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CCCCLXXXII.

L’héritage rétiré par le Pere ou la Mere au nom de l’un de ses Enfans, doit être remis à partage, si d’ailleurs l’Enfant n’a biens sussisans pour payer le prix de la Clameur.

Pour êmpécher les avantages que les peres, meres ou autres ascendans pourroient faire à quelques-uns de leurs enfans où descendans ; l’héritage retire par ces ascendans au nom d’un de leurs enfans, n’est point acquis à cet enfant, a moins qu’il n’eût lors du Retrait des biens suffisans pour en payer le prix. Iden dicendum à l’égard de l’héritage acquis par tout autre moyen, au nom d’un des enfans ou descendans : Dans l’un & l’autre cas, l’héritage fait partie des biens de l’ascendant qui l’a acquis, & doit être partagé entre les fiéritiers, suivant que la Coutume l’ordonne pour tous les autres biens dont la succession est composée, comme il est attesté par l’Article CI dudit Réglement, qui de plus éclaircit ce qui n’étoit pas assez expliqué par cet Article CCCCLXXXII, en ajoutant, que l’enfant doit avoir, lors de l’acquisition, des biens pour en payer le prix ; ce qui signifie que ce prix doit provenir des deniers appartenans à l’enfant, au nom duquel l’acquisition est faite : Mais ce nonobstant les ascendans ausdits cas, ne peuvent aliéner ce qu’ils ont rétiré ou acquis au nom de leurs enfans, étant réputés en avoir donné la propriété.1

On demande, si la femme peut prétendre quelque droit de conquêt sur les héritages retirés ou acquis par son mari au nom de ses enfans ; Sur cette question, on fait différence entre les biens retires, & ceux qui ont été acquis par quelque contrat ; car les biens retirés, à droit de lignage, tenans licu de propre & non d’acquet par l’Article CCCCLXXXIII, il paroit que la femme n’y peut prétendre aucun droit de conquêt, sinon sur ceux qui provien-droient de son côté & ligne : Mais néanmoins on pourroit douter, si la femme ne pourroit pas au moins répêter la môitié des deniers employés à faire le Retrait, de la même manière, que le mari qui a rétiré des héritages au nom de sa femme parente du vendeur, peut demander la moitié du prix du Retrait, nonobstant que les héritages qu’il a retirés soient réputés propres de sa femme, par les Articles CCCCXCV & CCCCXCVI. Mais on dit au contraire, qu’un mari peut ne pas augmenter les biens de sa femme, en donnant ses meubles & en les dissipant, & partant qu’il peut donner à ses enfans, le prix du Retrait qu’il fait en leur nom ; ce qu’il est présumé avoir fait, quand expressément il ne s’est point reservé à faire la répétition de ce prix, en faisant le Retrait : Mais un mari ne peut pas en faisant un Retrait au nom de sa femme, lui en donner les deniers, parce qu’il ne peut pas lui faire des avantages, autres que ceux qui sont autorisés par la Coutume. Quant aux biens simplement acquis au nom des enfans, il semble que la femme ne devroit point être excluse d’y prendre part, comme de conquet quand les prix a été payé des deniers amassés par son mari, parce que c’est une véritable acquisition faite constant le mariage, sur laquelle la femme a un droit qui lui est attribué par la Coutume, auquel le mari ne peut pas préjudicier : ce qui a été jugé en plus forts termes, par un Arrêt du 24 Novembre 1633, par iequel on adjugea un droit de conquêt à une femme sur un héritage acquis par son mari au nom de ses enfans ; encore qu’il eût déclaré lors du contrat, que le prix provenoit des meubles qu’il avoit eus d’une succession qui lui étoit échue, comme il a été remarqué sur l’Article CCCXXIX.

Sod quid dicenduim, à l’égard des créanciers du pere qui a acquis au nom de ses enfans, quand ii n’y a point de déclaration faite dans le contrat, que les deniers ont été empruntés ; On avoit jugé par plusieurs Arrêts, que les enfans renonçant à la succession du pere, devoient être maintenus dans la propriété qui leur étoit acquise par le contrat d’acquêt fait en leur nom, sans être obligés de payer les dettes du pere, le pere ayant pu leur donner le prix, qui est un meuble qui n’a point de suite par hypotheque : Mais par un dernier Arrêt, donné en l’Audience de la Grand’Chambre, le 25 de Mai 1674, rapporté par Basnage, on a jugé, que les créanciers anterieurs avoient pu faire saisir les fermages de l’héritage acquis par le pere, depuis leurs créances, sous le nom de ses enfans : la raison de cet Arrêt est, que ce pere ayant toujours joui de l’héritage, quoiqu’acquis sous le nom de ses enfans, il ne devoit pas être presumé en avoit donné le prix ; autrement, ce seroit donner un moyen de faire illusion & une fraude aux créanciers, aux dépens defquels les enfans se trouveroient enrichis, sans avoir rien contribué de leur part à faire cette acquisition. Magis dubilandum, quand les créanciers sont postérieurs à l’acquisition, car ils ne peuvent-pas objecter qu’elle ait été faite pour leur faire fraude : mais il semble, que ces créanciers au moins peuvent soutenir, que ces héritages acquis au nom des enfans, doivent être rapportés, ou au moins diminuer ce qui leur peut appartenir pour leur Douaire ut noiatum est sur l’Article CCCCI. Il faut dire indistnctement, à l’égard du fisc, que les acquisitions faites sous le nom des enfans, & payées des deniers du pere, ne peuvent être confisquées, ni pour le crime du pere ni pour celui des enfans ; parce que le pere ne peut aliéner ce qu’il a ainsi acquis, & que d’autre part, le pere n’est pas présumé avoir donné pour acquerir un droit au fifec, ni même aux créanciers de ses enfans, à son préjudi-ce.2


