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CCCLXXXV.

Si l’usufruit de tout ou partie du bien de la Femme appartenoit à autre personne lors de son déces, aprés icelui usufruit fini, le Mari aura la jouissance desdits biens.

Ces quatre Articles déclarent quel est le droit de viduité appartenantur mari aprés le déces de sa Femme : Il confiste en usufruit comme le Doüaire, mais il a des regles qui lui sont particulieres. Car premierement, le mari n’a cet usufruit qu’au cas qu’il ait eu un enfant né vif, perfece natus, qui ad orbem toius processerit, ad nullum déclinans monstrum, id est secundum formant humani generis procreatus.1 Sur quoi on peut proposer la question ;2 sçavoir, si l’enfant qui est sorti du ventre de la mere par un avortement ou par la section césarienne, exsedlus jam matre perempiâ, suivant l’expression deVirgile , qui a donné des marques de vie par quelque mouvement de ses membres, doit être réputé perfede nadus ; c’est-à-dire, né vif, suivant l’expression de la Coûtume. On a jugé au Parlement de Paris, qu’un enfant ainsi né, ou avant le septieme mois depuis sa conception, anté septimum mensem, n’étoit point parfait, vû qu’il ne pouvoit pas vivre, habere animam viventem, sed non facultatem virendi, & sic es-se potius abortum qu’ûm parium : C’est pourquoi il n’étoit point capable de transmettre la succession de sa mere prédécédée, qui consisse en partie dans les effets de la communauté, qui sont les meubles & acquêts, à son pere survivant ; ausquels effets de la communauté, le pere auroit incontestablement succédé par la Coûtume de Paris, s’il avoit pû être héritier de cet enfant ;

Loüet , E. 5. Il semble qu’on pourroit appliquer cette décision au droit de viduité, qui n’est pas donné au mari précisément, parce qu’il a engendré, mais parce qu’il a eu un enfant vivant ; c’est-à-dire, capable de vivre.

Secondement, cet usufruit n’est pas seulement d’une partie des biens de la femme prédécédée, mais est généralement de tous les biens qui lui appartenoient, soit en pleine propriété, soit imparfaite ; c’est-à-dire, dont l’usufruit étoit, séparé, absiracto usufructu : Car la réunion se faisant, laquelle on appelle consolidation, quoiqu’aprés la mort de la femme, le mari jouira de l’hé-ritage, comme des autres dont la femme étoit pleinement propriétaire, par l’Art. CCGLxxXV, qui sert à ôter l’ambiquité que pourroit causer le mot de revenu employé dans l’Article CCCLXxxII, & à faire connoître que le Douaire doit recevoir une pareille extension & interprétation, vû que la raison est semblable.3 Troisiemement, & ce droit de viduité appartient au mari, non-seulement urer préjudice des enfans de sa femme, de quelque mariage qu’ils soient nés mais de tous les droits des Seigneurs de Fiefs, par l’Article CCCLXXXIII, & même. de la Garde-noble royale, nonobstant les oppositions & protestations faites par l’Avocac-Général du Roi, lors de la réformation de la Coûtume.4

Mais le mari, à cause de cet usufruit, est non-seulement obligé à toutes les charges des usufruits, qui ont été remarquées par les Articles COxV, & CCCLXNV, mais il est de plus obligé de nourrir & faire instruire les enfans de sa femme, quoique nés d’un précédent mariage, si d’ailleurs ils n’ont des biens suffisans & même de contribuer au mariage des filles, conformément à l’Article CCXVIII, lesquelles nourriture, instruction & contribution pourront être arbitrées en Justice, par l’avis des parens, qui en cas que le mari ne s’acquittât pas bien de ces devoirs, se pourroient pourvoir en Justice pour l’y contraindre, suivant l’expression de l’Article Cexx, mais le mari se pourra décharger de toutes ces obligations, en laissant aux enfans le tiers de son usufruit, par l’Article CCCLXXXIV, ce qu’il pourra faire en tout temps, comme le Seigneur gardien peut en renonçant à la Garde, se libèrer pour l’avenir de toutes les charges ausquelles la Garde l’assujettissoit.5

Quatriemement, le mari peut céder ce droit de viduité à ses enfans, & non à d’autres, au préjudice de ses créanciers, comme il est attesté par l’Article LXXXVII dudit Réglement, même aprés la saifie réelle qui auroit été faite de son usufruit. Voyez les Arrets rapportés par Basnage sur l’Article CCCLXXXII.

