Si vous souhaitez signaler des coquilles dans ce passage, vous pouvez écrire à Morgane Pica (ingénieure d'étude du projet), en précisant l'URL et le titre du passage.


CCCLXVIII.

Douaire n’est dû sinon du jour qu’il est demandé, s’il n’est autrement convenu par le Traité de Mariage.

La demande que la veuve doit faire de son Douaire, est fait valablement par une simple sommation. Quand cette demande a été faite, elle a son effet contre toutes sortes de personnes à qui la veuve a droit de demander son Douaire ; c’est-à-dire, tant contre les héritiers soit de son mari, soit des ascendans de son mari, que contre les possesseurs & détentateurs des biens sujets. au Douaire.1 Cette demande peut être faite aussi-bien au cas de la mort civile du mari qu’au cas de la naturelle, comme il a été dit, même quand la femme est reputée séparée de biens ; c’est-à-dire, lorsque tous les biens du mari, ou la plus grande partie sont saisis en décret : ce qui est ordonné par plusieurs Coûtumes, d’Anjou, Article CCeXIz, du Maine, Article XXXIII, de Nevers au Titre de Douaire, Art. VI.2

On demande en ce cas de décret, quand la femme peut s’opposer en distraction, pour avoir délivrance de son Douaire en essence 1 Pour la résolu-tion de cette question, on a distingué au Parlement de Paris, si le décret est poursuivi par des créanciers anterieurs ou postérieurs au Douaire. Au premier cas, la femme n’a point de Douaire en essence, mais elle l’a évalue en-deniers, suivant l’ordre hypothécaire. Au second cas, l’adjudication ne se doit faire qu’à la charge de fouffrir le Douaire,Louet , F. 24. Mais en Normandie l’usage est, que la femme ne peut obtenir la distraction de son Douaire, lorsqu’eue lui est contestée par des créanciers antérieurs, qu’en payant le tiers des dettes anciennes, & en baillant caution que les deux autres tiers de ces mêmes dettes, seront payés du prix qui proviendra de l’adjudication des autres biens non distraits, en exenption des fraits du décret & du treizieme ce qui a été jugé par plulieurs Arrêts. Néanmoins dans le cas qu’il y ait des. héritiers du mari, la veuve peut avoir son Douaire en essence, sans être obligée de payer le tiers des dettes antérieures, ni de bailler caution aux créan-ciers, d’autant que les héritiers sont tenus de lui faire bailler la délivrance de son Douaire, aux charges de droit ; mais en exemption de celles du décret.Louet , F. 24, &Brodeau .3

Le fise ne pourroit empécher la dictrastion du Douaire, sous prétexte du privilége qui lui est attribué par la Loi unique, C. De venditione rerum fiscalium, cum privato communium ; parce que ce privilége, par lequel le fisc peut contraindre le copropriétaire de vendre sa part conjointement avec lui, ut majori pretio fundus communis vendatur, ne s’entend que quand le fisc a un droit primitif de propriété, & non quand il n’a ce droit que par l’ordre hvpothécaire comme il a éte jugé par l’Arrêt rapporté parLoüet , au lieu susdit ; outre que les droits du fise ne peuvent préjudicier aux droits de la femme, par l’Article CCCXXXIII.4 On ne fuit point en Normandie la maxime du Droit Romain, que les fruits sont réputés faire partie du fonds, tant qu’ils sont attachés par les racines : Frudtus pendentes pars fundi videntur, l. 44. ff. De rei vindicatione ; en consequence de laquelle maxime l’usufruitier n’acquéroit point les fruits, qu’il ne les eût recueillis lui ou son Fermier : Car par la Coutume, les fruits, dans le temps. de leur maturité, sont réputés meubles, par l’Article DV ; c’est pourquoi la Douairiere qui décede aprés le jour de la S. Jean-Baptiste, transmet à ses héritiers les grains, quoi que non coupés ni séparés du fonds. Il faut dire la même chose du mari qui a joui par le droit de viduité : car s’il meurt apres la S. Jean, les grains qui sont sur les héritages dont il avoit l’usufruit, appartiennent à ses héritiers ou créanciers. Le contraire s’observe en la Coûtume de Paris : car les fruits pendans par les racines, quoi que mûrs, font partie du fonds, & appartiennent à celui à qui le fonds appartient, de sorte que l’héritier de l’usufruitier ne peut demander que les frais faits pour la culture ; c’est-à-dire, les labours, engrais & semence,Louet , F. 10.

