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CCCLXXXIX.

Les personnes conjointes par mariage ne sont communs en biens, soient meubles ou conquêts immeubles, ains les femmes n’y ont rien qu’aprés la mort du Mari.

La Coutume en cet Article se sert d’un mauvais argument, pour prouver que le mari & la femme ne sont point communs en biens quand elle propose pour fondement de cette conclusion, que les femmes n’ont rien aux meubles ni aux immeubles, sinon aprés la mort du mari : car dans les Coutumes, dans lesquelles les femmes sont reconnues être en communauté de biens avec leurs maris, il est certain qu’elles n’ont rien aux biens qui entrent en la communauté, sinon aprés la mort de leurs maris, étant indubitable, que tant que le mariage subsiste, le mari est le maître de tous les biens de la communauté, dont il peut disposer indépendamment de sa femme, laquelle partant n’y a rien, sinon aprés la mort du mari. Donc l’effet propre de la communauté coutumière, est que la femme prémourante transmet à ses héritiers le droit de par-tager avec le mari survivant, les meubles & les immeubles qui composoient les biens de la communauté, sur lesquels elle n’avoit eu aucun pouvoir pendant son mariage. Ce qui a fait dire aux Auteurs qui ont écrit sur les Coutu-mes, que le mari étoit le maître de la communauté pendant le mariage ; mais qu’apres la dissolution d’icelui, il n’étoit plus que comme un associé, vivit ut dominus, moritur ut socius. Il faut donc conclure, que la véritable raison pour laquelle la communauté entre le mari & la femme n’est point reconnue en la Coûtume de Normandie, est que la femme prémourante ne transmet à les héritiers, non pas même à ses enfans, aucun droit de partager avec le mari sur-vivant, les meubles & les effets dont il jouissoit, & desquels il demeure le maître, comme il étoit auparavant le décés de la femme, comme il a été remarqué sur l’Article CCCXXIX. Or cet Article CCCLXXXIY, devoit pre-céder ce que la Coutume déclare, tant touchant les droits qu’ont les femmes sur les meubles avant ou aprés la dissolution de leurs mariages, que des remplacemens que le mari doit faire : car s’il y avoit une véritable communauté entre les mariés, la femme prendroit part aux meubles & effets trouvés aprés la mort du mari, par forme de partage de la communauté, & non comme une portion d’hérédité, & d’ailleurs le mari ne seroit point obligé de faire aucun remplacement de meubles qui échéent à la femme constant le mariage, parce qu’ils augmenteroient la communauté & feroient partie des biens d’icelle.

La Coûtume donc propose comme un principe certain, que les mariés ne peuvent être communs en biens ; c’est pourquoi il est indubitable que la communauté ne peut être établie par aucun contrat de mariage entre les mariés domiciliés en la Province de Normandie, parce que la Loi réprouve cette convention, & rend les personnes qui lui sont foumises, inhabiles d’y pouvoir jamais valablement consentir : mais quand la communanté a été stipulée per personnes qui ne sont point domiciliées en Normandie, il y a raison de douter si cette communauté doit avoir effet à l’égard des biens qui sont acquis en cette Province. Les Commentateurs de la Coutume foutiennent la négative, parce qu’ils disent que cette communauté est réelle, & doit par consequent être reputée contraire à la Coutume en cet Article, & au CCCxxx, qui déclare que les contractans n’y peuvent déroger : au contraire, les Auteurs qui ont écrit sur le Droit coutumier, remontrent, que la communauté étant un contrat de société, doit être exécuté sur tous les biens de ceux qui l’ont con-tractée, en quelque lieu qu’ils soient situés, parce que le contrat de socièté est purement personnel ; & que d’ailleurs, les biens d’une société ne se partagent pas comme ceux d’une succession, suivant leur situation, mais se doivent partager suivant les pactions du contrat de société. Il faut voir Louet & son Commentateur, C. 15 & 16.1

Par l’ancienne Coûtume Cce qui se pratique encore depuis la nouvelle ) la communauté s’établissoit sans convention expresse, lorsque deux personnes autres que le mari & la femme ) capables de contracter, demeuroient ensemble par an & jour, vivans à communs frais, & apportans & communiquans l’un à l’autre leurs biens meubles, & le revenu de leurs immeubles, & ce qu’ils gagnoient par leur industrie ; auquel cas ils étoient réputés contracter une communauté de tous biens meubles, & des immeubles qu’ils acquéroient pendant qu’elle subsistoit, d’autant plus, si c’étoient deux freres qui eussent demeuré ensemble sans avoir fait partage des successions de leurs pere & mere : ce qui est rapporté dansTerrien , Liv. 7. Chap. 11. avec l’exception des personnes qui sont dépendantes d’autres, comme est l’enfant à l’égard de son pere, entre lesquels cette société tacite ne peut avoir lieu : quoique cet Auteur ait ajouté ensuite, que le même prooede ontre le pere & les enfans, pourvu que les enfans soient mariés ou en âge parfait, & qu’ils ayent communiqué avec leur pere, les deniers & les autres choses qu’ils ont eues de leur mariage, ou qu’ils ont amassées par leur industrie, ou par bonne fortune. Mais le texte de l’ancienne Coûtume ayant expressément rejetté cette société tacire du pere avec les enfans, pour empécher les avantages indirects, & les difficultés qui se rencontreroient dans le partage de cette communauté entre les freres cohéritiers, il faut dire qu’il ne peut y avoir d’autre communauté entre un pere & un de ses enfans, que celle qui peut être établie par un contrat, qui explique & prouve ce que le fils apporte dans la communauté, tant de les biens que de son travail & aménagement ; autrement, cette communauté seroit réprouvéo comme produisant un avantage indirect, prohibé par la Coutume.2