Il semble qu’on pourroit dire la même chose du Douairc, & que la Douairière le pourroit céder à ses enfans au préjudice de ses créanciers, la raison paroissant semblable.

Cinquiemement, quand l’usufruitier se remarie, il perd les deux tiers de son usufruit, par ledit Article CCCLXXXII, & c’est à lui en ce cas, à faire les lors comme à la Douairiere : jugé par un Arrêt du 19 de Juillet 16yo, rapporté sur ce même Article.

Il faut remarquer, que quand la femme qui n’a point eu d’enfans, est decédée, le mari a sa part au revenu des héritages appartenans à sa femme, prorata iemporis ; c’est-à-dire, de l’année, à commencer par le premier jour de Janvier. S’il faut dire le même, quand le mari jouissant à droit de viduité, décede avant la S. Jean-Baptiste, & si ses héritiers partagent le revent des héritages avec cette proportion du temps ; voyez ce qui a éte dit sur l’Artiele CCCLXVIII. Mais si la mort arrive in utroque casu, apres la S. Jean, les fruits sont ameublis, & appartiennent au mari ou à ses heritiers. Il faut ajouter qu’il a été jugé, que c’est aux héritiers de la femme, & non au mari usu-fruitier, à faire le remplacement des rentes faisant partie de l’usufruit, quand elles sont racquittées apres le déces de la femme, par un Arrêt du 20 d’Août 1609, rapporté parBérault .


1

Cette décision, dit Laurière sur l’Article Xi des Etablissemens de S. Louis de l’an 1270, qui a beaucoup de rapport avec notre Article, est tirée en partie du second Capitulaire de Dagobert, ou de la Loi des Allemands, Chap. qa, & en cela on fuit l’ancien Droit Romain, qui étoit en usage avantConstantin .

Le Droit de viduité fut établi chez les Ecossois en l’an 1124, par une Constitution de leur Roi David, rapportée par Skeneus ; Louis IX, dans l’Article cité, en fit une Loi générale dans ses Etats en faveur des Gentilshommes, cent quarante-sept ans ou environ apres l’Ordonnance du Roi d’Ecosse : l’ancienne Coûtume, Chapitre de Veufveté d’homme, accorde indis-tinctement ce droit aux maris qui ont eu un enfant né vif d’un mariage légitime, & la Coutume réformée a conserve cette disposition avec des tempéramens.


2

Bérault , sous l’Art. CCCLXXXII, rapporte un Arrêt du s Janvier 161â, où il y a beaucoup de recherches & de l’érudition du temps ; il fut jugé par cet Arrêt, sans s’arrêter au certificat des Sages-femmes, qu’un enfant n’est point réputé né vif qu’il ne foit entieremert sorti du sein de sa mere. LoyesLittleton , C. 4 ;Couvel , L. 2, Tit. 2 ; T.Smith , L. à, C. 8. Chap. 119 de l’anc. Cout. de veufveté d’homme. La Glose, sur ce Chapitre, est d’un sentiment contraire, & on y argumente mal à propos des Loix introduites en faveur des enfans à naître. Aussi Terrien dit qu’il ne faut pas la suivre, parce qu’il ne sagit pas ici du profit de l’enfant à naître, mais uniquement de l’avantage du pere. Voyes cet Auteur, Liv. 7, Chap. 7. Les Loix d’Ecosse sont claires, mais trop dures, elles veulent que l’enfant crie on y remarque le terme Bravantem, que Skenée interprete par celui de Clamantem.

