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Il faut donc commencer par le Douaire, & donner d’abord une connoissance générale de toutes ses appartenances & dépendances, afin qu’on puisse mieux comprendre la liaison & la suite métodique des Articles qui en ont traité qui sont les quinze premiers de ce Chapitre outre les CCCLXXXVI, CCCXCVI CCCXCVII, CCCCVI & CCCCVII, lesquels il faudra ensuite reprendre divisément, & chacun en particulier, pour y ajouter les observations nécessaires pour leur interprétation, ou pour l’éclaircissement des questions qu’on a coutume d’y rapporter.

Le Douaire est un droit particulier aux Coûtumes, & qui a néanmoins quelque convenance avec le Droit Romain : car on le peut comparcr à la do-nation que le mari faisoit à la femme, pour la récompenser de la dot, Donationé propter nuptias, quam maritus in uxorem conferebai vice dotis, d’où vient que les Grécs l’appelloient dvrigigun, comme qui diroit Contre-Dos. On le compare encore à l’uxodezor des Grecs, introduit dans la Jurisprudence des Romains, sous le nom d’augmentum dotis, que la femme survivante demandoit aux héritiers de son mari, comme une récompense de la jouissance de sa dot, qui avoit appartenu au mari tant que le mariage avoit duré. Cet augment étoit de la moitié, ou du tiers, ou du quart de la valeur de la dot, & est encore en usage dans les Provinces de France où le Droit Romain est pratiqué, Louet & son commentateur, I. 1O

Mais le Douaire ne se regle pas par rapport aux biens de la femme, mais par rapport à ceux du mari ; & est ordinairement un usufruit de la moitié ou du tiers des biens appartenans au mari lors des épousailles, attribué à la veuve pour en quelque façon l’indemniser de la perte qu’elle fouffre, étant privée de l’assistance & de l’industrie de son mari.

On le distingue en coûtumier, & en conventionnel ou préfix : Le coutumier est celui qui est donné à la femme par une disposition genérale de la Coûtume, qui est la Loi municipale ; c’est-à-dire, particulière à une Province ou Contrée : Le conventionnel est celui qui appartient à la femme, on vertu d’une stipulation ou clause de son contrat de Mariage.

Il est à propos de considérer les convenances qui sont entre ces deux especes de Douairc, auparavant que d’en remarquer les differences.

Premierement, il se fait ouverture à l’un & à l’autre, par la mort naturelle ou civile du mari, ou quand le mari par sa mauvaise conduite ou autrement, est dépouillé de ses biens, ou quand la femme a recours au remede de la separation, soit civile, pour pouvoir vivre du revenu de son bion, sans être in-quiétée pour les dettes de son mari, soit d’habitation & de corps, pour éviter la continuation des mauvais traitemens & violences de son mani : le Douaire n été accordé en tous ces cas, par une raison semblabe ; car le Douaire ayant été favorablement introduit, pour soulager la femme dans la perte qu’elle a faite par la mort de son mari, qui la prive du secours & des avantages qu’elle trouvoit dans sa conduite & dans son économie, il y a eu de l’équité de lui donner étenduë dans toutes ces autres rencontres, qui causent à la femme une perte semblable. En la plûpart de ces cas, le Parlement de Paris n’a pas aceordé le Douaire, mais une pension sur les biens du mari, par rapport à la valeur de ses biens, & à la qualité de la femme : de sorte qu’il a jugé, que la femme, quand le mari est dissipareur, tombe en pauvreté ou en démence, peut bien demander sa dot & les autres conventions de son contrat de mariage, suivant la Loi 24. ff. Soluto matrimonio, quando, Gc. & la Loi ubi adhuc, Ce De jure dotium, mais non le Doüaire, parce que slaiutum loquens de morte non intelligitur de civili, sed tantum de naiurali, nec ad civilem extendiuur, nist in casibus in jure expressis, suivant le raisonnement de duMoulin ,Louet , Ca 26 & D. 36. Secondement, l’un & l’autre Douaire n’est acquis à la femme, que quand on doit présumer que le mariage a été consommé ; c’està dire, par le coucher, suivant l’expression de l’Art. CCCLXVII. Troisiemement, parce que le Douairc, tant coutumier que conventionnel, semble être destiné principalement pour les alimens, qu’on est réputé donner quand on ne les deman-de point : l’un & l’autre Douaire n’est dû que du jour qu’il est demandé, s’il n’est autrement convenu par le contrat de mariage, suivant l’Art. CCCLXVIII, mais quand il a été une fois demandé, on en peut demander vingt-neuf années d’arrérages. Quatriemement, quoique la dot soit toujours réputée antérieure en hypotheque au Douaire, elle ne le diminue point, soit qu’il soit coutumier ou conventionnel, d’autant que la dot n’est prife qu’apres la distraction du Douaire, comme il est attesté par les Articles LXIX & Lxx du Réglement de 1686 : ce qui mérite une plus longue explication, qui sera faite dans les remarques sur les Articles CCCLXIx & CCCLXx. Cinquiemement, les alié-nations que fait le mari des biens qui lui appartenoient lors de la célebration du mariage, ne peuvent diminuer ni l’un ni l’autre Douaire. Sixiemement, l’usufruit qu’a la Douairiere, comprend ordinairement toutes sortes de fruits, tant naturels que civils, comme reliefs, treiziemes, nomination & présentation aux offices & hénéfices, dépendans du fonds dont elle jouit à titre de son Douaire.

