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C E Chapître est intitulé Des Retraits & Clumeur, pour signifier qu’il y est traité des actions qui tendent à retirer des mains d’un acquereur, les immeubles qui lui ont été transportés ; ce qui se fait, ou afin de les remettre dans la famille dont ils avoient été aliénés, ( c’est le Retrait lignager : ) Ou afin de les réunir au Fief dont ils avoient été séparés, ( c’est le Rerrait féodal : ) Ou afin de les faire repasser aux mains de l’ancien acquereur qui en avoit été dépossedé par une Adjudication de Decret, ( c’est le Retrait à droit de Lettre lue : Qu afin de les remettre en la possession du vendeur, en exécution de la faculté qu’il s’étoit réservée par le Contrat de vente, ( c’est le Retrait conventionnel : ) Ou enfin, pour rejoindre le domaine utile. & la propriété, qui avoient été comme divisés par le Bail à rente foncière ; ( & c’est le Retrait, qu’on peut appeller de proprieté ) qui fait la cinquième espèce de Retraits, qui est établie par l’Article DI, quoique la Coutume dans la division qu’elle a faite dans l’Article CCCCLXI femble l’avoir oubliée.1 Mais les plus importans des Retraits, sont le lignager & le féodal, parce qu’ils sont d’un usage plus ordinaire, y ayant peu de contrats d’aliénations. d’immeubles, dont ces actions ne naissent pas au benéfice, tant des parens du vendeur, que des Seigneurs dont les héritages aliénés relevent à cause de leurs

Fiefs. Ces droits qui consistent dans une préférence qu’ont les rétrayans aux acquercurs, étoient inconnus dans la Jurisprudence Romaine, & sont fondés sur une raison, qui est plutôt de bienséance que d’équité & de Justice, paroissant qu’il est plus équitable & plus juste, que celui qui a fait un contrat pour parvenir à quelque acquisition qui lui est commode, s’éjouisse de ses soins & de son industrie, que d’en accorder tout l’avantage à un au-tre, qui veut profiter d’une négociation à laquelle il n’a point contribué : Outre que cette préférence est contraire à la liberté & à la facilité du commerce, plusieurs étant détournés d’acheter par l’appréhension qu’ils ont, que non-seulement les acquisitions qu’ils pourroient faire, leur deviendront inutiles par l’in-tervention des parens & des Seigneurs de Fief, mais les exposeront à beaucoup d’inconvéniens, comme de la perte d’une partie de leurs deniers, par les changemens qui arrivent souvent aux monnoies, ou de la division des héritages qu’ils auront achetés, dont la meilleure partie leur pourra être retirée, & l’autre leur demeurera, quoiqu’il leur soit fort incommode, & même fort dom-mageable de l’avoir séparément. On peut ajouter, que les retraits sont une source d’une tres-grande quantité de proces, qui proviennent des fraudes & des dé-guisemens qui se commettent, tant dans les contrats, pour frustrer les droits des parens & des Seigneurs, que dans les retraits mêmes, pour en obtenir ou en empécher l’effet, mais il seroit inutile de s’arrêter davantage à blamer des droits qui sont autorisés par toutes les Coutumes ; il suffira de dire, qu’il seroit à defiren qu’on les eût restreints à leur effet naturel, qui est la préférence, en pourvoyant à l’indemnité de l’acquereur, qui, sans doute, devroit être mis au même état qu’il étoit avant son contrat, par celui qui entre en sa place, & qui a tout le profit de son marché.2

Outre la division des retraits, qui fait un partage des principales matieres on en peut encore proposer une autre, pour y rapporter les Articles qui composent ce Chapirre : car on peut considérer quels contrats sont retrayables, quelle est la durée des actions de retrait, qui sont ceux qui y sont préférés, & quels en sont les effets.

Les contrats qui font ouverture aux droits de retrait, sont ceux par lesquels les héritages, ou la plûpart des choses qui sont réputées immeubles, sont aliénées.

