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CCCLXVI.

Si le Mari reçoit, constant le mariage, le racquit des rentes qui lui ont été baillées pour le dot de sa Femme, le dot est tenu pour consigné, encore que par le Traité de Mariage, ladite consignation n’eût été stipulée.

Ces deux Articles font la quatrieme partie de la division proposée, & enseignent comment les dots doivent être reprises sur les biens des maris, pro-pres, acquêts & meubles. La Coutume fait cette distinction, ou il y a eu coniignation de la dot, ou il n’y en a point eu : Le terme de consignation est particulier en Normandie, quant à la signification qu’on lui donne à l’égard de la dot ; car on entend par la consignation de la dot, un remplacement d’icelle fait sur les biens du mari, qui par ce moyen demeurent engagés non-seulement à la restitution de la dot, mais au payement des intérêts ; comme si le mari, par la réception de la dot, avoit constitué une rente à laqueile ses biens fussent specialement & privilégiément hypothéqués, de sorte que l’effet de cette consignation est, que la femme doit être payée de sa dot en principal & intérets, sur les biens propres, c’est-à-dire, appartenans au mari lors du mariage, sans aucune dimmution des droits qui lui sont attribués sur les conquêts & meubles du mari.

Cêtte consignation que la Coutume appelle actuelle dans l’Article CCCLXV se fait, ou par une clause du contrat de mariage, par laquelle il est stipulé que la dot promise est dessors consignée, ou constituée, ou remplacée, ( ces trois termes sont équivalens ) sur les biens du futur époux, ou par la quittance que baille le mari des deniers dotaux, par laquelle il déclarc les consigner, ou remplacer, ou constituer sur ses biens.1 Il y a une consignation tacite, qui s’établit, quand le mari reçoit le racquit des rentes qui lui ont été baillées pour la dot : car par cette réception, la consignation est réputée faite de droit, & sans aucune convention stipulée lors du contrat de mariage, ou du racquit, par l’Article CCCLXVI, auquel il faut ajouter, que les biens échus à la femme pendant le mariage, par succession directe de ses ascendans, sont censés dotaux, & ont le même privilége que la dot, & sont partant tacitement consignés, au même cas que la dot est réputée consignée. Cela supposé, & reprenant la distinction faite par la Coutume en l’Article CCOLXV, quand il y a consignation actuelle, la reprise de la dot se fait sans aucune diminution des droits qui sont attribués à la femme sur les meubles & les conquêts : de sorte que la restitution de la dot se fait entièrement sur ce qui revient aux héritiers du mari, tant desdits mcubles & con-quets, que des autres biens propres du mari, même au-delâ de la valeur Mais quand il n’y a point de consignation de la dot, alors la reprise en doit être faite sur lesdits meubles & conquêts, dont partant la part qu’y auroit

