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CCCCXLIX.

Donation faite d’héritage par Homme ou Femme n’ayant enfans, peut être révoquée par le Donateur, avenant qu’il ait Enfans, procréés en loyal Mariage, réservé celle faite en faveur de Mariage & pour le dot de la Femme, laquelle est révoquée quant à la propriété seulement, demeurant l’usufruit à la Femme ; & si elle est faite au Mari, la Femme aura Douaire sur les choses données.

I a été remarqué dans le Discours général fait sur la définition de la donation, quelle est la cause pourquoi les donations qui sembloient parfaites pouvoient être révoquées, au cas que le Donateur ait procréé des enfans depuis la donation. Cette exception a été faite à l’imitation du Droit Romain, en la Loi Si unquam, C. De revocandis donationibus, qui révoquoit ipso jure, les donations faites par les Patrons à leurs affranchis, propter supervenientiant liberorum. Mais la disposition de la Coûtume est générale, & à l’égard de tous donataires : Mais il paroit par les termes de cet Article, peut ctre révoquée par le Donaleur, que les donations ne sont pas révoquées de plein droit, mais. seulement par la volonté expresse du Donateur, & partant les fruits ne se restitueront pas du jour de la naissance des enfans, mais du jour que la révocation aura été signifiée : Néanmoins Basnage rapporte un Arrêt du 5 de Juillet 165z, par lequel il semble qu’il a été jugé qu’il n’étoit point nécessaire que le Donateur révoquât sa donation, parce qu’elle est censée révoquée des le moment de la naissance des enfans : Mais comme les donations, ob causam remunerationis compensatorie, ne sont point proprement donations, elles ne sont pas révocables au cas de cet Article. On a néanmoins jugé, que quoique les donations faites en faveur de mariage soient ad susiinenda onéra matrimoniâ, & partant onéreuses à l’égard des donataires ; toutefois procédantes de la pureliberalité du Donateur, elles étoient révocables propier supervenientiam liberorum, La Coûtume en a proposé deux exceptions à la fin de cet Article, qui sont en faveur de mariage & de la femme. Car les donations faites à la femme en considération de son mariage, ne sont révocables que pour la propriété, parce que l’usufruit de la chose donnée, doit demeurer à la femme pendant sa vie : Que si la donation est faite au mari, elle peut être révoquée semblablement ; mais la femme ne sera pas privée de son Douaire sur l’immeuble donné à son mari.

On a demandé, si le donateur qui avoit des enfans d’une concubine lors de la donation, lesquels il ait légitimés par mariage depuis célébré, peut révoquer cette donation, par la considération de ses enfans ainsi légitimés ; On a jugé au Parlement de Paris, que la donation étoit révocable ; parce que les bâtards sont réputés nés pour ies droits successifs, pour les biens & les honneurs, du jour de la célebration du mariage subséquent, lequel les fait, renaître pour participer à tous les mêmes droits des enfans procréés en légitime mariage ; cap. Tanta vis, qui filii sunt legitimi, Novella 18. De triente & semise, qui appelle la légitimation faite par le mariage subséquent, jus regenerationis, d’intioy ranuryirtrios,Louet , D. 22 & 52. Cela paroit contraire aux termes de cet Article, qui requiert que les enfans soient procréés en loyalmariage : ce qui est fondé en une tres-bonne raison, ne devant pas dépendre de a volonté du Donateur, de re n dre la donation illusoire.1


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L’interprétation de la Loi si unquant, cod. de Revoc. Donat., a été l’écueil de presque tous les Auteurs ; & auparavant l’Ordonnance de 1731, il n’y avoit aucune uniformité de Jurisprudence dans les differens Tribunaux du Royaume.

L’Ordonnance décide, Article XXXIX, que toutes donations entre-vifs, faites par personnes qui n’avoient point d’enfans ou de descendans actuellement vivans, au temps de la donation, de quelque valeur que les donations puissent être, & à quelque titre qu’elles ayent été faites, & encore qu’elles fusient mutuelles ou rémunératoires, même celles qui auroient été faites en faveur de mariage par autres que par les conjoints & les ascendans, demeurent révoquées de plein droit par la survenance d’un enfant légitime du Donateur, même d’un posthuine, ou par la légitimation d’un enfant naturel par mariage subséquent, & non par aucune autre sorte de légitimation.

Tiraqueau avoit pensé, dans son Traité éélebre sur la Loi si unquam, n. 110, que la donation mutuelle, faite entre deux particuliers, ne tomboit point sous sa disposition, censetur enint potius quedum permutatio quam donatio.Ricard , aprés avoir beaucoup douté, croyoit que les donations rémunératoires qui n’excédoient pas les services rendus, & dont il résultoit une action contre le Donateur n’étoient point révoquées par la survenance d’enfans. La faveur de la cause pie balancoit, dans l’esprit de certains Auteurs, celle des enfans : voyerTiraqueau , n. 79 & 82. D’autres distinguoient les donations particulières des donations uni-verselles.Mainard , Liv. 5, Chap. 41 : l’Ordonnance a fixé toutes ces irresolutions.

