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CCCXXXII.

Le Mari & ses héritiers peuvent retirer la part des Conquêts ayant appartenu en propriété à sa Femme, en rendant le prix de ce qu’elle à couté, ensemble des augmentations, dans trois ans du jour du décès de ladite Femme.

Ces deux Articles font connoître, que la propriété que la femme a sur les conquêts, n’est pas pleine ni irrévocable, puisqu’elle cit sujette à l’usufruit du mari survivant, & que d’ailleurs elle est retrayall. par le mari & ses héritiers.1 On a demandé si l’Article CCCXXXII, qui semble proposer le cas du prédéces de la femme, se doit étendre au cas contraire du prédéces du mari ; c’est-à-dire, si la femme survivante peut être dépossédée du conquêt pendant savie, par le retrait qu’en feroient les héritiers du mari, dans les trois ans ensuivans la dissolution du mariage. Cette question peut être faite & en faveur de la femme & contre son intérêt, parce que la femme peut prétendr & que son droit de conquêt lui étant attribué comme un effet de la société conjugale, elle ne doit pas être frustrée pendant sa vie de la jouissance de ce qui doit être présumé acquis par la contribution de son industrie & de son bon ménage : Par-la même raison que le mari a cette jouissance à titre d’ufufruit, par l’Article CCCXXXI, dont on concluroit, que les héritiers du mari ne pourroient exercer la faculté qu’ils ont de retirer la part de la femme, qu’aprés son déces. Mais d’ailleurs, si l’on dit que ces héritiers peuvent absolument & sans distinction user de ce droit de retrait, trois ans aprés le décés de la femme il s’enfuit que pendant tout le temps de la vie de la femme ( qui peut être longy & même trois ans aprés ce temps, la propriété de la femme demeure incertaine & en suspens : de sorte qu’elle ni ses héritiers ne pourront non-seulement vendre ni engager le fonds, mais même y faire tous les changemens qu’ils pourroient désirer pour leur utilité, ou pour leur divertissement : ce qui est fort répugnant au droit de propriété que la Coûtume donne à la femme.

Pour concilier ces difficultés, il semble qu’on pourroit répondre que la femme ne doit point être dépossédée, contre sa volonté, des conquêts, & qu’elle en doit jouir pendant sa vic ; mais que si elle veut s’assurer irrévocablement la propriété, elle doit sommer les héritiers de son mari, & faire juger, que faute par eux de mêttre à exécution leur droit de retrait dans les trois ans prochainement venant, ils n’y seront plus recevables. Mais on peut dire, avec une raison plus vraisemblable, que le retrait accordé aux héritiers du mari, de la part des conquêts appartenans à la femme, n’est qu’au cas de prédéces de la femme ; car quand elle survit à son mari, la propriété de sa part est pleinnement confirmée, de forte qu’elle n’en peut être privée de la jouissance, ni ses héritiers aprés sa mort. Ce qui paroit plus équitable, & plus conforme à l’Article de la Coûtume, qui n’attribue ce retrait au mari & à ses heritiers, que dans le cas de la femme prédécédée.2 Au reste, le mari ou ses héritiers usant de cette faculté, doivent retirer étoute la part des conquêts échue à la femme ou à ses héritiers, & ne peuvent pas en retirer une partie & laisser l’autre ; ce qui a été jugé par s Arrêt du 19 de Juillet 1652.

Le mari retirant doit rendre tout le prix qu’à couté la part de l’héritage qu’il retire, sans pouvoir en faire aucune diminution, sous prétexte de l’usufruit qui lur en appartient, comme il a été jugé par plusieurs Arrêts : il doit même rendre ce prix dans le délai de trois ans, & il ne suffit pas qu’il ait intenté son action dans les trois ans, par un Arrêt du 26 de Février 1819.