eu la femme, est à proportion diminuée, que si lesdits meubles & conquêts ne sont suffisans pour porter le remplacement de la dot, l’excédent est repris sur les biens propres du mari, au préjudice de ses héritiers Il y a une clause qui a les effets semblables à ceux de la consignation actuelle, qui est, quand il est stipulé par le contrat de mariage, qu’en cas que la dot n’ait pas eté remplacée par le mari, elle sera reprise lans aucune diminution des droits que la Coutume attribue à la femme ;2 car en vertu de cet-te clause, la part seule des héritiers sur les meubles & conquêts, sera chargée de la restitution de la dot, qui n’aura pas été remplacée. Mais on peut dire que les effets de cette consignation & de cette clause, répugnent à l’intention de la Coutume, & à la raison : la Coûtume a privé les femmes des avantages qui viennent en conséquence de la communauté, & d’ailleurs elle a voulu conserver les propres dans les familles, ne voulant point qu’on puisse succéder aux meubles & acquets, que les propres ne soient remplacés, ou libérés des dettes nouvellement contractées. Ces deux principes sont renversés par les offets de la consignation : car en conséquence d’icelle, la femme a plus d’avantages qu’elle n’en pourroit avoir par la communauté, vû qu’elle reprend sa dot sur les biens propres de son mari, & que ce nonobstant elle la reprend une seconde fois, où si elle trouve les deniers de sa dot dans les coffres de son mari, quand il ne les a point consumés, ou en prenant part aux acquisitions que son mari aura faites de ces mêmes deniers : D’ailleurs, la consigna-tion qui se fait sur les biens propres du mari, les engageant & obligeant à larestitution de la dot, est une espèce d’alienation de ces mêmes biens, nonobs-tant laquelle, la femme prend part aux acquisitions & aux meubles, comme si les biens de son mari n’avoient point été chargés ni hypothéqués. Toutes ces conséquences sont contraires à la raison, qui ne veut pas que les femmes s’enrichis-sent des dépouilles de leurs maris, en se faisant payer deux fois d’une même. chose ; & d’ailleurs, n’ont pour fondement que le mot de consignation ; pluepropre à fournir la matière d’une vaine imagination, que celle d’aucun railon-nement solide. La regle qui s’observe dans les Coûtumes qui reconnoissent la communauté entre les mariés, est beaucoup plus équitable : car si le mari n’a point fait de remploi des deniers dotaux, ils sont repris sur les effets de la communanté, s’ils sont suffisans ; sinon, sur les biens propres du mari, c’est-àdire, qui lui appartenoient avant le mariage.

Or la consignation renferme comme une constitution de rente, à l’égard des deniers reçus par le mari comme il a été remarqué : c’est pourquoi incontinent aprés la dissolution du mariage, les arrérages commencent à courir, sans qu’il soit besoin de faire aucune interpellation au mari ou à ses héritiers ; méme quelque changement qui arrive aux constitutions de rente, par l’augmen-tation ou diminution du prix, il ne peut apporter aueun changement aux garrérages de la dot qui a été consignée : De maniere qu’on a jugé, que les antérêts d’une dot consignée, dans, le temps que les constitutions de rente se faisoient au denier dix, seroient toujours continués à raison dudit denier, nonobstant la réduction depuis faite du prix des constitutions au denier quatorte, par un Arrêt du 17 de Decembre 168s, rapporté parBasnage .

Ce n’est pas qu’on ne puisse stipuler utilement, qu’il sera en la liberté de la femme ou de ses héritiers, de pouvoir répêter la dot dans un certain temps. aprés la dissolution du mariage, ou de laisser continuer la rente, comme il a été jugé par un Arrêt du mois de Décembre 16z3, rapporté par Banasge.

Mais comme cette consignation ou constitution de la dot emporte l’enoagement des biens du mari, il a été jugé, qu’un homme qui étoit en curatelle, n’avoit pu sans l’avis de son Curateur faire cette consignation par son Contrat de mariage, par un Arrêt du 1s de Mai 167t, rapporté parBasnage .

On demande, si le mari s’étant obligé par la consignation au payement de la dot, ne pourra pas acquitter cette obligation, & décharger son bien, en faisant un remplacement des deniers dotaux en quelqu’acquisition, & en déclarant lors d’icelle, que le prix provient desdits deniers par lui recus Il, semble qu’il ne le peut, parce que ce remplacement étant fait par le contrat de mariage, ne peut être changé par le mari, qui ne peut pas faire un contrat, qui diminue les droits & les avantages de sa femme, établis par le contrat de mariage, la femme étant comme sous la tutelle du mari. On foutient le contraire, parce qu’il n’y a rien de si naturel ni de si équitable, qu’un obligé se puisse libérer ; & parce que de plus la consignation de la dot ne doit être réputée faite, qu’au cas qu’il ne s’en fasse point un remplacement suffisant, pour lequel il faudroit qu’il apparût que le prix de cette acquisition fût en effet provenu desdits deniers : Il est vrai que ce remplacement pourroit être refusé par la femme, si elle n’étoit pas intervenue dans le contrat d’acquisition ; mais tout au moins, cela l’exclueroit de prendre part à cet-te acquisition, comme ayant été faite des deniers de sa dot, qui par conséquent ne sera pas réputée un conquêt.3

