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CCCCIII.
Et où le Pere auroit fait telle aliénation de ses biens, que ledit tiers ne se pourroit prendre en essence, ses Enfans pourront révoquer les dernieres aliénations, jusqu’à la concurrence dudit tiers, si mieux les Acquéreurs ne veulent payer l’estimation du fonds dudit tiers en roture au denier vingt, & en Fief Noble, au denier vingt-cinq : laquelle estimation sera partagée également entre lesdits Enfans.
L’estimation des biens aliénés par les peres & meres, se doit faire par rapport au temps auquel le Douaire peut être demandé par les enfans ; c’est-a-dire, au temps de la mort naturelle ou civile du pere & de la mere : ayant néanmoins égard à l’existence & à l’état auquel ils étoient lors du mariage, comme il a été remarqué sur l’Article CCCXCIX. Ce qui reçoit une exception, qui est lorsque les acquereurs ont tenu les enfans en proces sur la déli-vrance de leur légitime, car en ce cas, il est à l’option des Douairiers deprendre cette estimation, eu égard ou au temps de la mort, ou de la con damnation qu’ils ont obtenue, suivant qu’il est attesté par l’Article XC dudit Réglement.
On auroit lieu de juger par le texte de la Coutume, que cotte estimation se devroit faire précisément, eu égard au revenu des héritages alidnés, sans considérer la valeur intrinseque, suivant laquelle on estime les batimens & les bois de haute-fûtaie, & autres ornemens, puisque le denier vingt ou vingecind, ne peuvent avoir leur rapport qu’au revenu : néanmoins Basnage atteste que l’usage est certain au Palais, de faire cette estimation, par rapport au revenu & à la valeur intrinseque, ce qui a été établi, en conséquence des Ar-rêts qui ont jugé, que l’estimation du tiers légal ne se pouvoit faire autrement que le fait l’estimation de tous les biens, qui étoient en la possession du pere ou de la mère ; laquelle estimation doit être faite non-seulement par rapport u revenu, mais eu egard à la propre substance des biens, en quoi consiste cette valeur intrinseque.1
Les preneurs à fieffe n’ont pas le privilége accordé aux acquéreurs, de pouvoir payer en deniers, il faut qu’ils continuent de payer la rente, ou qu’ils abandonnent le fonds : mais d’ailleurs les Douairiers ne peuvent pas déposséder les preneurs à fieffe, parce que le pere a pû faire ce changement en son bien, aussi-bien qu’échanger, suivant l’Arrêt donné en l’Audence de la GrandeChambre, le 15 de Janvier ré88, rapporté par Basnage : ce qui semble devoit être limité aux cas qu’il n’y ait point une grande inégalité de la valeur de la rendre fieffale, ou du contr’échange, avec la valeur de l’héritage baillé à fiesse ou permuté.
Il a de plus été jugé, que les Adjudicataires par décret n’ont pas cette même faculté ; mais qu’ils sont tenus de bailler le tiers en essence, par un Arrêt donné par Rapport, le 16 de Mai 1637, rapporté par Basnage : ce qu’il faut entendre d’un décret auquel les enfans se sont opposés, pour avoir distraction de leur tiers en essence, & non d’un décret, en vertu duquel les adjudicataires auroient joui paisiblement pendant quelques années, des héritages sur lesquels le Douaire pourroit avoir lieu : car la possession acquise en conséquence d’une vente faite en Justice, est aussi favorable que celle qui est provenue d’une vente volontaire.
Au reste, ce privilége des acquereurs n’est qu’à l’égard du Douaire des enfans & non du Douaire de la femme, qui doit jouir de son usufruit, qui lui est acquis absolument par la Coûtume.