1

D’Argentré , sur l’Article CexCIx de Bretagne, Gl. 2, s’étonne de ce que les Modernes n’ayent pas appercu la fraude impliquée dans cet Article, ut recentiores non viderent contradus factus à parentibus, filiorum puberum, S impuberum mutato nomine, eludi, id est ob his ipfis qui contrax issent, reperto qui per invidiam plus aliquid adjiceret mercedi, id vere est favere fruudibus in re apertâ. Ce qui rend plus sensible le reprocne que d’Argentré fait à sa Coûtume, c’est qu’en Bretagne le pere peut disposer des héritages qu’il a retirés au nom de ses enfans, avec cette liberté qu’il a de disposer de son bien propre. M. de Lamoignon, dans ses Conférences du Retrait lignager, n’omet aucun des moyens propres à étayer le sentiment de M. d’ Argentré ; il fait sentir que l’acquereur se sert du nom des enfans du vendeur pour éluder le retrait lignager & que le pere, aprés une vente simulée, en use pour avantager le fils de la prédilection. Notre Jurisprudence a remédié, autant qu’il a été possible, à ces inconvéniens, en interdisant au pere l’aliénation des héritages qu’il a ainsi retirés, en donnant aux lignagers une inspection de trente années, & en forcant celui de ses enfans pour lequel il a clamé, de rapporter aprés son déces le prix ou la chose même, suivant les circonstances désignées par cet Article.

Le retrait intenté par le pere au nom de son fis mineur, est valablement consommé depuis sa majorité sans son intervention, Arrêt du Is Juin 1743, quoiqu’il ne puisse clamer au nom de son fils majeur sans un pouvoir spécial.

Pajoute deux observations qui ont pour objet l’interprétation de cet Article. Si le pere qui a contracté un second maniage, intente au nom de son fils du premier lit, le retrait d’un héritage de la ligne de sa mere, cet héritage lui appartient sans doute à l’exclusion des enfans du second mariage ; mais il doit tenir compte à la succession du pere commun du prix effectif de la clameur dont il confond, s’il est héritier de son pere, une partie dans sa personne : car un pere ne peut avantager de ses meubles un de ses enfans, au préjudice des autres.

Quand aprés la mort de sa femme, un pere a rétiré au nom de ses enfans un héritage en Caux, qui étoit du propre de leur oncle maternel, l’ainé peut reclamer P’héritage en totalité : car s’il étoit venu par succession, il auroit, suivant la Coutume locale appartenu à l’ainé seul : mais il doit rapporter le prix à la masse de la succession : Consultation de MMNéel & Billouer du mois de Novembre 1724.

L’aieul maternel, de même que le paternel, peut intenter le retrait au nom de son petitfils mineur pendant la vie de son pere, ou quand même il auroit un autre tuteur : Arrét en forme de Réglement du S Août 1749. On présente plusieurs moyens pour justifier cette Jurisprudence : les mineurs sont sous la protection de la Loi, il y auroit de l’injustice à refuser à l’aieul la liberté de réparer le tort que la négligence, la disette & la dissipation d’un pere peut causer à ses enfans : cette Jurisprudence prouve combien nous nous éloignons de l’opinion des Auteurs que je viens de citer ; mais la mere est non-recevable à clameru nom de ses enfans, si elle n’est leur tutrice : Arrêt du 23 Juin 1744.


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La question proposée par Pesnelle, & discutée avant lui par nos Commentateurs, est fort serieuse : il s’agit de balancer les droits des créanciers du pere & ceux de ses enfans ; il est une maxime certaine, c’est que les créanciers postérieurs à l’acquisition faite par le pere au nom de ses enfans, n’y peuvent reclamer aucune prétention ; des l’instant de l’acquisition la propriété en a passé sur la tête des enfans, & suivant la Jurisprudence le pere n’en a plus que la simple jouissance : il n’a donc pu l’hypothéquer. On oppose des raisonnemens tres-forts aux créanciers antérieurs ; le pere est maître de ses meubles ; les meu-bles n’ont point de suite par hypotheque. Le pere peut, au préjudice de ses créanciers en gratifier ses enfans, pourvu qu’il garde l’égalité entr’eux : les meubles ne sont point sujets a rapport au profit des créanciers ; & le pere en acquérant au nom de ses enfans, ne leur donne que des biens de cette espèce : cependint les circonstances peuvent quelquefois déterminer en faveur des créanciers ; il faut voir dans Basnage l’Arrêt du 25 Mai 1674, & peser les raisonnemens de ce Commentateur