Bérault étoit d’avis que la donation n’étoit pas révoquée de droit par la survenance d’enfans ; il argumentoit du Texte de notre Coutume, & il y avoit de la difficulté dans le temps que cet Auteur écrivoit.Ricard , des Donat., Part. 3, n. 6a8 avoit la même opinion que Bérault ; mais il avoit été jugé, par Arrét du Pariement de Rouen du s Juillet 167a, rapporté dans le Journal du Palais, que la révocation se faisoit de plein droit, & c’est la décision de l’Ordonnance.

Il y avoit plus de difficulté, par rapport aux effets de la legitimation par le mariage subséquent. Bérault entrainé par la force d’un raisonnement simple, avoit refusé à cette légitimation l’effet de révoquer la donation. Godefroy avoit contredit Bérauit : l’Ordonnance accorde à la legitimation la faveur qu’elle donne au cas de survenance d’enfans.

La révocation a lieu, encore que l’enfant du Donateur ou de la Donatrice fût concuu temps de la donation, Article XI. Quoi de plus équitable I La révocation des donations. par survenance d’enfans n’est ordonnée que parce qu’il est à presumer qu’un pere ne se seroit pas dépouillé de ses biens, au profit d’un étranger, s’il avoit eu des enfans. Or, cette affection paternelle ne se forme véritablement dans le coeur d’un pere, qu’apres la neissance de ses enfans : sil sent quelque tendresse pour un posthume, c’est une tendresse imparfaite, & comme dans cet état il ne connoit pas encore ce qu’il doit aimer, il ne peut jamais aimer autant qu’il le devroit.

La donation demeure pareillement révoquée quand même le Donataire seroit entré en possession des biens donnés, & qu’il y auroit été laissé par le Donateur depais la survenance de l’enfant ; mais le Donataire n’est tenu de restituer les fruits par lui percus, de quelque nature qu’ils soient, que du jour que la naissance de l’enfant ou sa légitimation par mariage subséquent lui aura été notrfié par exploit ou autre acte en bonne forme ; & depuis cet acte, la restitution sera due, quand même la demande pour rentrer dans les biens donnés n’auroit été formée que postérieurement à la notification, Article XLI. Berault estimoit, aprés duMoulin , de donat. in contrad. matrim. 5. 3 & suivant, que la res-titution des fruits n’étoit due que jour de la demande en révocation de la donation, cuit restitutione fructuum à die litis contestate.

Les biens compris dans la donation révoquée de plein droit, rentrent dans le patrimoine du Donateur, libres de toutes charges & hypotheques du chef du Donataire, sans qu’ils puissent demeurer affectés même subsidiairement, à la restitution de la dot de la femme du Donataire reprises, douaire ou autres conventions matrimoniales ; ce oui a lieu, quand même la donation auroit été faite en faveur du mariage du Donataire & insèrée dans le Contrat, & que le Donateur se seroit obligé, comme caution, par la donation, à l’exécution du Contrat de mariage, Article XIII. Cette disposition déroge à notre Coûtume, qui ne révoquoit la donation faite à la femme pour sa dot que quant à la propriété, & qui donnoit à la femme douaire sur la donation faite au mari en faveur de mariage. Du Moulin loco cit. avoit en quelque sorte préjugé l’Ordonnance, il dit que l’Arrét qui déclara dans l’espece de cet Article, les biens par lui donnés à Ferry du Moulin son frère, hypothéqués au douaire de la Dame Maillard sa femme, passa de son consentement expres. LePrêtre , Cent 2, Chap. 15, n. 36, assure qu’il a vérifié l’Arrêt au Greffe, & qu’il n’y est point fait mention du consentement de du ; mais ce que du Moulin Moulin ajoute, n. 88, ne permet pas d’en douter esset enim contra jus & concordem omnium sententiam qui tenent pure resulvi per pradicta. Ricard vouloit que quand le Donateur s’étoit rendu caution pour l’exécution du Contrat de mariage, les biens donnés nonobstant la survenance d’enfans, y demeurassent subsidiairement hypothéqués, non pas en vertu de la donation, mais du cautionnement. M. d’Amout a fort bien remarqué que quoique la donation n’eût pas un principe gratuit, à l’égard de la femme, elle n’étoit pas moins gratuite à l’égard du mari Donataire ; & que si le cautionnement avoit pu mettre la donation à l’abri de la révocation par survenance d’enfans, le cautionnement seroit devenu de style.