C’est pourquoi toutes les ventes, tant volontaires que par décret, faites d’héritages, de rentes foncieres, de bois de haute fûtaie, d’un usufruit, sont sujettes aux retraits ; il n’y a que les Offices non domaniaux, & les rentes constitués à prix d’argent, qu’on appelle hyporheques, qui ne sont point retrayables au cas de la vente qui en est faite.

a l’égard des contrats d’échange, il faut user de distinction ; car quand l’echange se fait purement d’un immeuble contre autre immeuble, il n’y a point d’ouverture aux droits de retrait : si au contraire l’échange est mixte, parce qu’il est baillé quelque argent ou quelque chose mobiliaire pour supplément de la valeur de l’autre héritage, cet héritage pour lequel ce supplément t’que la Coutume appelle solde yest baillé, estretrayable, quelque petite que soit la solde, & l’héritage au contraire avec lequel la solde est baillée, n’est point clamable, pour se servir du terme de la Coûtume. Mais les rentes rachétables, soit qu’elles soient foncieres, soit qu’elles soient volantes & pures hypotheques, quoique d’ailleurs réputées immeubles, étant baillées en échange, ou en tout ou en partie, sont censées une solde, & rendent le contrat par lequel elles sont baillées, retrayable à l’égard de l’héritage con-tre lequel elles sont transportées, pour en suppléer la valeur.

Les contrats de transaction ordinairement, ne sont pas retrayables, encore que le possesseur d’un héritage qui étoit litigieux, ait promis ou baillé de l’argent pour se maintenir en sa possession : car on présume toujours qu’il étoit pro-priétaire, & que l’argent qu’il a promis ou baillé, n’a éte que pour éviter la continuation d’un proces : Transactione sive litis renuntiatione dominium non queritur, sed tantun exceptio qui renuntians excluditur, l. postquam, C. De pactis. Mais quand le possesseur reçoit de l’argent, & s’oblige de quitter l’héritage. par la transaction, ce contrat est retrayable, parce qu’il est réputé une vente, mais les retrayans n’ont pas l’effet de leur action en payant le prix porté par le contrat, ils sont tenus de défendre au proces & d’en attendre l’événement con-tre celui qui est devenu possesseur en vertu de la transaction : que si au contraire, le possesseur a donné de l’argent, & qu’on lui ait cédé quelques autres imimeubles, le Contrat de transaction, qui contient ces pactions, est retrayable ; mais ce n’est qu’à l’égard de ces immeubles baillés à ce possesseur, & en ce cas, le prix du retrait ne sera pas réputé être l’argent qui a été baille par cet acquereur, mais il faudra faire l’estimation par experts de ces immeubles qu’il a acquis ; c’est ce qu’on peut inférer de l’Article CCCCLXVII.

Les contrats des véritables donations ne sont pas retrayables, mais les donations qu’on appelle remunératoires ou compensatoires, faites pour récompense de services, sont retrayables ; mais les retrayans sont tenus de payer la vraie valeur & estimation des héritages baillés, par l’Article CCCCXCVIII.

Enfin les baux à ferme pour plus de neuf ans, que la Coûtume appelle Baux ù longues années, sont retrayables par l’Article DII.

La durée de l’action du retrait conventionnel est d’autant de temps qu’il en a été stipulé par le contrat qui en contient la clause : Mais pour les autres retraits, qui sont établis par la Coûtume, en conséquence des contrats d’aliénation, la durée ordinairement est d’une année, qui commence au jour auquel l’aliénation est renduë notoire ; c’est pourquoi la Coutume a prescrit tant de solemnité pour cette notoriété, dont les particularités sont déclarées par les Articles CCCCLV & CCCCLVI, l’omission desquelles en tout ou partie, prolonge le temps du retrait jusqu’à trente ans. Il en faut dire autant de toutes les fraudes qu’on peut pratiquer dans les contrats pour empécher que ceux qui ont droit de retirer, ne s’en puissent ou veulent éjouir, soit qu’on ait augmenté le prix, ou déguisé le nom du contrat.

Mais ce qui est de plus remarquable dans ces actions annales, est que la contestation ne les fait pas vivre plus d’une année, de sorte que si la poursuite en est discontinuée pendant un an & jour, elles sont péries par un usage. particulier de la Coutume, comme il paroit par l’Article CCCOxCI & ; car dans les autres Provinces, les actions possessoires, & qui intru annum tantum compelunt, ne sont point prorogées par l’ajournement, ni par tous les autres actes qui n’emportent point la contestation de la cause, mais quand elles sont contestées, elles sont prolongées jusqu’à trois ans du jour de la contestation,Louet , I. 2.

