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D.

Tout Contrat de Vente où il y a fraude commise, au préjudice du Droit de Retrait appartenant aux Lignagers ou aux Seigneurs séodaux, est clamable dans trente ans.

On joint ces trois Articles, parce que le sujet en est commun : car comme par les deux premiers il est traité de la fraude que les retrayans peuvent commettre, ou par collusion avec l’acquereur, ou à son préjudice, dans le D. il est traité de la faude que les contractans peuvent concerter pour empecher le retrait, soit par le déguisement du contrat, soit par l’augmentation du prix. Comme la peine de ces fraudes est semblable, sçavoir, que l’action pour empécher ou réparer le dommage dure trente ans, ainsi les moyens de la découvrir sont les mêmes. Il a été remarqué sur l’Article CCCCLXV, que l’interrogation & le serment pouvoient être demandés, tant par l’acquereur que par les retrayans : il faut dire la même chose de la preuve qu’on peut faire tant par écrit que par témoins ; car comme les retrayans peuvent prouver la simulation du contrat, & l’augmentation du prix ; de même, l’acque-reur peut prouver que le Retrait n’a éte fait que pour mettre l’héritage en la poslession du vendeur, ou d’un autre qui n’y a point de droit, qui est le cas de l’Article CCCCLXXIX, que les Auteurs appellent l’action de repetition de Retrail, que la Coûtume déclare pouvoir être intentée pendant trente ans.

L’Ordonnance de Moulins & les postérieures, qui ont défendu la preuve par témoins, pour les choses excédantes la valeur de cent livres, ne sont point contraires à ce qui a été dit, qu’on pouvoit prouver la fraude par témoins ; parce ques ces Ordonnances ne s’etendent que contre les contractans, qui ont pû & dû pourvoir à leurs intérêts, & bien expliquer leurs conventions par écrit, qui potuerunt & debuerunt sibi prospicere, & non contre les tierces personnes ; au préjudice desquelles les contractans ont fait des déclarations & des pactions pour les frustrer de quelque droit legitime ;Louet , T. 7. Il a été jugé au contraire par plusieurs Arrêts, qu’on pouvoit prouver ces fraudes, tant par témoins de certain, que par ceux qui se présentent sur la publication des Censures de l’fglise.

Or pour prouver la fraude, il ne suffit pas d’en prouver le dessein, il faut de plus faire connoître que ce dessein a été exécuté, & a eu son événement, necesse est, ut consilium 6 eventus concurrant, suivant les textes cités par Louer & son Commentaire, R. S3. C’est pourquoi le fait, que le parent usant de Retrait, ne fait que prêter son nom à l’acheteur en fraude d’un autre parent n’est pas recevable : Frusirâ enim probaiur quod probatum non relevat, l. dd probationem, C. De probationibus. Or l’accommodation de nom ne suffiroit pas pour faire débouter le retrayant de son action, nec enim eum ponam cogitlationis païi equum est eûm potuerit poenitere, & garder l’héritage pour lui : Il faut donc attendre l’événement, c’est-à-dire, que le parent qui a rétiré, ait mis l’héritage aux mains de l’acheteur ; car alors les parens qui prétendront qu’il y a eu fraude commise à leur préjudice, pourront prouver l’accommodation de nom, tant par pieces d’écritures que par témoins, & par la reconnoissance du retravant, duquel ils pourront demander l’interrogatoire & le serment. Iis peuvent offrir de prouver que le retrayant n’a point payé de ses deniers, n’a point joui de Théritage rétiré, & qu’il l’a rebaillé en fraude des autres lignagers : c’est pourquoi ce qui est dit en l’Article CCCCLXI, qu’il y a ouverture à la clameur dans trente ans, S’il est prouvé qu’il fût convenu entre les parties, que l’échange seroit racheté, se doit entendre quand le rachat a été exécuté, c’est-à-dire, qu’un des permutans a repris la possession de ce qu’il avoit baillé pour contr’échange ; car auparavant la preuve ne seroit pas admissible, étant insuffisante, pour faire juger que le contrat d’échange auroit été fait en fraude de ceux qui auroient droit de retirer.

On a jugé par un Arrêt du 14 de Mai 1625. rapporté parBasnage , que le vendeur ayant été convaincu de fraude commise dans le contrat de vente, & concertée avec l’acheteur, n’étoit pas recevable à retirer l’héritage au nom de ses enfans, pour exclure le demandeur en retrait, qui avoit découvert la fraude.1


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Nous avons un principe général, en matière de fraude, dans les Contrats dont fortent nécessairement plusieurs décisions particulières : la fraude ne se commet point par la seule intention des Contractans, elle est ainsi concue, mais elle n’est pas encore consommée ; elle a un être complet par l’evénement, fraus ex consilio & erventis estimatur.

Mais quand l’un de ces points est avéré, il suffit, dit Bérault d’aprésGrimaudet , que l’autre point qui reste à prouver soit justifié par des présomptions & des confitures probables.

On peut supposer ici deux fraudes de differentes espèces : la première se commet dans le Contrat pour éluder le Retrait : la seconde, dans le Retrait pour déposséder l’acquereur en faveur d’un étranger, ou pour maintenir l’acquereur au préjudice de ceux du lignage.