Sed quid ; Si la Douairiere meurt avant la S. Jean, dira-ton que ses héritiers n’auront aucune part aux fruits ; parce que lors du déces, ils font indu-bitablement partie du fonds, auquel l’usufruitier ne peut rien prétendre, parce que la propriété est un droit distinct de l’usufruit ; Ce qui a fait décider aux Jurisconsultes, que les fruits mûrs, mais non séparés, faisant partie du fonds, ne pouvoient appartenir ni en tout ni en partie à l’usufruitier décédé avant la récolte, comme il a été remarqué. Cela paroit équitable, d’autant que tous des fruits d’une année étant acquis à la Douairiere au préjudice des héritiers du mari, des le moment qu’ils sont ameublis ; il sembleroit que pour garder quelqu’égalité. entre le droit de l’usufruitier & celui du propriétaire, tous les fruits devroient appartenir au proprétaire quand l’usufruit finit lorsque les fruits sont immeubles, & sont réputés faire partie du fonds.5

L’Arrêt du 17 de Juillet 166z, rapporté par Basnage sur l’Article CCCLXXXII. n’est point contraire à cette décifion, parce que cet Arrêt a été rendu pour régler le droit qu’ont les héritiers ou créanciers du mari, aux fruits pendans sur les héritages propres de la femme lorsque le mari est décédé avant la S.

Jean, sa femme survivante : car la jouissance qu’à le mari des biens de la semme constant le mariage, est comparée à la jouissance qu’a le Bénéficier des biens Ecclesiastiques, le Mari & le Bénéficier n’étant pas comme de simples usufruitiers, mais étant réputés jouir pour soutenir les charges, soit du mariage, soit de l’Eglise, propter officia legitime administrationis, comme a dit Barthole sur la Loi Divortio, § é contrario, ff. Soluto mairimonio : C’est pourquoi la jouissance que le mari a des biens de la femme, doit être plus ample que celle de la Doüairiere, dont le droit aussi-bien que le droit de viduité du mari, est borné par les regles de l’usufruit : VoyezLouet , F. 10 & 12. Par cet Arrêt de 1664, on a jugé, que les héritiers du mari devoient partager les fruits avec la veuve propriétaire, pro rata temporis ; & que pour régler cette proportion du temps, on commençoir la supputation du temps de l’année par le premier jour de Tanvier : ce qu’il faut pratiquer dans tous les cas où il faut partager les fruits entre les héritiers d’un défunt, & le propriétaire ou le succeseur ; ce qui avoit été jugé par l’Arrêt rapporté parLouet , dicto numero 12.

On a de plus remarqué sur cet Article, que les intérêts de la dot sont dus à la femme & à ses héritiers, inso jure, sans stipulation, & même sans qu’elle en fasse aucune demande ou interpellation. Il y avoit plus lieu de douter à l’égard du mari demandeur desdits intérêts ; mais enfin on les lui a adjugés du jour du terme donné pour le payement de la dot, encore qu’ils n’ayent point été slipulés.6


1

Plusieurs Coutumes disposent que la femme est saisie de plein droit de son douaire par. le décés de son mari, & que de ce jour les fruits lui en sont dus : Paris, CCLVI ; Poitou, CCLIV, Bourbonnois, CCXLVII ; Auvergne, Tit. 14. Art. X. D’autres Coûtumes distinguent le douaire préfix du douaire coutumier : elles veulent que le douaire coûtumier coure au profit de la femme du jour du déces du mari, mais que le douaire préfix n’ait lieu que du jour de la demande : Vitry, LXXXIX, Meaux, IX, Saint-Mihiel, Tit. 7, Article VIII, Sedan, CCVI, &c. En Normandie, le douaire coutumier & le douaire préfix ne commencent de courir que du jour que la veuve l’a demandé, si elle n’est dispensée de cette formalité par le contrat de mariage. Voyel Anjou, CCCXII ; Maine, CCCXXV. Renusson, au Douaire, Chap. 2, n. 4 & suiv.


2

L’Auteur du Traité de la Mort civile, Chap. 7, distinct. 2, traite cette question fameuse dans nos Livres : Si la mort civile du mari donne ouverture au doüaire. Il cite cette regle de Loysel : Iamais mari ne paya douaire ; & il entre ensuite dans la discussion des Arrêts qui ne sont pas favorables à son fystême ; il cite l’Arrét du 14 Août 1567, rapporté par Coquille dans ses Institutions au Droit François, & deux Arrêts extraits deBro -deau surLouet , C. Som. 28, n. 14 & 15. Ces décisions s’écartent de la regle de Loisel, l’Auteur veut qu’ils ayent eu lieu autrefois, mais que la Jurisprudence ait changé, & il se replie sur l’Annotateur d’Argou, qui n’accorde, pas même dans ce cas à la femme, aucune pension, ni aucune jouissance provisionnelle pour en tenir lieu. Quelques raisonnemens que M. Ii-cher emploie pour étayer cette opinion, il persuadera difficilement que la cause du fisc doive l’emporter sur le sort d’une femme innocente, déja assez malheureuse d’avoir eu un mari coupable.Renusson , Chap. 5, n. 42, dit que l’opinion du Palais la plus commune, est qu’une femme ne peut demander son douaire du vivant de son mari, & avant sa mort naturelle, mais seulement une pension ; il ajoute qu’il n’y auroit pas grand inconvenient de donner pouverture au douaire par la mort civile du mari, aussi-bien que par la mort naturelie, par la raison que le mari quitte tous ses biens par la mort civile comme par la mort naturelle, Notre Jurisprudence est conforme à la réflexion de M. de Renusson & à l’Article CCxxxV de la Coutume de Melun, qui porte, que le Douaire peut être demandé aprés la mort naturelle ou civile du mari.

