L. 7.

Or bien que les légitimations qui se font par ces deux moyens, fint restitutiones naturae, & antique ingenuitati ; & que conséquemment ceux qui ont été légitimés, perinde haberi debeant, ne si nunquam fuissent illegitimi, verè & non ficté nihil a legitimis filiis differentes, Authentica, Quibus modis naturales efficiuntur legitimi, §. si quis, & §. sit igitur : La legitimation néanmoins n’attri-buera pas le droit d’aînesse à celui qui étant né avant ses frères, procréés d’un mariage valablement contracté, a été depuis légitimé ; de forte que la légitimnation n’a pas un effet rétroactif au préjudice d’un tiers, & d’un droit qui est réputé lui être acquis.2

On a jugé en conséquence de ce principe, que les frères nés en légitime mariage ayant appréhendé une succession, ne devoient pas faire part de cette succession a leur frère depuis légitimé, par un Arrêt du 18 de Juillet 1614, rapporté parBérault .

Mais quoique les Bâtards ne puissent succéder ni à leur pere, ni à leur mere, ni à aucun, suivant l’expression de cet Article, ils ne sont pas exclus de la succession de leurs enfans procréés en légitime mariage, comme leurs enfans lé-gitimes ne sont pas incapables de leur succéder, parce que le Droit de bâtardise n’appartient point aux Seigneurs de Fief, au préjudice des enfans legitimes, par l’Article CXLVII, & que d’ailleurs reciproca debet esse hoereditatis delatio, suivant la Loi pénultieme, C. De adoplionibus citée sur l’Article CCLXXIII.

Il faut de plus remarquer, que les alimens ne peuvent être refusés aux Bâtards, & qu’on condamne les peres & les meres & leurs héritiers, à fournir aux Bâtards une pension viagere ; à moins qu’ils ne leur ayent fait apprendre quelque métier, & ne leur en ayent fait avoir la Maîtrise ; mais cette obligation ne passe point en la personne des autres parens, quoiqu’on ait jugé que les parens des pere & mere des Bâtards étoient recusables, & ne pouvoient connoître des causes des Bâtards, par deux Arrêts, l’un du 9 d’Avril 1631, & l’autre de l’année 1624, rapportés parBasnage . La veuve du pere du Bâtard, doit contribuer à la pension alimentaire qui est adjugée aux Bâtards, à moins qu’il ne soit procréé pendant son mariage ; car en ce cas elle en a été déchargée par un Arrêt du 11 de Février 1621, rapporté parBasnage .3

On remarque de plus sur cet Article, que les enfans exposés doivent être nourris & élevés par les Hopitaux des lieux ; ou quand il n’y a point d’Hôpitaux, par les Trésors des Eglises, suivant l’avis deBasnage , qui est fondé sur ce que les biens des Trésors étant provenus d’aumônes, ne peuvent pas être mieux employés qu’à une aumone, les enfans exposés devant être réputés pauvres de la Paroisse où ils ont été exposés ; que si les Trésors n’ont pas de biens suffisans, les Seigneurs de Fief & les Paroissiens doivent fournir la dépense, pour la nourriture & entretenement des enfans exposés : ce qui a été jugé par plusieurs Arrêts, cités par Bérault sur l’Article DCIV.


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Les Tribunaux doivent être en garde contre la surprise dans les accusations formées par les filles, pour les décharger du fruit de leur incontinence & obtenir des intérêts.

La déclaration d’une fille peut bien attirer de légeres condamnations par provision, une déclaration réitérée dans les douleurs de l’enfantement mérite quelque créance ; mais l’imposture de ces déclarations tant de fois découverte, a montré qu’on ne leur doit point une pleine soi, il faut constater l’auteur du délit ; & comme l’incontinence se cache, on doit à la Justice, au défaut de preuves, des présomptions qui puissent tenir lieu de la vérité : car proposer à des Magistrats éclairés d’asseoir une condamnation sur des fréquentations, sur de sim-ples assiduités, c’est vouloir que, contre leur état, ils encouragent le libertinage à la perte des moeurs : Arrêts des 15 Mars 1723 & 22 Décembre 1733.

Quand on croit avoir découvert l’auteur de la grossesse, on ne le condamne pas toujours.

Des filles célebres par leur déréglement, dans l’habitude de tendre des piéges à des enfans de famille : des filles dont les parens ont favorisé les rendez vous d’un jeune homme contre les défenses de sa famille bien connues, sont-elles dignes des regards favorables de la Justice ? Dans l’ancienne Jurisprudence, lorsqu’elles osoient conclure au mariage, la pratique de la Cour étoit de les condamner en des peines afflictives.