Tous ces Arrêts sont rapportés parBasnage .3 Il en rapporte un autre du 3 d’Avril 1635, par lequel il a été jugé que ce droit de retrait se transféroit à tous les représentans les héritiers du mari, en quelque degré qu’ils soient parens, sans considérer l’ordre de succeder qui s’obferve aux retraits lignagers : de sorte que les descendans de ces héritiers, quoiqué plus éloignés, & du sexe. féminin, concurrent avec les héritiers mâles à faire ce retrait, qui n’est pas accordé par le droit de lignage, mais par un droit particulier & propre des conquêts : car il ne suffit pour faire le rétrait, d’être parent du mari, il faut être son héritier, de sorte que les parens n’ont

pas un droit semblable à celui qui leur est attribué par l’Article CCCCLXXIII pour le retrait de lettre-lue ; il faut qu’ils soient héritiers, & partant que la succession du mari leur soit échue : Quod videri potesi male judicatum ; parce que ce que le mari retire à droit de conquêt, les héritiers ou leurs représentans, ne le retirent que comme une dépendance de sa succession, en laquelle conséquemment on doit observer l’ordre établi par la Coutume, pour les retraits lignagers & pour les successions.

Sed quid ; Siil y a divers héritiers, les uns au propre, & les autres aux accquets, pourront-ils concurrer à ce rétrait : Videlur quod non, & que les héritiers aux acquêts y doivent être préférés, parce que ce droit de conquêt est une dépendance de la succession aux acquêts : car même quand le mari use de ce retrait, l’héritage qu’il retire est un acquet à l’égard de ses héritiers, non toutefois à l’égard de la femme qu’il auroit épousée en secondes nôces, parce que cette acquisition doit être considérée comme faite ex aniecedente causa, de ce second mariage ; & partant il sembleroit, que cette femme ne pourroit avoir aucun droit propriétaire ou foncier sur l’héritage ainsi retiré, mais seulement une action pour répêter la moitié du prix. Ce nonobstant, Basnage rapporte un Arrêt du 22 de Février 16yd, qui adjugea à la femme, droit de conquêt sur l’héritage.

Mais quand les héritiers du mari retirent la part du conquêt de la femme estce un propre, comme censé faire une part de la succession du mari, & être déféré aux héritiers par un droit successif : Il y a raison de douter, d’autant que ces héritiers, à parler proprement ne posséderoient pas ces conquêts par droit successif, aux termes de l’Article CCCXXXIV ; mais par droit de l’acquisition qu’ils en auroient faite, sans y être engagés par l’addition de l’hérédité : mais on dit au contraire, que retirant comme héritiers, & par con-séquent à droit de lignage, l’héritage retiré est réputé un propre, par l’Article CCCCLXXXIII.4


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La Coûtume semble se repentir d’avoir accordé à la femme un droit de propriété dins les conquêts de bourgage, & en quelques autres endroits de la Province ; ansii rend-elle cette propriété révocable à la volonté du mari & de ses héritiers, & elle proroge le temps de la révoquer bien au-dela du délai prescrit à tout autre retrait légal : ce qui surprend davantage, ce n’est pas que le mari retire la part des conquêts sur les hériciers de sa femme, c’est qu’il domine encore étant au tombeau, & qu’il transmette à des héririers collatéraux, & même éloignés, le droit hétéroclite & singulier de dépossé der sa femme d’un bien qu’elle tient de la Coutume, en sorte qu’elle trouve dans la même loi un titre qui fonde & qui détruit, pour ainsi dire, ses prétentions On ne peut avoir une preuve plus certaine de l’etendne du pouvoir du mari sur les conquéts


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Le retrait demi-denier introduit par l’Article CLV de la Coutume de Paris, n’a aucun rapport avec les dispositions de nôtre Coutume, que par le remboursement nécessaire de la moitié du prix des acquets & des frais & loyaux couts : Louet &Brodeau , Lett. R. Chap. qu, duMoulin , sur l’Art. CCeX1. de la Coutume de Poitou, de L’hommeau , Liv. 3, Max. 241.