Il est à propos de remarquer, que l’Article LXV, dudit Réglement paroit contraire à l’effet de la cons gnation tacite, qu’on croit égas à celui de l’actuelle par l’Article CCCLXVI, vù qu’il est déclaré par ledit Article LXV, que le remploi des immeubles que le mari ou la femme possédoient lors de leur mariage, doit être fait sur les immcubles qu’ils ont acquis depuis ; & que faute d’acquêts immeubles, il sera fait sur les meubles : & que de plus, la femme n’aura part ausdits meubles & acquets, qu’aprés que ledit remploi aura été fait. De sorte qu’il sembleroit, que par ce Réglement on auroit voulu faire entendre, que la consignation tacite, autorisée par l’Article CCCLXVI de la Coûtume, n’a pas l’effer qui paroit par l’Article précédent CCCLXV avoir été attribuée spécialement & uniqu-ment à la consignation actuelle ; sçavoir, de reprendre par la femme sa dut, sans diminution de ses droits, sur les meubles & sur les conquêts : D’autant qu’on peut conclure des termes de ce Réglement, que puisque les rentes dotales, c’est-à-dire, baillées pour la dot, sont évidemment partie des immeubles qui appartiennent à la femme lors de son mariage, elles doivent être rempiacées & reprises sur les conquêts & sur les meubles, auparavant q’e la femme y puisse prendre aucune part lorsqu’elles ont été acquittées aux mains du mari, ce qui paroit être foit équitable. Et partant l’effet de la consignation réputée faite, au cas & par la dis-position de l’Article CCCLXVI se trouveroit limité précisément au remplaces ment sur les biens du meri qui au moyen de cette consignation tacite, demeureroient engagés & obligés au payement des rentes dotales racquittées do-puis le mariage aux mains du mari. Mais Basnage rapporte sur ledit Article CCCLXVI, un Arrêt du 2 de Juillet 16yo, qui est contraire à cette interprétation, dont il conclut que par cet Article LXV du Réglement on ne doit point entendre la dot, ni les rentes ausquelles elle consiste, mais qu’on doit entendre seulement les ventes volontaires faites par le mari, des biens appartenans à sa femme : Cependant cette interprétation répugne aux termes du Ré-glement, & à l’équité qui y sert de fondement, & paroit n’avoir été proposée que pour colorer l’Arrét. On peut de plus remarquer, que cet Article LXV, sembie contraire à l’Article CCCLXV de la Coûtume, en ce qu’il déclare que le remploi des biens aliènés doit être fait sur les immeubles, & qu’il n’estpris sur les meubles, que lorsque les immeubles ne sont pas suffisans ; quoique par ledit Article CCCLXV, la reprise de la dot non remplacée, doive être faite sur les meubles, auparavant que d’être faite sur les conquets.4 Il faut en outre remarquer, que les rentes qui sont dues par le mari pour la dot, en vertu de la consignation ou autrement, sont de la même condition que les rentes constituées à prix d’argent, en tant qu’on n’en peut da-mander que cinq années d’arrérages, à moins qu’on n’ait fait des diligences valables, pour iterrompre la prescription, & en tant que la faculté de les racquitter est perpétuelle, & ne se peut preserire par aucun temps.