Si les circonstances portent à adjuger des intérêts, on balance l’âge, l’expérience & les qualités personnelles des Parties ; la naissance & le rang viennent en ordre accessoire : sixième Plaidoyer d’Erard . Une fille, par exemple, qui a eu un enfant n’a point d’action en dommages & intérêts contre celui qu’elle prétend l’auteur d’une seconde grossesse : Arrêt du 28 Fé-vrier 1755. Mais dans le cas où il est juste d’accorder des intérêts, ils emportent la contrainte par corps, quoique hors le cas de rapt ou de complicité d’autres crimes, la procédure doit être civilement intentée : Arrêts des 21 l’anvier & 1er Août 1749.

Il y a des cas qui provoquent avec raison toute la sévérité de la Justice ; ainsi si malgré les defenses formelles & réitérées du pere, un homme fréquente sa fille, s’il la rend grosse si apres lui avoir ravi son honneur il ose faire un contrat de mariage avec elle, il peut être poursuivi extraordinairement, & même décrété de prise de corps : l’autorité paternelle a été vengée de cette manière par Arrêt rendu en Grand’Chambre le 22 Février 1759. Le contrat de mariage souscrit par la mère de la fille & cinq Gentilshommes de ses parens, la qualité du parti qui paroissoit sortable, la dissipation notoire du pere, ces moyens furent considérés comme propres à recourir à la Justice pour obtenir le consentement du pere, mais comme impuissans pour justifier le mépris de l’autorité paternelle.

Voyez la Déclaration concernant le rapt de séduction, adressée au Parlement de Bretagne le 3o Novembre 1730, & remarquez, avec les Auteurs, que ce crime n’est pas toujours facile. à prouver

On ne peut assoz souvent rappeller l’Edit du mois de Février 1556, contre les femmes qui ont celé leur grossesse & enfantement : cet Edit a eu pour motif de protéger la vie des enfans nés d’un commerce illégitime, attaquée par les cris parricides du faux honneur ; il n’é-toit, dans le temps de l’Edit, comme de nos jours, que trop ordinaire de trouver des filles qui, seduites d’abord & devenues meres, sacrifioient ensuite leur fruit aux intérêts de leur réputation. L’Edit punit du dernier fupplice les femmes qui auront celé leur grossesse & en fantement, & dont les enfans auront été privés du Sacrement de Baptême & de sepulture publique & accoutumée ; elles sont, suivant l’Edit, dans le concours de ces circonstances tenues & réputées avoir homicidé leur fruit. Par un autre Edit de l’an 1586, il fut enjoint aux Curés de publier celui de 1556 aux Prônes de leurs Paroisses de trois mois en trois mois ; le Parlement de Paris renouvella la nécessité de cette publication par Arrét du 19 Mars 1698.

Une Déclaration du Roi du 25 Fevrier 1708, enregistrée en ce Parlement le 15 Mars, donnée en interprétation de l’Art. XXII de l’Edit du mois d’Avril 1695, & de la Déclaration du 16 Décembre 1608, en ordonne de nouveau la publication aux Prônes de trois mois en trois mois, à peine de saisie du temporel des Curés à la requête du ministere public.


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Souvent un homme éloigné de son domicile, fier de secouer le joug d’un premier engagement qui subsiste encore, se fait un perfide jeu d’élever un fantôme de mariage. L’état de cette femme qu’il place sur les débris d’un premier noeud, & des enfans qu’elle lui donne, me paroit dépendre absolument des circonstances de ce second engagement. a-t’il été en effet précédé des informations capables de faire présumer la liberté de celui qui est sur le point de le contracter ? a-t’il été accompli avec les formalites prescrites dans le lieu de la célébration du mariage ? Enfin, remarque-t’on dans les démarches & dans l’exécution toutes les précautions que sa prudence ordinaire conseille ? Il ne sembleroit pas alors juste que cette femme & ses enfans fussent les victimes infortunées d’un suborneur adroit ; cependant quoique la manière de décider soit en elle-même tres-difficile, la difficulté s’accroît encore lors-qu’il y a des enfans nés du premier & véritable mariage. Il me seroit inutile de citer des Arrêts, il en a été rendu en cette espèce dans tous les Tribunaux du Royaume ; mais la di-versité qui regne fouvent à cet égard entre les décisions du même Parlement, répandroit peut-être par les citations un nuage encore plus épais sur la question.