Il semble que les enfans demandeurs en tiers coutumier, doivent indiquer les bient qui y sont sujets : la Coutume limite le tiers coutumier sur une certaine espèce de biens e est done à eux qui le reclament, à les déterminer ; cela n’est pas sans difficulte, tous biens sont réputée propres en Normandie, s’il n’est justifié qu’ils soient acquêts, la présomption est done en faveur des enfans. S’ils attaquent l’acquereur, comme possédant un propre, clost à lui de prouver que ce qu’il possede étoit un acquêt dans l. personne du vendeur, il en a toute la facilite : si son titre ne donne pas des éclaircissemers suffisans, quand les enfans renoncent à la succession du pere, on ne manque pas de faire uiventorier les pieces & enseignemens de la succession, & cet inventaire est au pouvoir des créanciers & des acquereurs.
Si le pere, aprés avoir vendu le demier des héritages qu’il possedoit au temps de son mariage, & qui formoit le tiers de son bien, a constitué le prix en rente, au profit d’un tiers, les enfans ne sont pas obligés de se contenter pour leur tiers de cette rente constituée, & si le fonda est décrété par des créanciers de leur pere, postérieurs au mariage, ils ont droit de reclamer ce fonds en essence : Arrét du 15 Juin 1766.
Le choix que la Coutume de Normandie donne aux acquereurs, des biens sujets au tiers coûtumier, de les abandonner ou d’en payer le prix par estimation, est contraire au droit commun. a Paris & dans les autres Coûtumes qui admettent un douaire propre aux enfans, les douairiers ne peuvent être forcés de recevoir le fonds de leur douaire coûtumier en argent : l’inconvénient en est sensible, il est rare que les enfans puissent commodément trouver dans leur voisinage des fonds qui les dédommagent de ceux qu’ils perdent ; mais la faveur que nous donnons à la possession, la fait prévaloir sur l’interét des enfans ; on ne peut cependant pas s’empécher de penser que cette alternative est une espèce de modification contre l’interdiction où est le père d’aliéner le tiers coutumier.
L’estimation du tiers se fait sur la véritable valeur du fonds, on doit donc suivre la valeur intrinseque. On avoit jugé le 17 Juillet 1ôtû, sur les Conclusions de M. de Bretignieres Proeureur-Général, que l’estimation du Fief de Villiers seroit faite, en ce qu’il pouvoit valoir de revenu au temps de la vente par experts, lors de laquelle estimation on auroit égard aux bâtimens, bois de haute-fûtaie & autres dignités : Arrét de Guichart & de la Cervelle.Bérault . Basnage a cru que cet Arret étoit mal rapporté, il y a effectivement deux erreurs dans cet Arrêt : 1. On ne doit pas estimer le tiers coutumier comme du jour de la vente qui en est faite, mais du jour que les enfans sont recevables à en demander la délivrance, puisque c’est de ce jour que les intérets courent à leur profit ou de la condamnation obtenue contre l’acquereur qui a contesté. 26. Il y a une injustice évidente à n’estimer les fonds que sur le pied du revenu, les enfans éprouveroient une perte trop considérable dans le remplacement des deniers, qui ne se fait jamais sans de grands frais & on accorderoit un double avantage aux acquereurs, celui de déposséder les enfans d’un bien dont la propriété leur est acquise du jour du mariage de leur pere, & de le leur faire vendre à vil prix.
Quand un acquereur se défend par exception contre des acquereurs postérieurs il lui est indifférent que son Contrat de vente soit revétu des formalités du Contrûle : Arrêt du 18 anvier 1654 ; Traité des Hypotheques, Chap. 12.
Le dernier acquereur, qui a acquitté des dettes anciennes, devroit être à l’abri de la demande des enfans jusqu’à la concurrence des dettes qui leur sont préférables ; on suivroit alors, pour éviter les frais de recours & de discussion, la date des charges, plutût que celle des contrats : Basnage penfe qu’il faut délivrer des fonds à l’acquereur pour l’indemniser des charges qu’il a acquittées.
Les acquereurs ne peuvent forcer les demandeurs en tiers coutumier d’accepter le prix des aliénations, de même que les demandeurs ne scauroient l’exiger : Arrét du 29 Janvier 168s.Basnage .