Lauriere observe, sur l’Article CIIX des Etablissemens de S. Louis, que des que le retrait n eu en France des regles fixes, on a toujours commis des fraudes pour en exclure les lignagers. La fraude qui se commet dans les Contrats consiste dans le déguisement d’un Contrat clamable, sous la forme d’un Contrat qui ne l’est point ; comme d’une Fieffe, d’un échange, d’une donation, & dans l’exagération du prix. Voye ; mes Notes sur les Articles CCCCLII & CCCCLXV. Observez qu’il y a fraude dans les Fieffes des qu’il y a convention d’amortir encore que la convention ait été lacérée avant le retrait, & que la preuve qu’une contre-lettre sous signature privée, portant faculté d’amortir, a été vuc, lue & tenue, est recevable : Arrêts des 22 Décembre 17ai, & 3 Février 174d. Nen expectatâ redemptione, dit duMoulin , sur l’Article CXX de Chartres, etiamsi nunquam redimat. La raison qui est le fondement de ces Arrêts est bien simple ; la contre lettre portant la faculté d’amortir change la nature du Contrat : ce n’est plus qu’un fonds fieffé, à rente racquittable qui est sujet au Retrait suivant les Articles CCCCLII & CCCCi XII de la Coutume ; il est donc inutile de différer la clameur jusqu’apres l’amortissement de la rente.

La vente que le lignager fait immédiatement aprés le retrait ne forme point seule une présomption de fraude qui annulle le retrait, notre Jurisprudence est conforme à un ancien Arrét rapporté par Duluc, Liv. 9, Tit. 3, par lequel il fut jugé que de la vente faite le lendemain du fonds retiré, mais à un plus haut prix, on ne pouvoit pas conclure la fraude du retrait.

Voici les présomptions queBrodeau , surLouet , L’ett. R, Som. 51, administre en faveur de l’acquereur, si le lignager n’a point fait le remboursement de ses deniers, s’il a revendu incontinent au préteur par le même prix, s’il n’a point payé les lors & ventes, affermé le fonde ni donné les quittances ; cependant l’acquereur n’est point recevable à prouver par témoins la collusion & l’accommodation de nom avant le gagé de clameur, & que le lignager ait mis lhéritage hors de sa main, en conséquence des pactions qui ont précédé le rettait ; mais le lignager est tenu de jurer & affirmer avant la clameur gagée qu’il clame pour lui, qu’il ne prête son nom directement ni indirectement à personne, & qu’il est dans la volonté actuelle de garder l’héritage : Arrét. de Réglement du 8 Août 1735 ; Arrêt du 3 Avril 1505, rapporté dansTerrien , Liv. 8 : Arrét du Parlement de Paris du dernier Avril 16os, dansLoüet , ibid ; Ce dernier Arrét mérite toute l’attention du Lecteur.

Des Arrêts du Parlement de Bretagne ont jugé que le serment du lignager se peut faire par procureur : Arrêts des 30 Mars 1626 & 15 Mars 1832. Cout. gen. de Bretag. Tom. 2, Tit. 16, Art. CCCY. Le lignager doit en Normandie prêter serment en personne & en justice, c’est ce qui a été jugé par l’Arrét de 150s, qui n’est bien rapporté que parTerrien .

Le sieur de Craon, acquereur de la Baronnie de Vassy, avoit été clamé par le Maréchal de Gié, & il lui avoit demandé son serment, le Maréchal s’en étoit excusé sur sa résidence à la Cour : le sieur de Craon, sur cette exception, avoit accepté, pour recevoir son ferment, un Officier de justice résidant pres la personne du Roi, tel que M. le Chancelier, un Maitre des Requêtes, ou autre ; ce que le Maréchal avoit refusé, & clos ses pieces ; il fut par l’Arrét évincé de sa clameur.

Il y a présomption de fraude contre le parent plus proche intervenant dans une clameur, quand la terre qu’il veut enlever par rettait lignager, au retrayant plus éloigné, n’est point a sa bienseance ; qu’il est indubitablement constant qu’il n’a point les moyens d’en rembourser le prix ; que l’acquereur donne les mains à ce second retrait, & accepte une constitution de rente au lieu du prix ; la chose seroit encore plus fensible si la constitotion étoit à un intéret moindre que celui de l’Ordonnance, & que le second retrayant ne vint qu’aprés des démarches de l’acquereur qui auroient trait à la fraude ; mais Basnage décide qu’il n’y a que les parens qui ont agi dans le temps de droit, qui puissent opposer la collusion du lignager le plus proche, parce que les autres sont sans intétét.

Bien des Coûtumes punissent d’une amende les fraudes en cette matière ; & par Artét du 3 Mai 1512, rapporté parTerrien , Liv. 8, la Cour condamna en une amende des lignagers qui avoient clamé en fraude, & leur Avocat qui y avoit participé.

Dans le concours de deux lignagers, dont l’un est préferable à l’autre, suivant l’ordre des retraits, il est d’une sage précaution au parent plus éloigné de n’abandonner la suite de sa clameur qu’avec sa réserve du droit de regard : il est beaucoup plus à propos pour lui quiil reste à l’état du proces ; il observe toutes lesd’émarches du lignager qui le préfere, en cas de négligence il en profite ou il en prévient les effets, dans le cas de fraude il l’a découvre, & il est bien plus avantageux d’obvier à des manoeeuvres que d’y chercher un remede que les circonstances peuvent rendre inefficace. VoyerGodefroy .