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CCCXXX.

Quelqu’accord ou convenant qui ait été fait par Contrat de mariage, & en faveur d’icelui, les Femmes ne peuvent avoir plus gran-de part aux Conquêts faits par le Mari, que ce qui leur appartient par la Coutume, à laquelle les Contractans ne peuvent déroger.

Puisque par cet Article il n’est pas au pouvoir des contractans de déroger. aux dispositions de la Coûtume, on ne doit pas s’étonner qu’on n’ait eu aucun égard aux clauses dérogatoires employées dans les contrats de mariage, afin d’établir la communauté, & donner à la femme des droits de doüaire & de conquêt prohibés par la Coûtume.

Mais les Auteurs qui ont écrit sur le Droit coutumier, foutiennent que la Coûtume de Normandie n’a pu imposer de loi qu’aux personnes qui sont domiciliées dans son district, & non à ceux qui habitent hors de l’étenduë de la Province, à qui on ne peut ôter la liberté qu’ils ont de contracter suivant l’usage de leur Pays, à l’égard des choses qui ne sont pas purement réelles, mais qui doivent être réputées personnelles ; comme sont les Sociétés qui s’éteblissent entre particuliers, avec les conditions dont ils sont convenus, entre les-quelles Sociétés, la plus fréquente & la plus importante est celle du Mariage.

Comme donc le partage des biens d’une Société ne se regle pas par une Loi générale, ni par la Coûtume des lieux où ces biens sont situes, mais se fait suivant la convention des Associés, ainsi le partage de la communauté qui est autorisée par la plûpart des Coutumes, doit être indépendant de la Loi qui est par-ticulière aux lieux dans lesquels sont les biens acquis par les mariés, parce que ce partage dépend d’un Contrat, & ne doit pas être réputé réel, comme celui d’une hérédité, qui est ordonnée par une regle générale, indépendamment de la volonté des particuliers1. Or la part que la femme a en Normandie, sur les acquets faits pendant le Mariage ; est un droit d’hérédité, vu qu’elle ne la peut avoir que comme héritière, & lans s’obliger solidairement à toutes les dettes de la succession, de la même maniere que les autres héritiers de son mari y sont obligés ; étant même obligée en cas qu’elle ne veuille pas accepter cette succession, d’y renoncer par un Acte solemnel fait en Justice, & dans les délais qui lur sont prescrits par l’Article CCCXCIV. Mais les Coutumes dans lesquelles la communauté est recue, les femmes partagent les biens de la communauté, non comme héritières, mais en vertu du Contrat de leur mariage, par lequel ce partage est réglé, non fuivant le plus commun usage du Pays, mais suivant la paction faite entre les futurs époux, qui ont pu stipuler valablement que leur part aux biens de la communauté seroit plus grande ou moindre que la moitié. Par la même raison que cela est permis dans les contrats des autres Sociétés, suivant la Loi si non fuerint ff. Pro socio, & qu’ilest expliqué dans les Institutes au S. De illa du Titre De societale, Outre qu’ils ont pu convenir, qu’ils ne seroient tenus des dettes l’un de l’autre, contractées avant le Mariage, comme il se doit conclure de l’Article CCXXII de la Coutume de Paris : ce qui ne préjudicie point au partage des biens de la Communauté, qui partant se fait, sans attribuer la qualité d’héritier. Mais en Normandie la veuve ne pouvant prendre part aux conquêts que comme héritière ce partage est absolument réel, & conséquemment doit être fait suivant qu’il est limité par la Coûtume du lieu, comme se font tous les partages des successions entre les héritiers.

Ce n’est pas déroger à la Coutume, que de stipuler que la femme aura moins de part aux conquêts ou aux meubles de son mari, que la Coûtume ne dui en attribue. De la même maniere qu’on peut stipuler utilement, que la femme n’aura point de doüaire, ou l’aura moindre que le tiers, qui est le douaire coutumier ; parce qu’en tous ces cas, la Coûtume n’a pas défendu le moins, mais seulement le plus, & ainsi on ne peut pas dire qu’en stipulant le moins, on déroge à la Coutume : dont on infere, que les conventions des particuliers peuvent empécher l’effet de la disposition ordinaire de la Loi, dans les choses qui dépendent du consentement des Contractans, pourvu que leurs stipulations ne soient point contraires aux loix de l’honnêteté, ou à celles qui sont faites par une cause publique, ou à ce qui est expressément défendu par la Loi municipale.2

Une femme peut valablement stipuler, que les meubles qu’elle apporte à son mari, seront remplacés en une certaine qualité de biens, ausquels elle aura un droit de conquêt le plus avantageux, parce qu’elie peut imposer telle condition qu’il lut plait à la chose par elle donnée. Mais la clause par laquelle une femme auroit stipulé généralement, que son mari seroit tenu de faire toutes ses acquisitions en bourgage, ou en un certain lieu, seroit réputée incivi-le, comme privant le mari de la liberté qu’il doit avoir de dispuser de son bien indépendamment de la volonté de sa femme.


