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CCCLXXXVIII.

Et si les accords de mariage sont portés par écrit, nul ne sera reçu à faire preuve outre le contenu en iceux, & toutes contre-lettres qui se sont faites au déçu des Parens présens audit Mariage, & qui l’ont signé, sont nulles, & n’y aura-t’on aucun égard.

Ces deux Articles & le précédent CCCLXXXVI, traitent du record de mariage, & sont connoître, que quoiqu’on ne parvienne pas à la célebration d’un mariage sans un contrat ; c’est-à dire, sans une convention faite entre les futurs mariés, il n’est néanmoins point nécessaire que ce contrat soit rédigé par écrit, mais qu’on en peut faire la preuve par témoins irréprochables, qui sont les parens qui y ont assisté : ce qui est singulier pour les contrats de mariage, qui quoique tres-importans, parce qu’ils établissent des Loix irrévoca-bles dans la maison des conjoints, sont dispensés de la forme qui est requise en tous les autres contrats de conséquence, & sont d’ailleurs exceptés de la masime qui exelut la preuve par témoins dans toutes les matieres héréditaires ; ce qui n’a point d’autre fondement, sinon la solemnité avec laquelle les mariages sont réputés avoir été faits, c’est-à-dire, publiquement, avec le con-seil, & en la présence des principaux amis & parens des contractans, dont le témoignage ne peut pas être suspect : c’est pourquoi la Coutume déclare qu’ils doivent tous être admis à l’enquête, & que leur témoignage ne peut être repro-ché, & fait une preuve constante, pourvu qu’ils parlent de certain, comme il est ajouté par l’Article CCCLXXXVII ; c’estàdire, affirmativement & sans doute.

Mais quoiqu’on donne une croyance entière à l’attestation faite par les parens & amis, qui ont été présens au mariage, on ne reçoit point leur témoi-gnige, quand les accords de mariage ( c’est ce qu’on doit appeller le contrat ) sont portés par écrit ; car en ce cas on ne reçoit aucune preuve, non-seulement contre, mais même outre ce qui est écrit, par l’Art. CCCLXXXVIII, qui ajoute, que toutes contre-lettres sont nulles, & que l’on n’y doit avoir aucun egard ; ce qui est ordonné par la plupart des Coûtumes, pour signifier que la duplicité, la simulation & le déguisement doivent être hannis des contrats de mariage, qui doivent être faits avec sincérité, bonne foi & honnéteté, qui sont incompatibles avec la déception & la surprise.1 Or par contre-lettres, on entend des pactions secretes, contraires aux stipulations qui ont été écrites, lues & signées lors du contrat : c’est pourquoi si quelque considération obligeoit à ne manifester pas les véritables conventions du mariage, qu’on ne voudroit faire connoître qu’aux parens & amis, ces conventions qui auroient été faites en la présence & du consentement de ces parens & amis, quoique contraires aux clauses du contrat squi paroitroit être celui du mariage, ) ne seroient pas réputées nulles, ni considérées comme des contre-lettres odieuses & réprouvées : ce que la Coûtume a fait entendre, en disant, que les contre-lettres qu’elle condamne, sont celles qui sont faites

au décu des parens qui ont été présens au contrat, & qui l’ont signé. D’ailleurs, si quelqu’un des parens donnoit en faveur de mariage par un billet secret, par lequel il expliquât sa volonté, cela ne seroit pas réputé une contre-lettre parce qu’il n’y auroit rien de contraire aux clauses du contrat de mariage, qui bien loin d’être renversées ou changées, recevroient un accroissement avantageux aux futurs mariés.

Il faut remarquer, que contre les anciens Arrêts & les termes de cet Article CCCLXXXVIII, qui sont si évidens pour la réjection des contre-lettres, on a eu égard à quelques-unes haillées par des enfans, pour diminuer les avancemens ou pensions que les peres avoient promis en faveur de mariage : les Arrêts en sont rapportés par Basnage ; mais dans le cas de ces Arrêts, il n’y avoit que les enfans usans d’ingratitude qui fussent parties, car à l’égard des droits des femmes ou des enfans procréés de leur mariage, les contre-lettres ont toujours été condamnées.2


1

On n’écoute point une veuve qui veut prouver que son mari lui a fait faire depuis les épousailles un Contrat de mariage plus avantageux que le premier : cette preuve a été reiettée par Arrêt du 4 Juin 1695 ; mais dans cette espèce, le Contrat représenté par les heritiers du mari, & dont ils reclamoient l’exécution, étoit signé d’elle, de ses freres & de sa famille. Basnage rapporte, sous cet Article, un Arrét du S Mai 16ôt, par lequel on jugea que la preuve par témoins n’étoit pas recevable contre un Contrat sous signature privée, reconnu ensuite en Justice ; on n’eut point d’égard aux faits de fraude mis en avant par la femme, ni aux copies collationnées d’un autre prétendu Contrat qu’elle representoit ; les héritiers soutenoient qu’elle ne pouvoit être admise à la preuve de ses faits que par l’inscription en faux.