On jugea le 21 Juin 1740 que la déclaration du Chirurgien d’avoir ondoyé un enfant, repêtée en Justice, n’est pas suffisante pour acquérir un droit de viduité au mari ; l’enfant, dans l’espèce de cet Arrêt, étoit né à sept mois & demi : on jugea la même chose le a7 Fevrier 17sz, au préjudice de la décleration d’une Sage-femme inscrite sur les Registres de Baptéme, l’enfant devoit n’avoir que quatre mois dix-sept jours de conception. Mais quand un enfant est né dans le terme prescrit par la nature, & quand ce fait important n’est point contesté, la présomption pour la vie, jointe à la déclaration précise de la Sage-femme, semblent présenter un motif legitime pour accorder au mari le droit de viduite ; Arrêt en faveur du mari en 1759. Il avoit été précédemment jugé par Arrét du ao Fevrier 2734. au rapport de M. de Cideville, que la preuve de tous signes capables de dénoter la vie d’un enfant né dans son terme est admissible, comme du mouvement du coeur, du bartement de l’artere, de la dure-mere & du cordon umbilical ; & sur la preuve on adjugea au pere le droit de viduité, quoiqu’un seul témoin déposât du mouvement umbilical ; mais deux témoins étoient uniformes sur les deux autres mouvemens.


3

Le Droit de viduité du mari est un Droit réel, de même que le Douaire de la femme, ainsi il s’étend sur les héritages de la femme situés en Normandie, en quelque Province que les conjoints fussent domiciliés au temps de son déces : Arrêts du Parlement de Paris des 17 Août 1658 & s Septembre 16ys. Le Droit de viduité est d’autant plus réel, ditBoullenois , quest. 20, que le pere l’a sur les biens de ses enfans, quoiqu’ils soient morts avant la dissolution du mariage. Voyet cet Auteur, quest. 19 & 2o, sur la Contrariété des Loix & des Coûtumes, & sur les Démissions.

M.Froland , des Statuts, chap. 6, n. 5, demande si celui qui a contracté mariage à Paris, qui a stipulé une communauté de biens entre sa future épouse & lui, qui s’est entierement soumis à la Coutume de Paris, & qui a dérogé à toutes Coutumes contraires & particulièrement à celle de Normandie, peut jouir à Droit de viduité des biens que la femme avoit en cette Province I Il est sans difficulté, dit M.Froland , que le mari peut renoncer à ce Droit que la Coutume introduit en sa faveur ; mais des renonciatiors de cette qualité sont fort rares en Normandie, au lieu qu’elles sont communes à Paris, parce que la Coûtume n’y donne point un pareil avantage aux maris : mais si la renonciation n’est pas expresse, on ne peut pas la suppléer sur le fondement de la clause genérale dont il vient d’être fait mention, & du domicile perpétuel qu’on a conservé dans Paris : M. Froland dit que M. le Marquis de Seignelay a joui à Droit de viduité de la Terre de Biaii-ville ; & M. de Bailleul, Président à Mortier, de la Terre du Vaudreuil, par son mat age avec la Demoiselle de la Cour-des-Bois.

Il faut cependant renfermer ce Droit dans les bornes de la Jurisprudence ; il n’a point lieu sur les biens maternels échus par succession aprés le déces de la femme : Arrét du s’Août 1670. Basnage ; quand même, ditGodefroy , le Traité de mariage renfermeroit une promesse expresse des ascendans de la femme de lui garder leurs successions. La Glose sur le Ch. 118ce l’ancienne Coutume, pose comme un principe général que le mari ne peut rien prétendre sur les biens qui auroient pu écheoir à sa femme si elle eût vécu.


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Le Droit de viduité aura t. il lieu au préjudice de la Garde royale à Basnage se dêtermine contre le Roi par des motifs assez foibles ; il s’étaie de l’usage contraire aux Lettres d’homologation de la Coutume ; il argumente des Loix d’Angleterre qui prouvent uniquement que le Seigneur faisoit une main-mise sur le Fief de son Vassal qui avoit laissé des enfans mineurs & il invoque la maxime tutorem habenti non datur tutor ; ce raisonnement est encore moirà juste que les autres : car si apres le déces de la mere, il échcoit un Fief a des enfans minci : du côté maternel, il tombera certainement en garde, quoique le pere soit cixant. le precl’explication de la Garde royale par M. de lort, Art. XXVIII ; le Droit de viduité, selon lui, n’empêche point celui du Roi, il en suspend seulement l’effet, quant à la jouissance des fruits utiles, tandis qu’il subsiste ; mais s’il n’y a qu’un Patronage à cause du Fief, sur lequel s’étend le Droit de viduité, le Roi présentera au Bénéfice dans le cas de vacance, par la raison que le Droit de viduité ne paroit pas avoir plus de force contre le Roi que le Douaire de la femme.