1

Basnage ne pardonne pas aux Réformateurs d’avoir laissé subsister, dans la Coûtume réformée, les effets étranges de la consignation de dot ; ils avoient retranché d’autres abus, pourquoi n’ont ils pas détruit celui la ) Beaucoup de per sonnes cependant, nême instruites, parlent de la consignation Normande, sans en sçavoir ni le fondenient, ni la valeur. la consignation est une constitution actuelle que le futur époux fait sur ses biens de la dot de la future épouse, qu’il reçoit ou qu’il recevra. Elle a cette force, que la femme prend pert aux acquêts faits pendant le mariage & aux meubles, & demande sa dor sur les autres biens du mari. Ainsi la femme héritière de son mari ne confond en sa personne aucure portion de sa dot consignée. D’où provient cette erreur ; be ce que la constitution en dot, ditBérault , est antérieure au mariage, & de ce que la fen me ne doit contribuer qu’au remplace-ment des aliénations que le mari aura faites depuis & pendant le mariage. Mais cela n’est qu’un mauvais sophisme : car la dot est une dépendance du mariage, & ce qui forme la dot n’en acquiert le nom que quand le mariage a été contracté. Peut-on consi lérer comme un acquét le fonds que le mari achete des deniers dotaux : ce fonds provient-il de son industrie, de la collaboration des énoux ou de la libéralité d’un tiers à Il provient au contraire, de deniers qui n’appartienner : pas au mari, & qu’il sera obligé lui ou ses l’éritiers, de rerdre Ecoutons encore Iaf age : la doi non consignée se prend sur les meubles de la succession du mari, ou s’ils ne sont pis suffisans, sur les conquêts ; mais le mari n’uyporheque pas n’oins ses biens à la Sûreté de l dot, soit qu’el le soit consignée, soit qu’el e ne le soit pas ; la censignation est donc ein terme imaginaire. Pourquoi lui avoir donné le pouvoir de renversen les principes les cisconstans de notre Jurisprudence, & d’enlever quelquefois les trois quarts de la succession de son mari ; Ce qui surprend, c’est que la consiitution de dot ou consignation n’erunêche pas la femme de stipulor que la dot seraramuoursés aprés la diss, lution du niuriage.


2

La clause par laquelle la femme stipule qu’elle répêtera sa dot, sans diminution de ses antres droits coutumiers, n’a pas tant d’étenduë que la consignation actuellement faite ; car si la femme, légataire universelle de son mari, emporte la totalité de ses meubles, dans le cas de la première clause, elle confondra sa dût ; & s’il y a consignation, les héritiers du mari ne sont exempts du payement de la dot, à l’égard de la femme légataire universelle, qu’en Iûi abandonnant les acquêts de la succession.Bérault Basnage : Arrét du 11 Mars 1677.


3

Quand le mari déclare, dans un contrat d’acquisition de fonds, que le prix est provenu de la dot consignée, & qu’il l’emploie en son nom & aux fins de subrogation, il semble que la femme devroit se contenter de cet héritage, pourvu qu’il n’y ait point eu de fraude commise par le mari. C’est cependant l’opinion commune, que non seulement la femme n’est point tenue de l’accepter au lieu de sa dot mais qu’elle peut y prendre part com-me à un conquét. On a cru faire un retour vers l’équité, en décidant que la femme, qui est intervenue au contrat de remplacement de ses deniers, & qui l’a agréé, ne pouvoit pas varier apres la dissolution du mariage. Pai dit qu’on a cru faire un retour vers l’équité ; car les sectateurs de la lettre de la Loi estimoient que la fêmme en puissance de mari ne pouvoit, par son consentement, déroger à un droit fondé sur la Coutume & sur les conven-tions de son mariage. Je conseillerois au mari qui consigne la dot, de stipuler qu’il pourra SIacquitter en faisant des acquêts en fonds ou en rente de pareille valeur. Mais il y a bien des maris qui se servent de cette consignation, non seulement pour avantager leur femme, mais pour tromper leurs créanciers postérieurs au mariage, moyennant une séparation civile concertée.

Puisque la femme ne peut être contrainte de prendre, au lieu de sa dot consignée, les acquisi-ions faites, sans sa participation, par le mari, avec déclaration d’emploi, la loi doit être réciproque ; les héritiers & les créanciers du mari sont recevables à sourenir que ces acquisitions n’appartiennent paint à la femme, & à lui rembourser sa dos. La question a été jugée en faveur des créanciers par Arrêt du ar Mars 1731, contre la Dame de Parmetot.


4

N’étendez pas la consignation tacit. au teansport fait par le mari à un tiers de la rente dotale de sa femme ; le droit de la femme se regle, en ce cas, par les articles du titre du Bref de Mariage encombré.

Des que l’Articie CCCLXVI ne renferme que les rentes données au mari pour dot, il ne faut pes l’appliquer à l’amortissement d’une rente qui, constin. le mariage, auroit échu à la femme en ligne collatérale.