1

Comme la disposition de notre Coutume est réelle, si un mari domicilié en pays de communanté, fait des acquisitions en Normandie, la femme ne peut aprés la dissolution du mariage, y prendre plus grande part que celle que notre Coutume lui donne. LeBrun , de la Commun. dit au contraire que la communauté doit s’étendre à tous les conquêts, en quelques endroits qu’ils soient situés, ne illudatur alterutri conjugun, un mari feroit tous ses conquêts en Normandie ; ce même Auteur, Liv. 1, Chap. 2, soutient que le mari ne peut, en transférant son domicile, faire que la communauté soit régie, pour sa dissolution, par la loi du nouveau domicile acquis où la communauté se rompt ; la convention de la communauté a toujours le partage pour objet & pour fin ; ceux qui la contractent le font dans la vue qu’elle doit être partagée un jour ; par conséquent la clause qui a établi la manière dont ce partage doit se faire ne peut varier, c’est un droit acquis & fixe des l’instant du mariage. De la le Brun tire une conséquence, que si le mari domicilié à Lyon vient demeurer à Paris & y meurt, la femme ne pourra pas reclamer les dispositions de la Cou-tume de Paris. Nous pensons que les droits de la femme sur les meubles de son mari sont réglés par le domicile des conjoints au temps de la dissolution du mariage, & ses droits sur les conquêts par la Coutume de leur situation : aussi par Arrêt du 3 Avril 1730, au rapport de M. d’Ectot, une femme dont le mari étoit mort domicilié en Normandie, fut autorisée à partager ses meubles, & eut une portion dans ses conquêts faits en cette Province, quoique le mariage eût été célébré dans le pays de droit écrit, où la communauté n’est point re-cue. Un Arrêt du 9’Août 1743, au rapport de M. l’Abbé Chevalier, répand un nouveau lour sur nos maximes : voici l’espece. Un Normand s’étoit marié à une veuve à Tpres, les conioints avoie : t stipulé, dans le contrat de mariage, une soumission à la Coutume de Paris, avec dérog-tion à toute autre ; il y étoit convenu que, dans le cas où le mari seroit des acquisitions sous des Coûtumes qui auroient des dispositions contraires, le mari ou ses héritiers seroient tenus de paver à la femme on à ses héritiers, la moitié de leur juste valeur ou de leur céder la moitié des acquisitions ; le mari avoit, pendant le mariage, fait des acquêts en Normandie ; & dix ans aprés le décés de sa femme, morte à Tpres, le mari étoit retourné dans notre Province : une fille de cette femme, issue du premier mariage, yforma la demande en exécution du second contrat de mariage de sa mere ; le mari lui offroit la restitution des deniers apportés par sa femme en communauté, avec les intérets du jour de son déces : par l’Arrét les offres du mari furent jugées valables.


2

La femme peut se réserver, par le traité de mariage, la faculté de disposer d’une portion de ses immeubles, comme d’un tiers à titre gratuit ou à titre onéreux, & cette réserre est licite, parce qu’elle ne diminue point le patrimoine du mari.

La femme peut stipuler que le mari employera une somme de deniers, qu’elle lui apporte, dans une acquisition en bourgage ; mais si le mari acquiert sous la Coûtume générale, la femme ne peut demander que la moitié des deniers de l’apport fait a son mari, avec les inté éts du jour de la dissolution du mariage. Dans l’espèce de l’Arrêt du co Mars 1820, cité parBérault , les héritiers de la femme y avoient limité leurs conclusions, & elles furent saivies.

Il est permis de stipuler en se mariant, que la femme ne prendra aucune part dans les meubles & acquêts de son mari, la clause est tres sage quand le mari, qui convole en secondes nôces, a des enfans, mais elle doit être précise & expresse.Basnage .

Le mari, par la même raison, peut stipuler que la femme aura, sur les meubles & acquêts, des droits moins étendus que ceux que la Coutume lui défère ; mais cette restriction n’assusiettit pas la femme à des charges que la Coûtume ne lui impose point ; & si le mari a limité la part de sa femme à celle d’un de ses enfans mâles on ne doit pas conclure, pour établir l’égalité, que la femme doive contribuer à la légitime des filles arbitrée sur le bien paternel : Arrét du s’Août 1730, sur un renvoi du Conseil.

Il a encore été jugé, par Arrêt du 17 lanvier 4731, au rapport de M. de Saint Gervais, que la renonciation de la femme à prendre part aux meubles, aprés le décés de son mari, n’entraine pas la privation de sa part dans les conquêts. On opposera peut-être conctre cet Ariét, que la femme, en portant son mari à faire des conquêts en bourgage, rendra l’effet de la clause inutile, & que le mari, en stipulant l’exclusion du mobilier, a stipulé sur l’objet le plus present & le plus ordinaire : minus dictum quam cogitatum ; mais on n’étend point, par induction, une clause dérogatoire à une autre. Le mari pouvoit, en se mariant, ne retrancher à sa femme aucuns de ses droits coutumiers, si la femme exclue des meubles, a une part dans les conquêts, c’est que le mari n’a pas voulu la lui ôter.

Au surplus, la restriction par contrat de mariage des droits coutumiers de la femme, ne nous est pas particulière ; il est permis, dans le pays de communauté, en contractant mariage, de réduire la femme à une certaine somme pour tout droit de communauté, un pere, en se mariant, peut à plus forte raison, réduire sa seconde femme à une certaine part dans la communauté qui soit au-dessous de la moitié. Voyey AnneRobert , Liv. 4, Chap. 1.Troncon , sur l’Art. CCLXVII de Paris ; Dufresne, Liv. 2. Chap. 40.Renusson , dern. édit. page 73.