Ainsi nous n’admettons point, comme à Paris & dans plusieurs Coutumes, une faculté, en faveur de la femme, de pouvoir retirer les conquêts faits dans sa ligne ou dans la mouvance de son Fief. Nous rejettons l’opinion deTerrien , Liv. 6, Chap. 2, qui confond avec la donation faite d’un immeuble à son présomptif heritier, l’acquisition qu’il en auroit pu faire : prix d’argent, si la donation est considérée comme un avancement d’hoirie, le prix, qui est Timage du fonds, écarte absolument cette idée La femme, par des sommations, ne peut abréger le temps qui est donné aux héritiers du mari pour saire le retrait de l’Article CCCXXXII ; mais les héritiers du mari ne peuvent deposséder la femme pendant sa vie, sa jouissance doit être égale en durée à celle que son niari a de sa portion : Arrêts des 24 Janvier 1692 & 21 Août 1724.

Le texte de la Coutume nous fait comprendre qu’il ne suffit pas d’intenter cette action dans les trois ans du jour du déces de la femme ; mais que le remboursement doit être fait dans le même temps. Bérault dit que la question a été ainsi jugée par Arrêt du s ou 28 Fevrier 1619.


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On comprend, sous le nom des augmentations dont, au temps du retrait, on peut demander récompense, suivant nos maximes, les décorations, les embellissemens que le mari, pendant la durée de son mariage, ou la femme aprés sa mort, auroit fait sur les fonde de sorte qu’ils en seroient plus précieux.Bérault . Le mari ou ses héritiers doivent, aprés le retrait, entretenir les Baux faits par la femme sans fraude.


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Il paroit que Pesnelle critique mal-à propos l’opinion deBasnage , & l’Arrét que ce Commentateur rapporte : rien de plus facile à comprendre. Le retrait que le mari fait de la part de sa femme dans les conquêts, est une nouvelle acquisition ; lorsque ce retrait est exercé pendant un second mariage, la femme y prend part, si le mari meurt sans l’avoir exercé, & dans les délais de la Coutume, la faculté s’unit à sa succession aux acquêts, dont elle est une portion & une dépendance nécessaire ; quand, aprés un premier dégré de succession, le temps prescrit pour en faire usage n’est point encore épuisé, l’héritier de celui qui a partagé la succession aux acquêts du mari l’exercera par proportion avec la part dont son auteur a hérité aux acquêts, & on ne doit avoir aucun égard à la proximité du degré ; l’exemple qu’en donne Basnage est frappant : Une nièce, fille d’un frere, avoit succédé aux acquêts du mari avec ses oncles, freres du défunt ; aprés sa mort le fils de cette niece voulut intenter cette espèce de retrait concurremment avec ses cousins issus des oncles ; ils soutenoient qu’il étoit plus éloigné qu’eux du défunt d’un degré, & qu’il ne pouvoit venir au retrait ni de son chef, ni par représentation ; il repliquoit qu’il avoit trouvé cette faculté dans la succession de sa mere, & qu’elle la lui avoit transmise : par Arrêt du 3 Avril 163s, il futadmis avec eux au retrait.

Cependant l’espèce de l’Arrêt du 22 Février 16ya, cité par Pesnelle, mérite d’être remarqué. Une veuve ayant un fils de son premier mariage, convola en secondes nôces ; le second mari acquit, étant marié, des biens de bourgage, où la femme eut part : apres la mort de la femme, les enfans du second lit partagerent cette part avec leur frere utérin, mais ils retirerent ce qui lui en étoit échu. Un des freres de pere & de mére mourut, & le frere utérin prétendit succéder dans la portion des conquêts que ce frere avoit retiré : les freres de pere & de mére sur-vivans soutinrent que cette part étoit un bien paternel, & qu’elle avoit été rétirée sur le frere utérin au droit du pere : par l’Arrêt le frere utérin fut admis à succéder seulement à la part des conquêts que le frère de perc & de mére avoit héritée du chef de sa mère.