L’Auteur du Journal du Palais, tome 2, rapporte un Arrêt du Parlement de Paris, rendu public le 16 Juillet 1Syd, qui mérite d’être remarqué ; par cet Arrét il fut jugé que le tiers coutumier ayant été consumé sur les biens de Normandie, par des dettes antérieures, la récompense n’en pouvoit être demandée sur des biens sirués dans d’autres Coutumes que celle de Normandie, qui ne dounent qu’un douaire viager à la femme & non propre aux enfans. Gabriel de Langan avoit des biens dans le Perche, dans le Poitou où le douaire est viager il s’étoit marié en Normandie ; aprés sa mort ses biens de Normandie furent vendus à la poursuite d’un éréancier antérieur au tiers coutumier ; les enfans obtinrent, par Sentence du Siége de Lessei & du Bailliage de Mortain, récompense sur les autres biens de leur pere ; la Sentence de Lessei fut même confirmée par Arrêt du Parlement de Rouen.
Il étoit certain que si l’on eût vendu les biens des autres Coutumes, les enfans auroient conservé leur tiers sur les biens de Normandie ; mais ce n’étoit pas à eux à donner la loi aux créanciers : ils pouvoient encore dire que les dettes antérieures ayant été acquittées aux dépens de leur tiers il ne falloit point considérer si le statut concernant le douaire étoit réel, puisqu’ils venoient au droit des créanciers acquittés ; mais on répondoit que les créanciers étant antérieurs au tiers coutumier, les enfans ne pouvoient pas dire que ces éréanciers avoient été payés de leurs deniers. LeBrun , des Success. Chap. 2, du Douaire Sect. 2, dist. 3, n. 59, fait un raisonnement favorable aux enfans. Suivant son systéme, il eût fallu duns cette espèce, estimer ce que les biens de Normandie & les biens des autres Coutumes auroient dû porter des dettes antérieures ; & cette deduction faite, estimer le douaire des enfans qui auroit resté sur les biens de Normandie pour le donner aux enfans, à proportion & par forme de récompense dans les Coûtumes où le douaire n’est que viager, & les créanciers postérieurs n’auroient pas pu se plaindre de cette espèce de translation du doüaire des enfans. Le sentiment de le Brun est fort équitable quoiqu’il soit difficile à foutenir.
La question, si la prescription court en faveur des acquereurs des biens sujets au douaire des enfans, du jour du déces du pere ou de celui de la mere seulement, a été célebre au Paa-lement de Paris, auparavant & depuis la réformation de cette Coûtume. L’Article OXVII de la Coutume réformée, qui porte, qu’en matière de douaire la prescription commence à courir du jour du déces du mari seulement, entre âgés & privilégiés, auroit dû mettre fin à la difficulté : on a continué de penser que la prescription ne couroit contre les enfans pour leur douaire, que du jour de la mort de la mere, quand elle avoit vendu, conjointement & solidairement avec fon mari, un propre du mari. Renusson du Douaire, Chap. 15, n. 29, veut que la prescription coure indistinctement du jour du déces du mari contre les enfans majeurs. LeBrun , des Suc. Liv. 2, Chap. 5, Sect. 2, dist. 3, n. 3 & suiv. soutient la distinction, & il faut avouer que ses moyens sont bien concluans, mais il reconnoit que la Jurisprudence moderne tourne contre les enfans. Brillon rapporte nn Arrêt du Il Août 17Ir conforme à l’opinion deRenusson . Cette difficulté ne peut naître parmi nous, la prescription court contre la demande en tiers coutumier, du jour de la mort du pere, nec ante actio nata, nec competere potest ideo, etiam pra scriptio longissime temporis nec currit nec incipit.Bérault . Voyes sur Paris,Bacquet , des Droits de Just. n. 78 & 7o. Tronçon &Brodeau , Art. CXVII.Bardet , tom. 1. Liy. 3, Chap. 40. Journal des Audien. tom. 1, Liv. 7, Chap. 2.