Septiemement, l’un & l’autre Douaire, quand le conventionnel consiste en usufruit, oblige ordinairement aux charges qu’on appelle de droit, qui sont de payer les rentes seigneuriales & foncières, la contribution au payement des dettes antérieures du mariage, & l’entretien & conservation des bâtimens & héritages en bon état. Huitiemement, la mauvaise conduite de la femme, lui peut faire perdre son Douaire, de quelqu’espece qu’il soit, par les Articles CCCLXXVI & CCCLXXVII. Et neuviemement, ils finissent & s’éteignene par la mort naturelle ou civile de la Douairière.

Aprés avoir représenté sommairement toutes les appartenances & dépendances du Douaire, qui peuvent être communes entre le coutumier & le conven-tionnel, il en faut remarquer les différences ; ce qui fera connoître plus parfaitement le Douaire en général. La plus importante est que le Douaire cou-tumier est toujours semblable, comme étant établi par un principe général, certain & immuable, qui est l’autorité de la Loi municipale ; & que le conventionnel, au contraire, dépend de la convention des contractans, qui peut recevoir toutes les diversités qui dépeudent de leur volonté. Et partant, si le Douaire coutumier est toujours un usufruit, le conventionnel peut confister en deniers payables en une seule fois, ou payables par une forme de pension annuelle : si le coutumier est toujours l’usufruit de la tierce partie des immeubles appartenans au mari lors du mariage, le conventionnel peut être limité à l’usufruit de la quatrieme ou de toute autre moindre partie de ces immeubles : si le coutumier s’étend sur tous les biens qui échéent au mari par succession directe de ses ascendans, le conventionnel peut être conclu des biens de ces successions, ou assigné uniquement sur iceux. Enfin, le conventionnel peut recevoir toutes sortes de limitations & d’exceptions au droit commun du Doüaire coûtumier pourvu qu’elles ne donnent point un Douaire plus avantageux & plus profitable à la Doüairiere, que n’auroit été le Douaire coutumier, parce que le Douaire ne se peut étendre au-dela des bornes que la Coûtume lui a données, que les contractans ne peuvent outrepasser, qui sont l’usufruit du tiers des biens appartenans au mari lors du mariage, & de ce qui lui est échu depuis par succession directe de ses ascendans, par les Articles CCCLXVII & CCCLXXI, mais il peut être moindre par la convention des contractans, par l’Article CeCLXXIV.