Des parens assemblés, qui marient une fille comme legitime qui ne l’est pas, ne peuvent dans la suite lui reprocher le vice de sa naissance & lui opposer son incapacité, lorsqu’il lui écheoit une succession ; le mari seroit trompé par la mauvaise foi d’une famille convoquée pour la sureté du Traité le plus important & le plus solemnel : aussi par Arrêt du 15 Mai 163I, rapporté par Basnage sous l’Article CCXXXV, on adjugea dans cette espece, pour intérêts au mari & à la femme, le partage qui lui eût appartenu dans la succession ouverte, si elle eût été légitime. Pareil Arrêt en faveur d’un fils bâtard marié comme légitime, prononcé en Robe rouge au Parlement de Paris, par M. le Président de Morsans, le 14 Juillet 1582 : AnneRobert , Liv. 2, Chap. 18

Observez que le Prince peut bien habiliter le bâtard à posseder des Offices séculiers ; mais les Canonistes prétendent que les Lettres de légitimation qu’on obtient de lui, ne suffisent pas pour recevoir des Ordres ou tenir des Bénéfices, le bâtard doit être dispensé par l’Evéque ou le Pape, suivant le degré de l’Ordre ou la qualité du Benéfice.


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D’état des bâtards est souvent exposé à l’incertitude ; on suit à leur égard les principales maximes que j’ai observées sous l’Art. CCXXXV : on argumente de la cohabitation, de l’accouchement, de l’Extrait des Registres de Baptême quoique déguisé du tractatus, de la reconnoissance des pere & mere, & de la notoriété au lieu de leur domicile : troisieme Plaidoyer d’Erard .

On peut dire que le pere est plus étroitement obligé de procurer la subsistance à son fils naturel qu’à celui qui est le fruit de l’union conjugale ; l’un en naissant trouve une seconde mére qui est la Loi, elle l’adopte, elle lui administre mille secours ; l’autre, exclu des Offices des Bénéfices, des Successions de ses proches, n’a pour azile que la maison paternelle :Erard .

On donne ordinairement la premiere éducation du bâtard à la mère ; & l’Auteur des Maximes da Palais dit, qu’il a été jugé qu’un fils bâtard resteroit chez sa mere jusqu’a l’âge de dix ans : on condamna, par le même Arrêt, son père à lui payer pension.

On a jugé au Parlement de Paris sur les Conclusions de M. l’Avocat-l. énéral Cilhert, le 28 Mai 173I, que les alimens étoient dûs aux enfans naturels jusqu’à l’âge de 20 ans, & qu’alors le pere étoit obligé de leur faire apprendre un métier ou de leur donner un état convenable : je me persuade aussi que la mere n’est pas moins obligée de remplir ce devoir que le pere, suivant ses facultés. De Freminville, dans son Dictionnaire de la Police verb. Grossesse, rapporte un Arrêt du mois de Février 172d, qui a condamné le pere & la mère du batard à sa nourriture, entretien & éducation.

La légitimation par le mariage subséquent a été long-temps inconnue en France ; on trouve le fondement de cet usage dans une Loi de Constantin : mais comme nous n’avions jus-qu’à la troisieme Race que le Code Théodosien, & que la décision de Constantin ne s’y trouve point, ce n’a été qu’en étudiant Justinien & vers la fin de l’onzieme siecle, que cette ma-nière de légitimer les bâtards s’est établie ; quelques Auteurs ont prétendu qu’elle n’a d’effet que pour la promotion aux Ordres, mais qu’elle n’habilite point à succéder. Voyez Fleta Chap. 39, §. 4. Notre ancien Coutumier rejette cette distinction il répute pour legitimes les enfans nés avant le mariage quand le pere épouse leur mere. Voyez l’ancienne Coutume, Chap. des empêchemens de Succession, &Terrien , Liv. 2, Chap. 3.

Quoique le bâtard légitimé par Lettres du Prince ne succede point aux parens qui n’y ont point consenti, les parens lui succedent néanmoins contre la regle si vis mihi succedere fac ut tibi succedam : aussi dit-on que le fife en changeant l’état des bâtards, abandonne son droit & per legitimationem nothus censetur factus de familia, non ut succedat familie, sed ut fami lia et succedat.Bacquet , du Droit de Bâtardise, Chap. 14, n. 18. LeBrun , des Successions, Liv. 1, sect. 4, n. 3.