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On ne peut pas douter, quand on se rappelle l’Article Ceexxx de notre Coûtume que le Statut porté contre la communauté entre conjoints, ne soit négatif & prohibitif ; mais est il réel ou personnel ; Cette question divisera les Auteurs Normands, & les Auteurs Btrangers jusqu’au moment où elle sera décidée par une Loi solemnelle. D’Argentré , sur l’Art. CexVIII de l’anc. Cout. de Bretagne, Gl. 6, n. 33 & 34, pense que le Statut introductif de communauté est un Statut réel, & ne s’étend point au-dela des Coûtumes de communauté ; mais il ajoute que si dans le Contrat de mariage on a stipulé que les conquêts seront communs en quelque Pays qu’ils ayent été faits, cette stipulation fait cesser la realité du Statut, & il ne peut être d’accord avec aucuns Auteurs.Chopin , sur Paris de la commun. n. 3 & 4, &Charondas , sur l’Art. CCxx de cette Coûtume, disent que les Coutumes sont réelles, que les héritages se reglent par les Coûtumes de leur situation, & qu’ainsi la communauté ne peut avoir lieu sur les biens situés en Normandie. La Consultation sjme de duMoulin , en faveur des héritiers de la Dame Boileau, veuve de M. de Ganney, Chancelier de France, a décidé la Jurisprudence du Parlement de Paris ; il s’agissoit de sçavoir si les conjoints étant en communauté, & ayant fait des acquêts dans le pays de Macon, qui est pays de Droit écrit, ces conquêts devoient entrer dans le don mutuel, & conséquemment faire partie de la communauté : Je vais traduire ce qui m’a paru le plus important dans cette Coniultation. n Le sens commun ne permet pas de douter que la communauté, une fois n contractée, ne renferme les biens par-tout où ils sont situés, sans aucune différence de n térritoire, de même que tout Contrat, soit tacite ou exprés, engage la personne & les y biens de celui qui dispose : il n’est pas nécessaire qu’il en soit fait mention dans l’acte qui n produit la communauté, le consentement présumé, introduit par la Coûtume di licu, n suffit ; il faut donc nécessairement convenir que la communauté qui se forme par un Con n trat de mariage, arrété à Paris entre les Parisiens, a sa source dans une volonté libre n & un consentement réflechi ; on doit donc considérer la communauté comme une Loi parn’ticulière & conventionnelle qui affecte les personnes & les biens indépendamment des n Coûtumes de leur situation ; il ne faut pas dire qu’il n’est pas possible de faire dominer les n Coûtumes au-delâ de leur ressort, la maxime est véritable quand il s’agit de la force de n’la Coûtume en soi, comme s’il étoit question de fixer l’âge de majorité, mais il en est n’autrement d’un droit, en quelque sorte mixte, & qui suppose pour bazc le consentement n des parties. Ainsi raisonnoit duMoulin , & il réussit à Paris, l’Arrêt est de 1527 : mais l’affaire ayant été évoquée par Arrét du Conseil au Parlement de Rouen, on ne suivit pas ces principes : c’est ce qu’il nous apprend lui-même en critiquant la décision du Parlement de Normandie.

Le raisonnement de du Moulin n’est pas plus fort que celui-ci. Tout homme qui fait une donation s’oblige de délivrer les choses données, & son obligation s’étend sur sa personne & sur ses biens ; étant domicilié à Paris, il peut disposer à titre gratuit de la totalité de ses biens : aiesi dans le cas d’une donation universelle, le donataire lera dans le droit de reclamer, en rertu de son titre, tous les biens de Normandie. Cependant les Commentateurs de Paris n’ont jamais osé tirer cette conséquence ; & quand nous leur avons opposé les Arrêts de Larchant & de Miromesnil, ils nous répondent que le Statut concernant les donations est un Statut réel. Comment donc citent-ils l’Arrét de Paris en faveur des héritiers de M. de Ganney, puisqu’il s’agissoit principalement de l’exécution d’un don mutuel sur des conquêts faits à Macon, où il n’est point défendu de stipuler la communauté, & où il étoit abiolument possible de l’etendre par interprétation de l’usage pratiqué à Paris.