Une autre différence de ces deux Douaires est que le coutumier est établi par la Loi, sans aucun contrat ni convention des mariés : mais le conventionnel ne peut être établi que par une paction, ou écrite, quand il y a un contrat de mariage en forme probante, ou verbale, quand il n’y a point de contrat de mariage rédigé par écrit.

D’où provient une troisieme différence, qui est que le conventionnel peut avoir une hypotheque antérieure à la célebration du mariage, quand le contrat de mariage a été reconnu avant le jour des noces ; mais l’hypotheque du pur coutumier, c’est-à-dire, qui n’est point stipulé par le Contrat de mariage, n’est que du jour de cette célébration.

Ce qui a été dit, que la femme ne peut avoir un Douaire plus avantageux que celui qui est prescrit par la Coutume, se doit entendre à l’égard des biens du mari, & non à l’égard des pléges, qui se sont obligés au Douaire conventionnel ; car à l’égard des cautions, la femme les peut contraindre d’exé-cuter leurs promesses, encore qu’elles excedent beaucoup ce qui lui appartiens droit pour le Douaire coutumier, sans que ces cautions toutefois puissent avoir recours sur les biens du mari, quelque contre-lettre ou promesse de garantie qu’ils ayent prise du mari par l’Article CCCLXXII, il le faut joindre au CCCLXXIII, parce que celui-ci contient l’exception du précédent, qui est que lorsque les pléges du Doüaire sont le pere ou l’ayeul du mari, leur obligation au Douaire excessif n’a point d’effet que de leur vivant, pour les arré-rages qui échéent pendant ce temps, mais ne peut être exécutée aprés leur mort sur les biens de leurs successions. La regle & l’exception sont fondées sur le même principe, qui est que le Douaire ne peut outrepasser les limites que la Coutume lui a données sur les biens du marl. Or si les pléges avoient un recours sur le mari en vertu de leurs contre-lettres, ou si la caution du pere ou de l’aieul engageoit leurs biens aprés leur mort ; il arriveroit, par ces voies indirectes, que les biens du mari se trouveroient chargés du payement du Douaire encore qu’il fût excessif : ce que la Coutume a voulu absolument empécher, par l’Article CeCLXXI.

Et quant à ce qui a été dit, que le Douaire s’étend sur les biens qui échéent au mari, par succession directe de ses ascendans, il se doit entendre indistinetement, soit que ces ascendans ayent été présens & consenti au mariage, soit qu’ils n’y ayent point consenti, quoique cette présence ou consentement des ascendans produisent deux autres effets fort importans pour l’avantage du Douaire : car quand le pere & l’aicul sil faut dire la même chose de la mere ont été présens, ou ont consenti au mariage ; non seulement la Douairière prend Douaire sur les biens de leur succession, quand elle échet du vivant de son mari, mais elle le prend même au cas que leur succession échée aprés le décés de son mari, pour telle part & portion qui eût appartenu à son mari en cette succession, si elle fût échue de son vivant ;, ce qui signifie que-la Douairière a Douaire sur les biens qui appartenoient auxdits ascendans lors du déces de son mari ; mais non sur les biens que lesdits ascendans auroient acquis depuis ce déces, comme il est porté par l’Article CCCLXIX.

Le second effet de la présence & du consentement de ces ascendans, est que les biens qu’ils possédoient lors du mariage, sont tellement engagés au Douaire, que les aliénations qu’ils font depuis ce mariage qu’ils ont agréé, ne peuvent diminuer le Douaire qu’auroit eu la Douairière, si ces alienations n’avoient pas été faites, suivant qu’il a été jugé par un Arrêt du Conseil d’Etat, donné sur le partage de toutes les Chambres du Parlement de Normandie, touchant l’interprétation dudit Article CCCLXIX, lequel, Arrêt se trouve dans un Recueil, à la fin de ce Livre.