Le douaire est au rang des dettes alimentaires : ainsi, dans le cas de contestation, la veuve peut demander une provision qu’elle obtiendra sans donner caution, quand le fonds du douaire n’est pas contredit : d’Argentré , sur Bretagne, Article CCCexXXIII, Gl. 2.

Si les immeubles du mari sont laisis réellement, la veuve peut même obtenir une provision sur les deniers de la régie, quand il est certain que, pour son douaire, elle sera colloquée a l’état utilement.

La veuve peut demander vingt-neuf années de son douaire préfix, de même que du coutumier, à moins qu’elle n’ait composé de son douaire avoc les héritiers du mari pour une somme de deniers constituée en rente hypotheque.


3

, du Douaire, Chap 10, pose plusieurs cas sur cette question : Si les immeubles du mari sont décrétés de Renusson vivant par des créanciers postérieurs au mariage, l’adjudication ne peut préjudicier au douaire de la femme & des enfans ; c’est le sentiment de du Moulin sur la Coûtume du Grand-Perche, Art. CXIx : Nonobstante quocumque lapsu temporis S nonobstunte decreto & subhassationibus interdum interpositis dummodo matrimonium sit publicum nec clandestirum. Ce qui fait dire àAuzanet , que le décret, qui est le seul remede donné par la Coûtume pour assurer les tiers-acquereurs ne purge point le doüaire pendant la vie du pere, d’autant que le poursuivant criées & l’adjudicataire n’ont pu ignorer la condition de celui dont les biens étoient décrétés, & que le douaire n’étoit ouvert que par la mort naturelle du mari ; mais quand le décret est entrepris par des créan-ciers antérieurs la femme ni les enfans n’ont pas droit d’en interjetter appel, mais ils peuvent demander aux créanciers postérieurs au douaire le rapport des sommes qu’ils ont touchées, jusqu’à la concurrence du douaire, & c’est la commune opinion. Il en est autrement du décret fait aprés la mort du mari, lorsque les créanciers ont une hypotheque posté-rieure au douaire, la veuve & les enfans peuvent s’opposer en distraction, ou demander que l’adjudication soit faite à la charge du douaire ; c’est l’Arrêt de Vernaucour du a2 Décembre 1601. Mais si la femme ni les enfans ne s’opposent point au décret, comme le douaire est ouvert par la mort du mari, quand même les enfans seroient mineurs, le douaire est purgé par le décret. Il me semble que Basnage n’a pas expliqué aussi clairement la Jurisprudence du Parlement de Paris. Nos principes sont différens ; il y a parmi nous ouverture au douaire & au tiers coutumier des enfans par le décret des biens du mari, comme par sa mort naturelle ; l’opposition en distraction est recue même contre les créanciers antérieurs au douaire, en payant, par la veuve, le tiers des dertes, & en donnant caution que les deux autres tiers seront payés en exemption de tous frais : la femme, jusqu’au moment oû elle n’a point rempli ces deux conditions, est susceptible des frais du décret ; mais si les créanciers sont postérieurs, les frais ne sont pas à la charge de la donaitiere : on a même jugé, par Arrêt du 1a Juillet 1688, que la veuve ne devoit aucuns frais d’un décret entrepris par des créanciers de cette especc, quoiqu’il y eût un créancier antérieur opposant. Cet Arrêt ne passa pas tout d’une voix ; & comme tout opposant est décrétant, il paroissoit juste que la veuve eût du moins contribué aux frais occasionnés par l’opposition.


4

Un tiers-détenteur déguerpissant le fonds sujet au douaire, ne restitue les fruits percus que depuis que la sommation en douaire de la veuve lui a été notifié :, il possédoit auparavant de bonne foi. Renusson


5

Dans la plupart des Coutumes, les fruits excrus sur les fonds du donaire n’appartiennent aux héritiers de la douairière que quand ils sont séparés du sol au temps de sa mort : en Normandie ces héritiers gagnent les fruits en proportion de la jouissance de l’année, quand même la douairiere viendroit à décé der avant qu’ils fussent amobilies. Le douaire ne doit pas être considéré comme tout autre usufruit ; il est accordé à la femme pour soutenir de rang de son mari, pour ses alimens & son entretien : or les alimens étant dus chaque jour, elle doit avoir les fruits de l’année où elle décede, en proportion du temps qu’elle a vécu, elle les transmet donc à ses héritiers.


6

Berault compare le mari jouissant à droit de viduité, à l’acquereur pendant l’an du retrait, c’est le comparer à un propriétaire : quelques Coûtumes admettent le partage des fruits industriés la dernière année sur les fonds de la femme entre le mari & les héritiers de la femme, en contribuant entr’eux aux frais nécessaires pour la récolte.