Notre Coutume ayant pris les précautions les plus strictes contre toute convention, qui tendroit à denner à la femme une plus grande part dans les conquêts que celle qu’elle a fixée la raison dicte qu’il n’est pas dans le pouvoir de l’homme de s’élever au-dessus de la disposition de la Loi. LeBrun , partisant outré de la personalité du Statut de la communauté, est forcé de dire que cet usage, qui déclare la communauté un Statut personnel, sort de l’exactitude des regles, & n’est fonde que sur les conséquences Son Annotateur convient qu’il ne faut pas porter cette question au Parlement de Roüen, mais que l’on trouve un remede dans les priviléges du Sceau du Châtelet. Les Gens des trois Etats de la Province de Bretagne crurent devoir intervenir, dans une Contestation résultante de l’exécution d’un Contrat de mariage pendante au Conseil, & obtinrent un Arrét au mois de Juin 1701, qui renvoya les parties procéder au Presidial de Rennes, & par appel au Parlement, nonobstant le privilége du Sceau du Châtelet. Voyez M. de Perchambault, sur l’Art. DClXXXV de Bretagne. Cet exemple nous avertit qu’il est possible d’attaquer le privilége du Chârelet.

AussiBoullenois , quest. 13, convient que la disposition de l’Article CCCxxx de notre Coûtume, est au nombre des Statuts negarifs & prohibitifs, puisqu’en ne donnant à la femme qu’une certaine part dans les conquêts, elle défend de stipuler une plus grande part ; il ne faut donc pas s’attacher à l’opinion deGodefroy , qui dit que le Statut introductit de communauté concerne seulement les personnes & leur domicile, suivant lequel il décide qu’on doit partager les meubles & conquêts en quelque lieu qu’ils soient.Froland , des Statuts, aprés avoir rapporté un Arrêt de ce Parlement du 10 Mai 17o1, par lequel il a été jugé que la communauté, stipulée au Contrat de mariage entre deux conjoints alors domicilies à Paris, ne pouvoit s’étendre sur les biens de Normandie, semble pancher en faveur de l’opinion de Godefroy contre celle de Bérault ; mais celle de Bérault est préférable. PoyesBoullenois , quest. 5.

Le mari, en Normandie comme dans le pays de communauté, est le maître des meubles & des conquêts ; & par l’Arrét de Prioret, du a7 Novembre 1603, cité parBérault , on confirma une vente d’un conquêt de bourgage faite par le mari la veille de la mort de sa femmesChassanée , Tit. des Droits & Appartenances, &c. parag. Ad verb. des héritages acquis ; mais le mari ne peut tester au préjudice de sa femme, ainsi le legs du tiers des conquêts de bourgage ne se prend point sur la moitié que la Coutume lui donne.


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Plusieurs Coutumes rejettent la communauté tacite entr’autres que les conjoints, d’autres l’admettent, mais avec des circonstances qui doivent nécessairement concourir. Voyer duMoulin , sur Lortis, Chap. 9, Art. I ; les Commentateurs, sur Anjou, Art. DXIl ; Boulai, sur Tours, Art. OCxxaI ; leBrun , des Sociétés & Communautes tacites, édition de 1734.

Notre Jurisprudence proscrit la communauté tacite des qu’elle peut servir de prétexte à des ruvantages indirects que la Coutume défend, ainsi elle n’a point lieu en ligne directe. Dans plusieurs cantons de la Normandie, lorsque le pere ou la mère se dispose à résider chez l’urs de ses enfans, & vice versâ on fait des descriptions des apports devant Notaire, & des actes qu’on appelle d’incommunité ; ces actes sont ordinairement frauduleux, & la preuve paroit récevable contre ces actes en faveur d’un tiers qui se prétend lézé sans prendre la voie d’inscription de faux.

Terrien , Liv. 7, Chap. 11, dit que si la mère n’a point fait d’Inventaire aprés le déces de pson mari qui a laissé des enfans mineurs, on peut répondre que les enfans devenus maieurs, peuvent demander le partage des effets existans au temps de leur majorité, si ce partage leur sest avantageux. Il est certain, dit un Auteur moderne, que cette communauté, substiteée au serment in litem, a quelque chose de bien meins rigoureux ; car outre que la délation de ce serment a je ne sçai quoi d’infamant contre la mere, parce qu’elle suppose du dol dans sa conduite, elle rend les enfans maîtres de sa fortune jusqu’à la concurrence de la somme fixée par-le Juge :Erard , second Plaidoyer.

La communauré tacite quand elle a lieu, & nous l’admettons lorsqu’elle ne colore point des dispositions défenduës, se justifie par des actes qui établissent la communication des biens : duMoulin , sur l’Art. LXxxIx de Bourgogne, de la Main-morte, ne l’induit pas de la simple cohabitation, non enim quod sub eodem tecto remaneant tquod non attenditur ) sed bonoriun communio, quoique réguliérement la communauté tacite ne se prouve point par témoins. il y a des actes nécessaires qui forment un commencement de preuve par écrit ; dans de pareilles eirconstances on peut recourir à la preuve vocale, sans violer les regles de la Justice.

L’étenduë de la communauré tacite se regle par l’intention des associés manisestée par les faits, & elle cesse par les mêmes voies que les autres fociétés.