Au reste, le droit qu’a la femme de prendre Douaire sur les successions des ascendans, lui est tellement acquis, que la renonciation faite par son mati auxdites successions, n’y peut apporter aucun préjudice, par l’Article CCCLXXXI.

Il faut enfin remarquer que le Douaire ne peut être prétendu ni sur aucune succession collatérale, qui soit échue au mari pendant le mariage, ni sur les donations qui auront été faites à sondit mari pendant ce même temps, par les Art. CCCLXXx & CCexCVIII, où cela sera plus amplement expliqué.1


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Les Loix, ch & les peuples policés, ont toujours accordé aux femmes une part dans la fortune de leurs maris aprés leur déces, pour les consoler de cette perte & soutenir leur condition. Les Juifs avoient sagement pourvu aux incommodités du veuvage, en obligeant les maris de doter leurs épouses : les sirecs en usoient ainsi, suivant le témoignage de Plutarque : les Romains nous ont laissé beaucoup de Réglemens avantageux aux femmes : les Gaulois, avec ce fier Despotisme emprunté de leur Religion & de leurs moeurs, étoient, si on en croit César, Liv. 6, n. 4, &Tacite , dans la peinture qu’ils nous ont tracé de leurs usages, plus équitables que nous envers leurs femmes. Parmi les peuples qui s’éleverent sur les débris de l’Empire Romain, le mari faisoit à sa femme une donation le matin de la célébration du mariage, c’étoit le Morghangeba des Loix des Lombards, Liv. 2, Titre 4 du Titre 3o des Loix Ripuaires, & dont il est fait mention dans le Traité d’Andelo en 591, entre le Roi Gonthran & Childebert, rapporté parGrégoire de Tours , Liv. 9, Chap. 20, le Morghangeba s’appeila dans la suite dos, & on nomma la dot apportée par la femme u mari, Maritagium.

Le Concile d’Arles de l’an 524, & le 17ome Capitulaire, Liv. 7, prouve encore que nos Rois, avant la troisieme Race, ont accordé des droits aux femmes sur les biens de leurs maris.Marculfe , qui vivoit dans le seprieme siecle, suivant stenusson, a donné, Liv. 2, Chap. 1s, des Formules des avantages ordinaires que le mari faisoit à sa femme en l’épousant. Les Loix d’Ecosse sont pleines de décisions sur le Douaire ; Loi Regium mijestatem, Liv. 2, Ch. 16, n. 2.Littleton , Liv. 1, Chap. of Doiver, nous représente le Douaire comme un usufruit du tiers des terres & tenemens qui appartenoient au mari lors de son mériage, & com-me de constitution générale. Philippes-Auguste, en l’an 1214, rendit le Douaire un droit municipal, qui n’étoit dû auparavant, chez les François, qu’en vertu d’une convention qui se faisoit en préfence du Prêtre qui célébroit le mariage, dit Philippes deBeaumanoir , Tit. 13 de ses Coutumes publiées en 1283.Coquille , dans ses Institutions, Titre du Douaire, cite, pour prouver qu’il est d’un usage encien, un Traité de Mariage du mois de lanvier 1285, entre Iean, fils de S. Louis, & Tolande, Comtesse de Nevers, qu’il avoit vn. Les Etablissemens de S. Louis en l’an 1270, contiennent, en plusieurs endroits, des Réglemens sur le Douaire, qui ont été expliqués par Laurière dans le premier Volume des Ordonnances de la troisieme Race de nos Rois.

Le Douaire est, sans doute, tres-favorable : il est le prix du sacrifice ordinaire des agrémens de la jeunesse, de la santé, du repos, & presque toujours de la liberté : c’est donc un tribut de la reconnoissanoe bien plus qu’un présent de la générosité, & qui doit être icquitré fidelement, en le renfermant cependant dans les bornes des Coû-umes. loignez, sur cette matière, à la lecture de nos Auteurs, celle de l’excellent Traité deRenusson , des Gu-res d’Auzanet & deDuplessis .