Les donations révoquées par survenance d’enfant, ne peuvent revivre ni avoir de nouveau leur effet, ni par la mort de l’enfant du Donateur, ni par aucun acte confirmatif ; & si le Donateur veut donner les mêmes biens, soit avant ou apres la mort de l’enfant, par la naissance duquel la donation avoit été révoquée il ne le peut faire que par une nouvelle disposition, Article XLIII. Tiraqueau avoit décidé de même, standum est regula communt que dicit contractum, c aliam quanilibet dispositionem semel extinctam non reviviscere, sublatd etiam extinctionis causâ. MaisRicard , des Donat. Part. 3, n. 683 & suivant, en-trainé par certains Arrêts, a soutenu que le Donateur ne pouvoit plus révoquer la donation, quand il ne l’avoit point révoquée du vivant des enfans, & que leur déces l’avoit fait revivre. Un grand nombre d’Auteurs, parmi lesquels étoit duMoulin , ne desiroient qu’une approbation expresse ou présumée d’une volonté persévérante dans la personne du Donateur, aprés la naissance des enfans ; ainsi le moindre acte confirmatif auroit sussi, suivant leur opinion.

Toute clause ou convention, par laquelle le Donateur auroit renoncé à la révocation de la donation par survenance d’enfans, doit être régardée comme nulle & ne produire aucun effet, Article XLIV. Il est étonnant que les Auteurs ayent été partagés sur cette question.

VoverCharondas ,Bouguier Montholon : il me semble que la raison devoit dicter que cette renonciation n’est pas dans la puissance du Donateur, parce qu’elle concerne principalement l’intéret de ses enfans à naître : Godefroy avoit fait cette observation.

Le Donataire, ses héritiers ou ayans-cause, ou autre détenteur des choses données, ne peuvent opposer la prescription pour faire valoir la donation révoquée par survenance d’enfans qu’apres la possession de trente années, qui ne peuvent commencer à courir que du jour de la naissance du dernier enfant du Donateur même posthume, sans préjudice néanmoins des interruptions, telles que de droit, Article XLV. Cette disposition porte directement contre l’avis de duMoulin , de donat. in contr. matrim. fad. & deRicard , Part. 3, n. G5y, qui admettoient en faveur des tiers-détenteurs la prescription de dix ans & vingt ans ; elle condamne encore une autre opinion de ce dernier Auteur qui vouloit, n. 660, que l’on commençât à compter pour la prescription du jour de la naissance du premier enfant, parce que c’étoit de ce jour que le pere pouvoit agir pour revendiquer les biens donnés. Qu’il me soit permis de dire mon fentiment particulier : comme notre Jurisprudence est différente de celle de Paris, je crois que l’on ne peut opposer aux enfans que la prescription de quarante ans, à commencer du jour de la naissance du dernier enfant du Donateur.

L’ingratitude doit être un titre, pour révoquer les donations aussi ancien que l’usage des donations mêmes. Voyer les Capitulaires, Liv. 7, Article CCexxx, tome ; deBaluze .

C’est être ingrat, selon les Loix, que d’attenter à la vie de son bienfaiteur & a son honneur, ou de lui causer une perte considérable dans fa fortune, en un mot, que de blesser l’état de l’homme : les Loix ne punissent point l’indifference, qui est le supplice le plus cruel pour un coeur sensible.

L’accusation d’ingratitude est réservée individuellement au Donateur outragé, elle ne passe donc point à ses héritiers, si elle n’a été préparée avant son déces ; l’héritier du donataire est aussi à couvert de la demande en révocation, il n’est obligé qu’à réparer civilement le dommage causé par son Auteur, & le tombeau de lingrat est le terme de la juste vengeance du Donateur.

L’effet ordinaire de cette action est que le Donateur rentre en possession & propriété des héritages dont il s’étoit dépouillé en faveur du donataire : Grivel, Decis. Dolan. Decis. S6, n. 21, prétend que le donataire doit restituer les fruits du jour de l’ingratitude qu’il a commise. Per ingratitudinem donatarii, dit cet Auteur, tenetur donatarius ad restitutionem fructuunt non tantum à tempore petitionis aut litis mote & contestate, sed à tempore ingratitudinis commisse ; maisRicard , n. 731, dit que la restitution des fruits n’est due que du jour de la demande en révocation. Les héritages demeurent affectés aux dettes du donataire, & s’il les a aliénés auparavant, le Donateur ne peut troubler celui qui les a acquis ; mais Bérault observe aprés du Moulin que le donataire doit être contraint de les décharger des hypotheques, ou en cas de vente d’en payer l’estimatson.