Il faut en outre remarquer, que ces actions semblent être autant réelles que personnelles, parce qu’on a égard & au domicile du défenseur, & au lien où la chose est sieuée : C’est pourquoi, quand le défendeur est domicilié hors de la Vicomté, dans l’etenduë de laquelle est l’héritage retrayable, il suffit de signifier le retrait au détenteur, comme au fermier receveur ou autre qui y réside pour l’intérét du propriétaire, par l’Article CCCCLXXXV. Il est anéanmoins d’un usage constant, que les actions de retrait sont évocables devant le Juge des privilégiés : il les faut donc réouter mixtes, d’autant plus que plusieurs Coutumes donnent le choix au demandeur d’intenter son action de retrait, ou devant le Juge du domicile de l’acquereur, ou devant le Juge du lieu de l’héritage ; Louet & son Commentateur, R. 51.

Quant à la préférence qui est donnée dans les actions de retrait, il est certain que le lignager préfere le féodal, & que ces deux retraits préferent ce-lui qui se fait en vertu de la propriété, comme il se doit inférer par l’Article, Di car pour le retrait à droit de lettre lue, il est encore indubitable qu’il est prefére à tous les autres établis par la Coutume.

Donc la seule difficulté pour cette préférence est, quand plusieurs parens du vendeur concurrent en l’action de retrait. Dans la plupart des Coûtumes cela ne peut faire aucune question, parce que l’effet du retrait est adjugé au plus diligent : mais en Normandie, les retraits s’adjugent par les mêmes maximes qui sont observées dans le droit de succéder, comme il est déclaré par les Art.

CeccLXVIII, ceceLxix, CcccExx, CCCCExXV, CCeCLXXVI & CCCCLXXVII, sur lesquels cette matière sera plus particulièrement développée.

Reste à discourir en général des effets de ces actions de retrait. On les peut distinguer par rapport à l’héritage même, & par rapport aux fruits qui cn sont dépendans : a l’égard de l’héritage, il est évident que le retrayant y a tous les droits qui appartenoient à l’acquereur, en vertu de son contrat d’acquisition, parce que par l’effet naturel du-retrait, il entre en la place de l’ac-quereur : mais neanmoins il est nécessaire d’éclaircir cela par une restriction. qui se doit faire à l’égard des héritages qu’il a droit de retirer ; car il arrive assez souvent que tous les héritages qui sont aliénés par un seul contrat, ne sont pas retrayables par la même personne, les parens ne pouvant retirer les propres qui ne viennent pas de leur côté & ligne, & ne pouvant d’ailleurs être obligés de prendre les autres héritages, quoiqu’ils soient vendus par un seul contrat & par un seul prix. Il en est de même du Seigneur de Fief, qui n’a droit de retirer que ce qui dépend de son Fief, & qui partant ne peut pas prétendre, qu’un autre héritage qui est compris dans le contrat d’aliénation, mais qui ne releve point de sa Seigneurie, lui soit adjugé en vertu de son retrait ; comme d’ailleurs, l’acheteur ne peut pas contraindre le Seigneur de Fief retrayant, de prendre tout ce qui lui a été vendu, quoique par un seul contrat & par un seul prix : de sorte qu’en ces rencontres, le marché peut être divisé, tant en faveur qu’au dommage de l’acquereur, comme il sera expliqué plus au long sur l’Article CCCCIXXII. Pour les fruits, ils appartien-nent aux retrayans en de certains cas, & sous quelques conditions qui seront soécifiées sur les Art. CCCCLXXXVI, CCceLXXXVII, CCCCLXXXVIII, CCeClxxx. & & CCcexC.


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Le Retrait féodal dérive naturellement de la Loi des Fiefs comme une condition légale. de l’investiture ; mais l’origine du retrait lignager est plus obseure : il ne faut point, suivantCujas , Consult. o, remonter au 25e. Chap. du Lévitique.Pithou , sur Troyes, Tit. o, pour donner au retrait une époque réculée, emprunte de Tacite la belle description des associations des anciens Allemands faites par choix & par familles ; je crois qu’il faut borner les recherches à des siecles moins éloignés du nôtre. Le Chapître 1é de la Loi des Saxons, dans la Collection deLindenbrog , porte une défense d’aliener auparavant d’avoir offert à ses proches. On lit dans le Chapitre 127 des Loix d’Ecosse, de l’an 1124, que pour être approprié d’un fonds, il falloit que la vente eût été précédée de trois proclamations à trois Plaids solemnels, avec des offres en faveur des parens, & que l’acquéreur eût possédé sans trouble par an & jour.Laurière , dans ses Notes sur les Etablissemens de S. Louis, du Retrait, suppose toujours la nécessité d’offrir. Une constitution de l’Empereur Frederic, rapportée dans le Se Livre des Fiefs accorde precisément un mois aux parens du vendeur, depuis les offres pour agir : on pourroit donc penser que l’origine du retrait lignager procede de ce droit, qui, pour remédier aux abus des donations, défendit d’alièner sans le consentement de ses heritiers, & même de ses proches. Voyer le grand Coûtumier.