L’Auteur du Traité de la Mort civile, prétend que le Droit de viduité n’a lieu que par la mort naturelle de la femme ; ainsi si la femme a été condamnée à un bannissement perpétuel, M. Richer préfere le fifc au mari, jusqu’au moment où la femme aura passé de l’état de mort civile à celui de la mort naturelle : il argumente de l’Article CCCLXXXII de la Coûtume, qui porte qu’homme ayant eu enfant né vif de sa femme, jouit par usufruit, tant qu’il se tient en viduité, de tout le revenu appartenant à sadite femme lors de son déces : ces termes, dit-il, ne peuvent s’entendre que de la mort naturelle : ils ne peuvent donc pas s’appliquer à la mort civile. La consequence n’est pas juste, le Douaire est ouvert par la mort civile, comme par la mort naturelle ; la mort civile imite la mort naturelle, il n’est pas étonnant que l’une proquise ici les mêines effets que l’autre ; le cas de mort civile n’a pas dû être prévu par les Réformateurs, mais il n’est pas moins compris dans l’esprit de la Loi : c’est être trop fiscal que de préférer les intérêts du confiscataire a ceux du mari.

Le Droit de viduite a lieu du jour du déces de la femme, & le mari pour l’exercer n’a pas besoin de former une demande, comme dans le cas du Douaire ; la Loi l’avoit mis en possession des biens de sa femme, & il la continue.

Le mari jouit à Droit de viduité de la totalité de la dot de sa femme, quoiqu’elle soit payable par terme, & que tous les termes ne soient pas échus au temps qu’elle décede : car par son mariage la femme a acquis la propriété de sa dot, & les termes n’ont été réglés que pour la commodité du Debiteur ; mais le mari n’a aucun Droit à exercer sur les successions de son beau-pere & de sa belle-mere, quand ils ont survécu à leur fille, quand même ils auroient expressément consenti à leur mariage. Basnage dit cependant que les Avocats de son temps pensoient que la dot, stipulée payable aprés le déces du beau-pere qui a survécu sa fille, n’étoit pas susceptible du Droit de viduité dies cesserat non venerat.

Le Droit de viduité est susceprible d’accroissement, ainsi il s’étend sur le Douaire que la mère de sa femme exercoit sur les biens de son pere, quoiqu’elle soit morte aprés sa fille.

Le mari a sur les biens de sa femme tous les Droits de l’usufruitier, il peut elamer féoquiement au Droit du Fief de sa femme, & il est même préféré au propriétaire qui rem-boursers, s’il le juge à propos ses héritiers ; il jouit aussi du profit des Réversions à Droit de confiscation, Batardise & Ligne éteinte.


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Basnage , sous l’Article CCCLXXXIV, rapporte trois Arrêts intéressans : par le premier, di 1o Fevrier 16z3, un pere fut condamné de payer sur ses propres biens une pension E son fils mejeur qu’il refusoit de recevoir dans sa maison : par le second, du premier Mars tés, on condamna un second mari de fournir une pension aux enfans du premier lit sur les biens de la mere remariée, quoique la mere fût encore vivante ; mais les enfans étoienturer, nombre de einq sils abandonnoient leur revenu pour deux cens livres par an, & ils étoient d’une famille honnête : par le dernier Arrêt, du 23 Juillet 168z, la Cour ordonna que le tierdu bien de la mere, alors vivante, seroit partagé entre les enfans du premier & du secont lit ; & renvoya les Parties devant les parens maternels pour être procédé au partage.