Il faut avouer que cette question dérive du malheureux abus dans lequel nous vivons, d’autoriser les Contrats de mariage sous signature privée ; nous ne réfléchissons pas que ce sont les frais de controle qui génent les futurs époux & non pas les émolumens du Notaire : je me réserve à traiter sous l’Article CCCez, de la consequence principale qui peut résulter de cet abus.


2

Le Contrat de mariage est le plus important, le olus solemnel, & le plus favorable de tous les Contrats de la société civile ; il est autorisé du droit civil, du droit des gens, & du droit naturel ; il fait la loi de toute une famille, his tabulis sciendum est contineri civitatem, his liberos, gradis hareditatum, successionem patrimoniorum ; ces Contrats sont susceptibles de toutes sortes de pactions, stipulations, conventions, pourvu qu’elles ne blessent ni l’intéret public, ni l’interét d’un tiers, & qu’elles ne contrarient pas les bonnes moeurs : on excepte deux cas, qui ne sont pas dans le pouvoir des contractans. 16. Quand les Coutumes ont prescrit des formalités, & notamment, à peine de nullité, elles sont d’une observation indispensable, d’autant que l’on présume qu’elles ont été introduites par la Loi, en contemplation d’un bien géneral. 25. On ne peut pas déroger aux Coutumes quand elles sont concues en termes prohibitifs & négatifs.Renusson , des Propres, Chap. 6, Sect. 1, n. 5.

Mais plus la Loi laisse de liberté dans les Contrats de mariage, plus la bonne-foi doit y éclater, plus on en doit proscrire les contre-lettres. Basnage définit la contre-lettre, tout ce qui va contre la teneur ou la substance du Contrat de mariage, qui en détruit les clauses, qui les altere, les diminue ou y déroge ; mais nous ne rejettons pas indistinctement les contre-lettres ; on ne défend que les contre-lettres qui se concertent hors la présence des parens. Auxanet, sur l’Article CCLVIII de Paris, présente une doctrine tréssaine sur cette matière, cet Auteur dit que pour autoriser la contre-lettre, trois choses sont nécessaires, 16 Que les plus proches parens des futurs époux signent la contre-lettre, Brodeau pense qu’il suffit que les parens qui y ont intérét la signent. 26. Qu’il y en ait minute, & qu’elle soit insérée au pied de la minute du Contrat de mariage, avec défenses aux Notaires, à peine de faux, de délivrer l’un des deux Actes separément, & elle ne laissera pas d’être fecrete : car les minutes des Contrats de mariage ne doivent être commu-niquées qu’aux parties intéressées ; il seroit à souhaiter que cette opinion fut généralement suivie. 3e. Que la convention ou contre-lettre soit faite avant la bénédiction nupriale ; car depuis la célébration dudit mariage on ne peut toucher aux pactions arrétées auparavant.

Toutes les fois que l’on a eu égard en Normandie aux contre-lettres, les Arrêts, cités parBasnage , prouvent que le mari étoit partie contre son pere ou contre son beau-pere : Arrêts des Is Iuillet 165y, 21 Mars 1688 ; mais hors ces cas les pactions de mariage sont inviolables, & la Cour a quelquefois ajouté, en prononcant contre le fils, sans préjudice des Droits de la femme & de ses enfans : Paris, Art. CCLVIII ; Commentateurs sur cet Article, Loiet &Brodeau , Lett. C. Chap. 18 3 Arrêtés de Lamoignon de la Communauté de biens entre mari & femme, Art. V & VI ;Loysel , Tit. du Mariage, Regle 4 ;Auzanet , Liv. 3 ; Bouchel, verb. Contre-Lettre ; Plaidoyer de Corbin ; lePrêtre , Cent. 1, Chap. 98 ; Journal des Audiences, tome 4, Liv. 8, Chap. 30.

Quelque déférence que l’on doive avoir pour le nom de pere, la délicatesse poussée troploin seroit un abus dans la Pratique ; quand le pere qualifie d’exces ses libéralités, on examine. le motif de ses plaintes, qui n’est pas toujours un besoin effectif auquel le droit naturel exige qu’on condescende ; la femme est encore plus favorable dans le cas de décret des biens de son beau-pere, elle n’est pas obligée de relacher ses droits.