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M. Auxanet, Préface, Tit. du Retrait, sur Paris, dit que l’usage du retrait devroit être aboli : outre qu’il est contraire à la foi des Contrats, il occasionne un nombre infini de contestations & de parjures ; les Coutumes qui abregent le plus le temps du retrait, s’écartent le moins de l’équité, suivant les meilleurs Auteurs ; car dans un delai d’un an, tel que le nôtre, un acquereur n’ose amcliorer les terres & réparer les édifices. On ne peut pas dire que l’on se propose dans le retrait d’épargner à un parent la douleur de se voir enlever par un étranger des possessions que l’habitude de les voir dans sa maison lui rendoit cheres ; car un parent éloigné a fouvent bion moins de relation avec le vendeur que l’acquereur. L’attachement que l’on a dans cette Province à maintenir les biens dans les familles, l’emporte sur ces considérations ; notre Coûtume multiplie non-seulement les ouvertures au retrait mais elle applanit encore toutes les difficultés, nous ne pratiquons point ces formes rigides si funestes aux lignagers, & si favorables aux acquereurs ; tout est simple dans l’action en rétrait & dans la manière de la poursuivre. Ce qui embarrasse, c’est la qualité qu’il faut avoir pour être habile au Retrait ; car le droit de Retrait se regle en Normandie comme celui des successions.

Bérault remarque cependant que le Retrait est de droit étroit & qu’ainsi le Retrayant doit se conformer littéralement à la Coûtume. Tiraqueau a fait la même observation dans son Fraité du Retrait, S. 8, Gl. 3 & 7, n. 1, ubicunque agitur ex consuetudine vel siatuto in materid retradis debent ad unguem observari, concurrere & probari omnia que à stututo ipfo, aut consuetudine requiruntur, aliâs agens suecumbit. Les Auteurs en rendent cette raison que le Retrait est l’effet d’une grace accordée contre le droit commun, & la liberté des Contrats qui forment le commerce de la vie civile : ainsi celui qui méprise les dispositions de la Loi, est indigre du bénéfice auquel elle l’a appellé : & plus la Loi est simple, mioins la transgression est excusaible. Il y a des pays où l’omission de la forme ne peut jamais se téparer, & l’on y juge que des le moment de la contravention la peine est encourue, & la déchéance du Retrait acquise de plein droit à l’acquereur. Poyer les Commentateurs sur l’Article CXI. de Paris & CLVIII de Melun.

Les Loix coutumieres qui ont établi le Retrait lignager, ayant pour objet de leur disposition, les héritages qu’elles assujettissent au Retrait lignager lorsqu’ils sont vendus à un étranger de la famille, elles sont, par conséquent, dit M.Potier , du Retrait, Part. 1, Chap. 1, n. 7, de la classe de celles qu’on appelle Statuts réels ; il est de la nature de ces Statuts réels qu’ils n’exercent leur empire que sur les héritages qui sont situés dans l’etendue de leur térritoire, & qu’ils l’exercent par rapport à quelque personne que ce soit, quoique domicilié hors du térritoire. Il n’y a donc que les héritages situés dans une Province, dont les Loix admettent le Retrait lignager, qui soient sujets à ce Rétrait ; mais ils y sont sujets, quand même le vendeur & l’acquereur auroient ler domicile en quelque Province du Droit écrit, qui n’admet pas le Retrait. C’est donc la Coûtume où l’héritage est situé qui doit régler tout ce qui concerne le Retrait linnager de cet héritage ; je veux dire, quelles sont les personnes qui y sont appellées, dans quel ordre quels sont les titres qui y donnent ouverture dans quel temps & fous quelles conditions il doit être exercé, &c. dites la même chose du Retrait féodal.